Il est ressuscité !
N° 260 – Novembre 2024
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2024
La “ France de Marie ”
Introduction
Au cœur de la France de Marie,
Notre-Dame de Paris
Mes chers amis, mes chers enfants,
Savez-vous quel fut, au vingtième siècle, le Pape qui a le plus aimé la France ? Ce n’est pas si courant, vous savez... Eh bien, c’est saint Pie X. Et pourtant, la France était alors sous la coupe de la IIIe République, qui persécutait furieusement l’Église. Mais loin de maudire la France, le Saint-Père a voulu porter la croix avec les catholiques français, les encourageant, les guidant, leur disant son amour avec tout son cœur et une loyauté parfaite. Voilà qui nous réconforte, alors que l’esprit de blasphème de la République s’est étalé à la face du monde entier l’été dernier, lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
LA TRIBU DE JUDA DE LA NOUVELLE ALLIANCE
Le 13 décembre 1908, le Pape devait lire les décrets de béatification des vénérables Jeanne d’Arc, Jean Eudes, François de Capilas, Théophane Vénard et ses compagnons. Or, en traversant la salle d’audience, du haut de sa sedia gestatoria qui le portait, il aperçut un drapeau français, le saisit, l’attira à lui et le baisa avec ferveur. Jamais on n’avait vu un tel spectacle : le Souverain Pontife embrassant le drapeau français !
Dans son allocution, saint Pie X reprit les mots du pape Grégoire IX à Saint Louis : « Dieu, auquel obéissent les légions célestes, ayant établi ici-bas des royaumes différents suivant la diversité des langues et des climats, a conféré à un grand nombre de gouvernements des missions spéciales pour l’accomplissement de ses desseins. Et comme autrefois il préféra la tribu de Juda à celles des autres fils de Jacob, et comme il la gratifia de bénédictions spéciales, ainsi il choisit la France de préférence à toutes les autres nations de la terre pour la protection de la foi catholique et pour la défense de la liberté de l’Église. Pour ce motif, la France est le royaume de Dieu même, les ennemis de la France sont les ennemis du Christ. Pour ce motif, Dieu aime la France parce qu’il aime l’Église qui traverse les siècles et recrute les légions pour l’éternité. Dieu aime la France, qu’aucun effort n’a jamais pu détacher entièrement de la cause de Dieu. Dieu aime la France, où en aucun temps la foi n’a perdu de sa vigueur, où les rois et les soldats n’ont jamais hésité à affronter les périls et à donner leur sang pour la conservation de la foi et de la liberté religieuse. »
Ce peuple est à part de tous les autres, expliquait notre Père dans son Discours sur la vocation de la France, publié en mars 1984. Son histoire est sainte. C’est une “ alliance ” entre le Christ et lui qui présida à sa fondation, qui commande sa marche, qui explique son singulier destin.
Au treizième siècle, lorsque Grégoire IX proclamait que la France était la tribu de Juda de la Nouvelle Alliance, il évoquait les saintes splendeurs du royaume de David. Mais saint Pie X, au vingtième siècle, sous la République maçonnique, « songeait à la Jérusalem des rois maudits, de Manassé et de Sédécias, à son Temple déserté, à ses élites déportées à Babylone, à sa destruction et à son châtiment. Le titre envié de tous évoquait à nos pères les honneurs de la France ; à nous, il explique ses malheurs. » (CRC n° 198, mars 1984, p. 3)
Ce n’est pas tout, ce titre de “ tribu de Juda de la Nouvelle Alliance ” recèle un secret... Un secret marial !
LA JÉRUSALEM NOUVELLE
Dans l’Ancien Testament, la gloire du Royaume de Juda, c’était Jérusalem, sa capitale, bâtie sur le mont Sion : la Ville sainte, avec le Temple de Dieu, le sanctuaire de l’Arche d’Alliance, là où demeurait la Présence de Yahweh. Les prophètes et les psalmistes la chantaient avec lyrisme !
« Sa fondation sur les montagnes saintes, Yahweh la chérit, préférant les portes de Sion à toute demeure de Jacob. Il parle de toi pour ta gloire, cité de Dieu. » (Ps 86, 1-3)
Mais ils ont aussi fustigé ses infidélités, ses trahisons, son apostasie. Finalement, elle en viendra à tuer son Messie ! Car le Messie est venu...
