Il est ressuscité !

N° 242 – Avril 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2022

“ Sainte Église notre Mère ” 
L’Église missionnaire

QU’est-ce que l’Église missionnaire ? Jusqu’à nos temps modernes, les missionnaires et les  théologiens n’y avaient pas vraiment réfléchi. Ils n’étaient pas à s’examiner comme nos modernes apôtres, mais étaient tournés vers la conversion des païens qu’on pensait voués à l’enfer et qu’il était urgent de baptiser pour les sauver, selon l’ordre même de Jésus dans l’Évangile : « Allez dans le monde entier, proclamez l’Évangile à toute la création. Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé ; celui qui ne croira pas sera condamné. » (Mc 16, 15-16) L’axiome « hors de l’Église point de salut » était pris au sens strict, peut-être trop, mais il a conduit les missionnaires au dévouement pour le salut des âmes, jusqu’au martyre. Il les a conduits aussi à avoir recours à la Croisade pour imposer la prédication. Selon l’abbé de Nantes, « la liberté humaine parfaite n’appartient qu’à Jésus-Christ et, dans le don divin qu’il lui en a fait, à l’Église catholique. Elle est seule la religion véritable et la société parfaite dont les droits dominent tous pouvoirs et tous individus créés. C’est en vertu de leur appartenance à cette Église divine et vraie que tous les catholiques ont une pleine liberté de culte et d’apostolat en toute nation et tout État. » (Lettre à mes amis n° 185, 1er octobre 1964)

Tout cela changea sous Léon XIII qui, par libéralisme, a abandonné la traditionnelle concertation entre l’Église et l’État pour établir une Chrétienté. La première partie de cette étude montrera comment la création d’une “ science ” des missions, la “ missiologie ”, donna un nouvel objectif à l’Église, la création d’Églises indépendantes de l’Europe. Nous montrerons ensuite comment l’Église missionnaire fut et demeure latine, qu’elle n’est féconde que par ses martyrs et par la Croisade, et qu’elle est française !

– I – 
DE LA CHRÉTIENTÉ À L’ÉGLISE INDIGÈNE,
PAR LIBÉRALISME

L’encyclique Sancta Dei Civitas du 3 décembre 1880 consacra d’abord l’abandon par Léon XIII de la lutte contre le protestantisme dans les missions : « Nous passons en effet sous silence les difficultés et les obstacles nés des contradictions. Souvent, en effet, des hommes fallacieux, des semeurs d’erreurs, se donnent pour les apôtres du Christ et abondamment pourvus de ressources humaines, entravent le ministère des prêtres catholiques, ou viennent après ceux qui sont partis, ou élèvent chaire contre chaire... Plût à Dieu qu’ils ne réussissent point dans leurs artifices. » Les missionnaires étaient seulement incités à plus de zèle et les chrétiens à verser plus d’argent pour entrer en compétition et non combattre ces missions protestantes.

LE LIBÉRALISME, OBSTACLE À LA MISSION DE SALUT UNIVERSEL DE L’ÉGLISE.

Les Pères Blancs commencèrent alors une cohabitation avec les missionnaires protestants en Afrique, jusqu’à leur laisser des territoires à évangéliser. C’était une violation de la mission de salut universelle de l’Église, nouvelle praxis inaugurée par le cardinal Lavigerie qui écrivait à ses missionnaires du Nyanza, le 24 mars 1883 : « Un représentant de la Mission Church est venu me trouver à Tunis pour me dire que la Société avait l’intention d’envoyer les missionnaires actuels de l’Ouganda à l’est du lac Victoria. Il ajoutait seulement qu’il voulait avoir l’assurance que vous ne les suivriez pas. Je la lui ai donnée en lui disant avec franchise (sic !) que notre règle était de ne point nous établir dans le voisinage des autres missions (sic !), même catholiques (c’est un pur mensonge, car Lavigerie s’était fait attribuer les missions des Pères du Saint-Esprit dès 1878) et qu’en conséquence ils pouvaient être assurés que vous ne les suivriez pas. J’ai trouvé ce représentant de La Mission Church, qui est un personnage considérable... dans de très bonnes dispositions apparentes... » (Jean-Claude Cellier, Histoire des Missionnaires d’Afrique, Karthala, 2009, p. 179) Et lorsque Lavigerie apprit que le Père Lourdel controversait avec les protestants, il en fut très mécontent et lui imposa « de maintenir cette bonne harmonie et pour cela de ne pas se placer trop près les uns des autres ». Des relations cordiales s’instaurèrent même entre Mgr Livinhac et les pasteurs, on se rendait mutuellement service... Cela continua dans le vicariat de Dar-Es-Salaam en 1906, dans le Tanganyika en 1910, ainsi qu’au Togo, en 1913, des accords furent conclus avec la société des Frères moraves pour ne pas empiéter sur leur territoire. Mais les Pères Blancs ne jouiront bientôt que d’une liberté relative et au début des années 1890, la situation prendra une tournure tragique par l’anéantissement de leurs missions par les anglicans. Sous saint Pie X, le préfet de la Propagande, le cardinal Gotti leur interdira ces accords.

Pendant ce temps, Bismarck se lançait aussi dans la colonisation du Cameroun en 1884, au moment où la conférence de Berlin imposait à tous les pays colonisateurs la liberté religieuse : aucune contrainte ne pouvait plus être exercée pour empêcher l’erreur de se répandre. C’était la porte ouverte aux missions protestantes dans les pays catholiques.

LA MISSIOLOGIE CONTRE LA COLONISATION.

Mais qu’allaient faire les protestants dans les missions, puisque Luther et Calvin disaient toute entreprise missionnaire inutile ? La création d’une “ science ” des missions appelée plus tard missiologie leur permit de justifier cette présence, au moment même où le Pape détachait l’Église des puissances coloniales catholiques pour s’entendre avec l’Allemagne !

La première chaire de missiologie fut créée par le pasteur protestant Gustav Warneck de l’université de Leipzig, qui définissait la mission comme la plantation d’une Église nationale et indigène, la Volkskirche.

Un des premiers “ missiologues ” catholiques, le Père Anton Huonder, de Bonn, s’opposait à l’européanisation des indigènes et prônait la création d’un clergé autochtone. Le Père Joseph Schmidlin, alsacien passé du côté allemand, avait fondé la première chaire de missiologie à l’université de Münster en 1911. Il mettait en garde les missionnaires contre toute compromission nationaliste, les invitait à chercher dans les coutumes indigènes les points d’ancrage de la foi et à ne jamais porter atteinte au droit, à la langue, au style de vie des indigènes. Cette hostilité à toute civilisation est bien le fruit de cette kultur germanique, mise en œuvre au Cameroun par la congrégation missionnaire catholique des Pallotins qui promurent dès cette époque l’indigénisation du catholicisme.

