Il est ressuscité !

N° 242 – Avril 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


LA LIGUE

La Ligue

La vraie vigne

LE Jeudi saint 25 mars  1948, avant-veille de son ordination sacerdotale, Georges de Nantes méditait la parabole de la Vigne (Jn 15). Il y reconnut toute la destinée du prêtre, enté sur la Vigne mystique, constamment émondé par l’épreuve, de sorte qu’il porte du fruit en abondance. « Ce dernier mot surtout résonnait à l’oreille de mon âme avec la force de la Voix de Dieu même (...). Celui qui a entendu de telles paroles ne s’étonnera pas de l’extrême fécondité de ses œuvres, il ne se découragera pas de leur continuel échec, il est un “ serviteur inutile ” et pourtant le canal d’une grâce qui, de la Tête, se répand et se répandra toujours en tous les membres du Corps. » (Georges de Nantes, docteur mystique de la foi catholique, p. 115)

C’était il y a soixante-quinze ans. Au cours de notre Heure sainte du Jeudi saint, ce n’est pas sans émotion que nous avons écouté ce Père bien-aimé nous livrant de nouveau sa méditation, mûrie par quarante années de ministère, de cette parabole du discours après la Cène : « Qui que nous soyons, où que nous soyons, quelque fonction que nous ayons, et même n’aurions-nous aucune fonction, n’aurions- nous d’autre fonction et d’autre ministère que d’être malade, que d’être méprisé, que d’être inutile, que d’être mourant, fou ou sans valeur, du seul fait que nous serions en vous, ô Jésus, et vous en nous, vous nous dites sans hésitation qu’alors, nous portons beaucoup de fruit. » (31 mars 1988)

N’est-ce pas la description de sa longue et crucifiante carrière de défense de la vérité dans une Église apostate ? Dans cette nuit du Jeudi saint, la promesse du Seigneur était vérifiée par les communautés et les amis groupés autour d’elles qui, à Saint-Parres, Fons, Frébourg, Magé et jusqu’au Canada écoutaient en même temps cette méditation. Quel encouragement pour nous, ses disciples, les enfants de son sacerdoce et les héritiers de son combat, qui partageons son abjection ! À notre tour, bien que mis au ban de l’Église, notre vocation est de nous unir au Cœur de Jésus pour porter du fruit, par notre fidélité à la vérité reçue de notre Père et l’ardeur de la dévotion qu’il a infusée dans nos âmes. Et spécialement notre dévotion au Cœur Immaculé de Marie. En 1988, notre Père concluait en effet son explication de la Vigne mystique : « Si discrète lors de la Passion, la Vierge Marie maintenant est celle que vous présentez au monde, voulant que nous passions par Elle pour vous agréer et agréer à votre Père. Plus nous l’aimerons, plus nous serons unis à vous, plus son intercession nous donnera de produire du fruit en abondance. »

QUI A TUÉ NOTRE-SEIGNEUR ?

La veille, Mercredi saint 5 avril, nos communautés étaient entrées en retraite pour revivre le mystère de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Christ. Frère Bruno avait décidé que nous suivrions la prédication de notre Père lors de la Semaine sainte 1988 (Qui a tué Notre-­Seigneur ? S 94).

En ouverture, pour fixer le cadre du drame, le Père expose la chronologie longue de la Passion, établie par Annie Jaubert : depuis le repas pascal, célébré le mardi soir, selon l’ancien calendrier liturgique que suivaient Jésus et ses Apôtres, jusqu’à la mort sur la Croix, le vendredi 7 avril à la neuvième heure. Cette découverte historique nous fait mesurer, après des siècles d’oubli, l’abîme des souffrances de Jésus tout au long de ces trois jours et trois nuits d’interrogatoires, de prisons, de tortures et d’outrages. La coïncidence des dates entre l’année 30 et notre année 2023 rendait cette conférence d’autant plus saisissante !

