Il est ressuscité !

N° 260 – Novembre 2024

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Une encyclique sans destinataire 

La lettre encyclique Dilexit nos 
du Saint-Père François sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ

LA dévotion au Sacré-Cœur est au centre même de  notre religion catholique, « la synthèse de toute la religion » comme disait le bienheureux Pie IX. Et puisque cette encyclique Dilexit nos est sans destinataire, nous pouvons largement la trouver adressée aux Petits frères du Sacré-Cœur, et nous attacher à son étude complète avec profit.

Sacré-Cœur peint sur tissu par saint Charles de Foucauld pour décorer sa chapelle.
Sacré-Cœur peint sur tissu par
saint Charles de Foucauld pour décorer sa chapelle.

Ce long texte, qui fait exception au milieu des encycliques des Papes du post concile, traite de dogme, de mystique, de dévotion, bref, de religion catholique. Il y a abondance de citations de l’Évangile, de saint Paul, des saints que notre père nous a fait connaître et aimer tout particulièrement (saint François de Sales, sainte Marguerite-Marie, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, saint Charles de Foucauld), des Pères de l’Église, du pape Pie XII : c’est un texte religieux comme nous n’en avions plus eu depuis longtemps.

Seulement le concile Vatican II est passé par là... Car le but du Pape, par cette encyclique, est de faire enfin réussir la chimère, le rêve du Concile : la « civilisation de l’amour ».

Comment cela ? Notre Père l’avait expliqué dès le 25 mars 1965, avant même la dernière session du Concile, dans sa Lettre à mes amis n° 200, deuxième de la série “ L’Église et le M.A.S.D.U.: « L’important est donc que chacun réveille en lui au maximum sa religion, son idéologie, son athéisme même, en en acceptant tout le système, car une religion ou une doctrine amoindrie, discutée, reste sans profit et sans utilité pour le Monde. On ne réalisera pas l’œuvre d’une  communauté humaine réconciliée avec de mauvais catholiques, des bouddhistes sceptiques, des musulmans avachis. Mais avec des croyants ardemment soumis à l’Esprit qui parle et agit en chaque religion selon un appareil dogmatique et disciplinaire particulier, dont la totalité doit être sauvegardée.

« Ainsi le catholique doit-il l’être vraiment, intégralement. Les grands masduistes sont partisans d’une foi dogmatique, d’une liturgie authentique, d’une vraie discipline, et même des dévotions à la Vierge et au Sacré-Cœur. Tout cela, disent-ils, est nécessaire pour éveiller en notre âme l’amour du prochain – c’est-à-dire l’amour du Monde, explique le Père Lebret – en échappant à tout sectarisme, même religieux.

« À nous catholiques, il faut tout notre Credo pour être adultes, connaître l’expérience surnaturelle décisive de l’Amour et entrer de manière valable dans la communauté du Masdu.

« Et ainsi des autres. On ne peut rencontrer cette même conscience, cet amour surnaturel chez un communiste, un musulman, un rebelle congolais, que s’ils vivent à fond leurs croyances et sont totalement engagés dans leurs mouvements, comme nous dans l’Église. Aussi l’un des premiers soucis des grands masduistes est-il de combattre l’apathie, la routine, la passivité des chrétiens et de rendre leur foi assez ardente pour les jeter dans les rangs de l’Action catholique, à la rencontre des autres militants venus de tous les horizons du monde. »

La dévotion au Sacré-Cœur prêchée par le Pape procède d’une religion pour le moins édulcorée, à la façon progressiste : point de péché originel, partant point de rédemption, point d’institutions, point d’Église, point de la Vierge Marie Médiatrice, mais le cœur seul face à son Dieu, et à l’autre qu’il faut aimer à l’exemple de Jésus, dans l’Esprit.

C’est peu de chose en regard des trésors de doctrine catholique que nous a laissés notre Père, et dont les pages qui suivent vont nous donner un tout petit aperçu.