Un jour, l’ange Gabriel apparut à une jeune fille de Galilée, une Vierge, nommée Marie, et il la salua par l’exclamation messianique que les prophètes adressaient à Jérusalem : « Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ! » (Lc 1, 28) De ce jour, où le Fils de Dieu s’incarna dans son sein, le sanctuaire de la présence de Yahweh, l’épouse de Dieu toujours pure et fidèle, la mère féconde de tous les peuples, la Jérusalem nouvelle, c’est Elle, la Vierge Marie !
Nous avons raconté l’an dernier l’Évangile de Jésus-Marie comme une course d’un an, tendue vers le sacrifice de la Croix, la rédemption du genre humain et la fondation de l’Église (cf. Il est ressuscité ! nos 249 à 257 ; PC 88 sur la VOD).
Ensuite, après la Résurrection et l’Ascension de son Fils, la Sainte Vierge est retournée à sa vie cachée. Jusqu’à son Assomption, elle demeura comme l’âme de l’Église naissante, pleine du Saint-Esprit. Mais dans sa retraite, avec quel intérêt, quelle affection, quelle ferveur ne suivait-elle pas les progrès de l’évangélisation par les Apôtres ! Quelle n’était pas son angoisse à l’annonce des persécutions, son enthousiasme pour les victoires des premiers martyrs ! Elle était consumée des ardeurs du règne de son Fils, elle voulait que son empire s’étende au monde entier, gouvernant intégralement les peuples. La Vierge Marie s’est passionnée pour la politique de l’Église, nous expliquait notre Père ! En un mot, elle portait dans son Cœur l’image de ce que nous appelons la Chrétienté. Or, depuis son Assomption, ses sentiments n’ont pas changé. Notre-Dame, du haut du Ciel, continue à intercéder puissamment en faveur de l’Église et des nations chrétiennes.
Dès lors, nous pressentons une relation privilégiée entre la Jérusalem nouvelle et la tribu de Juda de la Nouvelle Alliance. Aussi, l’objet de notre étude, dans l’élan du camp de la Phalange du mois d’août, sera de découvrir Marie au cœur de la France et de comprendre la France dans le Cœur de Marie. Nous prolongerons ainsi les études de notre Père, notamment lors des journées bretonnes de 1984, à Josselin, consacrées à La France, Royaume de Marie.
NOTRE-DAME DE PARIS
« Cette France n’a-t-elle pas en particulière dilection et dévotion la Vierge Marie, Notre-Dame de tous nos pays, incomparable fille, épouse et Mère de Dieu, médiatrice de notre sainte destinée ? » écrivait notre Père, en introduction à son Histoire de France (CRC n° 198, p. 3).
LE CŒUR MARIAL DE LA FRANCE CHRÉTIENNE.
C’est le premier constat que nous pouvons faire en commençant cette étude. Marie est partout chez elle, chez nous. Plus de huit mille sanctuaires lui sont dédiés, assure-t-on : chapelles perdues dans les forêts ou au creux de quelque vallon sauvage, basiliques accueillant les foules, cathédrales trônant dans les grandes villes. Et, spécialement, celle dont on parle tant depuis cinq ans, quoiqu’en termes laïcs et humanistes, celle qui était le monument le plus visité de France, attirant entre douze et quatorze millions de personnes chaque année, la cathédrale martyre des flammes, le chantier du siècle, bientôt rouverte, Notre-Dame de Paris.
« Elle est l’église de la Vierge, écrit Émile Mâle. Quatre portails sur six lui sont consacrés. Elle occupe le milieu de deux grandes roses peintes : dans l’une, les saints de l’Ancien Testament, dans l’autre, le rythme des travaux, des mois, les figures des Vertus s’ordonnent par rapport à elle. Elle est le centre des choses. Nulle part elle ne fut plus aimée ; le douzième siècle (avec la porte Sainte-Anne), le treizième (avec la porte de la Vierge), le quatorzième (par les bas-reliefs du nord) la célèbrent tour à tour sans se lasser. » (L’Art religieux au XIIIe siècle, p. 369)
Au cœur de Paris, au cœur de la France, Notre-Dame. La topographie même le confirme ! Sur le parvis de la cathédrale est incrustée une plaque indiquant le point zéro des routes de France, à partir duquel sont calculées les distances entre les grandes villes du pays et la capitale. En France, tous les chemins mènent à Notre-Dame. Ce n’est pas une métaphore !
