Il est ressuscité !
N° 249 – Novembre 2023
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
Prologue à l’Évangile de Jésus-Marie,
selon saint Jean
«IL est vivant, le Dieu d’Israël devant qui je me tiens. » Tel fut le kérygme du prophète Élie devant sa génération apostate, que nous avons appris l’an dernier à chanter devant le tabernacle (cf. Il est ressuscité n° 236, septembre 2022), où Jésus demeure en son Corps, son Sang, son Âme ressuscités et sa divinité. Et avec Lui, près de Lui, depuis toujours et pour toujours, est vivant le Cœur Immaculé de Marie, sa divine Mère et la nôtre, plus divine qu’humaine !
Cette année, nous avons étudié, médité l’histoire de leur vie terrestre, qui nous est racontée dans l’Évangile. Tout ce que nous y apprenons se rapporte à ces deux personnes vivantes, aujourd’hui présentes au Ciel et sur la terre, inséparables : Jésus et Marie, qui ne font qu’un Cœur, dont « l’unique cœur » de saint François de Sales et de sainte Jeanne-Françoise de Chantal n’est pas seulement l’image, mais le fruit, la copie conforme, car ils ont bu à cette source.
L’Évangile est un récit historique, véridique, attesté par des témoins oculaires, au sujet d’un homme qui a vécu parmi eux, comme l’un d’eux : ils l’ont vu et entendu, leurs mains l’ont touché, comme écrivait saint Jean dans sa première épître (1 Jn 1, 1). Et avec Lui, toujours unie à Lui, comme son ombre, pour ainsi dire, les évangélistes nous montrent une Femme.
Lorsque nous les écoutons et lisons attentivement et dévotement, avec foi, les Évangiles nous rendent sensible aujourd’hui cette présence physique de Jésus et Marie, parce que l’Esprit-Saint qui les habite réside dans l’Église catholique à laquelle nous appartenons, pour nous révéler que Jésus n’était pas un homme ordinaire, qu’on croiserait dans la rue sans le remarquer. Dès leur première rencontre, les Apôtres ont été subjugués par la clarté de sa Face, et la douceur divine de son Regard, et peu à peu, au long de la vie publique, ils ont pénétré le mystère de son origine et de sa Personne : « Qui est-il donc, Celui-là, que même la mer et le vent lui obéissent ? » (Mc 4, 41), disent-ils après qu’Il a apaisé la tempête qui menaçait de les envoyer par le fond du lac de Tibériade. Après la Pentecôte, par la médiation de la Sainte Vierge, l’Esprit-Saint les a introduits dans cette Vérité tout entière, qui est Jésus-Christ Lui-même, et les évangélistes la donneront à contempler dans leurs récits, pour que la simplicité humaine de ces faits historiques ne nous fasse pas oublier leur divine grandeur.
C’est pourquoi saint Jean confesse d’emblée, en prologue de son témoignage, la divinité de cet homme dont il va raconter la vie :
« 1 Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. 2 Il était au commencement tourné vers Dieu. 3 Tout arriva par lui, et rien sans lui ne serait arrivé de tout ce qui arriva. »
1. « Au commencement était le Verbe : »
Il faut entendre : au début de cette histoire que saint Jean va nous raconter, mais tout autant au commencement du monde dont il est question à la première page de la Bible, puisque le Verbe, la Parole de Dieu, a créé le monde : Dieu “ dit ”, et le Ciel et la Terre sont.
Était mais au sens d’un éternel présent : est déjà le Verbe, dont l’existence pleine et entière est tournée vers Dieu. Non pas à côté, ni auprès, mais “ tourné vers ”. Quelqu’un, distinct de Dieu, mais en tout égal à Lui et pour tout dire : Lui-même, Lui aussi, Dieu. Le Verbe, la Parole de Dieu, qui ne fait qu’un avec Celui qui la prononce est la deuxième Personne de la Sainte Trinité, le Fils qui ne fait qu’un avec son Père.
Il en est ainsi “ au commencement ”, mais aussi maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles !
Un texte de l’Ancien Testament nous parle déjà de l’existence d’une Sagesse personnifiée, en Dieu “ au commencement ”, distincte du “ Verbe ” :
« Yahweh m’a conçue, commencement de sa voie, avant ses œuvres, depuis toujours. Dès l’éternité je fus sacrée, dès le commencement, dès les origines de la terre. Quand les abîmes de la terre n’existaient pas, je fus enfantée. » (Pr 8, 22)
La « Sagesse », qui parle ainsi est donc d’avant le péché originel, coéternelle au Verbe, et « sacrée », c’est-à-dire ointe du Saint-Esprit, « au commencement », mais avec cette précision : « au commencement de sa voie », c’est-à-dire de l’histoire.