D’emblée, le Pape commence par de belles citations des Apôtres :

« 1. “ Il nous a aimés ”, dit saint Paul, en parlant du Christ (Rm 8, 37), nous faisant découvrir que rien ne pourra nous séparer  (Rm 8, 39) de son amour. Il l’affirme avec certitude car le Christ l’a dit lui-même à ses disciples : Je vous ai aimés.  (Jn 15, 9, 12) Il dit aussi : Je vous appelle amis.  (Jn 15, 15) Son Cœur ouvert nous précède et nous attend inconditionnellement, sans exiger de préalable pour nous aimer et nous offrir son amitié : Il nous a aimés le premier.  (1 Jn 4, 19) Grâce à Jésus, “ nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru.  (1 Jn 4, 16) »

C’est vrai et beau... et pourtant, comme notre Père l’avait souvent fait remarquer, dès le début, le ton est donné pour nous imposer l’erreur par des citations... abrégées, sinon tronquées.

En effet, saint Paul écrit : « Qui nous séparera de l’amour du Christ ? L’affliction, ou l’angoisse, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou le danger, ou le glaive ? Selon qu’il est écrit : À cause de toi, nous sommes mis à mort tout le jour, on nous estime comme des brebis d’abattoir. 

« Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs par celui qui nous a aimés. Oui j’en ai l’assurance : ni mort, ni vie, ni anges ni principautés, ni présent, ni avenir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus, Notre-Seigneur. » (Rm 8, 35-39)

Ce n’est pas du tout le même décor ! Là où le pape François ne voit « rien », saint Paul voit beaucoup d’obstacles à l’amour du Christ, contre lesquels il faut se battre, à commencer par des esprits mauvais, le diable, et ses suppôts humains, persécuteurs des fidèles de Jésus. Ce n’est donc pas aussi évident que le Pape le laisse paraître. Et il y faut toute la fougue de saint Paul pour proclamer : « Rien ne nous séparera de l’amour du Christ ! » C’est un combat !

Même remarque sur les deux autres passages utilisés par le Pape.

Ainsi du chapitre 15 de saint Jean, discours après la Cène, parabole de la vigne qui porte du fruit. Jésus « offre son amitié »... à ses Apôtres d’abord, et ce n’est pas du tout inconditionnel : 

L’AMOUR DE DIEU SELON SAINT FRANÇOIS DE SALES

«JE voudrais vous faire  réfléchir sur la grande pitié des âmes sans amour, celles qui ne savent pas ce qu’est l’amour de Dieu et peut-être aussi celles qui ne savent pas ce qu’est l’amour du prochain, car les deux ne sont qu’une seule et même chose.

« “ Misereor super turbam ”, disait Notre-Seigneur, “ j’ai pitié de cette foule ”. Il disait cela, parce qu’elle n’avait pas mangé et qu’elle le suivait depuis plusieurs jours. Mais enfin, nous savons qu’il était venu sur la terre pour apporter une autre nourriture que la nourriture du ventre.

« Il est venu pour nourrir l’esprit et le cœur des hommes.

« Au bout de tant de siècles, nous sommes toujours affrontés à ce fait dramatique, à cette grande pitié des foules qui sont sans amour, qui ne connaissent pas, qui n’ont pas compris encore, qui n’ont pas expérimenté, même les foules chrétiennes, ce qu’était l’amour de Dieu. Nous nous rangeons très humblement, chacun d’entre nous, dans cette pauvre foule qui ne sait pas, qui n’a pas compris, qui n’a pas expérimenté ce qu’est l’amour de Dieu ; j’entends l’amour de Dieu qui transforme une vie, qui embrase le cœur, qui illumine l’intelligence : le véritable amour de Dieu.

