Il est ressuscité !

N° 253 – Mars 2024

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Miette exégétique :

Quand fut écrit le premier Évangile ?

CONSIDÉRÉ par la tradition comme le premier  écrit du Nouveau Testament, l’Évangile selon saint Matthieu a-t-il été écrit dès les premiers temps apostoliques ?

L’étude savante du Père M.-J. Lagrange dans son Commentaire de l’Évangile selon saint Matthieu (éd. Gabalda, Paris, 1927) s’attache, entre autres choses, à dégager le témoignage doctrinal de cet Évangile (p. 151-156 de son introduction).

Pour ce faire, la confrontation avec les autres ouvrages du Nouveau Testament, mais aussi avec l’Histoire connue de ces premiers temps, notamment par les Actes des Apôtres et les Épîtres de saint Paul, est très féconde et par surcroît permet de dater cet écrit, soigneusement travaillé et composé par saint Matthieu.

Comment cela ?

L’HISTOIRE : LA CRISE JUDEO-CHRETIENNE

Une tempête secoua les premières Églises. L’écho en remplit les Épîtres de saint Paul et les Actes des Apôtres. Fallait-il que les nouveaux convertis et baptisés venus du paganisme se fassent circoncire et soient tenus d’observer les pratiques juives ? Certains juifs convertis y tenaient mordicus. Ils seront appelés judéo-chrétiens et semaient partout leurs injonctions, au grand dam de saint Paul qui s’indigne dans l’Épître aux Galates : « Si la justice vient de la Loi, c’est donc que le Christ est mort pour rien » (Ga 2, 21) ! « Si vous vous faites circoncire, le Christ ne vous servira de rien. » (Ga 5, 2)

Saint Matthieu l’Évangéliste
« Saint Matthieu l’Évangéliste. »
(tiré des Grandes Heures d’Anne de Bretagne).

Au cœur du drame : Jérusalem, la Ville sainte, où siège Jacques, le frère du Seigneur, notable entre les notables hébreux, à l’autorité considérable, mais équivoque par rapport à Pierre. L’assemblée apostolique de Jérusalem qu’il préside à côté de Pierre (sic ! cf. Ac 15, 19 : « je juge, moi... ») doit dirimer le conflit.

« On trouve un compromis bancal, explique notre Père. On dira bien que la circoncision n’est plus nécessaire. Cependant, on conservera certaines préoccupations des Juifs : une règle sur les viandes étouffées ou les viandes sacrifiées aux idoles qui resteront interdites. Bref, on a concédé aux Juifs certains de leurs usages [...]. Et comme tous les compromis, les choses s’enveniment. » (L’Épître aux Romains d’aujourd’hui, 1994)

Les ennuis pour saint Paul ne cessent donc pas pour autant et même iront croissant. Les archiapôtres, comme les stigmatise saint Paul, sèment la calomnie, le dénigrement contre ce Paul qui “ annule la Loi de Moïse ”, et enseigne une religion au rabais... Cela ira jusqu’à l’émeute : « Jérusalem sens dessus dessous », relatent les Actes (21, 31).

Seule la ruine de Jérusalem en 70 mettra fin à cette crise par l’anéantissement de la religion juive, et par voie de conséquence, aux prétentions judéo-chrétiennes.

Ce châtiment de l’obstination des Juifs avait été annoncé par Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même quarante ans auparavant.

Le milieu juif pour lequel saint Matthieu est présumé avoir rédigé son Évangile, selon la Tradition, se trouvait donc en ébullition en ces années-là, aux alentours de 50, date approximative du « concile » de Jérusalem.

LOI ET ROYAUME SELON SAINT MATTHIEU

Lagrange s’interroge avec une perspicacité savante : « Les deux points dont l’on traite ordinairement et qui donnent à Matthieu sa physionomie, c’est son attitude envers la Loi, et sa conception du règne de Dieu imminent. Le premier n’est que l’aspect négatif du second. Ou en d’autres termes : Matthieu est-il un judéo-chrétien persuadé qu’on ne pouvait recevoir les gentils à la foi sans leur imposer la circoncision et qui pensait que le monde allait finir pour faire place au règne de Dieu dans des conditions toutes nouvelles d’innocence et de bonheur ?