3. L’Évangéliste saint Jean continue : « Tout arriva par lui, et rien sans lui ne serait arrivé de tout ce qui arriva. »
C’est donc que ce Verbe divin, dès le premier moment de notre histoire et toujours, est créateur et maître de tout. Or les livres sapientiaux nous montrent la Sagesse personnifiée assistant, applaudissant à cette grande œuvre de la Parole créatrice de Dieu, et régnant avec Lui sur toute la terre :
« 27 Quand il affermit les cieux, j’étais là (...) à ses côtés, 30 Je suis, enfant chérie ; Je suis. » (Pr 8, 29-30)
Elle n’est pas Dieu, mais elle est son « Enfant chérie ». « Conçue », « enfantée », « sacrée » par Lui, Elle en porte le Nom révélé à Moïse dans le Buisson ardent : « Je suis ». Et c’est pourquoi, elle peut dire : « Sur toute la terre, chez tous les peuples et toutes les nations, j’ai régné. » (Si 24, 6)
C’est dire que tous les événements de l’histoire des hommes ont reçu de cette Conception chérie de Dieu et de ce Verbe tourné vers Lui, leur consistance, leur marque, leur raison cachée. On pourra étendre ce règne jusqu’au plus loin et au plus profond des natures et de l’être premier des choses de l’univers. Tout a été créé par le Verbe divin et la Sagesse divine, à leur Image.
Ceux qui ont rencontré ce Verbe divin fait chair, le Christ, de son vivant ici-bas, car c’est de Lui qu’il s’agit ! du seul fait qu’ils l’avaient en face d’eux, qu’ils le regardaient, avaient l’intuition, l’impression plus ou moins claire, que ce Jésus pouvait tout, que ce Jésus était tout, que ce Jésus avait toute puissance et toute science, et que tout pouvait découler de ses mains, que toute révélation sortait de sa bouche.
4-5. « En lui est la vie et la vie est la lumière des hommes. Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne purent l’étouffer. »
Tout d’un coup, cette intrusion des “ ténèbres ” révèle un drame, une lutte tragique entre ce Verbe qui est la source de la vie, de la beauté, de la grâce en ce monde, qui est lumière des esprits, d’une part, et les ténèbres, d’autre part, qui sont les puissances infernales. Ce sont les démons qui, depuis leur chute dans « les abîmes », s’efforcent de contrer l’œuvre de vie et de lumière du Créateur du monde. Ils ont entraîné Adam et Ève, créés par Dieu à son Image, à se révolter contre Lui. Depuis, ces puissances infernales règnent sur le monde, et cependant elles n’ont pu étouffer la lumière qui brille dès le commencement aux yeux de toute chair. La promesse faite à nos premiers parents demeure ; à la fin, la Femme mystérieusement présente auprès de Dieu écrasera la tête du serpent. Parce que « contre la Sagesse le mal ne prévaut pas » (Sg 7, 30)...
Il n’empêche que pour n’être pas totale, la victoire des ténèbres est impressionnante, affligeante tout au long des siècles, et elle demeure menaçante à l’instant du temps où nous voilà. Si rien ne survient...
Mais l’Évangéliste continue.
6-8. « Arriva un homme envoyé de Dieu, nommé Jean. Il vint pour le témoignage, pour rendre témoignage à la lumière afin que tous crussent par lui. Mais il n’est pas la lumière, lui dont la mission est de porter témoignage à la lumière ! »
Avec une tranquille hardiesse, saint Jean l’évangéliste passe de l’invisible : « le Verbe tourné vers Dieu », la vie, lumière des hommes, au visible : de l’intemporel et de l’universelle histoire des peuples, à un homme, Jean-Baptiste, et à sa mission en apparence bien mince, en son fond énorme, fantastique. Puisque, par elle seule, tous les humains sont appelés à sortir des ténèbres, à croire en la lumière ! Le Baptiste est invoqué déjà par saint Jean, comme le témoin d’avant, le Précurseur dont l’existence à elle seule fait preuve et justifie la foi des disciples.