Mais pour compatir aux douleurs du Sauveur, il faut commencer par déblayer les mensonges qui, dans l’Église même, dépouillent la Passion de sa valeur rédemptrice. En 1988, l’abbé de Nantes s’en prenait au cardinal Lustiger, parangon de la nouvelle religion. Dans son livre Le Choix de Dieu, l’archevêque de Paris niait en effet la responsabilité du peuple juif dans la mort de Jésus. Mais sa démonstration captieuse est facile à réfuter par le témoignage des Évangélistes, de saint Pierre, de saint Paul et de la Tradition unanime.

Cette polémique est nécessaire, car il en va de toute notre religion. Si, comme le prétend Lustiger, Jésus ne fut que la victime d’un quelconque déni de justice de la part d’un fonctionnaire romain, comme il y en eut tant d’autres, sa mort n’a pas de sens. Elle ne porte aucune leçon pour nous. Il n’y a pas de Rédemption. En revanche, si véritablement le peuple élu, préparé à recevoir son Messie et son Sauveur pour le donner aux nations, l’a refusé, l’a crucifié avant de s’endurcir jusqu’aujourd’hui, cette mort devient un mystère essentiel dans l’histoire de l’humanité.

« Ceux qui, dans la suite des temps refuseront la foi au Christ, une foi annoncée par tant et tant de missionnaires, et se prononceront contre Lui, referont le même crime que les juifs, conclut notre Père. Mais s’il n’y a pas de crime des juifs en l’an 30 de notre ère, il n’y a pas de crime des païens à travers les siècles et notre histoire perd son contenu surnaturel. Ce n’est plus que bruit, vacarme et fureur, sans aucun sens. »

JEUDI SAINT.

Le lendemain matin, nous écoutâmes notre Père se livrer à une étude sociologique de l’auditoire du Christ, en Galilée puis à Jérusalem. L’enthousiasme suscité par sa prédication, appuyée par tant de miracles, ne fut jamais qu’éphémère. Jésus condamnait trop de vices, contrariait trop de passions : hypocrisie, vanité, luxure, mais surtout l’orgueil et la cupidité qui gangrenaient les élites et, par contagion, tout le peuple juif. L’enjeu de l’enquête n’est pas de l’accabler, mais de comprendre comment Israël a trahi sa vocation au point de crucifier son Messie, et cela afin de ne pas commettre le même crime, à notre tour.

Le drame de la Croix est d’autant plus actuel qu’à chacune de nos messes, Notre-Seigneur en personne en réitère le Sacrifice, pour notre salut. En ce jour où l’Église commémore l’institution de l’Eucharistie, c’est ce que nous rappela une magistrale conférence de l’abbé de Nantes à la Mutualité : Le sacrement du Sacrifice perpétuel (AP 7. 2). Le sacrifice est l’institution fondamentale de toute religion. Mais les sacrifices païens ou juifs n’avaient de valeur que préfigurative du Sacrifice parfait qu’offrirait un jour sur la Croix le Fils de Dieu fait homme, et depuis, chaque jour de nouveau, dans toutes les églises de la terre, afin d’en distribuer les fruits. Au cœur de l’Église, la Messe est le principe de sa vie. Par elle, les chrétiens sont configurés au Christ crucifié et le monde transformé en Chrétienté. La messe est le ressort de l’histoire de l’humanité !

Le soir, dans son sermon de la messe vespérale, notre Père nous expliqua ce qui distingue le fidèle chrétien du juif déicide : non pas une différence de nature, mais la grâce, reçue par la foi au Christ. Elle est la source de toutes les vertus et de notre joie chrétienne, que chante si bien l’antienne “ Ubi caritas et amor, Deus ibi est ”. Plus largement, tout cet office nous conduit à choisir entre Judas et le Bon Larron, entre la damnation et la miséricorde.