« Notre conclusion, écrit-il d’emblée, est que le premier Évangile n’est pas judéo-chrétien et qu’il annonce un règne de Dieu qui sera l’Église, sans laisser pour cela d’être antérieur à la catastrophe qui mit un terme aux destinées politiques du peuple juif. » (p. CLI) La conclusion du savant exégète reste timorée, nous semble-t-il, en deçà des arguments qu’apporte son étude.

Suivons-la attentivement. Mais avertissons notre lecteur : à côté de la science incontestable du docte exégète, se laissera percevoir un arrière-goût moderniste. Dans la perspective où il se place, il envisage les évangélistes comme des genres de propagandistes, des scribes employant des méthodes subtiles, des procédés littéraires pour faire passer leurs idées. Ce n’est pas ainsi que nous voyons saint Matthieu, témoin oculaire, subjugué par la Personne mystérieuse du Christ dont il doit communiquer toute l’épaisseur du mystère. Saint Pie X sur un ton plus paternel que sévère avait dit à un évêque français à propos de Lagrange : « aliquando claudicat » (« il y a quelque chose qui cloche ») (cf. CRC n° 311, p. 23-24) !

JÉSUS, HÉRAUT DE LA LOI ?

Lagrange commence par examiner l’opinion affirmant la connivence probable de saint Matthieu avec le judéo-christianisme, et les textes qui en pourraient soutenir la thèse.

« En vérité je vous le dis, avant que ne passent le ciel et la terre, pas un iota ou un menu trait ne passera de la Loi que tout ne soit arrivé. Celui donc qui violera un seul de ces commandements les plus petits et enseignera aux hommes à faire ainsi sera déclaré le plus petit dans le royaume des cieux, mais celui qui pratiquera et enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le royaume des Cieux. » (Mt 5, 18-19) Texte capital qu’on pourrait opposer à saint Paul !

La comparaison avec Marc est significative : « Matthieu aurait omis la réflexion inquiétante de Mc 7, 19 :  déclarant purs tous les aliments !  et réduit ainsi la controverse sur les aliments à une question de lavage de mains (Mt 15, 20). Matthieu suppose qu’on observera la Loi sur le nombre des témoins (18, 16) et le Sabbat (24, 20).

« Et en effet, la mission du Messie se bornait à Israël (15, 24-26) et c’est à Israël seul qu’il a envoyé ses disciples (10, 5-6). Il est vrai que le centurion est admis au festin de l’au-delà, mais dans le sein d’Abraham (8, 11). Les apôtres devaient être proprement les juges des douze tribus (19, 28) »... etc. (p. CLII, op. cit.)

Ces textes éloquents montrent bien que la vie de Jésus s’est déroulée au sein de l’institution juive dans une soumission à la Loi, comme à un ordre supérieur. Matthieu judéo-chrétien donc ? « Mais alors, remarque opportunément Lagrange, on ne comprend vraiment pas pourquoi Matthieu se serait abstenu de donner le coup de pouce plus nettement. S’il voulait que les chrétiens pratiquassent le sabbat, suffisait-il de faire allusion à la fuite, plus pénible le jour du sabbat (24, 20). »

Il ne faut donc pas en rester à une vue superficielle et isoler ces textes de l’ensemble de l’enseignement de Jésus rapporté par saint Matthieu. Il faut aller plus loin.

JÉSUS ACCOMPLISSEMENT DE LA PROMESSE.

« N’allez pas croire que je sois venu abolir la Loi ou les Prophètes : je ne suis pas venu abolir, mais accomplir. » (5, 17)

La parole est mystérieuse comme une clef du premier discours de Notre-Seigneur rapporté par saint Matthieu, appelé discours évangélique ou sermon sur la montagne. Elle précède juste le texte capital cité plus haut.

