Il est ressuscité !
N° 256 – Juin 2024
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
Le bienheureux Edward Poppe (1890-1924)
Un prêtre pour la renaissance de l’Église
«AVEZ-VOUS versé votre Sang en vain ?... Avez-vous été crucifié pour rien ?... Avez-vous été outragé pour rien ? Pourquoi votre Très Sainte Eucharistie ?... Votre Sang est répandu inutilement pour des milliers. Le monde va-t-il disparaître dans le gouffre infernal de la damnation ? Ah Seigneur, si vous envoyiez vos prêtres, les vôtres, des vrais, des pauvres et des saints. Si vous envoyiez vos bons prêtres, ces petits seraient sauvés, ces masses d’enfants seraient conduites aux tabernacles de votre Amour et gardés à vous pour toujours. Souvenez-vous de vos souffrances, souvenez-vous de votre Amour infini et de l’innocence de ces petits. Mère, montrez que vous êtes Mère ! » (12 juillet 1918)
La Grande Guerre n’était pas achevée qu’un jeune prêtre flamand poussait ce cri d’alarme et faisait monter vers le Ciel sa prière embrasée. C’est le bienheureux Edward Poppe, dont nous célébrons en ce mois de juin 2024 le centenaire du “ dies natalis ”. Son exemple et son zèle pour le salut des pauvres âmes qui tombent en enfer par la faute des mauvais pasteurs, sont d’une actualité brûlante.
Depuis son pauvre couvent de Moerzeke, il a vu venir l’effroyable apostasie, qui allait ravager l’Église et la rendre semblable à « une grande ville à moitié en ruines », annoncée dans le Secret de Fatima ; disciple de saint Pie X et de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, il en avait discerné les causes et indiqué les remèdes surnaturels ; il offrit sa vie en sacrifice d’holocauste, « comme un grain de blé, afin d’être multiplié », afin que ces remèdes soient appliqués par ses confrères, par les enfants de la Croisade, par tout son peuple ; il vit enfin en promesse, à la douce clarté de l’Agneau immolé, comme un fruit de la prière de la Vierge Épouse et Médiatrice, la résurrection de ce Corps mystique passionnément aimé : « Mon fils, je revivrai. »
LA FLAMME DU RÈGNE
« Tout le corps sacerdotal, écrivait-il dans sa dernière lettre à son Père spirituel, devrait être envahi par le désir du Règne du Christ, oui, se perdre même pour lui. Mais Jésus ne brûle plus dans le sacerdoce, et c’est pour cela que la flamme du Règne ne brûle plus dans l’Église. Aussi, je vous supplie et je crie pour ainsi dire avec la voix de Jésus : “ Le mendiant Jésus mendie, et Il mendie cela même qu’Il désire tant donner : Je veux apporter le feu... ” Père, entrons dans la NUBES LUCIDA, entrons en MARIE, c’est là que nous serons transformés en lumière, c’est là que nous attendent les ardeurs du Règne. Elle est le foyer du Feu. Elle est la douce entrée de la Fournaise. Disposez-moi, ô Marie, ouvrez-moi suavement à l’ardeur de l’Esprit, recevez en moi le feu qu’Il y répand. Soif de Marie, soyez en mon âme, soif de l’Épouse, consumez-moi... » (12 mai 1924)
Moins d’un mois plus tard, dans l’octave de la Pentecôte, « cette âme consumée dans le Cœur Immaculé de Marie et brûlante d’amour pour Jésus-Hostie » (Christian de Saxe) s’envolait au ciel. La nouvelle de sa mort se répandit comme une traînée de poudre à travers le pays : « LE SAINT EST MORT ! » Des milliers de fidèles accoururent pour s’agenouiller et prier devant son corps exposé. Les funérailles de cet humble prêtre, qui avait vécu dans un esprit de pauvreté radicale, furent royales.
« Jamais encore je n’avais assisté à un tel enterrement, écrit un témoin. Lorsque le cercueil fut porté dans l’église paroissiale, du haut des marches le coup d’œil sur la procession était impressionnant. Derrière la multitude de prêtres et de séminaristes et au milieu de la diversité bigarrée des représentants de tant d’ordres religieux différents, suivait un très long cortège d’hommes, de femmes, de groupements de jeunesse et une cohorte d’enfants revêtus de l’aube blanche de leur innocence. Au-dessus de ces rangs serrés flottaient les drapeaux multicolores de la Croisade Eucharistique, représentant la Sainte Hostie sous l’éclat des rayons du soleil et entourée de couleurs resplendissantes. C’était très symbolique. »
Et on se dépêcha d’oublier ses enseignements et ses avertissements... Le cardinal Mercier, primat de Belgique, qui tenait pourtant l’abbé Poppe pour un saint, demanda à l’abbé Odilon Jacobs d’écrire sa biographie, mais en effaçant par exemple toute mention de son engagement dans le Mouvement flamand. L’ouvrage écrit par ce parfait disciple parut en 1929, et reste à ce jour le meilleur ouvrage sur l’abbé Poppe, le plus fidèle à ses intuitions et à son esprit.
Au terme de la phase diocésaine du procès de béatification (1945 -1952), le postulateur n’hésitait pas à affirmer que la Cause « supporte la comparaison avec celle du saint Curé d’Ars » ! Le 29 juin 1964, l’épiscopat belge dans son ensemble signait donc une supplique, pour que l’abbé Poppe soit béatifié sans tarder. La phase romaine du procès s’ouvrit en septembre 1966. Le décret, signé par le cardinal Larraona, portait en exergue une citation de saint Jean Chrysostome : « Si un prêtre avait seulement la pensée de sauver son âme et qu’il aurait négligé le salut de celle des autres, qu’il soit englouti dans l’enfer avec les impies ! »
Mais l’esprit du Concile avait soufflé entre-temps, et la Sainte Vierge était reléguée « dans un coin », comme s’en plaignait déjà l’abbé Poppe de son temps, et réduite « à un rôle subordonné ». Dans les années 1980, l’abbé Fernand Van de Velde, flamingant convaincu, entreprit une biographie “ scientifique ” de l’abbé Poppe, très détaillée, qui fut éditée en quatre tomes. C’est une mine de renseignements. Cependant l’auteur est tellement imbu de l’esprit moderne, que son analyse trahit la pensée véritable de celui qu’il prétend réhabiliter « dans son épaisseur historique et humaine » ! La Cause piétina, et ce n’est que le 3 octobre 1999 que le pape Jean-Paul II béatifia l’abbé Edward Poppe, dans l’indifférence générale. Aujourd’hui, c’est pire encore.
UN PÈLERINAGE INOUBLIABLE
En esprit de réparation et mus par le zèle de leur dévotion, nos amis flamands nous ont invités à venir célébrer avec eux le centenaire du “ saint de la Flandre ”, du 9 au 11 mai. Ce fut pendant trois jours un enchantement des yeux, des oreilles et du cœur, à la découverte du riche héritage flamand catholique, ainsi que des lieux où vécut le bienheureux.
Une leçon inoubliable pour nous, qui fêtons cette année le centenaire de la naissance de notre Père fondateur, Georges de Nantes, le 3 avril 1924. Dans les desseins de la Providence, il nous semble évident qu’il y a eu un “ passage de témoin ” entre leurs âmes, également consumées par l’amour de la Vérité totale, en vue du Règne universel de Jésus et Marie.
En septembre 1919, l’abbé Poppe écrivait déjà : « Ces temps hurlent le reniement de Dieu ; alors nous, claironnons sur les toits la miséricorde et la sainteté de Dieu. Que Marie claironne par nous !... Il me semble que je donnerais volontiers ma vie pour que Notre-Seigneur trouvât dans ses prêtres ce qu’il attend d’eux ; je la donnerais pour qu’un seul d’entre eux réalisât pleinement son plan divin. »
BRUGES : « LA FLANDRE AU CHRIST ! »
Le Jeudi de l’Ascension est « le plus beau jour de Bruges », celui où l’ancienne capitale du comté de Flandre célèbre la précieuse relique qui fait sa gloire depuis plus de huit siècles. « Flandria dulce solum, super omnes terra beata... » écrivait un poète flamand en 1110. Comme la douce terre flamande, bénie entre toutes, bénéficiait d’un temps de paix et de prospérité, le comte Thierry d’Alsace (1128 -1168) put se rendre plusieurs fois en Terre sainte, où il avait de la famille, son épouse Sybille étant la fille du roi Foulques de Jérusalem. En récompense de ses prouesses lors de la deuxième croisade, à laquelle il participa à l’appel de son suzerain le roi de France Louis VII, Thierry d’Alsace reçut des mains de son beau-frère Baudouin III qui avait succédé à Foulques une insigne relique : le tissu imprégné du Précieux Sang recueilli par Joseph d’Arimathie au moment de la descente de Croix et de la mise au tombeau. Il la rapporta à Bruges en 1150 et la conserva dans la chapelle Saint-Basile de son château.
UNE AUTHENTIQUE RELIQUE
Cette tradition vénérable a été remise en cause en 1964 par un bénédictin érudit, le P. Nicolas Huyghebaert, qui argua du silence des sources pour lui substituer une hypothèse de son invention : la relique aurait été rapportée en Flandre après le sac de Constantinople (1204). En conséquence, toutes les publications postérieures parlent sans vergogne de la “ légende du comte Thierry ” par opposition à la “ vérité historique ”. Peut-être le Saint-Sang lui-même n’est-il pas celui de notre béni Sauveur, mais un “ faux byzantin ”, destiné à tromper les âmes pieuses. Absit !
Pour l’honneur de la Vérité et de la Tradition, un médiéviste reconnu, Rinaldo Neels, a réhabilité en 2013 la version de l’arrivée de la relique à Bruges au milieu du douzième siècle :
« Une question essentielle m’a toujours hanté : comment est-il possible que, si peu de temps après le transfert du Saint-Sang à Bruges, une légende erronée ait pu soudainement surgir, qui a survécu pendant six cents ans d’historiographie sans la moindre contradiction ? »
Au terme d’une démonstration que nous ne pouvons reproduire ici, il conclut :
« À mon avis, il est tout à fait possible que Thierry d’Alsace, comte de Flandre, ait apporté le Saint-Sang à Bruges au milieu du douzième siècle et l’ait laissé en lieu sûr dans la chapelle Saint-Basile. Le culte du Saint-Sang à Bruges trouve ses racines au douzième siècle. » Et avant le douzième siècle ?
Nous nous souvenons en France que Godefroy de Bouillon, après avoir conquis au cours de la première croisade la ville de Jérusalem (1099), reçut en partage un morceau de lin taché du Saint Sang, qui y était vénéré depuis des siècles et qu’il fit rapporter à sa mère, la sainte comtesse Ide de Boulogne. Pendant des siècles, la relique fut vénérée dans la chapelle de Notre-Dame du Saint-Sang, à l’entrée de la ville de Boulogne, et elle est encore conservée au trésor de la cathédrale. D’autres reliques sont conservées à Fécamp en Normandie et à Neuvy-Saint-Sépulcre en Berry, mais dans notre doux pays de France, le laïcisme républicain a étouffé toute manifestation de dévotion publique. Il n’en est pas de même en Belgique.