Après la Première Guerre mondiale, Benoît XV, pape germanophile, fit passer cette doctrine dans l’Église par son encyclique de Maximum Illud (1919), encyclique fondée sur les rapports mensongers des Pères Lebbe et Cotta dénonçant la “ peste du nationalisme ” français dans les missions et voulant “ chinoiser ” l’Église catholique en abandonnant son caractère latin. Le Pape recommandait l’Union missionnaire du Clergé, organisme qui fut chargé de répandre cette doctrine missionnaire nouvelle. Pie XI ira plus loin encore : dans l’encyclique Rerum Ecclesiæ de 1926, il disait : « Supposez que, voulant jouir d’une pleine indépendance [des populations indigènes] chassent de leur territoire administrateurs, soldats et missionnaires du pays étranger qui les gouverne et qu’elles ne puissent y réussir qu’en s’adressant à la force (sic !), quel malheur, nous vous demandons, ne serait-ce pas alors, dans ces régions, pour l’Église, s’il n’y avait pas une sorte de réseau de prêtres indigènes, répartis sur tout le territoire pour pourvoir pleinement aux nécessités de ces populations déjà conquises au Christ. » Pie XI envisageait déjà la décolonisation et l’abbé de Nantes dit même qu’il l’a provoquée en la suggérant au clergé indigène qui recevait cette encyclique ! En condamnant le nationalisme de l’Action française en cette même année 1926, il donnait raison aux nationalismes indochinois, chinois ou japonais, sacrant les premiers évêques asiatiques. Les missionnaires étaient incités à planter une église locale complète, autonome, c’est-à-dire indigène, afin qu’elle puisse se suffire à elle-même, prétendant ainsi renouer avec la primitive Église sans dire que celle-ci avait bénéficié de la conquête romaine.

Car l’Église missionnaire est latine, c’est-à-dire fondée sur l’ordre romain adopté par les nations chrétiennes, elle n’est féconde que par le martyre associé à la Croisade, et elle est française, c’est-à-dire créatrice de relations durables avec les populations les plus délaissées.

– II – 
L’ÉGLISE MISSIONNAIRE EST LATINE

L’Église n’a pu se répandre dans le monde qu’en se fondant sur la vérité de la Révélation biblique associée à la Sagesse grecque et à l’Ordre romain.

1. LA VÉRITÉ

L’Église missionnaire, c’est d’abord la prédication de la vérité reçue de la Révélation : vérité sur Yahweh, qui s’est nommé “ Je suis ”, sur la Personne de Jésus, Fils de Dieu, mort pour rendre témoignage à la Vérité, comme il le disait à Pilate. Or, au même moment, l’Occident se trouva, par une volonté de Dieu, en accord philosophique avec la Révélation. Aristote développait une métaphysique qui permettait la saisie immédiate de la vérité, de l’existence des êtres et donc de Dieu. La notion même de Dieu qu’il a définie était métaphysiquement le vrai Dieu de la Bible ! C’est pourquoi les Pères de l’Église ont récupéré la sagesse grecque qui sera le fondement obligatoire de toute civilisation.

Cela nous paraît évident, mais ces notions de vérité, d’être, et de Dieu ne sont pas communes à toutes les civilisations : celles de l’Asie l’ignorent, y compris dans son vocabulaire où elle est absente. Le Père Van Straelen l’explique très bien, je le cite : « Alors que la philosophie et la théologie occidentales ont fixé le sens des concepts en un travail intellectuel qui a duré des millénaires et ont ainsi créé un langage conceptuel par le moyen duquel une commune compétition intellectuelle devint possible, une telle entreprise n’a pas eu lieu en Orient. On ne peut pas présupposer la compréhension de concepts aussi fondamentaux que Dieu, âme, esprit, conscience, Bien, Mal, Personne, péché, salut, rédemption, grâce, immortalité chez les représentants des religions orientales. Ces concepts n’existent pas. » Pour eux, pas de vérité transcendante et immuable, pas de principe d’identité qui implique que l’être et le non-être sont contradictoires.

L’abbé de Nantes avait pour ami monsieur Henri Boegner, qui avait bâti tout un traité de philosophie sur la loyauté. Il expliquait qu’il n’y a de communication entre les hommes, que lorsque le langage est un langage vrai qui suppose une loyauté sans laquelle il n’y a pas de société ! Il n’y a de communauté que lorsqu’on emploie un langage précis qui véhicule des idées précises, et que l’homme dit ce langage pour transmettre ces idées en toute loyauté à celui avec lequel il parle. La vérité est donc un des fondements de la vie sociale, disait notre philosophe.

En conséquence, ces prétendues civilisations ne peuvent pas être christianisées en tant que telles, car sans véritable fondement. Il y a entre elles et la civilisation chrétienne, un abîme ou comme dit notre Père, « pour parler moderne, une différence de potentiel entre ceux qui envoient les missionnaires et ceux à qui ils sont envoyés. Différence de la religion unique et vraie, infiniment supérieure à toute autre possible, différence de la civilisation fondée sur elle, supérieure à toute autre fondée sur rien de comparable, seule définitive et universelle. »

2. L’ORDRE ROMAIN

Dieu a donné à Rome le sens de l’ordre et de la loi. Pour un Romain, la loi, c’est la condition de l’ordre. L’ordre est la condition de la prospérité des sociétés et de la diffusion de la foi catholique : Notre-Seigneur Jésus-Christ a fondé son Église au moment où l’Empire romain était en paix et avait établi un ordre propice à l’expansion de l’Église catholique. Notre-Seigneur n’a jamais critiqué la colonisation romaine alors même que l’Ancien Testament, pourtant inspiré par Lui, annonçait la libération des juifs du joug de l’étranger. Au contraire, il a toujours eu de bonnes relations avec les Romains, incitant les juifs à rendre « à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu ». Par cette seule petite phrase, Notre-Seigneur a constitué la Chrétienté : on respecte l’autorité de César, mais Dieu premier servi. Et désormais, l’Église s’en tiendra à cette sagesse imperturbablement jusqu’à notre trahison moderne.

À sa suite, saint Paul admira l’ordre romain dont il était citoyen. En plusieurs occasions, il donne les soldats en exemple et il fera même appel à Rome. Dans tous les procès que nous racontent les Actes, comme lors du procès de Jésus, le contraste est remarquable entre les juges romains, épris de droit et de justice, et la perfidie des instances juives (Ac 23, 26). C’est grâce à cet ordre que saint Paul a pu accomplir son apostolat missionnaire et qu’il a pu même prêcher devant des juifs hostiles à Jérusalem sous la protection de la cohorte romaine.

Après la chute de l’Empire romain, la hiérarchie de l’Église assuma l’ordre romain, d’autant plus que, très souvent, les évêques étaient issus de nobles familles romaines qui avaient occupé de hauts postes dans l’administration.

Au sixième siècle, saint Grégoire, ancien préfet de Rome, avait compris que la grande œuvre d’évangélisation des masses barbares, pour perdurer, ne pouvait plus se faire uniquement sur des initiatives individuelles de missionnaires, mais devait devenir œuvre d’Église, par des moines missionnaires sous l’autorité du Pape et par une nation chrétienne. Ainsi l’Angleterre, convertie par saint Augustin avec le soutien des Francs, devint à son tour un foyer d’ardents moines missionnaires, dont saint Boniface, apôtre de la Germanie au huitième siècle qui affirmait : « Sans le patronage du prince des Francs [Charles Martel], je ne puis ni gouverner les fidèles de l’Église ni défendre les prêtres ; je ne puis même pas, sans l’ordre qu’il maintient et la crainte qu’il inspire, empêcher les pratiques païennes et l’idolâtrie allemande. »

L’Église n’a eu d’efficacité missionnaire que dans ce cadre. Le patronat des nations catholiques sur les missions au seizième siècle en fut le prolongement : ce sont les Rois Catholiques du Portugal, d’Espagne et de France qui ont porté la religion catholique dans le monde entier en fondant des colonies à la manière de la colonisation romaine, en civilisant les peuples qu’ils évangélisaient. La colonisation du Canada est pour cela un modèle de concertation entre mission, colonisation et croisade.