« La Loi et les Prophètes forment un bloc, commente Lagrange, c’est l’ancienne écriture, l’organe authentique des volontés de Dieu. On oublie trop aisément que la Loi, c’est-à-dire le Pentateuque, contient de l’histoire et des prophéties.... Et les prophètes contiennent beaucoup plus de prédications morales que de prophéties. Jésus n’est pas venu pour rejeter tout cela pour prêcher une autre morale, mais accomplir. » (p. 93)

Jésus manifeste sa soumission à ces dispositions venues d’En-haut : la Loi et les Prophètes. Il n’agit pas en révolutionnaire ni en gyrovague, le plan est tracé, la route à suivre c’est pour lui d’accomplir cette volonté de Dieu. Il y a une économie dans la dispensation de sa Révélation. Accomplir : quinze fois l’évangéliste souligne cet accomplissement des Écritures par le même terme grec. « Or tout ceci advint pour que s’accomplissent les Écritures des prophètes. » (Mt 26, 56)

Oui, explique un commentateur, « promesse et accomplissement s’impliquent l’un l’autre. Matthieu met en relation avec les Écritures, presque minutieusement, les événements de la vie de Jésus. » « C’est l’Écriture dans sa totalité qui témoigne de Jésus. » Bien plus : « Jésus accomplit la Loi et les prophètes. Désormais la Loi et les prophètes cèdent leur autorité à Jésus-Christ ; ce n’est donc plus la Loi qui règle les relations des hommes avec Dieu, mais Jésus-Christ. » (tiré de Vocabulaire biblique, éd. Rencontres 1954, sous la direction de Jean-Jacques von Allmen)

Ainsi, Lagrange explique : « La pensée de Matthieu doit s’entendre d’après tout le discours qui suit. Si l’on ne veut pas qu’il ait écrit l’une à la suite de l’autre deux phrases contradictoires, il faut que la loi, immuable jusque dans son dernier détail, soit la loi telle que Jésus va l’exposer, avec de notables perfectionnements qui subordonnent une lettre périmée à un esprit nouveau (9, 14-17). » Jésus donc, outre la marque de sa soumission, prend les commandes pour ainsi dire et manifeste son autorité pour indiquer la Voie. « Vous avez entendu qu’il a été dit... eh bien ! moi je vous dis :... » Et ce sont une suite d’exemples, qui sont plus qu’une Loi, où le regard de « votre Père qui est dans les cieux » est l’aune à laquelle se dicte la perfection morale. « Ainsi tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous, faites-le vous-mêmes pour eux : voilà la Loi et les Prophètes. » (Mt 7, 12) De telle sorte qu’après Jésus, personne ne puisse se satisfaire de soi et se flatter d’être quitte envers la Loi, d’être “ en règle ” : « J’ai tout fait, je l’ai accompli » ! Non, la perfection n’est jamais atteinte. Lui seul a accompli...

Alors les prescriptions ancestrales, la circoncision, les purifications légales ? « « Ce peuple m’honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi » (15, 8) explique Jésus en citant l’Écriture aux Apôtres qui n’ont pas compris son apostrophe aux pharisiens. « Du cœur en effet procèdent les mauvais desseins... mais manger sans s’être lavé les mains, cela ne souille pas l’homme. » (15, 19-20) Voilà bien un perfectionnement de la Loi, mais jusqu’où ? Dans quelle mesure ?

« Jésus ne le dit pas, explique Lagrange. C’est-à-dire que Matthieu n’a fait dire à Jésus nulle part si l’on aurait ou non à imposer la Loi mosaïque aux prosélytes. Comme c’était l’usage chez les juifs, et que Jésus n’avait rien dit qui le réprouvât, la question a dû se poser, elle s’est posée, elle a été résolue comme on sait. Matthieu ne contient sur ce point aucune lumière spéciale, pas même la petite note de Marc sur les aliments. Supposons un instant que la controverse a éclaté et partage les esprits : Matthieu auquel on suppose un dessein arrêté, un parti pris, se serait-il contenté d’une neutralité affectée ? La vérité est qu’il ne prend pas parti. »

L’exégète poursuit : « Aussi bien, la question ne peut être résolue par une bataille des textes, comme s’il leur était loisible de sortir de leur contexte pour engager une lutte d’entités. D’après Matthieu Jésus a ordonné à ses disciples de ne pas franchir les limites d’Israël (10, 5) puis il leur a ordonné de prêcher à toutes les nations (24, 14 ; 28, 20). C’est que, entre ces moments, la crise religieuse s’était produite. »

Saint Paul lui-même a procédé toujours dans cet ordre, en prêchant d’abord aux juifs, qui ont refusé. Il s’est alors tourné vers les païens.

La Loi fut pour Jésus de faire la volonté de son Père, dans l’ordre indiqué par les Écritures. Cela le mènera d’étape en étape à la Croix, accomplissement messianique par excellence, plutôt que “ crise religieuse ”.