UNE PROCESSION EN SON HONNEUR
Le 3 mai 1304, la relique fut portée pour la première fois au cours d’une procession dans la ville de Bruges. Depuis, chaque année, le Jour de l’Ascension, cette Procession parcourt les rues de la ville pavoisée. La “ Noble Confrérie du Saint-Sang ”, qui compte trente et un membres, est chargée de la garde de la Relique et de l’organisation de la Procession. Cette procession est un acte de foi public, auquel participent les autorités religieuses et civiles. Plus de mille huit cents figurants y participent, répartis en cinquante-quatre groupes, treize chars, deux cent cinquante musiciens, avec des costumes qui rappellent la période bourguignonne des Flandres (XVe-XVIe siècle), quand corporations, confréries et écoles étaient chargées de l’interprétation des scènes.
Habituellement conservée dans la belle chapelle du Burg, l’ancien château comtal, la Relique est ce jour-là transférée en grande pompe jusqu’à la cathédrale. C’est là que débuta notre pèlerinage, comme une sorte de plongée soudaine en Chrétienté. Le son des cloches y aidait : « La grosse cloche du beffroi sonnait à toute volée ; la petite cloche du Saint-Sang mêlait, au chant de gloire, sa voix tendre et haute, qui disait : “ Voici ma relique, inclinez-vous ! ” » (René Bazin, Le roi des archers, 1928) Le plus catholique de nos romanciers en était déjà le témoin émerveillé, il y a cent ans...
Après avoir assisté à la grand-messe pontificale, nous pûmes vénérer la sainte Relique, présentée dans le chœur de la cathédrale par trois membres de la Noble Confrérie, revêtus de leur costume de soie noire, brodée du symbole eucharistique du Pélican.
L’abbé Poppe nous inspira les sentiments qui étaient les siens, quand il écrivait à son frère Nestor, le 9 mai ( !) 1924 : « Que sais-je, sinon que nous sommes de petits agneaux de l’Agneau et que nous vivons tous du même sang : le Sang de l’Agneau. Celui qui coule du Calvaire est le même que celui qui descend de l’Autel. Nous nous désaltérons aux mêmes sources : l’Eucharistie. Et Marie est la Mère de l’Agneau et des petits agneaux, car ces derniers vivent de l’Agneau et de son Sang divin... Le Sang de Jésus suscite la charité. Oh, s’il pouvait susciter la douce et forte ivresse de l’Unique Amour, que nous serions tous un dans ce Cœur eucharistique, dans cette divine fournaise ? »
LE CORTÈGE ET SES FIGURATIFS
En nous rendant sur les bords de la Dijver pour assister à l’immense procession, nous passâmes devant la statue du prêtre – poète brugeois Guido Gezelle (1830-1899), dont le catholicisme de combat allait de pair avec un amour profond de la Flandre, et dont l’œuvre exerça une profonde influence sur le jeune Edward Poppe :
« Gezelle me prend par la main et me conduit le long des chemins de campagne et des douves, à travers les bois et les prairies... En marchant, il m’apprend à voir ce qui est beau et à sentir ce qui est beau. Gezelle me fait voir Dieu dans tout ce qui est beau. Il m’apprend à prier avec mon cœur. »
C’est grâce à l’influence de Gezelle que beaucoup de prêtres et religieux stimulèrent la conscience flamande et en cultivèrent la langue pour faire barrage aux idées des Lumières, à la pensée révolutionnaire, au libéralisme et à l’impiété, venus hélas de France. « Défendre la langue, c’était défendre les anciennes mœurs et traditions d’une société que la modernité antichrétienne cherchait à démolir », écrit Jan Thiré dans son article sur Edward Poppe et le Mouvement flamand (HIJ IS VERREZEN ! n ° 129, avril 2024).
Tous attendaient avec impatience le début de la Procession, dont les “ actes ” ou tableaux illustrent les différents épisodes bibliques et évangéliques ayant trait au Précieux Sang, ainsi qu’à l’arrivée de la Relique à Bruges. Le spectacle, nous avait-on dit, est haut en couleur et en musique ! Nous ne fûmes pas déçus. Trois membres de la Noble Confrérie du Saint-Sang ouvrent la procession, puis des jeunes filles, portant les couleurs blanc et rouge de Bruges, annoncent qu’aujourd’hui est « le plus beau jour de Bruges ». L’harmonie des Scouts royaux Saint Leo rythme le pas. De superbes cavaliers portant les drapeaux du Saint-Sang, de Bruges et de l’Unesco ( !), suivis par les archers de la confrérie de Saint-Sébastien, introduisent le cortège de la Vierge Marie, Patronne principale de Bruges. Son effigie orne plus de trois cents coins de rue dans la ville. Elle paraît ici en reine, souriante et affable, entourée d’un chœur de jeunes filles vêtues de blanc. Comme une invitation à relire toute l’Histoire sainte avec ses yeux et son Cœur à Elle... L’abbé Poppe nous y encourage :
« Chacune des grâces que nous recevons est perlée d’une goutte du Sang de Jésus et d’une larme de notre Mère spirituelle. Chacune des grâces de Jésus est donnée avec un sourire de Marie, Médiatrice de toutes grâces. » (4 août 1922)
L’ATTENTE DU SANG RÉDEMPTEUR
La guilde Saint-Michel des maîtres d’escrime ouvre le premier tableau consacré au Paradis terrestre, dont l’entrée était gardée par l’Ange au glaive fulgurant ! « La Vierge Marie admirait les beautés de l’univers, explique notre Père, avec sa sagesse intérieure, elle accordait à chaque beauté sa place et en faisait un discours de Dieu. » Et pourtant, dans cette nature sortie des mains de Dieu, circule un mal, une tentation, le Serpent... Avec le péché originel, tout a été cassé, blessé, souillé, et ne pourra être purifié que par l’effusion du Précieux Sang de Notre-Seigneur.
Les courtiers servaient d’intermédiaires lors des transactions sur le marché de Bruges. Ce sont eux qui présentent la scène de l’Alliance de Dieu avec Abraham, le Père de notre foi. La “ Voix de Dieu ”, symbolisée par un cavalier, invite Abraham à quitter sa terre. « Cette alliance patriarcale a la fraîcheur des aurores, l’innocence de douces fiançailles. Les apparitions de Dieu sont familières et majestueuses. Il semble trouver sa complaisance dans la fidélité calme et profonde de ce douar, qu’il s’est choisi pour sien parmi tous les peuples de la terre. » (Lettre n° 230)
À Bruges, les “ mesureurs de blé ” étaient responsables de son stockage et de son achat, tout comme Joseph qui, en Égypte, devait gérer les réserves de Pharaon. Ce sont eux qui introduisent les deux scènes de la Bible consacrées au fils préféré de Jacob, vendu par ses frères et devenu leur Sauveur au pays d’Égypte, figurant par avance Jésus-Christ, Sauveur de ses frères... par son Sang.
Dieu se révéla à Moïse et lui fit connaître son Nom, JE SUIS. Puis il l’arma de sa force et l’envoya vers son peuple, pour le libérer de son esclavage, lui faire traverser la mer Rouge, et lui donner sa Loi. Après son installation dans la Terre promise, il lui donna un Roi selon son Cœur, David, aimé de Dieu et de son peuple, avec la promesse que le Messie serait issu de son sang. Alors parurent les Prophètes, dont Élie fut le premier et le plus grand, – des Carmes introduisent ce tableau –, pour défendre sa gloire outragée, annoncer le châtiment des prévaricateurs et maintenir la grande espérance d’Israël. La prophétie du Serviteur souffrant (Is 53) annonce que celui-ci offrira son Sang en sacrifice expiatoire pour le rachat de son peuple et le salut des nations.
Les tailleurs ou artisans de l’aiguille présentent la scène de l’attente messianique, au chant du “ Rorate, cæli desuper ”, parce que la chaîne et la trame de leur métier sont le symbole de l’imbrication du temps et de l’éternité dans la venue du Messie. « Étrangers aux partis et aux sectes, écrit notre Père, les “ pauvres d’Israël ” ont gardé vivante et aimée la Parole de Dieu. Ils attendent le Messie qui doit venir. Dans ces temps de ténèbres où nul Prophète, nul signe de Yahweh ne paraît plus en Juda, ils ont gardé l’espérance. En eux seuls s’acccomplit tout le dessein de Dieu, car ils n’ont plus aucune autre confiance, aucun autre désir que leur amour du Sauveur. » (Lettre 230)
« L’ONDE D’UN SANG VERMEIL... »
Vint la plénitude des temps. La ville de Cologne conservant les reliques des Rois Mages, ses représentants avaient le privilège de figurer le récit de la Nativité et de l’adoration des mages. Jésus est né à Bethléem. Les Anges en annoncent la bonne nouvelle aux bergers. « Voilà que parvient jusqu’à moi l’onde d’un Sang vermeil émanée de ce Cœur d’homme sauveur et de ce Cœur de femme virginal et maternel... Par eux, mon Rédempteur et son admirable coadjutrice, me voici remis en union avec vous, ô Père très clément. » (PAGE MYSTIQUE n° 35)
L’église Saint-Donatien de Bruges avait une école capitulaire, chargée de représenter la scène de Jésus retrouvé parmi les docteurs d’Israël. Comme un mime de la Passion et de la Résurrection par lesquelles il devait accomplir sa mission : « Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être aux affaires de mon Père ? » De ce jour, Jésus prêcha par avance son Évangile à ses saints parents.