Là où on a voulu s’émanciper de cet ordre, l’expansion de la Chrétienté a cessé. C’est ce que nous avons constaté l’année dernière en racontant l’évangélisation de l’Amérique et de l’Asie. Les religieux du Mexique et du Pérou et plus tard ceux d’Asie, attiédis par l’humanisme, ont voulu évangéliser sans le cadre de l’ordre romain, par une confiance excessive dans les capacités de l’homme même barbare. Tel ce Las Casas qui haïssait explicitement la colonisation romaine dans ses écrits, ou ces religieux franciscains et dominicains qui ont voulu exercer seuls l’autorité sur les Indiens en les soustrayant à toute soumission au colonisateur. Peu à peu, ils se sont associés aux chefs indigènes ou créoles pour former un état dans l’État et chasser l’Espagne par des coups d’État et des révoltes. S’attachant aux richesses qu’ils géraient tout seuls, ils ne recrutèrent plus, eurent beaucoup de défections dans leurs rangs et ne firent plus aucun fruit. Les Indiens retournèrent à l’idolâtrie.

C’est l’intervention de Philippe II qui a rétabli la situation : en accord avec saint Pie V, il a soumis les religieux et les caciques à l’autorité des évêques et à celle de gouverneurs remarquables, d’où il en est résulté une Chrétienté florissante au Mexique et au Pérou au dix-septième siècle. Mais dans les pays d’Asie où l’Espagne n’avait pas d’autorité directe, cet esprit d’insoumission va perdurer chez les jésuites.

3. LA COLONISATION, REMÈDE À L’HUMANISME UTOPIQUE

On aboutit aux aberrations des jésuites Matteo Ricci en Chine, Valignano au Japon, et Nobili en Inde, où les missionnaires s’entendent avec les autorités païennes, refusent l’intervention des pays chrétiens et laissent leurs chrétiens pratiquer des rites païens. Les quelques conversions qu’ils firent ne résistèrent pas aux persécutions qui anéantirent les chrétientés du Japon et de Chine et les jésuites furent obligés de mentir pour faire croire à l’efficacité de leurs méthodes.

Cet humanisme utopique va même toucher Rome, grâce à la propagande faite par les religieux qui écrivent de nombreux ouvrages durant les années 1580-1590, prétendant qu’on pourrait christianiser ces prétendues civilisations païennes. Le préfet de la Congrégation de la Propagande, le cardinal Ingoli, influencé par ces idées et bien qu’hostile aux jésuites, recommanda la création d’un clergé indigène comme remède miracle à la décadence des missions d’Asie et après sa mort, par les instructions de 1659, les Missions étrangères de Paris recevront de Rome la charge de créer un clergé indigène et même une hiérarchie épiscopale indigène censés être plus aptes à convertir ceux de leur nation, parce qu’ayant les mêmes mœurs et coutumes, ils seraient plus proches d’eux par la culture. Mais ils ne purent établir de hiérarchie épiscopale indigène. Quant au clergé, il est remarquable que, malgré des instructions de 1659 très favorables à l’inculturation, Rome n’a jamais accepté de liturgie en langue chinoise pour faciliter l’ordination des indigènes, malgré les demandes réitérées des missionnaires, y compris de Mgr Pallu lui-même. On enseigna avec succès le latin aux indigènes, quitte à retarder leur ordination pour s’assurer de leur fidélité par une longue mise à l’épreuve dans l’emploi de catéchiste. Au dix-septième siècle, les Pères des Missions étrangères de Paris n’ordonnaient pas les indigènes avant l’âge de quarante ans, ce qui explique leur faible nombre.

C’est Mgr Pallu qui, après des voyages incessants et des enquêtes, va informer Rome et faire condamner cette adaptation aux mœurs et aux rites païens qui était en train de gangrener l’Église missionnaire d’Asie. Il comprit aussi le caractère providentiel de l’intervention française et de la nécessaire entente entre mission et colonisation comme remède à ces maux. Dans un mémoire adressé aux directeurs de la Compagnie des Indes dès 1667, Mgr Pallu souhaitait que, par son établissement dans les Indes, cette Compagnie aide à la conversion de ces peuples qui, « recevant la foi, s’assujettiront avec moins de répugnance aux lois des Français, en sorte que, peu à peu, se naturalisant par la religion à nos mœurs, ne composeront plus qu’un même peuple avec eux, et n’ayant plus qu’un même Dieu ne reconnaîtront plus aussi que le seul roi de France. » (Lettres de Mgr Pallu, Les Indes Savantes, 2008, p. 596) N’est-ce pas déjà le Père de Foucauld ?

Une autre fois, il écrira : « Qui sait si Dieu ne veut point se servir de la France pour la réforme des Indes, ayant inspiré au Roi le dessein d’y établir une compagnie (la Compagnie des Indes de Colbert) et nous la pensée de nous y venir victimer ; étant nécessaire que l’un et l’autre se rencontrent et qu’ils soient très unis pour travailler à ce dessein. Au moins peut-on dire que c’est le seul moyen qui se présente maintenant pour porter quelques secours dans beaucoup de lieux des Indes, où tout est dans une épouvantable corruption. » (Lettre du 8 janvier 1672)

Hélas, Mgr Pallu ne trouvera pas de soutien dans Colbert et Louis XIV étant au même moment opposé au pape Innocent XI, cela va nuire aux missions étrangères qui dépendaient étroitement du Pape et profiter aux jésuites intrigants. Alors, quand l’ordre catholique royal est absent ou défaillant, que ce soit dans les pays de mission, ou même dans leur pays d’origine, la seule solution catholique qui se présente aux missionnaires, c’est de subir la persécution et le martyre.

– III – 
L’ÉGLISE MISSIONNAIRE FÉCONDE 
PAR LE MARTYRE ET LA CROISADE

Car elle prêche d’abord la Croix du Christ. La première chose que plante un missionnaire ou un conquérant, comme Christophe Colomb, Cortès, c’est la Croix, car le salut est donné par la Croix du Christ. Planter l’Église, c’est d’abord planter la croix, les missiologues l’ont totalement oublié dans leurs études. Et lorsqu’on ne plante pas la Croix, on prêche la mondanité du diable disait le pape François, tandis que prêcher la croix, cela mène à la réaction hostile des païens, mais produit aussi des fruits de conversion.

Saint Paul l’avait expérimenté le premier à Athènes : la seule fois qu’il chercha un point de contact avec les religions païennes et appliqua le premier, la méthode d’adaptation, dit le Père Van Straelen, il a échoué ! Son discours à l’Aréopage où il flattait quelque peu les païens de croire à un dieu inconnu ne provoqua aucune conversion : il ne put y fonder aucune Église et on ne parlera plus d’Athènes dans la suite des Actes des Apôtres. Mais c’est à Corinthe, parmi les pauvres débardeurs qu’il réussit, en changeant de méthode pour ne prêcher que Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié et abandonner le discours raisonnable, logique et cohérent des sages. Ce fut un tournant dans son ministère, il comprit que ce n’est pas aux sages qu’il faut s’adresser, mais aux pauvres et aux méprisés et qu’il faut qu’il « complète en sa chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps, qui est l’Église ».