“ À MOITIÉ EN RUINE ”.
Et cependant, comment ne pas constater aussitôt, avec notre Père que « ce pays, ce grand peuple, cette nation millénaire, notre France bien-aimée, notre patrie, n’est pas, n’est plus dans son assiette, dans son premier état, dans sa merveilleuse forme. Elle est comme hors d’elle, esclave, ou aliénée ; conquise ou opprimée, brutalisée ou séduite. Ou alors quoi ? La France apostate, apparemment, officiellement sans Dieu, sans Christ, sans Vierge Marie, sans Église ? C’est une anomalie ? C’est un scandale ! Non, c’est son péché. »
C’est le mystère ténébreux qu’il nous faudra éclaircir. Plus que jamais, depuis le sabbat infernal qui s’est déroulé autour de Notre-Dame de Paris, le 26 juillet dernier, au grand scandale du monde entier ! La situation est-elle sans espoir ?
Ce qui nous paraît le mieux représenter l’état de la France, ce sont plutôt ces images de la cathédrale après l’incendie de 2019 : une nef aux voûtes béantes, aux murs ébranlés, battue par les vents et les pluies, jonchée de décombres calcinés. Et cependant, à la croisée du transept, lumineuse comme une apparition du Ciel, se dressait encore – miraculeusement ! – la statue de la Vierge à l’Enfant, revêtue de ses attributs souverains, la couronne et le sceptre : Notre-Dame de Paris ! image des mystères joyeux de la France dont elle garde le souvenir. Et plus loin, au fond du chœur, attirant toutes les lignes de perspective, Notre-Dame des Douleurs, la Pietà du vœu de Louis XIII, intacte elle aussi, nous assurant que malgré les crimes de la France, Notre-Dame reste fidèle à son Alliance, qu’elle demeure auprès d’elle dans ses mystères douloureux, prête à la secourir au premier repentir. Alors s’ouvriront les mystères glorieux de la France de Marie, dont la restauration de la cathédrale nous offre un présage !
Dans sa pièce sur Le Rosaire de France, Henri Ghéon prêtait ces mots à la Sainte Vierge :
« Tu naîtras dans la joie ; tu connaîtras la peine ; tu ressusciteras, ô France ! Tu seras donc pareille à moi, dans la joie, la peine et la gloire. Et pareille à mon Fils en son voyage aventureux sur la terre de l’homme où Il a pris la figure d’un homme, sa condition, son péché et l’a racheté de son sang.
« C’est dit, je revivrai mes joies, mes peines et mes espérances en union avec les tiennes, ô fille aînée de l’Église de Jésus-Christ ! »
De ce Rosaire de France, nous trouvons les mystères imprimés dans la pierre à Notre-Dame de Paris, gravés sur ses statues, inscrits dans ses portails, brillant dans ses roses, ses verrières et jusqu’au sommet des tours. Il suffira de les évoquer pour annoncer le plan de notre étude de “ La France de Marie ”. Mais ce sera surtout une manière de réparer les blasphèmes odieux des Jeux olympiques, auxquels sa silhouette magnifique a servi de décor.
1. « LES ORIGINES OBSCURES D’UNE PREDILECTION CERTAINE » (Ier-Ve SIÈCLE).
Tout commence par la naissance de la France : “ Les origines obscures d’une prédilection certaine ” de la Vierge Marie pour notre pays, selon l’expression de notre Père. Dans un premier chapitre, nous essayerons d’éclairer ces origines obscures, obscures parce que de cette époque lointaine, dont nous séparent tant de siècles, d’invasions barbares, de guerres, d’incendies, nous ne conservons que très peu de documents. Certes, nous avons un a priori favorable pour tout ce que nous a transmis l’Église par ses traditions, par la “ légende ”, c’est-à-dire, étymologiquement, “ ce qui doit être lu ”. Mais au cours des siècles, des confusions, des erreurs, de mauvaises interprétations et parfois des inventions se sont mêlées à ces traditions. Sans nous départir de notre piété, il importe donc de faire œuvre scientifique pour bien comprendre nos légendes, et réfuter les ennemis de notre foi, car “ Nôtre est le vrai ! ”
Par exemple, à la cathédrale Notre-Dame sont admirablement représentés les saints fondateurs de Paris : saint Denys, saint Marcel et sainte Geneviève. De façon unanime, les historiens contemporains situent désormais saint Denys, martyr, premier évêque de la cité, au troisième siècle. Ce ne fut pas du tout la position de nombreux autres historiens du passé qui, défendant la légende de ce saint, rejetaient cette date pour le placer à un siècle plus lointain, certains le disant même converti par saint Paul.