Saint Jean-Baptiste est le patron de la ville de Florence, voilà pourquoi les marchands florentins représentaient la scène du Précurseur, qui désigna à ses disciples « l’Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29) avant de subir son martyre. Son sang innocent annonce celui de Jésus, dont la scène au milieu des enfants est présentée par la guilde des instituteurs de Bruges : « Laissez les enfants venir à moi, et ne les empêchez pas, car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. » (Mc 10, 14)
L’Hosanna des Rameaux, appelé aussi chant des anges, est présenté par la “ nation ” anglaise, que saint Augustin comparait aux anges ! Avant de souffrir, Jésus institua son Mémorial. Le tableau de la Cène est présenté par les rhétoriciens du Saint-Esprit, dont la confrérie, fondée un Jeudi Saint comportait treize membres. Attention au traître ! « Prenez et mangez, ceci est mon Corps... Buvez-en tous, car ceci est mon Sang, sang de la nouvelle Alliance, répandu pour beaucoup, en rémission des péchés. » (Mt 26, 27)
« Pour nous, disait notre Père, depuis toujours, ce “ Mystère de foi ” est si net, si clair, que nul n’en ignore rien, mais si bouleversant, si “ vertigineux ”, qu’en y croyant nul n’ose lui donner toute sa dimension, comme d’un Soleil éclatant, rayonnant, douce et pure Lumière illuminant et chauffant nos cœurs mais encore, au-delà, nos familles, nos paroisses, nos patries, et bien sûr, l’Église et le monde entier. »
L’abbé Poppe aimait cette image du Soleil éclatant et y associait volontiers la Sainte Vierge : « Marie est le firmament d’azur qui contient toute chose : tout le pays ensoleillé de l’Église. Jésus est le Soleil dans ce firmament, et nous, nous sommes enfants du Soleil, citoyens du pays du Soleil. Voulons-nous progresser visiblement et élargir puissamment l’influence de Jésus, nous devons sortir de notre étroite maison, rester sous le doux ciel bleu, et bien nous exposer à l’irradiation du soleil de grâce de Jésus qui resplendit et rayonne dans toutes les directions. » (avril 1923)
Au Moyen Âge, les clercs du tribunal de justice, le “ Vierschaar ”, notaient les sentences des échevins. Ce sont eux qui présentent le procès du Christ. Pilate n’eut pas le courage, face à la foule des Juifs déchaînés contre Jésus, de proclamer son innocence. Il le fit néanmoins asseoir sur son siège de juge en disant : « Voici votre Roi ! » La scène des outrages, présentée par la corporation des tailleurs de pierre et maçons de la ville, était difficilement jouable, aussi est-ce un “ Ecce Homo ” qui paraît, escorté et porté par un peloton de légionnaires, rendant hommage à sa Royauté (ci-dessus). Jésus s’est prêté à l’ignominie de la flagellation ainsi qu’au couronnement d’épines avec toute sa volonté de souffrir pour nous sauver. C’est là qu’il a perdu le plus de son Précieux Sang.
Précédé d’un enfant qui présente le titulus, Jésus paraît, portant « pour lui-même la Croix » (Jn 19, 17), l’instrument de notre salut, le signe de son triomphe et de sa souveraineté. Sur le chemin qui monte au Calvaire, il est rejoint par sainte Véronique qui essuie le sang et la sueur de son visage. Quant à la crucifixion, elle est représentée par une copie de la Croix miraculeuse de Damme qu’au treizième siècle, les bateliers de Bruges avaient prise dans leurs filets. Elle est suivie par une émouvante Pieta. « Femme, voici votre fils. – Fils, voici ta Mère. » (Jn 19, 26) Par la compassion de son Cœur percé d’un glaive, Marie enfante tout un peuple : « Donnant votre vie, vous nous donnez encore le reste, vos biens, et de tous vos biens, le plus propre à vous, celui que vous possédiez sans partage et dont vous vous dépossédez, – ah ! les larmes me jaillissent –, dont vous vous détachez avant de mourir pour l’attacher à nous, pour nous l’abandonner et nous le consacrer : le Cœur de votre Mère... » (PAGE MYSTIQUE n° 33)
Milan conserve des reliques du Saint-Sépulcre. La nation lombarde est donc chargée de la scène de la mise au tombeau. Le Christ gisant est escorté de pleureuses et de chevaliers de la famille d’Adornes qui, au quinzième siècle, fit construire à Bruges l’église de Jérusalem. Joseph d’Arimathie porte le calice qui, selon la tradition, a recueilli le sang du Christ. « Ils regarderont vers Celui qu’ils ont transpercé, annonçait le prophète Zacharie, ils se lamenteront sur lui comme on se lamente sur un fils unique. » (12, 10) Le prophète passe ensuite des larmes versées à une source mystérieuse, comme si elles en jaillissaient : « En ce jour-là, il y aura une fontaine ouverte pour la maison de David et pour les habitants de Jérusalem, pour laver péché et souillure. » (Za 13, 1)
Le char rocheux de la Résurrection est impressionnant. Le troisième jour, « comme Il l’avait dit », Jésus est sorti vivant du tombeau, malgré les scellés et les gardes du Temple. Le Suaire qui l’enveloppait a gardé l’empreinte de sa “ gloire ” et les taches de son Sang rédempteur. « Jésus ressuscité, écrit frère Bruno, est apparu à Marie-Madeleine, après avoir visité sa Mère afin de récompenser leur amour, et d’incendier leur cœur de nouvelles flammes. Puis, il s’est montré à ses Apôtres pour fonder leur ministère sur un témoignage oculaire auquel nous sommes tous appelés à ajouter foi afin d’être de ces bienheureux qui n’ont pas vu et qui ont cru. Ce témoignage apostolique porte sur des faits qui sont des “ signes ” lumineux, disposés par la main même de Dieu : leur simple narration est tellement pleine d’intelligence, de sagesse et de miséricorde, que le cœur de celui qui écoute rencontre le Cœur de Dieu et y trouve la Vie en baignant dans sa vérité attestée de son Sang. » (B. A. H., t. 3, p. 44)
Depuis 1528, les fabricants de cierges avaient leur autel dans la chapelle du Saint-Sang. Ce sont eux qui présentent la scène de la Pentecôte. Les Apôtres réunis au Cénacle « virent apparaître des langues qu’on eût dites de feu... Tous furent alors remplis de l’Esprit Saint et commencèrent à parler en d’autres langues, selon que l’Esprit leur donnait de s’exprimer. » (Act 2, 3-4) Jésus et Marie ouvrent leur Règne : « Par eux, me voici rempli de l’Esprit-Saint et devenu membre vivant de ce Corps mystique que leur grâce entraîne sur le chemin de la résurrection bienheureuse. Mais ce qui me bouleverse, c’est ce toucher divin, d’une Chair et d’un Sang précieux, dans ma chair. Un feu m’a envahi. Purification par ce feu, illumination par ce feu, immolation par ce feu, béatitude dans ce feu ! »
UN FEU NOUVEAU DANS L’HISTOIRE
La dernière partie de la Procession raconte l’arrivée de la Relique et sa vénération en Flandre. On voit le comte Thierry d’Alsace à cheval accompagné de Sybille d’Anjou, leur fils Philippe et son épouse Mathilde de Portugal, apporter solennellement la précieuse Relique à Bruges. Le pape Clément V accepta en 1310 qu’y soit organisée une procession annuelle et y attacha d’importantes indulgences. Un messager en apporte la nouvelle à Bruges lors de la foire de mai. Les bourgeois de Bruges entonnent alors un chant de victoire et dépêchent des messagers dans toutes les directions pour l’annoncer à la Chrétienté, tandis que guildes et confréries l’organisent sur place, chacune brandissant sa bannière.
La chapelle de la confrérie de Notre-Dame de la Poterie possède l’une des plus anciennes Vierges des Flandres. Chaque année, le 15 août, est organisée une procession, appelée “ le serment brugeois ”, en accomplissement du vœu que firent les femmes de la ville lorsque leurs maris et pères livrèrent bataille au roi de France Philippe le Bel à Mons-en-Pévèle en 1304. Bataille qui, comme chacun sait, tourna à l’avantage du roi Philippe, qui punit ses sujets révoltés en leur ordonnant d’aller en pèlerinage à Rocamadour !
En 1799, sous l’occupation française (des sans-culottes), la cathédrale Saint-Donatien fut vendue comme bien public et rasée. De nombreux trésors d’art et religieux furent transférés à l’église Saint-Sauveur, parmi eux, les reliques de saint Donatien, patron du diocèse, ainsi que celles de saint Éloi, bien connu en France, elles sont intégrées dans le cortège.
Escortant la statue de Notre-Dame du Rosaire, le chœur du témoignage célèbre le Saint-Sang, précédé du tintinnabulum et du conopée de la chapelle, qui fut érigée en basilique mineure en 1923. Enfin paraît la sainte Relique, dont la guilde de Saint-Georges forme la garde d’honneur ! Comme beaucoup parmi la foule des spectateurs, nous nous mîmes à genoux pour l’adorer, comme ostensoir du Précieux Sang de Notre-Seigneur, tandis que se faisaient entendre les notes du carillon mobile, l’instrument typique des beffrois des villes flamandes, rythmant les évolutions des porteurs de drapeaux qui fermaient la marche.
« Pour sauver la société chrétienne, disait l’abbé Poppe, aucune institution ou force naturelle ne doivent être exclues ; mais aucune d’elles n’est suffisante... La société a besoin d’un secours supérieur et d’une impulsion surnaturelle. Tout doit être restauré dans le Christ et par le Christ. Or le Christ, c’est avant tout l’Hostie. »
En ce jeudi de l’Ascension, il était tout indiqué de terminer par un pèlerinage à la Sainte Vierge. « Lui est parti, disait notre Père, mais Elle, Elle reste. Pourquoi Notre-Seigneur l’a-t-il laissée en arrière ? Pour nous. Il était réservé à nos derniers temps d’en prendre conscience... Moi, j’ai mon Ciel sur la terre, c’est Lourdes. C’est vraiment notre Mère qui est venue du Ciel sur ce rocher pour encourager son peuple à garder sa foi. » (Sermon du 12 mai 1994)
NOTRE-DAME D’OOSTAKKER
Les Flamands ont leur petit “ Lourdes ” au sanctuaire d’Oostakker, à cinq kilomètres au nord de Gand. Au début des années 1870, la marquise de Courtebourne voulut transformer un ancien ermitage en aquarium, c’était la mode. Elle en fit revêtir l’entrée de rochers artificiels. Son curé lui suggéra alors d’y placer une statue de Notre-Dame de Lourdes et la bénit, accompagné de ses paroissiens, le 29 juin 1873. À partir de ce jour, de nombreux pèlerins se rendirent au “ rocher d’Oostakker ”.
Le 7 avril 1875, la guérison miraculeuse de Pierre De Rudder, ouvrier des champs, qui retrouva l’usage de sa jambe écrasée par un arbre, après avoir fait trois fois le tour de la grotte, marqua un tournant décisif dans le développement du sanctuaire, qui devint le rendez-vous marial de la Belgique catholique. La marquise demanda la permission à l’évêque de Gand de construire une chapelle. « Non, Madame, lui répondit-il, ce qu’il faut, ce n’est pas une chapelle, mais une église. » Il en posa la première pierre un mois après la guérison de Rudder, et deux ans plus tard, l’église était achevée ! Le miracle de Pierre De Rudder ne fut reconnu qu’en 1908. L’église fut élevée au rang de basilique mineure en 1924.
Un des chapelains nous y reçut cordialement et permit à notre frère Edward de prêcher. L’abbé Poppe est venu souvent à Lourdes-Oostakker, à des moments importants dans sa vie, en action de grâces, et une fois pour renouveler sa Consécration à la Sainte Vierge. Quand il était séminariste ou vicaire à Gand, il venait à pied, le temps de réciter les quinze mystères du Rosaire. À chaque visite, il déposait ses résolutions aux pieds de Marie, comme un bouquet, et confiait sa vocation à sa protection maternelle. Il restait longtemps agenouillé devant la grotte, « car il fait bon ici, disait-il, et notre Mère y parle au cœur ».