Au moment de communier, c’est donc avec une pleine conscience que nos frères ont renouvelé leurs vœux religieux de pauvreté, chasteté et obéissance. Avant de donner à Notre-Seigneur une première preuve de fidélité en lui tenant compagnie dans sa nuit d’agonie, auprès du reposoir somptueusement fleuri par nos sœurs. Pour attiser notre ferveur, nous écoutâmes notre Père commenter deux paraboles nous révélant le Cœur de Jésus : le Bon Pasteur qui donne sa vie pour ses brebis (Jn 10), et la Vigne, dont les sarments portent du fruit (Jn 15). Cependant, même dans ces effusions mystiques, Notre-Seigneur nous somme de prendre le bon parti, nous mettant en garde contre les mauvais bergers et nous avertissant du sort réservé aux sarments qui ne portent pas de fruit : ils sont retranchés et brûlés.

VENDREDI SAINT.

À l’Office des ténèbres, l’autorité de saint Augustin vint confirmer la démonstration de notre Père : « Que les juifs ne disent pas :  nous n’avons pas tué le Christ ! ” (...) Ô juifs, c’est vous qui l’avez réellement tué ! Et quand l’avez-vous frappé, sinon quand vous avez crié : Crucifiez-le, crucifiez-le ! ” »

Durant cette journée de deuil, les instructions du Père détaillèrent les principaux ennemis de Jésus : pharisiens hypocrites et grands-prêtres matérialistes, apostats. Ces rivaux irréconciliables sauront cependant se liguer pour tuer le Fils de Dieu. Or ces tendances se retrouvent analogiquement aujourd’hui dans l’Église, de nouveau conjurées afin de prévaloir contre Dieu et ses saints, pour crucifier une seconde fois Notre-­Seigneur. Ce soir-là, lors de la cérémonie de l’adoration de la Croix, le chant des impropères retentit avec une douloureuse actualité : « Ô mon peuple, que t’ai-je fait ? En quoi t’ai-je contristé ? Réponds-moi. »

Le visionnage du commentaire par frère Bruno du film de Mel Gibson La Passion (2004) nous fit éprouver le choc de la haine déicide des chefs des juifs. Le cinéaste a su représenter avec vérité la personnalité de chacun des protagonistes du drame, mis en scène avec un réalisme qui avait indigné nos évêques, alors. Et pourtant, ces violences inouïes sont encore en deçà de la réalité, puisqu’elles sont contractées dans les quelques heures de la chronologie traditionnelle, alors qu’en réalité, elles ont duré trois jours.

Encore impressionnés par ce spectacle religieux, nous avons accompli notre chemin de Croix à 15 h. Plus profondément que les images de Mel Gibson, la méditation de notre Père nous introduisit dans les sentiments rédempteurs du Cœur Sacré de Jésus et de notre très chéri Père céleste en grand chagrin. Quelle grâce d’avoir conservé et édité le Chemin de Croix qu’il avait prêché au Canada en 1974 ! Depuis le 1er avril et l’ouverture de notre nouveau site internet de librairie, il est possible d’en commander le fascicule en ligne.

Le soir, lors de la messe des Présanctifiés, la lecture de la Passion selon saint Jean nous révéla le fond du mystère des abaissements du Christ. Là où les autres Évangélistes ne décrivent qu’horreur et effroi, le disciple bien-aimé voit resplendir la gloire du Fils de Dieu victorieux des enfers. Nous en avons écouté le commentaire littéral prononcé par notre Père en 1990. Il suivait l’exégèse du Père de La Potterie, profitant de son érudition et de sa science, tout en corrigeant son modernisme. Au-delà des analyses littéraires des exégètes, notre Père retrouve la vue mystique de saint Jean, et avec quelle ferveur communicative !