« Il n’y a rien de plus précieux, il n’y a rien qui soit davantage recherché par l’homme, que l’amour, l’amour le plus parfait, l’amour de l’être le plus beau, le plus parfait, le plus digne d’être aimé, le plus aimable et le meilleur, c’est Dieu ; et nous n’aimons pas Dieu, nous ne savons pas aimer Dieu. Nous ne connaissons pas l’amour de Dieu pour nous ; c’est tragique puisque Dieu nous aime, et nous ne savons pas comment l’aimer, lui, comment exercer cet admirabile commercium, comme dit la liturgie, cet admirable échange, cette alliance entre Dieu et les hommes, entre les hommes et Dieu qui est le grand dessein de Dieu dans la création et que pourtant il avait restauré dans la Rédemption, dans la recréation du genre humain par la Croix du Christ.

« Et pourtant, cet amour, c’est une question de salut éternel.

« Il s’agit de savoir si nous aurons l’amour de Dieu au moment de notre mort, si nous comparaîtrons devant un Juge que nous aurons détesté, ignoré ou méprisé, ou bien devant un Père que nous aurons aimé, pour nous jeter dans ses bras.

« Question de salut, mais question déjà de joie et de paix en ce monde, ici-bas.

On meurt de faim quand le cœur est vide de tout amour ; nous avons besoin de l’amour de Dieu. »

( “ L’amour de Dieu selon saint François de Sales ”, retraite d’automne, abbé Georges de Nantes, 1977).

« Personne n’a de plus grand amour que celui qui livre sa vie pour ses amis. Vous êtes, vous, mes amis, si vous faites ce que moi je vous commande. Je ne vous appelle plus esclaves, parce que l’esclave ne sait pas ce que fait son seigneur, mais je vous ai appelés amis parce que tout ce que j’ai entendu de mon Père, je vous l’ai fait connaître. »

Dans sa première épître, saint Jean écrit en témoin oculaire. Aussi, est-ce abusivement que le pape François écrit : « Grâce à Jésus, nous avons reconnu l’amour que Dieu a pour nous et nous y avons cru.  (1 Jn 4, 16) »

Ici saint Jean est pourtant clair : « Et nous, nous avons contemplé, et nous attestons que le Père a envoyé le Fils comme Sauveur du monde. Celui qui professe que Jésus est le Fils de Dieu, Dieu demeure en lui et lui en Dieu. Et nous, nous avons connu l’amour que Dieu a pour nous, et nous y avons cru. Dieu est amour, et celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. » (1 Jn 4, 14-16)

Le pape François semble donc mal parti, assez loin de l’amour fougueux de saint Paul pour Jésus, et de celui de saint Jean contemplant Jésus vainqueur par la Croix. Pour le Pape, il y a l’Amour de Dieu, premier, puisqu’Il est (avant nous), et nous pose dans l’existence, en nous créant, par amour, et lui nous attend, inconditionnellement. Mais notre Bon Dieu ne nous a pas créés in abstracto. Il y a toute une histoire, et précisément l’  en travers ” qui veut faire obstacle à ce dessein.

C’est cela qui n’est pas du tout évoqué au commencement de cette encyclique, à rebours pourtant de l’  expérience ” même des Apôtres dont le Pape se réclame.

I. L’IMPORTANCE DU CŒUR ( Nos 2 à 31)

QUELLE COMPRÉHENSION AVONS-NOUS DU “ CŒUR ” ?

Le concile Vatican II avait formulé un rêve prophétique : l’instauration de la civilisation de l’amour.

Mais le Pape constate que ce dessein est en train d’échouer, pour deux raisons principales qu’il dénonce : le progrès technique et l’appât du pouvoir, de la domination. Conjugués, ce n’est plus que déshumanisation et guerre.