Cela permet aux rationalistes et aux modernistes de dénier toute valeur aux légendes et de n’admettre que ce que la critique historique la plus rigoureuse leur permet d’établir. Non par souci de vérité, mais en raison d’un préjugé naturaliste – qui n’a rien de scientifique ! – qui leur fait récuser tout fait surnaturel, qualifié de “ merveilleux ”, et tout enseignement de l’Église, considéré comme douteux.
Autre exemple : au trumeau du portail Sainte-Anne, voyez cette magnifique statue de saint Marcel, neuvième évêque de Paris, mort en 436. De sa crosse, il terrasse un énorme serpent qui vient de dévorer le cadavre d’une pécheresse, avant de lui passer son étole en guise de licou, comme le raconte Venance Fortunat au sixième siècle. Et les rationalistes de se gausser : toutes les villes de France ont leur histoire de dragon ! C’est un symbole, inutile de chercher plus loin. Ils ne se donnent même pas la peine d’apporter des preuves !
À de telles méthodes, la science n’a rien gagné et la piété a tout perdu.
Et pourtant, expliquait notre Père : « Si la légende s’en tient à des choses fermes et précises, est-ce que cela ne devrait pas nous faire croire beaucoup plus qu’à ce que la raison seule démontre ? C’est un travail très minutieux, qu’il faut entreprendre, par lequel une science sage et prudente va à la rencontre de la légende, et la légende elle-même, si précise, localisée, personnalisée, bien souvent semble aller à la rencontre de la science ; quelquefois, il se fait des joints comme cela, mais d’autres joints sont encore à faire. Plus la science développera ces recherches, plus elle sera prudente et modeste, et plus elle retrouvera la légende et la restaurera dans beaucoup de cas. »
D’ores et déjà, certaines origines de la dévotion mariale en France sont fermement établies, comme frère Michel le montrera. Et à Paris ? Les premiers siècles de l’Église n’ont pas laissé de traces du culte marial dans la capitale. Mais peut-être aurons-nous quelques lumières sur ce point.
Aux origines de Paris, si nous n’avons pas de traces archéologiques ni de documents sur le culte de la Sainte Vierge, nous trouvons sa figure en sainte Geneviève, représentée en face de saint Denys au portail de la Vierge de la cathédrale. Elle est vierge, mère de son peuple, de Paris, de la France, et plus terrible qu’une armée rangée en bataille ! Pour le coup, sa légende est très solide car sa vie fut écrite vers 520, quelques années à peine après sa mort. Le diablotin, sur son épaule, rappelle un épisode bien réel de sa vie, mais qui est aussi symbolique de sa puissance fermement attestée contre Satan, dont elle délivrait les possédés. Le martyre de saint Denys, le dragon de saint Marcel, le diable de sainte Geneviève nous rappellent que Paris et la Gaule tout entière furent conquises de vive force aux démons. Ce combat durera autant que son histoire.
2. SOUS LE VOILE DE SAINTE MARIE MÈRE DE DIEU (VIe-Xe SIÈCLE).
Au siècle suivant, nous voyons le culte de Notre-Dame se développer et prendre son essor. À Paris, cela est attesté dans la pierre et dans les documents officiels. Il en va de même dans toute la France des Mérovingiens et des Carolingiens.
Et la Sainte Vierge répond ! Elle vient au secours de son peuple, de cette nation nouvelle-née, dans les grandes calamités publiques.