1. LE MARTYRE

On pourrait multiplier les exemples, mais l’histoire d’Isaac Jogues, que frère Bruno appelle un mystère d’incarnation rédemptrice (La fondation de la Nouvelle France, épopée héroïque et mystique, Mission et colonisation, PC 11, 6e conférence), illustre bien la maxime de Tertulien : « Le sang des martyres est semence de chrétiens. » Le missionnaire jésuite se laissa capturer et subit volontairement les tortures les plus horribles, afin d’être là pour soutenir les chrétiens hurons prisonniers des Iroquois et leur donner l’absolution. C’est ce que fera saint Maximilien-Marie Kolbe dans le bunker de la faim. Isaac Jogues va devenir l’esclave volontaire des Iroquois, pendant un an, et par son inaltérable patience sous la torture et sa charité inépuisable, les Iroquois le traitèrent peu à peu avec moins de dureté, et le soir quand, groupés en cercle dans leur cabane, ils fumaient le calumet autour du feu, ils l’accablaient de questions sur le ciel, le soleil et les astres et, le Père Jogues en profitait pour leur parler du Créateur et des devoirs de l’homme envers lui. Ils l’écoutaient avec un intérêt non dissimulé. Quelques-uns même, des malades surtout, se convertirent. En un an de captivité, le saint martyr de la foi avait baptisé soixante-dix personnes, enfants, jeunes gens ou vieillards, de cinq “ nations ” différentes, gerbes d’âmes grossières qu’il avait glanées une à une au prix de son sang. Mais c’est aussi pour établir la paix française qu’il retournera chez les Iroquois de nouveau en guerre, sachant très bien qu’il serait martyrisé, mais il était le seul à pouvoir les calmer. Il réussit à leur faire signer un traité de paix, mais la sauvagerie et la fourberie de ces Indiens, à qui le pape François est pourtant allé demander pardon ! les firent se parjurer et le Père Jogues fut fait à nouveau leur prisonnier, mais cette fois jusqu’au martyre.

2. L’EFFORT DE LA CROISADE

Alors, il a bien fallu que la France défende cette Chrétienté naissante car, comme le dit notre Père : « En temps de persécution, et comme aujourd’hui de libéralisme et d’anarchie, l’Église est en malaise, et malgré des miracles d’héroïsme constant, elle est exposée à la consomption et à la mort. » La Croisade était nécessaire pour achever la conversion des Iroquois et elle est dans la ligne même du martyre. C’est pourquoi elle sera traitée sous le chapitre du martyre.

Notre Père l’explique admirablement dans la Lettre à mes amis n° 140 : « C’est une terrible et grande leçon que nous donnent les siècles et à laquelle la Sainte Église n’a jamais contredit, que rien de grand ni de noble ne s’accomplit sur terre sans effusion de sang. Ce sang très pur révèle les forces plus hautes qui se livrent combat par la main des hommes, célestes et infernales, Michel et ses anges contre Satan et ses armées, jusqu’au jour que Dieu a fixé dans sa Sagesse insondable pour la victoire définitive de son Messie et de son Église. Ce sang nous interdit la tentation de croire qu’entre hommes et peuples, loin de Dieu et sans Jésus-Christ, nous puissions mettre un terme à cette longue lutte pour retrouver ensemble le paradis terrestre. Ce sang nous fixe notre devoir, qui est de défendre et d’étendre, par la charité et la justice, mais aussi bien par la force qui libère et la sagesse qui retient les conquêtes des armes, la Chrétienté jusqu’aux extrémités du monde. Il faut libérer les peuples qui gémissent sous la domination de Satan, et tout le reste est littérature... »

La Croisade est donc un devoir sacré, un droit de guerre dont le Souverain Pontife est le maître. Elle est ordonnée pour la protection des missionnaires et des colons. C’est l’Église, par le pape Urbain II, qui l’ordonna en 1096 et, en prêchant la deuxième Croisade aux barons réunis à Vézelay à Pâques 1146, saint Bernard justifia surnaturellement ces combats que la Chrétienté doit entreprendre. Nous avons toute une lignée de saints et de mystiques qui l’ont recommandée ou qui y ont participé, de Saint Louis à sainte Jeanne d’Arc, du Père Joseph du Tremblay contre les protestants ou contre les Turcs. La Croisade est un effort héroïque et non une entreprise de pillage, car elle demande un renoncement aux biens de la terre : les Croisés qui partaient en Terre sainte devaient tout abandonner, et accepter une mort possible qui confine au martyre, surtout si on tombe sous le cimeterre du sarrasin ! C’est l’histoire des Croisades en Orient, mais pas seulement.

Le sacrifice héroïque de Dollard des Ormeaux au Canada dans la défense de Ville-Marie, fut un vrai martyre. Depuis le printemps 1650, les Iroquois alliés à d’autres tribus harcelaient les Français et leurs vagues d’assaut submergeant peu à peu Ville-Marie, Dollard des Ormeaux décida de se jeter sur les barbares et de se battre à mort pour impressionner leurs esprits. Seize jeunes colons se joignirent à lui et remontant l’Outawai, ils attendirent les Indiens à Long-Sault, à dix lieux de Montréal, le 1er mai 1658. Huit cents Iroquois se heurtèrent aux seize Français qui en tuèrent le tiers avant de succomber sous la hache des barbares. Voyant une telle résistance, les Iroquois renoncèrent à attaquer Ville-Marie.

En cette même année 1658, deux ans avant sa mort, le doux saint Vincent de Paul avait conçu avec le chevalier Paul, grand amiral de la flotte du roi, le projet d’attaquer Alger. Mais la Croisade est en horreur aux mondains et dans la deuxième moitié du dix-septième siècle, commençait à se répandre un mauvais esprit dans les sphères de la Cour de Louis XIV. « Ce que je sais des Croisades, c’est qu’elles ne sont plus de mode depuis Saint Louis », déclarait Monsieur de Pomponne, ministre de Louis XIV. On préférait développer le commerce avec les barbares plutôt que d’étendre le royaume du Christ, malgré les excommunications et au grand désespoir des missionnaires en poste en Afrique. L’esprit mercantile de Colbert l’a emporté sur l’esprit de Croisade prêché par Bossuet et toutes les expéditions tentées par Louis XIV n’eurent aucune suite.

Mais quand cette œuvre éminemment religieuse de la Croisade est abandonnée, c’est la mission qui en pâtit. En 1683, c’est le martyre du consul de France et vicaire apostolique, le lazariste Jean Le Vacher, attaché à la gueule d’un canon de sept mètres qui défendait l’entrée du port d’Alger.

Mais c’est aussi l’échec de l’ambassade du Siam, envoyée par Louis XIV en 1688. Le Roi avait choisi les jésuites pour cette mission, car il était en froid avec les Missions étrangères de Paris. Or ni les jésuites ni l’ambassadeur La Loubère ne prêchaient la Croisade, mais les principes des jésuites d’Asie, c’est-à-dire l’entente avec les bonzes : « C’est à mon sens l’un des plus importants articles de la conduite des missionnaires de s’accommoder tout à fait dans tout ce que prescrivent les règles des Talapoins (bonzes), où elles n’ont rien de contraire au Christianisme. L’exemple du Père de Nobili jésuite est célèbre. Au Maduré, il se résolut à vivre en brahmane, le corps presque nu, marchant pieds nus... on dit qu’il convertit près de quarante mille personnes. » Ces chiffres sont complètement faux et l’on est loin de l’esprit de saint François Xavier, qui avait chassé les brahmanes de Goa et qui les considérait avec les bonzes du Japon comme des êtres malfaisants.