9-10. « Le Verbe est la Lumière, la vraie, celle qui éclaire tout homme venant en ce monde. »
Le Verbe, Lui, la vraie Lumière, est dans le monde, et les hommes qui y paraissent de génération en génération sont appelés à naître par ce Verbe, Parole de Dieu. Ce monde humain, ce monde arriva par lui, et pourtant voilà bien l’étouffement tenté par les ténèbres diaboliques, ce monde ne L’a pas connu ! Il ne l’a pas remarqué, pas vu... C’est consternant, c’est même effrayant pour le salut du monde. Tels sont bien les ravages opérés par l’ignorance, l’impiété, l’idolâtrie qui se rencontrent à toutes les pages de l’histoire humaine, de la Bible elle-même.
Tout est-il donc perdu ?
Non, car « 11Le Verbe est venu chez lui », dans ses biens, sur ses terres. Ici, l’histoire franchit un seuil. C’est une date majeure que la précédente, mineure, celle de l’apparition de Jean le Précurseur, laissait présager. Il y a continuité dans cette révélation abrupte de l’identité de Jésus de Nazareth. Dans cette continuité, le passage de l’invisible au visible, de l’éternel au temporel est là, dans cette venue du Verbe dans son bien : sa terre, et plus précisément dans cette Terre promise aux Hébreux, conquise par eux non sans le secours divin, et conservée, perdue, rendue jusqu’à ce jour où « le Ciel a visité la terre ».
Est-ce donc le salut ? Pas encore ! Ce n’est pas si facile, car les siens ne l’accueillirent pas. Il foula le sol de sa patrie, il visita ses terres, oui, mais ses créatures devenues son peuple d’élection, ses frères, le boudèrent et pire encore... Jean pour le moment n’en dit pas davantage, mais ce constat est déjà suffocant.
12-13. « Mais à ceux qui l’accueillirent, il donna le pouvoir de devenir enfants de Dieu. » Ah ! quel soulagement, quelle joie d’apprendre qu’ils ne le rejetèrent pas tous ! Nous allons maintenant d’éblouissement en éblouissement. Jean explique cet accueil qui obtient une si merveilleuse récompense. Elle est donnée... à ceux qui croient en son nom, c’est-à-dire à son être intime, à son origine, à sa mission, à Lui qui ne fut engendré ni des sangs, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l’homme, mais de Dieu. Il était impossible d’évoquer de manière plus délicate, plus pudique et cependant plus précise et parfaite, l’œuvre sublime, unique, de la conception et de la naissance de ce Verbe divin du sein de Marie toujours vierge.
Jésus n’est pas né du mélange des sangs, ni d’une passion charnelle ni d’une décision humaine, mais totalement et exclusivement de Dieu. Tel est le mystère de l’origine du Christ. Et cependant, c’est bien à une naissance en la chair qu’aboutit cette « opération du Saint-Esprit ».
Ces versets suffisent à comprendre que saint Jean nous transmet le témoignage qu’il a reçu de la Vierge Marie. Pendant de longues années, l’Évangéliste a été à son école, après que Notre-Seigneur l’a confié à Elle du haut de la Croix. Autrement, comment saurait-il si bien dire à la fois la génération éternelle du Verbe, fils de Dieu, et sa naissance humaine, du sein virginal de Marie ? Ce qu’il nous enseigne provient de la méditation de la Vierge-Mère Elle-même, qui conservait avec soin toutes ces choses, les méditant dans son Cœur, nous dit saint Luc, et qui les a racontées à son fils adoptif, ami de saint Luc.
14. « Et le Verbe devint chair et il habita parmi nous. » Tel est donc le mystère de sa venue en ses biens, et finalement chez les siens. Commencée sans doute depuis les temps lointains d’Abraham et de Moïse, comme d’une venue et d’une inhabitation spirituelles ; elle s’est faite corporelle, humaine, dès lors qu’une Vierge fidèle, mérita par sa perfection d’être fille de Dieu et digne tabernacle de son Verbe...
C’est ici l’accomplissement de tout l’Ancien Testament, depuis la promesse du salut, par la Femme et sa Semence, faite à Adam et Ève, renouvelée au roi Achaz par le prophète Isaïe : Voici que la Vierge est enceinte, Elle enfantera un Fils qu’Elle appellera Emmanuel. Désormais, le Verbe-Dieu et la Sagesse divine, personnifiée en l’Immaculée Conception, tabernacle du Saint-Esprit, sont parmi nous, ils partagent notre condition, pour accomplir le grand dessein divin de grâce et de miséricorde.