Par notre consécration à la Sainte Vierge, disait-il, « nous reconnaissons notre totale dépendance vis-à-vis d’Elle, et par Elle, de Jésus et la Sainte Trinité ». Toutes les grâces passent par les mains maternelles de notre Médiatrice. À Julia Ronse, qui voulait se consacrer comme lui à la Sainte Vierge, il disait : « Attachez-vous à votre Médiatrice, Elle a un bon secret. Ne la lâchez pas, il faut qu’Elle vous l’apprenne à fond. »
Et à un confrère des Filioli : « Petit frère, vous êtes-vous déjà donné entièrement à notre Mère ? Non ? Faites-le ! Ne craignez pas, vous ne pouvez qu’y gagner. J’ai conclu un pacte avec Marie : qu’Elle me laisse vivre suffisamment de temps pour que je puisse faire tout le bien que Dieu veut que je fasse. Et Elle le fera ! Il est vrai qu’un tel pacte exige beaucoup de confiance. »
À Gand, Edward fit la connaissance de Roza Beke, une ouvrière qui suivait ses cours de catéchisme. « Il insistait pour que nous nous représentions Notre-Dame comme présente, que nous nous agenouillions devant Elle, que nous lui demandions sa bénédiction et que nous pensions qu’Elle nous bénissait réellement. À l’occasion d’un concours, il nous donna comme prix le livre de la Vraie dévotion à la Sainte Vierge. » Quand l’abbé Poppe fut nommé vicaire à Sainte-Colette, ils restèrent en contact. Un jour il lui dit : « Roza, allez à Oostakker cet après-midi, et restez là agenouillée devant la Sainte Vierge, je viendrai aussi. » Elle priait depuis un moment devant la grotte, quand l’abbé Poppe se joignit à elle. Après quelques instants de prière silencieuse, il lui demanda :
« Roza, aimez-vous les enfants ?
– Oh, bien sûr que oui, monsieur le vicaire, je les aime de tout mon cœur.
– Alors, au nom de la Sainte Vierge, je suis venu vous demander de vous occuper des enfants. »
C’est ainsi que l’Œuvre des catéchistes fut fondée et que sa première catéchiste fut recrutée.
Mais la tâche à Sainte-Colette s’avéra trop lourde pour la santé de l’abbé Poppe. Son directeur spirituel l’obligea à demander son changement de poste. Apprenant que la place de recteur à Oostakker était vacante, le désir grandit chez lui d’y être nommé. Son directeur l’y encouragea. Edward se réjouit de la perspective de vivre si proche de sa Mère. Mais le Bon Plaisir de Dieu en décida autrement. Il accepta vaillamment ce sacrifice. « Manque de discrétion ou propre faute, je fais volontiers le sacrifice de cette place et j’y vois la volonté de Dieu... Mère, je me donne entièrement à Vous pour que Vous me donniez entièrement à Dieu. »
C’est dans ces dispositions intimes que, venant à Oostakker le 8 septembre 1918, il y renouvela sa Consécration à la Sainte Vierge. « Si tu ne te sacrifies pas totalement, tu agis comme un fou. Seigneur, je me considère dès à présent comme un homme donné. »
Notre saint vicaire avait un ami d’enfance, Pierre Van Rossum. Concitoyens de Tamise et confrères au petit séminaire de Saint-Nicolas, ils devinrent amis. Mais à Gand, Pierre adhéra à un club libéral pendant ses études et en 1913, il rompit avec l’Église. Un jour, il vint le visiter à Gand : « J’ai voulu me grandir en lui disant que j’écrivais maintenant des articles pour des journaux socialistes, mais tout de suite après, j’ai pleuré longtemps dans ses mains. Il me dit alors ces paroles, que je n’ai jamais oubliées : “ Je ne vous lâcherai jamais. ” » Edward fit alors la promesse à la Sainte Vierge de neuf pèlerinages à Oostakker pour demander la conversion de son ami.
Pendant la guerre, Pierre avait collaboré avec les Allemands. Au moment de l’armistice, il quitta le pays et fut condamné à mort par contumace pour trahison et s’exila aux Indes. « Après trente années de séjour à l’étranger, sans aucun contact avec l’Église catholique, du reste devenu dur comme fer, un jour, malade au lit, dans une chambrée de soldats blessés et amputés, je reçois la brochure, “ Vie d’un prêtre ”, que ma sœur religieuse Edwardine m’avait envoyée. Je revois la photographie d’Edward, la vue sur Tamise et sur la maison des Poppe, la photo avec l’abbé De Sutter où je me trouve à côté de lui ; et je lis une partie du texte. Et si jamais quelqu’un s’est effondré sous un coup de foudre, c’est bien moi à ce moment : effondré sous le coup du regard d’Edward... Rentré chez moi, après en avoir parlé à ma femme, je me suis réconcilié avec l’Église. Cette grande grâce, c’est Edward Poppe qui me l’a obtenue. Il ne m’avait pas lâché. » Notre-Dame d’Oostakker non plus ! Van Rossum se dévoua à la cause de béatification de son saint ami, traduisit sa biographie en français.
Le 5 août 1923 eut lieu un grand pèlerinage de la Croisade eucharistique pour célébrer les cinquante ans de la fondation du Sanctuaire d’Oostakker. Des milliers d’enfants étaient rassemblés, en présence de Mgr Seghers, et récitèrent ensemble, pendant le Salut du Saint-Sacrement, la Consécration à Marie Médiatrice, composée par l’abbé Poppe. « À la Croisade eucharistique j’ai donné ma Mère, disait-il, et à cette Mère, j’ai donné la Croisade eucharistique. J’ai toujours dit : Allez à notre Mère ! C’est Elle qui nous apporte les grâces qu’Elle reçoit de Jésus. »
Le soir, nous étions hébergés à Saint-Nicolas au collège Saint-Joseph, autrefois le petit Séminaire. C’est là qu’Edward fit ses études, que se confirma sa vocation sacerdotale, le jour de l’Ascension 1909, qu’il se consacra à la Sainte Vierge, et qu’il comprit ce que Notre-Seigneur attendait de lui : « Mon fils, je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Je sais que tu détestes le vilain monde et que, par amour pour Moi, tu voudrais le fuir entre les murs paisibles d’un monastère. Mais vois ces milliers de pauvres ouvriers qui, trompés par des chefs antichrétiens, ne veulent plus de Moi et qui ont quitté le bercail. Tu sais que je suis le Bon Pasteur et que J’ai donné ma vie pour mes brebis. Je veux que tu ailles les arracher au monde et que tu les ramènes au bercail. Tu seras mon soldat, le soldat du Christ, et tu feras la guerre sainte en ton propre pays. Tu lutteras et Je lutterai pour toi. Toute autre vocation n’est pas la tienne. Tu seras du monde sans y appartenir. Le cloître n’apporte la paix qu’à ceux que j’y appelle. Toi, mon fils, tu ne trouveras la paix que dans la guerre. »
DE TAMISE – SUR – L’ESCAUT A MOERZEKE
« VOTRE REGARD SUR MOI. »
La deuxième journée de notre pèlerinage fut consacrée aux lieux où naquit et vécut Edward Poppe.
Et d’abord la petite ville de Tamise (Temse), en bordure d’une courbe de l’Escaut, dans l’heureux pays de Waes. Désiré Poppe avait épousé en 1885 Joséphine Ogiers de Thielrode dans l’église paroissiale de ce village, dédiée à saint Joseph. Pauvres de biens, mais confiants en la bonté de Dieu, les deux époux vinrent s’établir à Tamise, dans une humble maison de la rue des Pêcheurs, perpendiculaire au quai de l’Escaut. C’est là que, le 18 décembre 1890, naquit Edward, appelé familièrement par tous “ Wardje ”.
Son père exerçait la profession de boulanger. Le four fut maçonné dans une des deux caves de la maison, l’autre servant de réserve pour le bois et le charbon. Joséphine tenait, avec le débit de pain, une de ces pittoresques boutiques des quartiers populaires, où l’on vend divers produits de confiserie. L’église étant toute proche, elle assistait autant qu’elle le pouvait à la messe quotidienne.
Ce fut une première grâce pour Edward, de naître dans une de ces familles flamandes dans lesquelles une foi traditionnelle indiscutée était le fondement de la vie, et qui fut une pépinière de vocations : sur les onze enfants, dont trois moururent en bas âge, deux garçons devinrent prêtres et cinq filles prirent le voile.
De bonne heure, Edward se montra pieux, doué et droit. Il était sociable et d’une gaîté communicative, plein d’attentions pour ses parents, frère et sœurs, même s’il ne résistait pas toujours à leur jouer des tours pendables ou une taquinerie. À la maison, Joséphine Poppe imprégnait de dévotion l’âme de son petit Edward, avec un amour de prédilection filiale pour la Sainte Vierge. Chaque journée s’ouvrait et se fermait par la récitation de trois Ave. Pendant le mois de mai, une statue de la Vierge sur la cheminée entre deux bougies s’ornait de fleurs nouvelles. Edward et ses sœurs en prenaient soin et, chaque soir, disaient leur prière devant leur Mère du Ciel. La piété de la maman se traduisait en une sincère charité pour les pauvres. Jamais un mendiant ne se présentait à la boutique sans recevoir quelque chose. Un jour où madame Poppe dit à Edward de donner une vieille chemise à un loqueteux, il lui répondit : « Oui, maman, mais donnez-lui en plutôt une neuve. »
« Jour de semaine, jour de travail », était la devise de son père. À douze ans, il initia Edward au métier : chauffer le four, pétrir la pâte, enfourner le pain. L’apprenti boulanger devait, avant la classe, procéder à ces opérations. Souvent, il apprit ses leçons à la clarté du four. Après l’école, Edward faisait la tournée de distribution du pain à domicile. Plus tard, il dira : « Quand je partis pour le collège, je n’avais plus grand-chose à apprendre : en portant le pain à domicile, j’en avais tant vu dans les ménages, les cabarets et les sentiers écartés ! » Devant le mauvais exemple de ces camarades, sa réaction était nette : « Je ne vais plus avec un tel, disait-il à sa mère, il fait des choses qui ne sont pas convenables. »
Edward sentait cependant que Jésus l’appelait à un plus haut service. « Seigneur, jusqu’à mes quatorze ans, je me croyais inaperçu au milieu du peuple fidèle, sans me douter de vos vues particulières sur moi. Mais alors, étonné et frémissant d’allégresse, j’ai senti votre doigt et votre regard fixés sur moi et, plein de joie, je vous entendis appeler par mon nom. » Le directeur des écoles catholiques de Tamise, l’abbé De Sutter, qui avait deviné en Edward la vocation sacerdotale, proposa à ses parents de lui enseigner les rudiments du latin, pour qu’il puisse continuer ses études. C’était un dur sacrifice pour le père, dont la santé chancelait, de laisser partir ainsi son aîné. Il s’inclina devant la volonté de Dieu, mais prenant son fils à part, il lui déclara :
« Si Dieu t’appelle, ton père en sera heureux. Mais écoute bien ceci : je ne veux pas que, comme prêtre, tu aies une meilleure vie que celle que tu aurais eue ici ; je ne veux pas que tu deviennes le flatteur des riches, mais l’aide et le consolateur des malheureux. De la conviction et du travail ! sinon mieux vaut rester à la boulangerie. »
En septembre 1905, Edward fit son entrée au petit séminaire de Saint-Nicolas. Aux jours de grande sortie, au lieu de partir en excursion, il demandait à retourner à la maison. D’arrache-pied, il travaillait à la boulangerie pour que son père affaibli pût prendre quelque repos. Quand son père succomba à la maladie début 1907, il laissait sa femme seule avec huit enfants entre trois et vingt ans. Avant de mourir, il exprima son désir à son épouse éplorée : « Si ce n’est pas trop demander, je voudrais que vous fassiez tout pour qu’Edward puisse poursuivre ses études. Nous ne nous sommes pas unis pour rendre nos enfants riches, mais pour qu’ils soient heureux. »
Et Edward retourna au petit Séminaire.