Le constat est poignant :

« Devant le Cœur du Christ, je demande au Seigneur d’avoir à nouveau compassion pour cette terre blessée qu’Il a voulu habiter comme l’un de nous. Qu’Il répande les trésors de sa lumière et de son amour, afin que notre monde, qui survit au milieu des guerres, des déséquilibres socioéconomiques, du consumérisme et de l’utilisation antihumaine de la technologie, puisse retrouver ce qui est le plus important et le plus nécessaire : le cœur. » ( n° 26)

Comment redonner du cœur à notre temps ? (encart ci-dessous)

Le Pape tente, dans une première partie de son encyclique, d’établir une phénoménologie du cœur : Il en appelle aux Grecs ( n° 3), à la Bible ( n° 4) pour définir le cœur comme « centre unificateur qui donne à tout ce que vit la personne un sens et une orientation » ( n° 3), comme « lieu de la sincérité où l’on ne peut ni tromper ni dissimuler » ( n° 5).

Le Pape évoque les « questions décisives » telles que : « Qui suis-je vraiment, qu’est-ce que je cherche ? Quel sens je veux donner à ma vie, à mes choix ou à mes actions ? Pourquoi et dans quel but suis-je dans ce monde ? Comment est-ce que je veux donner de la valeur à mon existence lorsqu’elle s’achèvera ? Quel sens je veux donner à tout ce que je vis ? Qui est-ce que je veux être devant les autres ? Qui suis-je devant Dieu ? »

Mais il répond : « Ces questions me ramènent à mon cœur. » ( n° 8) Et, logiquement, de prendre appui sur Jean-Paul II : la société moderne manque de cœur, du coup, l’homme « risque de perdre le centre, le centre de lui-même » (Jean-Paul II cité au n° 9).

À l’école de Jean-Paul II, le cœur humain, tout tourné vers soi-même, reste finalement sec, quoique satisfait de “ s’auto-épanouir ” et “ s’auto-réaliser ”, puisqu’il ne sait pas d’où il vient !

Avant de poursuivre, il nous faut en appeler à la théologie de Georges de Nantes, selon laquelle, à l’école de Duns Scott, Dieu Trinité d’Amour, a un Cœur aimant qui sort de Lui-même pour épancher son trop-plein d’amour. Ainsi, par amour, Dieu le Père a donné à son Fils une épouse à aimer, dont le Cœur Immaculé est l’habitacle du Saint-Esprit. Ainsi les trois Personnes divines trouvent leur contentement en cette Fille du Père, Épouse du Fils et Amie parfaite du Saint-Esprit, leur Immaculée Conception.

Après Elle, Dieu crée l’homme et la femme dont il a le dessein de posséder le cœur, par l’Immaculée Conception, Sagesse de Dieu, et Médiatrice de toute grâce.

Las ! Satan intervient pour ruiner le dessein du Bon Dieu : avec le péché originel, fini le Paradis ! Plutôt que l’amour, c’est la haine qui règne sur la terre. Caïn tue Abel. C’était son frère !

Mais Dieu n’a pas renoncé à faire de la création une affaire de Cœurs. Cependant, le Pape déplore que « souvent la rencontre de l’autre n’est pas un moyen de se trouver soi-même », – but de l’existence selon Jean-Paul II –, « puisque notre mentalité est dominée par un individualisme malsain » ( n° 10). On tourne en rond, au plus loin de la “ circumincessante charité ”.

Soudain, le Pape s’élève à la hauteur du dessein de Dieu : « Car la véritable aventure personnelle est celle qui se construit à partir du cœur. À la fin de la vie, c’est tout ce qui comptera. » ( n° 11) Devant qui ? Et pourquoi ? Le pape François ne le dit pas !