Par exemple, le chroniqueur Flodoard raconte qu’en 945, une épidémie sévissant dans la ville, les malades qui se réfugièrent dans l’église de la sainte Mère de Dieu furent guéris. Au siècle précédent, lors du siège de Paris par les Normands, en 886, alors que la situation était critique pour les assiégés, l’évêque Goslin, implora le secours de la Vierge Marie. À l’instant même, une flèche abattit le chef des assaillants ! Le chroniqueur, le moine Abbon, témoin oculaire du siège, ne peut réprimer son enthousiasme : « La cité de Paris, consacrée à l’illustre Marie, brille en l’honneur de cette Vierge. C’est elle qui nous sauve ; c’est par son secours que nous jouissons encore de la vie. » (Siège de Paris par les Normands, par Abbon)
3. LE SECRET ROYAL DE L’ÉPOUX ET DE L’ÉPOUSE (XIe-XIIIe SIÈCLE).
Sous le règne des Capétiens, un grand élan de réforme de l’Église ‘‘ en sa tête et en ses membres ’’ suscite un merveilleux épanouissement de la dévotion à la Vierge Marie, qui préside à la renaissance de la France après les invasions barbares. À Paris, c’est l’époque de la construction de la nouvelle cathédrale Notre-Dame, celle que nous admirons encore en la restaurant. En 1163, le pape Alexandre III, fuyant Rome et réfugié en France, posa la première pierre du sanctuaire. C’est là un aspect essentiel de la vocation de la France, que nous révèle son histoire : être le soutien de la Papauté. Au point que leurs destins semblent liés, nous disait notre Père !
La vocation de la Fille aînée de l’Église n’est pas enfermée dans ses frontières ; c’est un service de la Chrétienté.
Louis VII, Philippe Auguste et Saint Louis ont soutenu tour à tour ce chantier gigantesque. La cathédrale de Paris est une œuvre royale. Elle fut le plus grand édifice élevé au douzième siècle. Par la suite, d’autres cathédrales dites “ gothiques ” – il vaudrait mieux dire ‘‘ françaises ’’ – la surpasseront par la taille, la lumière, la magnificence, mais Notre-Dame de Paris demeure par l’harmonie de ses proportions, par la sobriété de son élégance, un chef-d’œuvre “ classique ”, pourrait-on dire, la cathédrale modèle !
Regardez cette façade si équilibrée, formant un carré presque parfait. À mi-hauteur, la galerie des rois, édifiée au début du treizième siècle. Les érudits dissertent pour les identifier : rois de Juda ou bien rois de France ? Mais les deux ! Ces savants ignorent à quel point l’univers médiéval était biblique. Les bâtisseurs de cathédrales étaient imprégnés des figuratifs de l’Ancien Testament ! D’ailleurs, c’est en 1239 que le pape Grégoire IX écrivit à Saint Louis que la France était la tribu de Juda de la Nouvelle Alliance.
Au-dessus de la galerie des rois, au centre de la façade, devant la rosace qui lui forme la plus somptueuse des mandorles, la Vierge Marie, revêtue de ses ornements royaux et portant son enfant. À ses pieds, les rois de Juda sont ses ancêtres ; les rois de France, ses fils chéris. Cette façade exprime le mystère d’élection de la monarchie française.
Ce mystère a produit son plus beau fruit en la personne de Saint Louis, roi et croisé, que l’oratorio de frère Henry nous fait justement admirer immensément ! En partant en Croisade – ce qui fut la grande affaire de sa vie –, il s’identifia si parfaitement au Christ, qu’il devint pour son peuple un autre Rédempteur souffrant. Il est représenté avec son épouse, Marguerite de Provence, au tympan de la porte rouge de Notre-Dame, tous deux agenouillés de part et d’autre du couronnement de la Sainte Vierge. Au Ciel, c’est ainsi qu’ils continuent d’intercéder pour le Royaume des Lys !
4. QUAND LE ROYAUME DE FRANCE SOUFFRAIT PITIÉ (XIVe-XVe SIÈCLE).
La construction de la cathédrale s’est achevée au siècle suivant : l’admirable clôture du chœur racontant l’Évangile, les arcs-boutants prodigieux de l’abside. C’est de cette époque que date la statue de Notre-Dame de Paris placée depuis le dix-neuvième siècle à la croisée du transept, côté épître. Elle est couronnée et tient un sceptre fleurdelysé. Mais ce qui frappe le plus, c’est l’expression de son visage, extraordinairement changeante selon les angles et la lumière. Elle exprime l’inquiétude, la douleur. Sa bouche contractée laisse présager ses larmes. Par ailleurs, son visage rayonne la paix. Parfois même, il esquisse un sourire. Mais l’angoisse domine.