Une révolution de palais à Bangkok fomentée par le chef des bonzes fit capoter ce projet d’entente en 1688 et l’escadre française n’intervenant pas, les missionnaires des Missions étrangères de Paris furent mis en prison tandis que les jésuites quittèrent le Siam pour la Chine où ils continuèrent leur mondanité du diable. Leur humanisme de mondains, aussi bien en France qu’au même moment en Chine et partout dans le monde, contribue à installer ce conformisme catholique, froid, sec et plat qu’un Grignion de Montfort dénoncera bientôt comme la peste de ce temps et l’annonce de l’apostasie générale. Les jésuites comptaient en France des dizaines de collèges, des milliers de membres et des millions d’amis, c’était le lieu privilégié du recrutement des missionnaires. Tout ce beau monde cessa de fournir des ecclésiastiques aux missions à partir du moment où Mgr Lambert de la Motte et Mgr Pallu s’opposèrent à leur apostolat controversé au Siam et en Chine. De 1693 à 1742, seulement six ecclésiastiques partirent pour l’Asie ! Le recrutement ne reprit qu’après la condamnation des jésuites, en 1742 ! Les jésuites en Chine étaient bien acceptés à la cour de l’Empereur, mais ils n’y firent aucun fruit durable, car ils étaient interdits de prosélytisme. L’Église missionnaire n’est féconde qu’en acceptant sa condition méprisée.

3. LA CONDITION MÉPRISÉE
DES VRAIS MISSIONNAIRES

Les Pères du Saint-Esprit fondés par le Père Claude Poullart des Places au début du dix-huitième siècle avaient cet esprit, reçu du Père de Montfort lui-même. Pour être admis au séminaire du Saint-­Esprit, un candidat devait remplir trois conditions : être pauvre, vouloir se consacrer aux œuvres difficiles et abandonnées, être assez doué pour suivre avec succès le programme des études. « Qu’il faille être relégué dans le fond d’une campagne ou enseveli dans le tombeau d’un hôpital, instruire un collège, enseigner dans un séminaire, qu’il faille même traverser les mers et aller jusqu’au bout du monde, leur devise, la voici : “ Nous voilà prêts à exécuter vos volontés : Ecce ego, mitte me ! ” » Plusieurs d’entre eux entreront aux Missions étrangères de Paris, car on ne pouvait pas être envoyé en mission autrement.

Entre 1750 et 1815, on assiste certes à une chute vertigineuse de la Mission que tout le monde attribue à la déplorable attitude de Benoît XIV, des décrets qu’il a pris dans les années 1740 qui condamnaient les jésuites. Cette attitude aurait entraîné un raidissement de l’Empereur en Chine, à cause de l’outrage porté à la “ civilisation ” chinoise, et déchaîné des persécutions qui auraient entraîné la paralysie de Chrétientés en pleine croissance. Rien de plus faux !

LES BIENFAITS DE LA CONDAMNATION DES RITES.

Les décrets de Benoît XIV promulgués en 1742 sont infaillibles, car il s’agit d’une décision de l’Église mettant fin à l’idolâtrie permise par les jésuites dans les missions d’Inde et d’Asie. La bulle Ex quo sin­gulari est très claire : « Nous donc, observant que cette Constitution regarde la pureté du culte chrétien, qu’elle prétend préserver de toute tache de superstition [car c’est de ça qu’il s’agit : savoir qui on adore] nous ne saurions souffrir que personne ose témérairement y résister ou la mépriser, comme si elle ne contenait pas une décision suprême du Siège apostolique et comme si ce dont il s’agit ne touchait pas à la religion, mais était quelque chose d’indifférent ou quelques points de disciplines variables.

« En conséquence, voulant faire usage de l’autorité que Nous tenons du Dieu Tout-Puissant pour la maintenir dans son entière vigueur, de par la plénitude de cette autorité [on ne peut pas adopter un ton plus solennel !], non seulement Nous l’approuvons et la confirmons, mais encore Nous lui ajoutons autant que Nous pouvons toute force et toute valeur pour la rendre de plus en plus stable et solide, et Nous disons et déclarons qu’elle a en elle-même la pleine et entière autorité d’une constitution apostolique. » C’est une décision qui va gouverner l’Église missionnaire jusqu’au début du vingtième siècle.

Cette condamnation a produit des fruits que prévoyait déjà Benoît XIV lorsqu’il récusait d’avance l’objection : « Nous avons confiance que, Dieu aidant, les missionnaires chasseront de leur cœur la vaine crainte que, par l’exacte observation des décrets apostoliques, la conversion des infidèles ne soit entravée.

« Car il faut attendre cette conversion de la grâce de Dieu qui ne manquera pas à leur ministère s’ils prêchent intrépidement la Vérité de la religion chrétienne aussi pure qu’ils l’ont reçue du Siège apostolique, étant prêts aussi à la soutenir jusqu’à l’effusion de leur sang, à l’exemple des Saints Apôtres et des autres plus fameux défenseurs de la foi chrétienne, dont le sang répandu, bien loin d’interrompre ou de retarder la propagation de l’Évangile n’a fait que rendre la vigne du Seigneur plus florissante. » Et le Pape est obligé de rappeler qu’en tant que missionnaires, « ils doivent penser qu’ils sont de vrais disciples de Jésus-Christ et qu’il ne les envoie pas aux joies temporelles, mais à de grands combats, non pas aux honneurs, mais aux mépris, non pas à l’oisiveté, mais aux travaux, non pas au repos, mais dans le but qu’ils portent beaucoup de fruits dans la patience. »

De 1755 à 1769, pendant les premières années d’apostolat clandestin de Mgr Pottier qui fut le seul Européen dans les provinces du Su-Tchuen, du Yunnan et du Chen-si, le nombre des chrétiens était déjà passé à douze mille, alors qu’il avait trouvé la chrétienté jésuite moribonde. Formé au séminaire du Saint-Esprit du Père Poullard des Places puis entré aux Missions étrangères de Paris, Mgr Pottier mit en application la condamnation des rites dans son diocèse. Il subit d’atroces persécutions de la part des autorités chinoises, en particulier celui de l’étau de bois emprisonnant ses jambes, mais il survécut miraculeusement et à sa mort en 1792, le vicariat apostolique du Su-Tchuen comptait 25 000 chrétiens. L’explication de ce succès tient aussi à un événement qui eut lieu en 1775 : Mgr Pottier avait exorcisé une jeune fille dont la possession diabolique était connue de tous les Chinois de la région et des mandarins eux-mêmes et nul ne la mettait en doute. La délivrance de la jeune fille obtenue par ses prières suscita de nombreuses conversions, mais en France, certains ecclésiastiques acquis aux idées des Lumières mettaient en doute le miracle, d’autant plus que cela mettait en lumière l’infestation par le démon de cette prétendue civilisation chinoise si admirée des philosophes. À la mort de son successeur et ancien coadjuteur Mgr de Saint-Martin, lui-même hostile aux rapprochements avec la culture chinoise, on comptait quarante mille chrétiens, et soixante mille après le martyre de Mgr Dufresse en 1815 !

Tandis qu’en Indochine, Mgr Pigneaux de Béhaine avouait lui-même l’échec de son apostolat qu’il attribuait à tort à ses péchés, alors que c’est plutôt sa méthode qui doit être mise en cause. Il s’était laissé persuader qu’en suivant l’exemple des jésuites qui toléraient le culte de Confucius et des ancêtres chez leurs chrétiens, il s’attirerait la bienveillance des élites. En quoi il contredisait sciemment les décisions de Benoît XIV, et Mgr de Saint-Martin avec qui il était en correspondance ne réussit pas à le convaincre de son erreur. Il forma un clergé indigène dans l’étude des classiques chinois, c’est-à-dire les écrits de Confucius qui véhiculaient un matérialisme conduisant à l’athéisme.