TAMISE, EN AVANT !
À sept ans, Edward passa à l’école des Frères de la Charité. Il s’y montra élève intelligent et studieux. Il dessinait avec adresse, et chantait comme un ange. Ses parents lui avaient offert un violon, qui fut longtemps son ami préféré. Il suivit les cours de l’académie locale, où il eut quelques succès. Aux représentations dramatiques données dans les patronages, il tenait des rôles aux applaudissements du public. Toujours il y eut en Edward un artiste et un poète.
Des Frères, il apprit à rendre un culte public à sa Reine du Ciel : « La journée débutait par une salutation pieuse, casquette en main, à la statue de la Vierge érigée au milieu de la cour... Quand j’étais petit, je demandais chaque matin à la Vierge Marie : “ Bonne Mère, prenez soin, s’il vous plaît, de ma vocation : faites que je devienne saint et que je puisse faire beaucoup de bien plus tard. ” » Les Frères s’efforçaient également de rendre la jeunesse fière de sa langue, de sa religion et de son histoire. Dans ce but, ils organisaient des activités extrascolaires en flamand. Le Cercle linguistique flamand (Vlaamsche Taalbond) s’intéressait aux écrivains locaux. À onze ans, Edward y tint sa première conférence et, deux ans plus tard, il était élu président du cercle ! Plus tard, quand il adhéra à la Ligue des étudiants flamands, c’était par amour bien compris de son peuple. « Être catholique, être flamingant, être social, cela doit aller ensemble chez nos garçons », disait l’abbé Prims, un des directeurs de la Ligue. À vingt-deux ans, Edward fut élu président de la section de Tamise, “ Tamise en avant ”.
Sur le parvis de l’église a été érigé un monument en l’honneur de l’enfant de Tamise élevé sur les autels. On y voit représentés les étudiants de la Ligue, ainsi que les pauvres gens des quartiers déshérités de Tamise et de Gand. Tout comme son père, Edward souffrait de la misère des ouvriers qui, derrière le drapeau rouge, tournaient le dos à leurs prêtres et s’éloignaient de l’Église. Ce fut son souci constant de lier son amour des pauvres au souci de son peuple.
Au centre de la scène, on voit l’abbé Poppe avec son écharpe, accueillant les enfants qui lui mendient du pain, corporel mais aussi spirituel. « Quand je vois les âmes des enfants se perdre en masses et que je les vois dépérir jusque sur les bancs des écoles, quand je vois si peu d’amour pour Jésus et Marie, alors dans nos classes, nos patronages, nos salles de conférences et même dans nos églises, il faudrait écrire en lettres d’or : “ Nourrissons nos enfants ! ” Rassemblons nos chers enfants autour de la Sainte Table où Jésus se donne en nourriture. » C’est dans ce but qu’il fondera la Croisade eucharistique et mariale.
Dans cette œuvre de sanctification du peuple, il était soutenu par des religieuses, à commencer par ses propres sœurs, dont il sollicitait sans cesse les prières et sacrifices. Il écrivait à sœur Élisabeth de la Trinité, du Carmel de Lokeren : « Dans nos œuvres de catéchistes, il y a des petites merveilles de grâce qui se révèlent : il y a des enfants recueillis dans les impasses de Gand ou dans les coins d’une mansarde de socialistes et qui se transforment en de vrais petits saints... Savez-vous que bientôt vous serez, vous, petite carmélite, l’imitatrice de Marie ? »
L’ÉGLISE NOTRE-DAME
Quand, au milieu du jeu le plus passionnant, sonnait la cloche de l’église, Edward laissait tout pour se rendre au Salut, et ses camarades suivaient. Sa voix pure et chaude donna l’idée au sacristain de le désigner comme chantre. C’est à l’église Notre-Dame que nous terminâmes notre première station de pèlerinage.
C’est là qu’Edward fut tenu au-dessus des fonts baptismaux, le lendemain de sa naissance, le 19 décembre 1890. Dans ses deux autres prénoms de baptême, Jean et Marie, il voyait sa vocation particulière d’enfant de Marie, car il voulait dépendre pour toujours de sa Mère du Ciel. Sa deuxième grâce fut de faire sa première communion dans cette église, le 20 mars 1902. Lors de l’interrogatoire final des leçons de catéchisme, il surpassa tous ses camarades et obtint la médaille d’honneur. Son concurrent se mit à pleurer sur son échec. Edward eut pitié de lui et lui offrit la médaille. Enfin, la troisième grâce fut d’être confirmé et de recevoir le scapulaire de Notre-Dame du Mont-Carmel. Plusieurs de nos pèlerins firent de même.
Pour l’abbé Poppe, la Sainte Vierge nous enfante à la vie de la grâce, Elle nous donne Jésus, Elle nous confirme dans notre vocation à la sainteté. En ce 10 mai, nous relûmes ce que le bienheureux écrivait à mère Madeleine, du carmel de Malines, le 10 mai ( !) 1924 : « Chère sœur, aidez-moi à guérir surtout intérieurement, car je veux être comme Jésus et Marie veulent que je sois. Je dois tellement renaître, et être transformé en Marie, que je sois un second Jésus. Je dois être un enfant de Marie pour que j’aie le regard de Jésus dans mes yeux, sa flamme dans mon cœur, son Esprit dans toute ma vie. »
SAINTE-COLETTE DE GAND
De Tamise, nous gagnâmes Gand, pour retrouver notre saint dans son premier ministère à Sainte-Colette. Cette paroisse ouvrière, fondée en 1894, est située dans un faubourg au sud de la ville. Elle était, à l’époque de l’abbé Poppe, « rouge de socialisme et noire de la misère de guerre ». C’était un champ d’action idéal pour le zèle du nouveau vicaire. N’avait-il pas confié à son Journal spirituel, juste avant sa nomination : « Le sacerdoce est croix et martyre, paix et joie » ?
En juin 1916, c’est au pied du tabernacle qu’il passa le plus clair des premières semaines. Prière, sacrifice, eucharistie, tout comme l’Ange de Fatima au même moment. À l’exemple du P. Chevrier, fondateur du Prado de Lyon, il demanda à son curé de fonder une Ligue de communion. « Il n’y a qu’un tout petit nombre d’habitants qui se soucie de Jésus. Alors nous, aimons-Le en particulier par des communions bien préparées, par une vie sainte et édifiante. »
Pour attirer les enfants, les rapprocher de Jésus et les encourager à la communion fréquente, il créa l’Œuvre des catéchistes. L’une d’elles, Julia Ronse, témoigne : « L’abbé Poppe était le premier prêtre que j’ai vu vraiment prier : son attitude et son expression étaient un commerce intime et plein d’amour avec Dieu. Le voir prier faisait prier... De même, pour moi c’était le premier prêtre que j’entendis vraiment prêcher. Cela sonnait vrai, avec des mots et des gestes justes, et pénétrait l’âme. Sa parole passait comme une épée à travers toute résistance et atteignait les cœurs. »
Il mobilisa de pauvres ouvrières dans une Ligue de réparation des blasphèmes entendus à l’usine : « Les humbles seuls, qui attendent tout de Dieu et de Marie, persévéreront et feront du bien. Soyez des consolatrices des Cœurs transpercés de Jésus et de Marie. Ils sont si peu aimés. Restez entre vous unies comme des sœurs dans son Cœur maternel. »
Pratiquant la pauvreté radicale à l’école du Père Chevrier et du Curé d’Ars, l’abbé Poppe donnait tout ce qu’il pouvait pour soulager la misère de la paroisse. Mais il s’épuisait et son curé s’irritait de ses initiatives “ imprudentes ”. À l’église, on le surprenait parfois priant les bras en croix. Il était prêt à payer, par le sacrifice, le rachat des âmes que la divine Providence lui avait confiées. Dans son Journal spirituel, on retrouva cette prière :
« Jésus eucharistique, Dieu qui restez ici dans votre Tabernacle solitaire d’où vous cherchez toujours du regard et d’un grand désir toutes les âmes de Sainte- Colette et les attirez à Vous ! Vous les attirez à Vous, à votre amour, car Vous êtes Amour. Vous les invitez doucement : vous attirez même les cœurs fermés, désirant sans cesse le salut de ceux qui se perdent... Quelle triste solitude, quelle fiévreuse soif d’amour ! Que ces cœurs sont sourds, que ces âmes sont froides ! Ô Jésus, envoyez-moi avec VOTRE soif, avec VOTRE désir, VOTRE zèle, VOTRE incendie d’amour qui touche, embrase, consume et fusionne tous les cœurs. Oh, envoyez VOTRE feu. Vous voulez qu’il soit allumé : je le porterai afin qu’il éclaire et réchauffe toutes ces âmes tristes et froides. »
Mais bientôt, il se vit ôter par son curé et par l’évêque lui-même la direction de la Ligue de communion et de l’Œuvre des catéchistes. Il s’inclina par obéissance... Il était venu dans cette paroisse pour allumer dans les âmes le feu de l’Évangile qui brûlait le sien, la flamme brûla et brilla un moment.
En mai 1918, il écrivait à des séminaristes qui se préparaient à leur ordination : « Puissions-nous être les prêtres de Marie ! Marie, ayez compassion de votre Église. Marie ! Marie ! L’incrédulité et la corruption rampent par les rues des villes, par les petites portes et les grands portails, et le fléau du péché pénètre dans des millions d’âmes. La haine et l’injustice dominent les peuples et les pays. Ce qui avait été épargné pendant des siècles s’effondre. Marie ! Marie !... Le démon fera-t-il maintenant la loi dans la rue, dans le village, dans l’école, dans la maison ? Va-t-il faire disparaître le divin Évangile de votre Fils de la société et de l’esprit des chrétiens eux-mêmes ? Va-t-il faire adorer Mammon à la place de la divine Croix ? Marie ! Marie ! Le monde est châtié. Formez, Vous, les âmes qui arrêteront le bras de Dieu, les âmes au cœur de feu pour enflammer ce monde sec et froid et donnez-leur un langage nouveau qui aille droit au cœur et qui remue les âmes les plus endurcies ! »
AU CŒUR HISTORIQUE DE GAND
Après la messe et le pique-nique préparé par nos amis, nous visitâmes le cœur historique de Gand, depuis l’église Saint-Jacques, par les quais de la Lys, jusqu’à l’ancien séminaire et la cathédrale Saint-Bavo. Les souvenirs abondent du zélé séminariste ou du jeune prêtre exerçant son ministère. Un jour, Edward se rendait à pied dans une paroisse pour y faire le catéchisme, il était accompagné d’un confrère, qui lui avoua qu’il éprouvait du respect humain. Edward lui répondit que, quand on devient enfant de Marie, « en bonne Mère elle nous tricote une robe de simplicité et de sainteté », qui nous aide à ne plus nous préoccuper de ce que les gens pensent ou disent. Et sans plus attendre, il entonna à haute voix les Litanies de la Sainte Vierge.