Mais notre Père, lui, fait de la réponse à cette question primordiale le thème de sa première Lettre à mes amis, datée du 1er octobre 1956 :

« “ Au soir de la vie une seule chose demeure, l’amour. Il faut tout faire par amour.  Méditez cette sentence du Carmel, elle sera dans les troubles de votre vie une lumière apaisante. Les hommes n’ont jamais donné tant d’importance aux choses de la terre que maintenant [...]. Apprenez donc que l’acte de mourir est meilleur que tout autre, et la vie éternelle plus “ utile ” et plus “ efficace ” que toute œuvre terrestre. C’est à sa clarté que tout prend sa véritable signification, sa seule valeur. Rien de bon qui ne doive accroître notre désir de la rencontre avec le Maître, rien d’inutile ou de mauvais qui n’augmente en nous la crainte de mourir, le déplaisir de penser même à cette vie éternelle pour laquelle seule nous vivons la minute présente. Que seront ces mille tracas qui m’agitent lorsque Jésus reviendra frapper à ma porte ? [...]

« Nous croyons faire notre devoir d’état en nous absorbant à longueur de journée dans notre tâche, et nous nous étonnons par après d’être si loin d’un Dieu qui nous abandonne ! Ce n’est pas là notre devoir.

« Il est plutôt là où nous attire notre “ volupté ” selon le mot audacieux de saint Augustin : aimer ce Seigneur qui partout se fait présent et nous parle de vie éternelle, vivre dans cet amour et de lui, au point de ne voir toute chose petite ou grande, utile ou futile, agréable ou pénible qu’en la lumière de cet amour immortel, comme un service accompli pour la gloire de Dieu. De telle manière que nous n’amasserons ni gloire, ni richesse, ni vanité, ni science, nous ne progresserons guère (cette maudite idée de Progrès qui ôte la paix aux âmes ! il faudrait toujours aller à de plus grandes affaires...), mais rien ne se présentera à nous sans que nous ne puissions y manifester notre amour. »

REVENIR AU CŒUR

Celui qui n’aime pas, poursuit le Pape, est semblable au Stavroguine de Dostoïevski, « une incarnation même du mal, car sa principale caractéristique est d’être sans cœur » : « Stavroguine n’a pas de cœur, son esprit est donc quelque peu froid et impitoyable, et son corps est empoisonné par l’inertie et la sensualité bestiale. Il ne peut donc pas atteindre les autres hommes, et aucun d’entre eux ne peut vraiment l’atteindre, car c’est le cœur qui crée les possibilités de rencontre » ( n° 12), selon Romano Guardini cité ici par le Pape.

Ce que le Pape ne dit pas, c’est que ce personnage du roman les Possédés est l’archétype le plus diabolique du révolutionnaire nihiliste nietzschéen. Plutôt que « distant », il attire, il séduit, insidieusement, et notamment par son intelligence luciférienne, pour mieux dominer et faire triompher le mal, c’est-à-dire pour abattre Dieu, le Christ, l’ordre établi, pour tout détruire finalement. Lui-même est d’ailleurs un criminel. Il tient ses idées de son voyage en Occident, et veut importer la Révolution en Russie.

Dostoïevski le décrit ainsi pour mettre en garde son lecteur contre le péril de la révolution socialiste (communiste) qu’il voit venir. Ainsi, le caractère inhumain, « sans-cœur » de Stavroguine apparaît plutôt être le fruit de son idéologie, et non pas l’inverse, c’est cela qu’a voulu montrer Dostoïevski. C’est dommage que le Pape ne l’ait pas remarqué.

Avant même de faire une place à Dieu dans sa phénoménologie du cœur, le Pape indique comme remède à ce travers du « sans-cœur », de tout soumettre à l’empire du cœur. « Il faut aussi que l’intelligence et la volonté se mettent également à son service, en sentant et goûtant les vérités plutôt qu’en voulant les dominer comme certaines sciences ont tendance à le faire ; il faut que la volonté désire le bien le plus grand que le cœur connaît, et que l’imagination et les sentiments se laissent modérer par le battement du cœur. » ( n° 13)

Charles Maurras ne parlait pas autrement : « Le cœur est roi, l’intelligence est son ministre. » Mais il ajoutait aussitôt, avec sagesse : « Il ne faut pas qu’elle en soit l’esclave. »

Petite nuance que notre Père expliquait ainsi à de jeunes gens :