À sa mort, Mgr Pigneau de Béhaine eut un beau tombeau à Hanoï, mais le résultat le plus tangible de son apostolat fut l’installation pour longtemps de la dynastie des Nguyen qu’il n’avait pu convertir et qui persécutera de façon atroce les missionnaires au dix-neuvième siècle, jusqu’à l’intervention française. Il faut dire tout de même que Mgr Pigneau n’eut pas le soutien de la France alors sous l’emprise des philosophes des prétendues “ lumières ”. La révolution y avait provoqué un arrêt de l’élan missionnaire, mais son erreur fut de croire qu’il pouvait se passer de l’intervention de la France.

Mais l’histoire du relèvement miraculeux de l’Église missionnaire au dix-neuvième siècle le montre de façon éclatante : l’Église missionnaire est française !

– IV – 
L’ÉGLISE MISSIONNAIRE EST FRANÇAISE

Après cet effondrement des missions séparées de la colonisation, on assiste, au dix-neuvième siècle, à un renouveau missionnaire prodigieux. D’où vient-il ? Dans son ouvrage, Missions et missionnaires, Georges Goyau l’attribue au pape Grégoire XVI dont le pontificat a commencé en 1832. Certes, l’action de Grégoire XVI a été très favorable aux missions par sa condamnation de la liberté religieuse que Lamennais voulait introduire dans l’Église et qui aurait ruiné les missions. Mais Grégoire XVI n’avait aucun moyen matériel, aucun missionnaire à sa disposition et ce renouveau ne s’est pas préparé tout seul dans les seules années de son pontificat (1831-1846), car il a fallu du temps pour former un corps de missionnaires. Le recrutement missionnaire n’a pu reprendre qu’à partir de la Restauration de 1815 : c’est pourquoi l’Église missionnaire est une œuvre entièrement française, c’est-à-dire catholique, royaliste et communière, et Rome n’en a été que le soutien lointain. C’est la France du dix-neuvième siècle qui a donné naissance à l’énorme majorité des instituts missionnaires de l’époque, ainsi qu’aux trois principales œuvres d’assistance aux missions destinées à devenir œuvres pontificales, qui sont fort célèbres : la Propagation de la Foi, la Sainte-Enfance, l’œuvre de saint Pierre Apôtre. Entre 1822 et 1898, la France fournit à elle seule les deux tiers des ressources de la Propagation de la Foi. Sur les 13314 missionnaires que compte l’Église en 1900, la France fournit les deux tiers des prêtres et les quatre cinquièmes des frères et des sœurs. Pourquoi ?

1. UNE ŒUVRE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE ET TRADITIONNELLE

Les grandes vocations de missionnaires du dix-neuvième siècle ont été suscitées par le scandale causé par l’œuvre diabolique de la Révolution, avec le désir ardent de réparer par les plus grands dévouements et les plus grands sacrifices, le mal que la France révolutionnaire a fait dans le monde. Ainsi la congrégation missionnaire des Pères de Picpus du Père Coudrin fut fondée en réparation des crimes de la Révolution. La grande majorité des candidats aux Missions étrangères de Paris sont issus des campagnes reculées où des prêtres réfractaires ont entretenu la foi catholique auprès de leurs familles pendant la Révolution française, au prix de leur liberté ou de leur vie.

C’est pourquoi ce renouveau missionnaire est traditionnel et se fonde sur les décrets de Benoît XIV : de la même manière qu’ils ont refusé de se rallier au culte de la déesse raison ou au culte de la liberté, les missionnaires refusèrent l’adaptation aux cultures païennes. Saint Théophane Vénard écrivait : « Oh ! que c’est triste de regarder autour de soi et de n’apercevoir que des villages païens, que des toits de pagodes, de n’entendre que le son des cloches des bonzes, de ne voir que les cérémonies diaboliques paraître au grand jour ! Pour la religion de Notre-Seigneur Jésus-Christ, il faut qu’elle courbe son front humilié devant Confucius et Bouddha, ses ministres se cachent, leur tête est mise à prix, et mandarins et peuples vexent à qui mieux mieux ses adorateurs. Est-ce que le jour de la délivrance ne se lèvera pas bientôt ? » (Lettre de septembre 1857)

Son confrère en Chine, Mgr Verrolles était du même esprit en adoptant les directives du synode du Sutchuen qui avait prescrit aux prêtres au début du dix-neuvième siècle de ne pas mettre leur confiance « dans les paroles persuasives de la sagesse humaine, comme les paroles de Confucius ou des autres philosophes et sages du Siècle, pour que ne soit pas évacuée la Croix du Christ ». Mgr Verrolles protestera lorsque les jésuites recommencèrent à utiliser la méthode de Matteo Ricci : « Ces bons Pères n’ont pas changé : être plus chinois que chrétiens [...] n’est-ce pas de là que sont venus tous nos maux et la ruine presque entière de la religion en Chine ? Jadis, Confucius érigé en saint était dans les églises chrétiennes, et son image était appendue à côté de celle de la Mère de Dieu. Aujourd’hui donc on la relèverait... sans doute pour complaire à l’orgueil chinois, sous prétexte de diminuer les obstacles : et avec cela on pense que l’on fera des chrétiens ! Grand Dieu, quel christianisme ! »

Pour lui, « tous les lettrés, bien loin de voir dans ces livres le nom, le sens de notre Dieu, n’y ont jamais vu, compris autre chose que le Dieu-nature, une loi aveugle qui fait tout marcher, qui est tout et partout, une espèce de panthéisme mystique et vague qui s’adapte bien aux caractères de la langue chinoise (aux idéogrammes), et à sa phraséologie obscure. »

Pour lui, à la différence des Chinois, « les Grecs auxquels [les Pères de l’Église] prêchaient, et même Socrate et Platon, enseignaient, affirmaient sans équivoque, et de l’avis de tous, le vrai Dieu. On voit que c’est ici tout le contraire : donc nulle parité. » Il prônait la méthode de la tabula rasa : « Pourquoi ne pas y aller tout simplement, et dire tout net à ce peuple : nous venons ici vous annoncer le vrai Dieu [...]. Et avec notre saint Rémy à Clovis : Adora quod incendisti, incende quod adorasti ! Pas deux manières de prêcher l’Évangile, et certes, en Chine moins qu’ailleurs. »

Grâce à cette intransigeance, il développa la Chrétienté de Mandchourie qui comptera en 1898, à la veille de la persécution, deux évêques, trente-quatre missionnaires français administrant quelque vingt-cinq mille chrétiens et plusieurs religieuses de la Providence qui tenaient environ trois cents écoles et orphelinats avec leurs quatre mille cinq cents élèves et orphelins ! Cette Chrétienté faillit être anéantie en moins de six semaines lors de la guerre des Boxers, s’il n’y avait eu l’intervention providentielle de l’armée russe (Il est ressuscité n° 231, avril 2022). La Croisade était encore d’actualité !