C’est qu’au quatorzième siècle, et encore plus au quinzième, il y avait grande pitié au Royaume de France qui fut plusieurs fois sur le point d’être anéanti. En 1431, c’est à Notre-Dame de Paris que le petit Henri VI de Lancastre fut sacré roi de France. Roi de France et d’Angleterre !
Sous les pieds de Notre-Dame, on aperçoit le serpent, avec une face de femme. La Vierge Marie triomphe du Serpent, elle est l’Immaculée Conception. Cette vérité s’imposait au même moment à l’Université de Paris grâce au bienheureux Jean Duns Scot, puis à Gerson. C’est aussi pour nous la figuration de la victoire de Marie sur toutes les hérésies dont certaines commencent déjà à poindre, menaçant la France non seulement dans son corps, mais dans son âme. Mais toujours, Notre-Dame interviendra pour prévenir ces périls mortels et en triompher.
5. « FORTE COMME UNE ARMÉE RANGÉE EN BATAILLE » (1491-1638).
L’insurrection protestante au seizième siècle et les guerres de religion qu’elle provoqua furent en effet l’occasion pour la Sainte Vierge de montrer sa puissance, comme frère Louis-Gonzague le racontera, jusqu’au vœu de Louis XIII, en 1638. Cette consécration de la France à la Vierge Marie marque un sommet de notre orthodromie mariale, l’expression la plus riche de l’Alliance de Dieu avec la France : de Dieu par la médiation de Notre-Dame ; avec la France en la personne du Roi Très-Chrétien.
C’est pour perpétuer la mémoire de ce vœu que Louis XIII ordonna la reconstruction du maître-autel de la cathédrale de Paris, « avec une image de la Vierge qui tiendra entre les mains celle de son précieux Fils descendu de la Croix. Et nous serons représentés au pied du Fils et de la Mère, comme leur offrant notre Couronne et notre sceptre. » (voir p. 29)
Louis XIV, qui exécuta cette clause du vœu, se fit représenter en vis-à-vis de son père, la main sur le cœur, en signe d’allégeance à Notre-Dame.
6. LES TÉNÈBRES CONTRE LA LUMIÈRE (1638-1800).
Hélas, le même roi Louis XIV ayant refusé les demandes du Sacré-Cœur de Jésus qui parachevaient l’Alliance nouée par Notre-Dame, les admirables fruits de la consécration du royaume à Notre-Dame s’épuisèrent, la piété se dessécha, la foi vacilla et bientôt la Révolution renversa ensemble le trône et l’autel. Frère François expliquera que cette rupture de l’Alliance divine fut une véritable prise de possession de la France par Satan.
Le 21 janvier 1793, Louis XVI fut décapité. En sa personne, c’est Dieu que la Révolution voulait mettre à mort ! Et fin octobre, ce fut au tour des rois de la façade de Notre-Dame de connaître le même sort. Bientôt, il n’y resta plus une seule statue. Le 10 novembre fut instauré dans Notre-Dame le culte de la déesse raison, figurée par une prostituée. Macron et le Comité olympique sont les héritiers de Robespierre et de son Comité de salut public !
7. LE SIÈCLE DE L’IMMACULÉE (1800-1876).
Par la grâce du sang des martyrs de la Révolution et par une miséricorde spéciale de la Vierge Marie, le dix-neuvième siècle fut celui d’un admirable renouveau de la religion en France. Notre-Dame de Paris fut le symbole de cette restauration prodigieuse, mais incomplète, ambiguë, même.
De 1845 à 1864, les architectes Viollet-le-Duc et Lassus menèrent d’énormes travaux de réfection. Ce fut un véritable sauvetage ! Toutefois, Viollet-le-Duc avait quelques idées pour le moins étranges. Il soutenait par exemple que l’art était un moyen d’expression démocratique par lequel les imagiers du Moyen Âge s’émancipaient de l’Église et des rois !
Dans cet esprit, il ajouta à Notre-Dame la fameuse “ galerie des chimères ”, ces monstres hybrides aux rictus infernaux, là où l’on aurait attendu des anges !
C’est très significatif, car au même moment, depuis 1835, avait pris place dans la chaire de Notre-Dame de Paris une autre chimère, autrement plus malfaisante : le dominicain Lacordaire, qui prêchait à la France entière en même temps le culte de Dieu et le culte de la liberté. Association monstrueuse ! L’horrible chimère du libéralisme prétendu catholique compromit gravement le renouveau de la France.