... « Et nous contemplâmes sa gloire, gloire qu’un Fils unique reçoit de son Père, dans la plénitude de grâce de sa vérité. »
L’Évangéliste nous apprend, en passant, la fine identité de Jésus, identité éternelle rendue accessible par son identité temporelle : Fils unique... de Dieu en sa naissance terrestre, il nous est dit « Monogène » du Père en sa vie éternelle. Et dès lors, la gloire qui lui est donnée dans le Ciel se laissera contempler sur sa face humaine de Verbe fait chair.
Aux hommes gisants dans les ténèbres, cette manifestation de Dieu apporte un trésor de lumière que saint Jean décrit dans une expression redondante de bonté et de bienfaits : la plénitude de grâce de la Vérité. Tout cela est sublime.
15. « Jean rend témoignage à son sujet. En effet il a crié » – le « cri », kérygme en grec, est le mode d’expression des prophètes proférant leurs oracles en présence de Yahweh – disant : Celui qui vient derrière moi, le voilà passé devant moi, parce qu’avant moi il était.
Jésus, venu après Jean, n’en est pas moins ce Verbe de Dieu présent dès le commencement du monde, et ainsi méritant infiniment de passer devant lui dans la foi et l’estime des hommes.
Et voici la conclusion de cette incomparable profession de foi de l’évangéliste :
« Oui, de sa plénitude nous avons tous reçu,
et d’une grâce à une grâce meilleure.
Car la Loi fut donnée par Moïse,
mais la grâce de la vérité arriva de Jésus-Christ. »
Ainsi s’achève ce Prologue dans une grande lumière où tout se rassemble et luit. Le don de Dieu s’est fait par étapes, d’une grâce à une autre, d’une aide divine première à une seconde meilleure, et dès lors parfaite. La première de ces deux grâces d’alliance fut la Loi donnée par Yahweh à son peuple élu, par l’entremise de Moïse, et c’était un bien qu’on aurait tort d’opposer à ce qui viendrait plus tard. Mais ce n’était pas la plénitude. Il fallait que le Verbe divin lui-même vienne en personne, dans la chair, parmi nous, et qu’il demeure chez les siens assez longtemps pour qu’on le voie, qu’on le contemple, qu’on l’écoute et le comprenne, nous livrant mieux que la Loi, qui n’est qu’une règle de conduite : la Vérité qu’Il est lui-même.
C’est alors que toute l’identité de Celui dont il témoigne est si bien dévoilée que Jean le nomme, non plus de son Nom divin, mais de son nom historique de “ Jésus ” accompagné de son titre de “ Christ ”, en lequel se résume sa mission de salut : Jésus-Christ.
18. Restait à rapprocher le Nom divin du nom humain, pour exprimer la Vérité de cet homme singulier et répondre ainsi à la question tout à fait primordiale : que venait donc faire un Dieu ici-bas, qui le contraigne à revêtir notre chair et, d’une péripétie à l’autre, en arriver à être condamné à mort, et crucifié ? Saint Jean le dit en peu de mots :
« Nul n’a jamais vu Dieu, un Dieu Fils unique étant plongé dans le sein du Père, Lui, l’a révélé. »
Voilà comment nous arrivent ces deux Noms tout beaux, tout neufs, de Fils unique, « Monogène », et de Père. Et, plus audacieusement qu’il est imaginable, voici que Jean les embrasse et jette l’un vers l’autre, l’un en l’Autre, par cette expression grecque intraduisible qui évoque aussi bien l’étreinte des amants que l’enfouissement de l’enfant contre le sein de sa mère, dans ses bras qui l’enclosent, et le participe présent suggérant un mouvement éternel : le Dieu Fils étant, dit-il, jeté vers le sein du Père. Ainsi étreint et étreignant, Lui, le Verbe de ce Dieu que nul n’a jamais vu de ses yeux, ni entendu de ses oreilles, ni touché de ses mains, nous l’a raconté ; nous L’a fait voir, et entendre et toucher en sa propre Personne de Verbe fait chair. Il nous L’a révélé. N’est-ce pas le secret temporel de son Nom éternel ? Et n’est-ce pas pourquoi, à ceux qui croient en sa naissance humaine virginale, il donne le pouvoir de devenir, tournés vers le sein du Père, avec Lui et en Lui, enfants de Dieu, par la médiation maternelle de la Vierge Marie sa Mère ?
frère Bruno de Jésus-Marie