Le lendemain, nous relirions encore toute la Passion en contemplant les traces de sang et les brunissures du Saint Suaire de Turin (La Passion et la Résurrection selon le Saint Suaire, B 83). L’histoire du Linceul reconstituée par frère Bruno, le mystère de ses empreintes, la perfection et la beauté de cette Image en tout point conforme aux récits évangéliques imposent son authenticité et nous jettent à genoux devant cette preuve éblouissante de la Passion, de la mort et de la Résurrection du Christ. Le magnifique montage vidéo nous fait admirer inlassablement la majesté du crucifié et la beauté royale de sa Sainte Face, révélée pour notre siècle d’apostasie.

SAMEDI SAINT.

Voici consommé le crime de Jérusalem. Notre Père prend de la hauteur pour considérer son enchâssement dans l’orthodromie divine. Il fallait qu’un peuple soit élu, mais qu’il fasse la preuve de son impuissance à accomplir la volonté de Dieu, de telle sorte qu’à l’avènement de son Sauveur, il s’humilie et entre dans la Nouvelle Alliance. Or, les juifs se sont infatués des dons divins. Il ont cru prévaloir contre Dieu même, ainsi que Notre-Seigneur le leur a reproché dans son allégorie des vignerons homicides. Saint Paul, dans le chapitre 11 de l’Épître aux Romains, nous dévoile le dessein de Dieu dans ce mystère d’iniquité : de même que l’endurcissement d’Israël fut l’occasion de l’entrée en masse des païens dans l’Église, à la fin des temps, ces derniers s’enorgueilliront à leur tour de tant de grâces reçues, tandis que les juifs se convertiront enfin. « Car Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde. » (Rm 11, 32) Abîme de la sagesse divine !

Après nous avoir instruits pendant trois jours de la tragédie qui a conduit les juifs à crucifier Jésus, et avertis qu’il nous faudrait revivre ce drame, notre Père nous exhorta avec chaleur au cours de la Veillée pascale à jurer fidélité au Christ ressuscité, encouragés par son cri de victoire avant de s’enfoncer dans sa Passion : « Courage, j’ai vaincu le monde ! » (Jn 16, 33) Et c’est avec beaucoup de pugnacité que le célébrant nous appela ensuite à renouveler les promesses de notre baptême.

SAINT JOUR DE PÂQUES.

Dimanche de la Résurrection : le ton de notre Père se ressent de la joie pascale ! Après l’enquête oppressante des jours précédents, il se livre à l’étude psychologique des Apôtres, disciples et saintes Femmes confrontés à la Résurrection de leur Maître. La conclusion s’impose : de saint Pierre à Saul de Tarse, en passant par la Madeleine et les disciples d’Emmaüs, Jésus ressuscité s’est manifesté à des personnes qui – à l’exception de sa Sainte Mère – n’avaient pas la foi et il les a converties en multipliant les preuves. À notre tour, comment pourrions-nous douter ?

La grand-messe de la Résurrection, dans une chapelle trop étroite, fut un moment de joie céleste, dans une foi si bien confirmée par notre Père ! Voilà nos amis armés pour retourner dans le monde. Mais ils ne semblaient pas pressés de quitter nos maisons ! Le beau temps, si propice aux parloirs, semblait les inciter à profiter encore de la paix de nos maisons. Ces belles familles sont les grappes de la bonne vigne CRC !

L’après-midi, les amis étaient donc encore nombreux, pour écouter la conclusion de la retraite. Elle tient en deux maximes. Récapitulant son enquête sur les protagonistes de la mort du Seigneur, notre Père remarque que, selon le vieux principe, « omne agens agit simile sibi ». Face à Jésus, chacun a révélé le fond de son cœur. Il en ira de même pour nous, engagés dans l’épreuve de la grande apostasie, telle que décrite par saint Jean (Ap 13). Les humbles seuls recevront la grâce de demeurer fidèles et entreront au Paradis, selon la parole du saint Curé d’Ars : « Celui qui s’excuse, Dieu l’accuse ; celui qui s’accuse, Dieu l’excuse. »

frère Guy de la Miséricorde.