2. LA NÉCESSAIRE CROISADE CATHOLIQUE FRANÇAISE

Pour combattre l’idolâtrie et protéger les chrétientés naissantes, les vrais missionnaires souhaitaient que l’on reprenne la Croisade. En Indochine, saint Théophane Vénard se plaignait de l’inertie des autorités françaises : « Les journaux parlent quelquefois d’énergiques représentations en faveur de la religion chrétienne. Nous ignorons qui invente de la sorte. Il n’y a rien de vrai, rien, absolument rien. L’esprit qui animait Constantin, le grand Théodose, Saint Louis et les chevaliers, cet esprit n’est plus avec les gouvernements modernes devenus athées sous l’influence du protestantisme et du voltairianisme. »

C’est pourquoi Mgr Puginier soutint l’intrépide Francis Garnier dans sa remontée du Mékong vers la Chine et lorsque celui-ci fut tué par les Pavillons noirs après avoir conquis la forteresse d’Hanoï, l’évêque missionnaire soutiendra les autres combattants découragés. C’est par milliers que les curés annamites, à ses ordres, envoyèrent leurs chrétiens pour s’enrôler dans l’armée française.

Malgré l’échec de Francis Garnier, la conquête française avait eu des résultats prometteurs sur l’évangélisation, comme l’écrivait Mgr Puginier : « Il existe en plusieurs parties de ma mission un mouvement de conversion qui s’est manifesté il y a dix-neuf ans et a pris, surtout depuis quatre ans, un développement considérable. De jour en jour son extension devient plus générale. Les villages païens viennent eux-mêmes à nous de tous côtés. En embrassant le christianisme, ils espèrent se soustraire aux exactions des individus qui les pressurent et obtenir plus de justice sous la protection de la France. Avant de les accepter, nous les éprouvons plusieurs mois selon la règle en usage dans la mission, afin de nous assurer de leurs bonnes dispositions et de la sincérité de leurs intentions.

« Amenés d’abord par des sentiments naturels et intéressés, mais au fond très louables, ces païens croient à la vérité de la Religion, à mesure qu’ils étudient la doctrine, et les préceptes.

« Il est tellement évident que ce mouvement de conversion est favorable à la cause française que le parti de la résistance, qui n’est autre que celui des lettrés, s’en est aperçu dès le principe et il a toujours travaillé à l’arrêter. » (Lettre du 8 janvier 1891, AMEP 816, 114)

Mgr Puginier continuera à informer les autorités militaires, les hauts fonctionnaires et surtout Mgr Freppel sur les rébellions annamites et sur les moyens de faire aimer la France. Il recommandait d’y établir un protectorat fort qui soit comme une “ annexion voilée ”, en écartant à tout prix les mandarins des postes de direction. Il préconisait la francisation, non la républicaine athée, mais celle que préconisera le Père de Foucauld : « Deux choses surtout, comme je ne cesse de le dire, sont le meilleur instrument de la transformation d’un peuple : la religion et la langue. Si le gouvernement français comprend ses vrais intérêts, et qu’il veut favoriser la prédication de l’Évangile et l’enseignement de notre langue, j’affirme qu’avant vingt ans, sans violenter personne, ce pays sera chrétien et français. » Il se réjouira d’apprendre l’expédition de l’amiral Courbet qui contraindra l’Annam à reconnaître ce protectorat en 1883. Mais notre politique républicaine annula cette victoire, et Mgr Puginier se vit obligé de dénoncer un complot de fonctionnaires républicains qui incitaient les lettrés à faire apostasier les néophytes et à massacrer les chrétiens. Ces massacres non réprimés par les autorités républicaines le décidèrent à armer ses chrétiens : « À l’exemple des évêques du moyen âge, nous défendrons contre les barbares les églises et les monastères. » Certains missionnaires, tel le Père Mace, descendant de Vendéens fidèles à Dieu et au Roi, moururent les armes à la main dans leur village assiégé.

3. UN MYSTÈRE D’INCARNATION

Loin de fonder des églises libres autonomes et indépendantes, les missionnaires français créèrent des communautés destinées à faire participer ces peuples lointains aux bienfaits politiques et religieux de l’ordre catholique et français. Pour cela, ils vont tous “ descendre ”, s’abaisser au niveau de ces peuples, par une sorte d’incarnation rédemptrice, semblable à celle que frère Bruno a décrite à propos du Père Isaac Jogues. C’est vraiment une caractéristique des missionnaires français ou belges de s’intéresser à des populations encore à l’état de barbarie ou de se faire pauvre parmi les pauvres, pour les élever patiemment à un niveau supérieur de civilisation. Tous les instituts missionnaires créés au XIXe siècle ont évangélisé des régions où ne vivaient que des populations pauvres : c’est le Père Damien auprès des lépreux de Molokaï ou ses confrères des Pères de Picpus auprès des aborigènes de Papouasie, les Oblats de Marie Immaculée auprès des Indiens, des Esquimaux, pour un dévouement héroïque, le Père Augouard auprès des anthropophages, ou bien les missionnaires du Père Libermann auprès des esclaves, et bien sûr le Père de Foucauld auprès des Touareg... La liste pourrait être indéfiniment allongée, c’est la charité évangélique à l’état pur, mais s’ils “ descendent ”, ce n’est pas pour abandonner leur qualité d’Européen, c’est pour élever ces peuples à notre civilisation.

Ceux qui ne se sont pas conformés à cette méthode ont échoué : Mgr Truffet et Mgr de Marion Brésillac, morts avant d’avoir pu convertir un quelconque indigène, pour ne pas avoir voulu du soutien de la France. De même, le cardinal Lavigerie abandonnant les musulmans qu’il disait impossible de convertir parce qu’il refusait de les franciser, et échouant en Afrique où ses missions furent décimées par les protestants ou corrompues par les chefs indigènes, faute d’avoir accompagné le drapeau français, comme le faisaient les Pères du Saint-Esprit.

4. L’ÉGLISE MISSIONNAIRE EST CIVILISATRICE

Car la France est, dit notre Père citant Maurras, « la nation catholique du monde moderne disloqué ». C’est elle qui a pour mission de répandre la foi catholique dans le monde et d’établir la Paix française qui, toujours selon ce païen de Maurras, « peut et doit progresser selon les voies et les étapes mêmes de l’expansion de la civilisation latine qui se confondent avec la prédication de l’Évangile et l’implantation de l’Église Catholique ! » Saint Théophane Vénard le disait plus simplement avant Maurras : « La France est catholique dans l’intime de son essence et elle va travailler au-dehors à reproduire cette vie qui l’anime au-dedans. Ses blessures se fermeront, son tronc mutilé se recouvrira de feuillage, son influence gagnera l’Europe. L’Afrique, l’Asie, l’Océanie, l’Amérique surtout promettent leurs fruits. »

Le Père Libermann est le premier à avoir systématisé cette pensée qu’il faut civiliser les peuples pour les évangéliser. Élevé pourtant dans la haine des goïm, il avait été attiré à la religion catholique par l’étude de la langue grecque qui lui ouvrit l’intelligence : c’est par la civilisation qu’il est venu à la foi. Aussi préconisait-il d’apporter à l’Afrique la civilisation européenne : « Nous croyons que la foi ne pourrait prendre une forme stable parmi ces peuples, ni les églises naissantes un avenir assuré, que par le secours de la civilisation perfectionnée jusqu’à un certain point.