Au grand Séminaire de Gand, où Edward passa quatorze mois, de septembre 1913 à juin 1916, entrecoupés par la mobilisation et la guerre, il exerça sur ses condisciples, par sa vertu et son intelligence, une forte influence. « Nous, les juniores, avions immédiatement remarqué ce grand séminariste élancé de mine ouverte et gentille. Il observait ponctuellement le Règlement. De plus, nous apprenions que c’était une grosse tête : il pouvait puiser et donner à boire de l’eau vive, parce qu’il avait vaillamment approfondi les sources de la foi. » Pour directeur spirituel et confesseur, il avait choisi l’abbé Van Crombrugghe, qui était le meilleur théologien de Belgique, solide antimoderniste et fervent apôtre de Marie Médiatrice.
Au séminaire, il y avait un groupe de séminaristes regroupés en une fraternité pieuse, fondée quelque temps auparavant par l’un d’eux, Robert Messiaen, les Filioli caritatis. Edward s’y agrégea d’enthousiasme et bientôt sa ferveur mariale se transmit rapidement à tout le groupe. Il les invitait dans sa cellule, les faisait s’agenouiller d’abord au pied d’une statue de la Sainte Vierge, pour lui envoyer “ une flèche de feu ” et leur parlait d’Elle d’abondance de cœur. Il forma ainsi le noyau d’une petite armée qu’il appelait modestement “ l’Action de Marie ”, en dépit des critiques essuyées au Séminaire et au sein du clergé gantois.
Le 29 mai 1915, en la fête de la Pentecôte, il reçut le sous-diaconat, après avoir prononcé le serment antimoderniste, rendu obligatoire par saint Pie X pour faire barrage à la grande hérésie du vingtième siècle : « Le modernisme et son esprit, écrivait-il, si récalcitrant à accepter le surnaturel, qui ne veut pas entendre parler de miracles, qui admire les autres-pensants et se méfie de notre Mère la Sainte Église, qui rougit de la croyance au Purgatoire et se tait sur l’enfer, je l’exècre de toutes mes forces. »
Son directeur en témoignera : « L’Église était pour lui véritablement le Christ vivant sur terre. La splendeur de l’Église était son orgueil, Sa victoire était sa joie. Sa lutte était son souci et Sa défaite sa douleur. Il enseignait et pratiquait ce que l’Église recommandait et il méprisait de tout son cœur ce qu’Elle condamnait. Ceux qui le fréquentaient apprirent à chérir l’Église. » Tout comme l’abbé de Nantes, trente ans plus tard, au séminaire d’Issy-les-Moulineaux.
Le 1er mai 1916, Edward fut ordonné prêtre dans la cathédrale Saint-Bavo. La veille, il avait écrit son acte d’oblation, s’offrant comme victime à Jésus, il serait hostie pour l’Hostie : « Cœur eucharistique de Jésus, me voici victime avec Toi, pour les pécheurs, à jamais. » La Sainte Vierge était là aussi plus que jamais. « Totus tuus sum : c’était la joie, la confiance, le cri de guerre d’Edward. Il écrivait AVE MARIA à chacune des pages de ses cahiers. »
Pour la cérémonie d’ordination, seules sa mère et trois de ses sœurs étaient présentes, car les autres membres de la famille n’avaient pu se procurer un laissez-passer. Après la messe, elles se rendirent au séminaire, où l’heureuse maman s’agenouilla pour recevoir la première bénédiction de son fils prêtre.
RECTEUR DE MOERZEKE
Retrouvons l’abbé Poppe au moment où il quitte la paroisse Sainte-Colette pour gagner le pauvre couvent des Sœurs de Moerzeke, dont il a été nommé l’aumônier. C’était le 7 octobre 1918, en la fête de Notre-Dame du Saint Rosaire. La maison où il fut accueilli chaleureusement comptait une douzaine de religieuses et autant d’orphelines et de vieillards. D’emblée, le bon visage du recteur, son aimable sourire et son regard plein de douceur lui gagnèrent tous les cœurs. Le déchargement fut vite fait : deux ou trois pauvres meubles, un lit de camp, deux coffres, quelques livres, une image du Sacré-Cœur. « Venez manger, monsieur le directeur, vous devez avoir faim. » Mais à peine est-il assis, qu’il se relève comme un ressort. « Mon Dieu ! Comment ai-je pu oublier ? Ma sœur, permettez que j’aille d’abord dire bonjour à Notre-Seigneur. Voulez-vous m’indiquer le chemin de la chapelle ? » Il n’omit plus jamais cette pieuse démarche à l’Ami du Tabernacle.
Il allait passer quatre ans à Moerzeke, la moitié de sa vie sacerdotale, avec une coupure d’un an à Bourg-Léopold. Au bout d’un mois, madame Poppe reçut de l’évêque la permission de venir s’installer, avec sa plus jeune fille Suzanne, à Moerzeke. Les occupations du jeune directeur n’étaient pas absorbantes : à l’intérieur, service de chapelain auprès des sœurs et des pensionnaires, messe quotidienne dans la chapelle du couvent, Heure sainte chaque jeudi soir et quelques conférences spirituelles ; au-dehors, une aide occasionnelle au curé pour les offices, les confessions, le catéchisme. Rien que de bien ordinaire, et pourtant le feu qui embrasait son cœur sacerdotal allait bientôt gagner de proche en proche d’autres âmes, des milliers d’âmes ! et embraser la Belgique tout entière.
Par bonheur, le jeune vicaire de la paroisse était un “ Filioli ”, Leo de Keukelaere. Une vive amitié spirituelle se noua entre les deux prêtres. Mais trois mois n’étaient pas écoulés que Leo tombait gravement malade ; au cours de sa longue agonie, soudain il s’écria à l’adresse d’Edward qui le veillait : « Le secret de Marie... Marie est tout ! Aimer Marie, c’est tout. L’amour de Marie est comme une flamme qu’on allume... Elle est l’amour même ! En Elle nous avons tout. »
Autre rencontre providentielle : le 17 novembre 1918, après la messe solennelle et le Te Deum pour l’Armistice, Edward fit connaissance d’un jeune rédemptoriste natif de Moerzeke, le Père Van Haute, qui allait devenir, même après son départ pour le Canada, son directeur spirituel. Ces deux âmes de feu se comprirent tout de suite, partageant le même enthousiasme pour la Médiation de grâce de Marie et la folie de la Croix. Ce fut, pour l’abbé Poppe, son Duc in altum, une confirmation de viser à une plus haute perfection et de laisser déborder son zèle pour le Règne effectif de Jésus et Marie. Car il souffrait de voir que « la flamme du Règne ne brûle plus dans l’Église. Jésus est étouffé dans le clergé, alors qu’il devrait se répandre ! »
« JE ME SUIS OFFERT... »
Bien entouré et bien soigné, l’abbé Poppe retrouva un peu d’énergie. Début mai 1919, il se rendit à Louvain pour une réunion organisée par les Filioli dans l’abbaye du Mont-César. Quelques jours auparavant, il avait écrit aux Filles du Sacré- Cœur de Berchem pour solliciter des prières. Il prévoyait que ces trois jours seraient d’une importance capitale pour rallumer le zèle de ces jeunes prêtres et relancer le mouvement des Filioli dans le pays. « Si Jésus règne en nous, prêtres, alors, Il règnera dans nos paroisses et instituts en détresse, car Jésus n’est plus aimé ! »
Pendant le triduum, malgré la joie fraternelle qui régnait entre eux, les prêtres se perdaient dans les choses du monde et comptaient trop sur des moyens humains. Le dernier jour, Edward demanda la parole et son intervention produisit une profonde impression. Il se contenta de brosser le portrait d’une vraie vie sacerdotale et mariale. « Sa parole pénétra les âmes comme un couteau... Tout le monde sentit le vent du Saint-Esprit. » Un des participants dira à la fin de sa vie : « J’en ai gardé le souvenir toute ma vie avec joie et tremblement. »
Mais il fallut en payer le prix. Quelque temps plus tard, Edward confiait à son nouveau directeur : « Quand, au Mont-César, les choses prenaient mauvaise tournure, je me suis offert en disant que j’acceptais un long martyre par un lent épuisement. » Il avait compris que, pour devenir apôtre des prêtres, Notre-Seigneur lui demandait son immolation totale, mais que la Vierge Marie l’accompagnerait sur ce chemin de croix. Le 3 mai suivant, il écrivait à un ami :
« Aujourd’hui, premier samedi du mois : indulgence plénière pour ceux qui communient en réparation à Marie et qui font quelques mortifications en son honneur. »
Et Jésus le prit au mot. Le 11 mai, l’abbé Poppe subissait une première crise cardiaque, suivie bientôt d’une seconde, qui le conduisirent aux portes du tombeau. Il prit son Acte de consécration, qu’il portait toujours avec lui, le data de ce 11 mai 1919, et le signa des mots « S (ervus) M (ariae) in aeternum ».