Cette leçon tirée de la composition de l’évangéliste le place bien au-dessus de la controverse judéo-chrétienne. Le mystère de la Personne de Jésus-Christ prend toute la place et les méticuleuses prescriptions humaines paraissent bien mesquines... Il n’empêche, l’argument de Lagrange est convainquant : saint Matthieu est étranger à la controverse judéo-chrétienne, il n’aurait pas transcrit certaines phrases “ imprudentes ” de son évangile si la querelle lui était venue aux oreilles, surtout pour le milieu juif à l’intention duquel il est censé avoir écrit.

OÙ EST LE PEUPLE ÉLU ?

Cette exigence de perfection supérieure par rapport à l’ancienne Loi va-t-elle s’exercer dans le cadre institutionnel juif ou bien Jésus a-t-il fondé une nouvelle institution ?

L’avènement du Royaume des Cieux est une part importante du témoignage doctrinal de l’Évangile selon saint Matthieu, mais là encore mystérieuse. Autrement dit qu’en est-il d’Israël dans l’Évangile selon saint Matthieu ?

Saint Matthieu, lui seul parmi les évangélistes, se sert du terme d’Église pour qualifier à la fois ce peuple nouveau (18, 17), mais aussi cette institution créée par Jésus et qui aura Pierre pour fondement (Mt 16, 18).

« On a remarqué comme un signe judéo-chrétien que Matthieu nomme encore les directeurs spirituels des chrétiens à la manière de l’Ancien Testament : des prophètes, des sages, des scribes (23, 34 ; 13, 52). Rien de plus caractéristique. Nous sommes encore loin de la magnifique hiérarchie des fonctions et des charismes dans l’Église de Paul (Rm 12, 6-ss ; 1 Co 12, 4-ss ; Ep 4, 11-ss). Si Matthieu a écrit d’après ce qu’il a constaté, l’Église est encore bien près du judaïsme. Les termes sont primitifs. Ils prouvent bien que le christianisme sort du judaïsme, ils n’excluent pas un esprit nouveau. »

Les exemples de cette proximité historique du Premier Évangile avec le judaïsme abondent. « Si ton frère a péché... s’il ne veut pas entendre même l’Église, qu’il soit pour toi comme le gentil et le publicain. » (18, 17) C’est ce qu’on appelle aujourd’hui l’excommunication, mais énoncée ici en terme juif... « notes très primitives » commente Lagrange (p. 355).

Mais il y a aussi cet esprit nouveau qui se manifeste dans des incises très révélatrices, mais que l’évangéliste, fidèle à sa sobriété, ne développe pas.

Par exemple sur le Temple, pilier de la religion d’Ancien Testament : « N’avez-vous pas lu dans la Loi que, le jour du sabbat, les prêtres dans le Temple violent le sabbat sans être en faute ? Or, je vous le dis, il y a ici plus grand que le Temple. » (Mt 12, 6)

Notre Père remarquait d’ailleurs combien les Évangiles se révélaient étrangement silencieux sur la liturgie qui se déroulait dans le Temple. L’enthousiasme des psaumes pour Jérusalem ne se retrouve pas non plus... Ou plutôt, il se trouve détourné vers ce Royaume que Jésus annonce (cf. S 54, L’Évangile éclairé par les Psaumes, 1982).

Autre exemple, sur l’élection du peuple d’Israël : « C’est pourquoi, je vous le dis, le règne de Dieu vous sera enlevé et il sera donné à une nation qui en fera les fruits. » (21, 43)

Le terme est précis : « à une nation », à un nouveau peuple de Dieu. Car l’ancien a pris sur lui la responsabilité du sang versé (27, 25). Lagrange commente : « Personne, même saint Paul, ne prétendait que les Juifs fussent exclus individuellement du Messianisme qu’ils avaient rejeté en corps, il affirmait même leur conversion future. Sa thèse était que les croyants constituaient le véritable Israël, les vrais enfants d’Abraham. Cela est en parfaite harmonie avec l’expression de Matthieu qui n’a donc rien de judéo-chrétien. »

« Il y a donc bien un autre peuple de Dieu ; ce ne sont pas les gentils de race, substitués à la descendance d’Abraham et de Jacob, mais un peuple spirituel nouveau. » Cependant, comme pour la Loi, Jésus n’a pas tout organisé. Il s’est contenté de bien peu : les douze, dont Pierre : « Et sur cette pierre, je bâtirai mon Église » (16, 18). Avec tout de même, en cas de difficulté, ce dernier mot de l’Évangile et non le moindre : « Et voici que je suis avec vous en tout temps jusqu’à la consommation du siècle » (28, 20). « Cela n’est pas d’un judéo-chrétien. C’est le principe d’une autorité nouvelle vivante », analyse Lagrange.