C’est pour y remédier que Notre-Dame, dès 1830, inaugura une extraordinaire suite d’apparitions, que frère Thomas vous racontera, en commençant à Paris, précisément, à la rue du Bac. C’est pourquoi le dix-neuvième siècle fut le siècle de l’Immaculée !
8. L’ÉTOILE DES PETITES ÂMES (1877-1947).
Et pourtant, de la période suivante, qui court jusqu’à la première moitié du vingtième siècle, n’a laissé aucun souvenir notable dans Notre-Dame de Paris. Mais c’est ce vide même qui est significatif. En effet, malgré les miséricordes inouïes de l’Immaculée, ses appels à la conversion, ses miracles, les libéraux-catholiques se sont endurcis, bientôt soutenus, depuis Rome, par le pape Léon XIII. Ils empêchèrent toujours la restauration monarchique et firent le lit de la République des “ vrais républicains ”, persécuteurs fanatiques de l’Église. Alors, Notre-Dame cessa de se manifester publiquement.
Tout de même, en 1934 fut sculptée la statue de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, installée dans le transept sud, en face de sainte Jeanne d’Arc. L’humble carmélite était alors au sommet de sa gloire. Comme si l’Immaculée, bannie de France, avait néanmoins délégué sa ‘‘ miniature ’’ pour y verser une pluie de roses sur les petites âmes qui se mettraient à son école. Malgré l’apostasie conquérante, il fallait bien que la foi se garde en France !
9. NOTRE BIEN-AIMÉ PÈRE, AU CENTRE DE L’ORTHODROMIE MARIALE SUR LA FRANCE.
Au moment où l’orthodromie mariale semblait hésiter, s’enliser et se perdre dans les sables de l’apostasie, Notre-Dame de France suscita un serviteur fidèle pour en retrouver les traces, la direction, l’élan. Ce fut notre Père, frère Georges de Jésus-Marie, docteur marial et maître d’un nationalisme véritablement intégral, pour tout restaurer dans le Christ, par l’Immaculée.
Or, savez-vous qu’à Notre-Dame de Paris, il est possible de faire pèlerinage à l’abbé de Nantes ? Oui, dans le chœur canonial ! « Quand j’avais l’honneur d’aller avec le séminaire d’Issy-les-Moulineaux, le jour de Pâques, dans la cathédrale de Paris, nous racontait-il, nous étions dans les stalles avec les chantres professionnels de la Maîtrise. Je savais ce qui allait arriver. Alors, après la communion, je me garais bien dans une stalle d’où on ne pourrait me chasser et quand on entendait le “ Domine, salvam fac rem publicam ! Seigneur, sauvez la République ! ” – ralliement oblige ! – moi, je chantais avec la voix de tonnerre que j’avais quand j’étais jeune : “ Domine, salvum fac Regem ! Mon Dieu, sauvez le Roi ! ” »
Et notre Père riait en se rappelant la mine effarée des chanoines qui se retournaient pour identifier le trublion !
C’est ainsi que le jeune Georges de Nantes a inauguré sa carrière publique de Contre-Réforme et de contre-révolution, sous les voûtes de Notre-Dame de Paris ! Sa doctrine, sa sainteté, son sacrifice final sont le gage le plus sûr de notre espérance et la preuve que, non, la Sainte Vierge n’a pas abandonné la France.
Une dernière image : au tympan du portail nord de Notre-Dame se trouve représentée la légende de Théophile, qui enchanta le Moyen Âge. Le clerc Théophile avait vendu son âme au diable pour supplanter son évêque. Mais il se repentit et supplia la Mère de Dieu de le sauver. Elle intervint aussitôt et le sculpteur l’a représentée brandissant une épée comme une massue pour en frapper de grands coups sur le diable !
En 2024, il ne s’agit plus de Théophile, mais de la France infestée par Satan. Imitons donc le repentir du pauvre clerc, son recours à l’Immaculée triomphante et nous la verrons bientôt accourir et vaincre le Serpent. Paris est devenue la capitale de la Révolution ? Eh bien ! C’est là qu’elle lui écrasera la tête !
frère Bruno de Jésus-Marie