L’abbé Seys, vicaire d’une paroisse voisine, était aussitôt accouru à son chevet. « Jamais, écrit-il, je n’oublierai cette soirée. Edward me chuchotait à l’oreille quelques remarques sur les affaires sacerdotales. Dans le silence recueilli, les yeux déjà fixés sur le Ciel, nous récitâmes en prêtres, saintement, moi à voix haute, le TE DEUM. Il me semblait céleste, l’âme sans voiles, me disant : “ Frère, je n’ai jamais demandé à Notre-Seigneur de vivre longtemps ni d’être heureux, même pas de devenir saint. J’ai seulement demandé qu’Il soit beaucoup aimé. ” »
RAYONNEMENT SURNATUREL
Réduit à une impuissance et une immobilité forcée, exposé à tout instant à une rechute fatale, c’est alors que l’abbé Poppe donna toute sa mesure et que son activité apostolique s’épanouit en une magnifique moisson eucharistique et mariale à travers la Belgique. Plein de foi et de magnanimité, il écrivait un jour à un religieux de Bruges : « Ne trouvez-vous pas qu’en Flandre devrait refleurir le “ siècle d’or ” : le siècle d’or de la dévotion mariale ? Quel gage de soumission filiale et de vie intérieure toute simple ! À l’heure actuelle, c’est surtout l’application de la Médiation des grâces de Marie qui pourrait être le moyen d’un renouvellement de la vie religieuse. »
De tous côtés, on venait à Moerzeke, chercher auprès de lui lumière et réconfort. « La première fois que je le vis, disait le cardinal Mercier, je fus remué jusqu’au fond de l’âme : un courant de grâce émanait de lui. » Un autre évoque « son esprit de décision, sa logique de fer ». Le P. Vanmaele d’Averbode témoigne : « Le Bon Dieu l’avait gratifié d’une espèce de charisme. Un entretien avec l’abbé Poppe était une véritable grâce, et on sortait de chez lui éclairé, réconforté et stimulé au bien. Tandis que lui-même restait dans l’aridité et l’obscurité, comme nous le savons par ses lettres à son directeur spirituel. »
Sa sainteté était vraie, humble, “ à la petite Thérèse ”, dont il était l’ardent disciple : « L’abbé Poppe, écrit son biographe, était le plus joyeux des hommes, le plus aimable aussi, dévoué jusqu’à l’héroïsme, et d’une patience angélique. Pour lui-même, il était d’une sévérité inouïe. Il se refusait tout agrément. Sa pauvreté était plus que monastique : un dépouillement aussi complet que possible. »
C’est Jésus qu’il rayonnait ainsi. Il voulait être tout simplement un prêtre selon le Cœur de Dieu et le Cœur de Marie, un “ autre Christ ”. Il avait, en même temps qu’une très fine psychologie, une parfaite compréhension théologique de la vie de la grâce, savait pénétrer le sens profond des textes de la Sainte Écriture, en particulier sur la Vierge Marie, et les rendre concrets. Lorsqu’il parlait du sacerdoce et des possibilités illimitées qu’il ouvre, il était intarissable. Un de ses confrères témoigne :
« Je l’écoutai, édifié, mais le jugeai trop idéaliste pour de pauvres diables comme moi, bien intentionné mais lâche et faible. Je risquai cette réflexion quelque peu incrédule : “ Tout cela est bien beau et vrai, Edward, pour un saint comme vous, mais cela ne fonctionne pas pour le traînard que je suis... ” Il me fixa alors de ses grands yeux perçants mais débonnaires et répondit, avec un léger reproche mais en même temps indiciblement encourageant : “ Frère, entre vous et moi il n’y a qu’une seule différence, mais elle est grande : moi je crois en la grâce de mon sacerdoce, et vous, vous hésitez. C’est là toute votre faiblesse. Croyez, et tout vous deviendra possible. ” »
En plus des entretiens spirituels, son apostolat principal consistait à écrire des lettres et des articles, assis dans son lit. Comme écritoire, il se servait d’un couvercle de pupitre d’écolier sur lequel il avait peint un calice surmonté d’une hostie, sur fond d’une croix et de flammes rayonnantes. En- dessous il avait écrit le mot : ACCENDATUR. « Je suis venu jeter un feu sur la terre, disait Jésus, et comme je voudrais que déjà il brûle ! » (Lc 12, 49) C’était l’unique but de son énorme correspondance : faire brûler le feu de l’Évangile de Jésus-Marie dans les âmes.
Son exemple de pauvreté radicale impressionnait. « Chaque mois, disait-il, je trouve encore quelque chose à retrancher. » Quand il put enfin se déplacer, jamais ceux qui le rencontrèrent n’oublièrent son maintien si humble : « Il se tenait au milieu d’un groupe de travailleurs, lui-même comme un pauvre hère, avec sa boîte de margarine en guise de valise, avec une capote pauvre et usée, un vieux chapeau bosselé comme une casquette de docker, avec sa mauvaise écharpe autour du visage transi. Prenant part de la sorte aux misères des pauvres débardeurs, serviable et aimable parmi eux comme s’il était un des leurs, Poppe se sentait heureux. »
LA CROISADE DES ENFANTS
Au début de l’année 1920, fut fondée à l’abbaye d’Averbode la “ Croisade eucharistique Pie X ”, pour appliquer les décrets du saint Pape sur la communion fréquente et précoce, « afin d’étendre le Règne du Christ sur le monde et de l’affermir dans l’âme de ses membres ». Le périodique pour enfants qui devait être le héraut du Roi Eucharistique en pays flamand s’appelait “ ZONNELAND ”, le pays du soleil eucharistique. Sur la proposition d’un Filioli, l’abbé Poppe fut sollicité par le Père Vanmaele, directeur de la Croisade. L’humble recteur de Moerzeke accepta et ce fut pendant quatre ans une collaboration merveilleuse qui produisit des fruits innombrables. De son lit de malade, il écrivait ses articles, qui enflammaient les cœurs. Le nombre des “ croisés ” fut bientôt multiplié par dix et atteignit les deux cent mille !
En envoyant son premier article, intitulé “ L’appel du Roi ”, l’abbé Poppe écrivait au P. Vanmaele : « Travaillons en esprit de foi, car les entreprises humaines avec tambour et trompettes ne sont que des marches de parade et non des croisades... Restons petits, travaillons avec sérénité et vivons comme d’aimables serviteurs des autres. Tout découle de l’Hostie, pour nous aussi. L’essentiel est de rester aux pieds du Maître. C’est alors que nous travaillons selon son Esprit. Jésus est le véritable Apôtre, la Source de vie de toutes nos œuvres. Aussi, réservez beaucoup de place à sa Mère, et il y aura beaucoup de place pour Lui. »
Pour mener à bien cette tâche, la Sainte Vierge lui donna un peu de répit. Sur l’ordre de son directeur spirituel, l’abbé Poppe se vit obligé de lui demander la grâce de sa guérison.
C’est ainsi que, le 8 juillet 1920, on vit un modeste cortège quitter la maison du recteur en direction de la chapelle des Bateliers. L’abbé Poppe ouvrait la marche, bien emmitouflé et protégé par sa désormais inséparable grande écharpe, accompagné de sa mère, de la chorale, et de quelques orphelines et petits vieux de la maison. Ils récitaient le chapelet. Des villageois se joignirent à eux. Comme l’abbé Poppe paraissait épuisé avant d’arriver au but, quelqu’un eut la bonne idée de chercher une brouette sur laquelle il fut installé le plus confortablement possible, appuyé sur des coussins.
L’abbé Poppe était grand et maigre, il ne dépassait pas les cinquante kilos ! Désiré, le vieux jardinier du couvent encore robuste, porta le précieux fardeau jusqu’à destination, sous le regard édifié des habitants sortis sur le pas de leur porte. Le lendemain, un cortège plus nombreux participa à l’acte de foi pour implorer la guérison de monsieur Poppe, qui fit à pied les trois quarts du trajet. Le troisième jour, la brouette suivait par précaution, mais le malade fit la petite heure de marche tout du long, jusqu’à la fin de la neuvaine qui se termina le 16 juillet, en la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel. C’est ainsi que, durant l’été 1920, l’abbé Poppe put se rendre en pèlerinage d’action de grâces à Lourdes et à Lisieux, sur la tombe de la petite Thérèse, sa « sorella dilectissima ».
La Croisade eucharistique, qui était « la plus belle œuvre » de sa vie, n’était pas un simple mouvement de jeunesse, mais un système d’éducation complet pour une vie eucharistique et mariale à travers toute la Flandre ; elle aurait dû, si la hiérarchie n’y avait pas fait barrage, animer le Mouvement flamand lui-même. Comme l’abbé Poppe était un extraordinaire pédagogue, ses petits ouvrages sur la “ Méthode eucharistique ” firent un bien immense. Au couvent de Moerzeke même, il aimait faire le tour des classes. Un grand silence régnait immédiatement et la réceptivité avec laquelle les petites filles écoutaient, bras croisés, ses paroles était touchante à voir. On réfléchissait, on répondait, on chantait et on priait. Les plus ferventes s’engageaient dans la Croisade eucharistique. L’abbé Poppe leur expliquait comment remplir les billets de la semaine : on y notait l’intention de ses prières, ses efforts particuliers, ses bonnes œuvres, ses sacrifices, qu’elles mettaient ensuite dans un tronc pour Jésus-Roi, près de la statue de la Sainte Vierge.
« Nous avons souvent été témoin, raconte le Père Van Haute, de voir les enfants se précipiter sur lui, dès qu’ils le voyaient, et de loin, rien que pour le saluer ou échanger quelques mots avec lui. Il se rendait souvent à une petite chapelle dédiée à Notre-Dame du Rosaire, située à cinq minutes de marche du couvent à peine, sur la place de l’église. L’abbé Poppe mettait souvent une demi-heure pour y arriver, parce que les enfants et les adultes qu’il rencontrait le retenaient. Il recommandait aux enfants de communier souvent, et ils lui promettaient d’assister à la messe du matin et d’y communier. »
MARIE MÉDIATRICE DE TOUTES GRÂCES
L’abbé Poppe restait par-dessus tout l’apôtre des prêtres. Il leur écrivait des lettres, brûlantes comme la lave. Il collaborait aussi à une revue sacerdotale, PASTOR BONUS, fondée à son initiative, ainsi qu’à L’ÉTENDARD DE MARIE, qui paraissait tous les premiers samedis du mois et avait pour but de préparer les esprits à la Médiation universelle de Marie :
« Bientôt, nous l’espérons, ce titre brillera comme une perle dogmatique d’une beauté indicible à la couronne de Marie. Bientôt, nous aurons la douce obligation de reconnaître que toutes nos bonnes pensées, tous nos bons désirs, tous nos efforts et forces spirituels descendent sur nous du Cœur maternel de Marie ! Bientôt la foi nous fera considérer tous nos trésors spirituels, toutes nos beautés surnaturelles, toutes nos grâces, comme des interventions maternelles de la Mère de la grâce... Que ce soit notre honneur, notre gloire, notre spécificité la plus consolante, d’être esclaves de la Médiatrice, prédicateurs de la Médiatrice, défenseurs de la Médiatrice ! »
On le sollicitait pour prêcher des retraites et donner des conférences. En septembre 1921, le cardinal Mercier organisa un Congrès marial à Bruxelles, qui aborderait les sujets controversés de la Corédemption et la Médiation de la Sainte Vierge. L’abbé Poppe fut sollicité, il écrivit une étude sur “ Les fondements dogmatiques de la Vraie dévotion du bienheureux de Montfort ”, qui rencontra chez certains une joyeuse adhésion mais chez d’autres un tollé de résistance à cette thèse jugée « insoutenable » ! Lui-même était trop faible pour se rendre au Congrès, mais un séminariste de Gand, craignant que les échanges n’aboutissent à rien, trouva une voiture et conduisit l’abbé Poppe à la dernière minute à Bruxelles. Appuyé sur le bras d’un ami, il fut introduit, épuisé, dans la salle bondée.