Autre enseignement irritant pour le judéo-christianisme : l’universalisme de l’Évangile. Lagrange note : « Il faut concéder sans hésiter que Matthieu est en deçà de Marc dans l’expression de l’universalisme, et dans trois endroits où les deux Évangiles sont parallèles. Matthieu dit que les douze jugeront les douze tribus d’Israël (Mt 19, 28), ce que Marc a omis (cf. 10, 29). Au contraire, Marc a en plus de Matthieu un petit  premièrement ”, si gros de conséquences (Mc 7, 27) :  laisse d’abord les enfants se rassasier ”, aussi (7, 19)  déclarant purs tous les aliments ”. Marc exclut donc plus nettement les prétentions judéo-chrétiennes. Mais si Matthieu leur avait fait accueil, et délibérément, il eût dû les encourager plus clairement. Il n’y a donc pas dans son texte régression sectaire vers un point dépassé par l’Église, mais expression encore nuancée par le vocabulaire d’Israël, dans une situation antérieure où il n’importait pas de se prononcer. C’est aussi ce que nous avons constaté sur d’autres points en comparant Matthieu et Marc. Le premier Évangile est moins éloigné du berceau israélite. Il en est sorti. Il n’est certes pas paulinien. Mais il n’est pas non plus en réaction contre Paul. Il est prépaulinien, n’ayant pas les préoccupations dont Marc témoigne.

« Si l’auteur est juif converti, il n’est pas pour cela judéo-chrétien. On dirait plutôt qu’il est préjudéo-chrétien, c’est-à-dire antérieur au moment où le judéo-christianisme est devenu une thèse. Partisan de cette thèse, son dernier mot eût été : enseignez aux nations à pratiquer la Loi.  Il a écrit : leur apprenant à observer tout ce que je vous ai commandé.  La loi du Christ est donc son objet principal. »

Ces lignes sont précieuses.

L’examen de ces quelques aspects non exhaustifs de l’enseignement contenu dans le premier Évangile oblige donc à situer sa composition par saint Matthieu avant la propagation de la doctrine paulinienne. Cette diffusion fut contemporaine des Apôtres puisque ces Épîtres sont lues dans l’assemblée chrétienne au témoignage de Pierre lui-même (cf. 2 P 3, 15). Cette rédaction est aussi à placer avant la crise judéo-chrétienne et ses prémices, c’est-à-dire au minimum avant l’an 50.

Ces arguments de critique interne s’ajoutent aux conclusions établies par frère Bruno à propos de la parenté entre ce Premier Évangile et la Didakè (cf. CRC n° 309, p. 1-22). Cet écrit très primitif daté de l’an 40 à 60 par Robinson, fait plusieurs fois référence à l’ « Évangile », référence qui vise selon Robinson « quelque document familier et accessible au lecteur ». Identifier ce document primitif avec le Premier évangile confine à la certitude lorsqu’on ne peut plus insérer un « proto Matthieu » avant le Matthieu canonique (qui seul nous est parvenu sous la forme du Premier Évangile). Cette hypothèse moderniste se trouve invalidée par les arguments de Lagrange, sans qu’il ose lui-même conclure ainsi.

Frère Bruno peut écrire : « L’Évangile de saint Matthieu, lui, remonte à la première décennie de l’expansion de l’Église, peut-être même à cette période que Robinson appelle, à la suite de Hengel, les “ quatre ou cinq années ‘ explosives ’ entre 30 et 35 ”, qui ont suivi la Pentecôte. »

En tout état de cause, ces conclusions renvoient le modernisme au rayon des tromperies grossières où il a trop déshonoré la science exégétique.

frère Matthieu de Saint-Joseph.

 

 

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