« La formation et la consolidation de nos églises d’Europe sont dues à l’établissement d’une civilisation complète. Nous croyons que nos églises auraient été difficilement en état de recevoir, encore moins de conserver l’organisation canonique si essentielle à l’Église catholique et si nécessaire pour garantir sa perpétuité sans cette civilisation. » C’est bien ce que nous avons dit plus haut sur l’ordre romain adopté par l’Église. La mission « ne consiste pas seulement dans la parole de la foi que nous avons à annoncer, mais dans l’initiation des peuples à notre civilisation européenne. La foi, la morale des chrétiens, l’instruction, la connaissance de l’agriculture, des arts mécaniques, se prêteront un secours mutuel, et se propageant, et se perfectionnant peu à peu sur les côtes d’Afrique, amèneront enfin les peuples noirs à prendre part aux bienfaits du christianisme, aux mœurs et à la civilisation des peuples d’Europe. »

Le Père Libermann écrivait à ses missionnaires le 8 mai 1845 : « Soyez bien avec les autorités, c’est la volonté de Dieu, et le bien des âmes l’exige ; favorisez leurs desseins, prêtez-leur votre secours, tant que ces desseins restent dans les limites de la justice et de la vérité, et qu’ils ne sont pas opposés à la propagation de la Foi et des bonnes mœurs. »

Ce fut aussi l’œuvre de Mgr Bourget au Canada de rétablir l’influence française dans le continent nord-américain et de renouer avec la vocation primitive de notre implantation française à conquérir le continent au Christ. C’est dans cette pensée qu’il a fait venir de France les Oblats de Marie-Immaculée pour les établir à Bytown. Ne pouvant s’attaquer de front à la puissance commerciale des Anglais, il va réussir à les apprivoiser en adoptant le bilinguisme et en faisant venir les sœurs grises de mère Bruyère, dont l’hôpital et les écoles eurent rapidement un pouvoir d’attraction extraordinaire auprès des protestants, au point que lorsque la ville de Bytown deviendra Ottawa, la présence des Oblats comme celle des Sœurs Grises seront tenues pour indispensables, y compris dans tout l’Ouest et le Nord-Ouest canadiens que les Oblats vont bientôt coloniser, en particulier par Mgr Grandin. Celui-ci pensait que les Montagnais du Nord-Ouest, et encore plus ces Cris et des peuples des Prairies doivent être civilisés pour être gardés au Christ. « Il faut les scolariser et les sédentariser, explique l’évêque, afin de leur faire oublier les usages et les mœurs de leurs ancêtres », mais sans les détourner pour autant de leurs parents, qu’ils attireront au contraire à la vraie religion. Mgr Grandin s’y emploie avec zèle, avec l’aide des Sœurs Grises. Il faut mesurer l’état d’abjection où croupissaient ces peuples : religion de sorciers cruels, vie sous la tente, absence d’hygiène et de mœurs, guerres incessantes, et cette condition d’esclave réservée à la femme ; autant de misères qui ont trouvé leur remède dans les premières écoles de mission.

Le Père de Foucauld souhaitait de même que nos possessions d’Afrique du Nord soient colonisées comme les missions du Canada « par des familles qui en fassent un prolongement de la France et non exploitées par des gens véreux et des pêcheurs en eau trouble. » Il avait été précédé par ces légitimistes qui firent à la France un Empire : « Après la Révolution, ce que la France a de meilleur, de plus courageux et de plus dévoué, s’en va par le monde, avide de recréer des communautés où se donner librement, protéger et éduquer ; marins et missionnaires lèguent aux jeunes Français un Empire à évangéliser et pacifier, perfectionner. »

Le baron de Vialar, procureur du Roi près le tribunal d’Épernay, avait donné sa démission en 1830, par fidélité à Charles X et à sa croisade de juillet 1830 qui délivra Alger de la barbarie musulmane. En janvier 1832, il s’embarquait pour Alger avec « la pensée que le moment était venu où l’Afrique, cernée par la civilisation européenne, allait s’ouvrir enfin à nos arts, à notre industrie, à nos lois, à notre population ». Il se réjouissait de voir déjà les populations européennes et africaines se rapprocher, s’entendre, se mêler et un assez grand nombre d’enfants du pays parler déjà passablement le français et servir d’interprètes.

Pour favoriser encore ce rapprochement, il brava le danger et il se rendit au marché de Boufarik, au cœur de la Mitidja, grande région marécageuse qui s’étend au sud-ouest d’Alger, en compagnie de quelques soldats. On ne consentit qu’à leur vendre... un chien. Huit mois après cet acte d’  « apprivoisement », l’armée établissait un camp à Boufarik. Bientôt, à proximité du camp, on vit s’élever une ambulance soignant les indigènes malades. Ému de la misère des populations, il fit appel à sa sœur, mère Émilie de Vialar qui le rejoignit en 1835 avec quatre religieuses.

Moins connu est leur ami Louis de Baudicour (1813-1883), fixé à Blida en 1845, en qui on peut voir un précurseur du Père de Foucauld. Il s’opposait au maintien des chefs indigènes et recommandait de confier l’administration directement aux officiers des bureaux arabes qui « seront les plus actifs instruments de la civilisation dans notre colonie. Au lieu d’être une barrière, ils deviendront un lien. Chargés d’administrer les Européens et les Arabes, ils faciliteront les transactions, ils attireront les chrétiens, ils organiseront pour tous des écoles françaises... » Préconisant l’implantation de maisons missionnaires, il écrivait : « Ces maisons, dont la charité et les autres vertus chrétiennes font les principaux frais, sont sans contredit le meilleur moyen de les convertir, en nous les attachant, en leur inculquant, sans les heurter et par le bon exemple, tous les principes du christianisme. »

C’est tout cela qu’au même moment le Père de Foucauld, cet « homme, qui faisait de la religion un amour », réalisa en partant pour le Sahara. Il s’y enfouit dans l’abjection et l’abnégation la plus totale comme Notre-Seigneur, par un mystère de l’Incarnation qui lui fit rayonner l’Amour de son Sacré-Cœur et porter l’Évangile aux plus pauvres des infidèles, par le mystère d’une nouvelle Visitation. Ce devoir de charité le conduisit à élaborer une doctrine coloniale qu’il vécut en parfaite “ amitié saharienne ” avec l’Armée conquérant un Empire à la France. Mais il avertissait : si nous n’en faisons pas des Français et pour cela des chrétiens, « ils nous jetteront dehors ». Lui-même en fut la victime et le martyr de la Chrétienté.

CONCLUSION

Notre Ordre catholique et français est relationnel. Les missionnaires vont à l’autre extrémité du monde pour “ planter l’Église ”, comme disent les missiologues, non pour la rendre autonome, mais pour en faire une Chrétienté et ne jamais rompre ce lien sacré créé avec le pays qui les envoie. La Mission ne pourra jamais se fonder que sur la réussite de cette Chrétienté qui est l’Église missionnaire, c’est-à-dire la charité de Jésus répandue et communiquée par des nations chrétiennes. Léon XIII, rompant avec la France, a mené les missions à cette folie de la décolonisation, de la décatholicisation, de la misère de ces peuples évangélisés par la France. Le Père de Foucauld a tout sauvé en réconciliant colonisation et mission, et notre Père, l’abbé de Nantes, puisa dans sa vie une doctrine totale capable de remédier à tous ces désordres, et une mystique qui permettra de redonner un élan irrésistible aux missions par la dévotion aux Saints Cœurs de Jésus et Marie. « Le jour où l’Église et la France voudront bien renouer avec leur tradition, le Père de Foucauld leur assurera une expansion prodigieuse. »

  frère Scubilion de la Reine des Cieux.