À son entrée, il se fit un silence saisissant « car il émanait de lui comme une force ». Il monta laborieusement l’estrade, s’agenouilla devant l’évêque pour lui demander sa bénédiction, et se dirigea vers la chaire, jetant un regard suppliant sur la statue de la Sainte Vierge, qui dominait la salle, et commença d’une voix douce et recueillie : « Ma Mère, mon Père l’évêque vient de me bénir. Maintenant c’est à Vous de me signer d’une croix et de me dicter ce dont je dois entretenir votre petit troupeau choisi. » Très lentement il fit le signe de la croix et poursuivit en commentant l’Évangile du jour : « Ne craignez pas, petit troupeau. » Il souligna l’importance du culte de la Vierge Marie dans l’apostolat des prêtres. C’était très simple, mais céleste.
« N’oubliez pas la Médiatrice. Elle est la nuée lumineuse au-dessus des troupes de la Croisade en route vers la Terre promise. Ayez confiance dans les opérations puissantes et universelles de SA dévotion. »
En 1922, un nouveau champ s’ouvrit au zèle de l’abbé Poppe. Sa santé paraissait s’améliorer un peu. Comprenant que son rayonnement était indubitable auprès du clergé, le cardinal Mercier pensa à lui pour la direction spirituelle du camp à Bourg-Léopold, au Centre d’instruction de brancardiers et infirmiers (CIBI), où les séminaristes et religieux faisaient leur service militaire, tout en continuant leurs études théologiques. Cette mission le transporta d’enthousiasme : former de futurs prêtres ! Il se dévoua jusqu’à l’épuisement à la direction spirituelle et à l’instruction de cette jeune génération de prêtres et de moines. Il exerça cette charge pendant plus d’un an, laissant sur ces trois cents futurs prêtres une empreinte profonde.
COMME UN GRAIN DE BLÉ
Mais il avait présumé de ses forces. Le 1er janvier 1924, comme il était en séjour à Moerzeke, une crise le terrassa, d’autres suivirent, de plus en plus inquiétantes, et le 6 mars il reçut, pour la troisième fois, les derniers sacrements. Une demi-convalescence se dessina pourtant. Si souffrant qu’il fût, l’abbé Poppe s’empressait la veille du premier samedi de chaque mois et de chaque fête de la Vierge de fournir à tous l’occasion de communier. Les sœurs se réjouissaient à l’approche de ces jours, car le recteur leur adressait toujours un sermon enflammé sur la Vierge Marie : « Toute sa personne était une prédication : les yeux rayonnants, la voix sonore et forte faisaient oublier le prêtre maladif, et sa jubilation intérieure se transmuait en vie. Il aurait voulu que chaque cœur débordât du céleste amour qui l’inondait. »
Mais le 10 juin, quand il voulut se lever pour la messe, comme d’habitude, pour ne pas faire attendre le servant de messe qui devait aller à l’école, une dernière crise le foudroya : un long regard d’amour à l’image du Sacré-Cœur, et sa belle âme de prêtre-martyr alla goûter la récompense du sacrifice au Ciel.
En 1932, fut érigé par l’excellent cardinal Van Roey et en présence de quinze mille pèlerins, au chevet de l’église, à côté de la tombe de l’abbé Poppe, un monument qui résume toute sa vie sacerdotale. Debout au pied de la Croix, la Vierge Marie recueille du Côté ouvert de Jésus le Sang et l’eau, symbolisant les sacrements qui sont les canaux de la grâce divine, qu’Elle transmet de l’autre main à saint Jean représentant l’Église et chaque prêtre à l’autel. s
Le lendemain, dix mille petits croisés faisaient pèlerinage sur la tombe et à la chapelle des Bateliers, en renouvelant leur engagement et le surlendemain, ce fut au tour de huit cents enseignantes. Ces trois jours de triomphe laissèrent une impression inoubliable.
Le 8 septembre 1962, ses restes furent transférés dans la nouvelle chapelle Saint-Pie X, construite en forme d’épi de blé qui se lève sur sa tombe. À l’intérieur, tout converge vers l’autel et le tabernacle. Une dalle de marbre au pied de l’autel signale le tombeau et porte gravée la parole (ci-dessous, en italique gras), extraite d’une lettre à sa sœur le jour de son entrée au Séminaire et qui montre toute la radicalité de sa vie sacerdotale : « Je veux aller à Dieu de toute mon âme, de toutes mes forces. Dieu connaît ma faiblesse quand je suis seul, je connais ma force quand Dieu est avec moi. Je peux tout, moi l’impuissant et le tiède, je peux tout avec mon Père chéri. Je ne veux pas être un étranger, un ami à demi, mais son fils, son véritable fils, son fils parfait. Plutôt mourir que ne le servir qu’à moitié. Avec son aide, avec le secours de Marie, notre bonne Mère, je vais tout droit à lui, par la souffrance et l’épreuve, plein de confiance et de courage. »
Le troisième jour, nos pèlerins firent une marche de Thielrode à Moerzeke, en chantant le chapelet et en tirant les leçons de notre pèlerinage, avant de le clôturer par une grand-messe en l’honneur du Cœur Immaculé de Marie, célébrée par le recteur du sanctuaire, pour confier à l’intercession de l’abbé Poppe et à celle de notre Père, toutes les grâces dont l’Église et nos patries ont un si urgent besoin.
LES LEÇONS DU PÈLERINAGE
Nos amis flamands, et les wallons tout autant ! ont été saisis par l’équilibre et la sagesse de l’homme de Dieu sur la fameuse “ Question flamande ”, et sur les fondements mystiques qu’il donnait à son attachement de la Patrie. C’était pour l’abbé Poppe, et cela l’est aussi pour nous, « une forme de notre vie spirituelle, un rayonnement de notre charité naturelle et surnaturelle envers Dieu et le prochain, comme un écho du “ Misereor super turbam – J’ai compassion de la multitude ” (Mc 8, 2) que Jésus répète dans chaque âme apostolique qu’il habite. »
Alors, non seulement on comprend mais on se réjouit de voir l’abbé Poppe aimer et servir la Flandre “ par religion ” : « Tout pour la Flandre, la Flandre au Christ. » L’abbé Poppe était un flamand convaincu, son biographe Van de Velde a raison de le rappeler, mais ce dernier ne développe pas assez les conditions fixées par notre saint : voulant le salut de son peuple et sa préservation des idées perverses, venues des Lumières et de la Révolution française, il lui montre le chemin, – on parle même de « ligne de crête » –, par sa dernière parole, prononcée sur son lit de mort à l’adresse de l’ami Dosfel : « À quoi sert à un peuple de conquérir la terre s’il perd son âme ? »
Pour tout catholique de Contre-Réforme et de Contre-Révolution, le bienheureux Edward Poppe est aussi un maître, un ami, un saint protecteur.
Il a discerné et analysé en vrai mystique la crise de l’Église et de nos vieilles nations chrétiennes, avec une fermeté de principes et un langage qui fait choc : « La terre n’est-elle pas devenue aux yeux de Jésus comme un champ qui ne produit plus que des chardons et des épines pour en couronner son doux Cœur ?... Pauvre Jésus ! Roi d’amour méprisé ! Mendiant des âmes repoussé !... Je Vous vois aller avec votre Mère, errant de pays en pays : sur chaque trône Vous trouvez un Hérode ou un Pilate : “ Je ne veux pas de Vous ” ou “ Je ne Vous connais pas ”, ainsi parlent les puissants et les princes. Je Vous vois frapper aux portes, de maison en maison : et des meilleurs foyers, oui, des familles de vos baptisés où Vous voulez entrer plein d’amour et de bénédictions, la pestilence du péché moderne vient à votre rencontre... Hélas ! Frères, l’amour est crucifié ! » (1921)
Pour le discernement entre les bons et les mauvais remèdes, il est aussi excellent, épris de vérité, de « vérité totale » ! imprégné de l’esprit de saint Pie X. Par exemple, quand il met en garde contre la nouvelle forme d’apostolat, qu’il appelait le “ modernisme pratique ”, qui prendra bientôt le nom d’Action catholique spécialisée, qui naturalise le surnaturel chrétien, en donnant la priorité aux méthodes et aux projets humains, et détache les esprits des institutions traditionnelles comme la paroisse et le diocèse.
Au contraire, l’abbé Poppe préconisait l’esprit de croisade, « qui conduit toutes les énergies chrétiennes et sacerdotales à tendre pratiquement vers la venue du Règne de Jésus et Marie, en nous-même, dans la jeunesse, au foyer et dans toutes nos institutions sociales », bref un « système catholique intégral ». C’est le Règne de Jésus, « son règne eucharistique dans les enfants en vue de son règne définitif sur la société ». Il avertissait : « C’est le temps du “ tout ou rien ” et “ de l’ange ou du diable ”, pour l’individu comme pour l’institution. »
Parfait disciple de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, il annonçait le Règne de Marie, il brûlait de susciter des apôtres de Marie, il vivait intensément sa consécration à Marie et aidait les âmes à la vivre avec lui : « Tout à Marie pour Jésus, tout à Jésus pour Marie. » Il a eu des intuitions fulgurantes pour dire que « la Vraie Dévotion à la Divine Trinité et à Jésus est “ mariale ”, que toute notre vie de grâce est “ mariale ”... Cher Eugène, celui qui place Marie à côté de Jésus ne La connaît pas ; celui qui va d’abord à Marie et ensuite à Jésus tâtonne encore ; trouvons Marie, et Jésus EN MARIE, et aussi la divine Source de la vie : la Trinité, EN ELLE. »
Le dimanche de la Pentecôte, 8 juin 1924, il écrivait à un religieux joséphite qui lui avait envoyé son livre “ Le Christ dans la paroisse ”. C’était, deux jours avant sa mort, son testament spirituel, le dernier bouquet spirituel que nous garderons de lui :
« Nous sommes proches l’un de l’autre, à la même table d’écriture, en aimant et travaillant pour le Règne eucharistique de Jésus. Dans votre livre je retrouve mes propres objectifs et ma propre vie. Soyons ensemble uns en Lui, soyons un seul cœur en Son amour, un seul sacrifice en Son Hostie. En vos paroles je perçois un son qui provient de la charité et je vous vois allumer au feu de l’amour jusqu’à la vérité elle-même. Je demanderai que l’Amour vous embrase entièrement, vous aussi, et vous purifie et consume avec moi. Faites de même pour moi. La vérité ne doit pas seulement étinceler, elle doit brûler et réchauffer pour son fond. Dieu est Vérité, frère, et sa Vérité est son Amour et son Amour doit être en nous, et nous en Lui. “ Demeurez en mon amour. ” Que j’aspire à cet Amour ! Je jubile de le découvrir dans votre livre ainsi que dans votre vie. Et parce que vous êtes maître de novices, ma joie est encore plus grande. Vous multipliez votre apostolat. Je demanderai au Saint-Esprit qu’il sème en vous la semence précieuse de la vraie dévotion à la Très Sainte Vierge. Vous aurez alors Son regard pour contempler l’Hostie, Son désir pour glorifier l’Hostie, Sa puissance de supplication dans votre prière pour tirer la grâce de l’Hostie, Sa simplicité pour parler de l’Hostie et chanter le Magnificat avec Sa voix... »
frère Thomas et frère Edward.