« Ce que nous voulons d’abord, c’est aimer, être aimés du Christ et l’aimer, être aimés des pauvres gens qui ne savent plus où est le chemin du salut bien repéré, le leur donner avec amour. Il faut que ce soit le cœur qui soit roi chez nous, c’est-à-dire l’amour et l’amour généreux, l’amour pur et désintéressé, l’amour modeste, l’amour dévoué jusqu’à la mort. Le cœur est roi, l’intelligence est son ministre. Il n’est pas simplement question de s’aimer les uns les autres, mais de montrer le chemin du salut, le chemin du salut catholique et français, bien repéré, bien clairement montré. L’intelligence doit être au service du cœur, sans quoi le cœur tombera dans mille aberrations dont nous n’avons que trop de spectacles actuellement. Il ne faut pas que l’intelligence soit l’esclave du cœur, il ne faut pas que nos passions nous emportent. » (sermon de 1984)

Dès lors, le Pape voit le cœur de l’homme comme sa meilleure définition :

« En définitive, on pourrait dire que je suis mon cœur, car c’est lui qui me distingue, me façonne dans mon identité spirituelle et me met en communication avec les autres. » ( n° 14)

Dieu fait-il partie des autres ? Oui, le Pape y arrive, après encore un petit détour par Heidegger, l’existentialiste athée, et même foncièrement anti-chrétien (et finalement nazi par le fait même) interprété par un penseur contemporain sud-­coréen pétri de philosophie allemande, l’un comme l’autre n’étant quand même pas des Pères de l’Église ( n° 16) ! C’est pour montrer que l’émotion, l’amour précèdent même la recherche philosophique. Ainsi le cœur, capable d’amour, règnera sur tout.

LE CŒUR QUI ASSEMBLE LES FRAGMENTS

Mais, reconnaît le Pape, la réalité n’est pas si belle :

« L’anti-cœur est une société de plus en plus dominée par le narcissisme et l’autoréférence. Nous arrivons finalement à la perte du désir ”, parce que l’autre disparaît de l’horizon et nous nous enfermons dans notre égoïsme, incapables de relations saines. En conséquence, nous devenons incapables d’accueillir Dieu. Comme le dirait Heidegger, pour recevoir le divin, nous devons bâtir une maison d’hôtes ”. » ( n° 17)

Il semble pourtant que ce soit tout l’inverse. C’est parce que notre société ne veut pas du Dieu catholique, et l’a chassé, qu’elle n’est plus qu’ « égoïsme, incapable de relations saines ».

La preuve en est l’expérience des missionnaires arrivant au sein de populations encore vierges de toute évangélisation et civilisation européenne chrétienne. Dans ce cas, aucun soupçon d’influence d’un quelconque dérèglement du progrès technique moderne qui assècherait le cœur. Et pourtant, les missionnaires constataient une absence de charité parfois effrayante.

Ainsi du Père Van Straelen, missionnaire en Inde qui affirmait n’avoir jamais rencontré un véritable acte de charité chez ses païens ! Voilà pourquoi, aux Indes, les gens meurent de faim dans les rues et les maharadjas qui ont des montagnes de diamants les poussent du pied pour rentrer chez eux...

Ou encore le Père Roger Buliard, o. m. i., missionnaire dans le Grand Nord, décrivant les mœurs des Esquimaux au moment de l’arrivée des missionnaires :

« De l’hypocrisie foncière, du mensonge et vol éhontés au meurtre à la moindre provocation, le pas est vite franchi [...]. Une saute de jalousie ou d’impatience, un bras se lève et tue quasi inconsciemment ! [...] Je n’ai jamais entendu dire qu’un assassin esquimau ait eu le moindre remords ; je n’en ai jamais vu aucun manifester, en tout cas, ne fût-ce qu’un semblant de honte [...]. Une des tares morales les plus funestes de nos Esquimaux c’est le massacre, pour nous monstrueux, des innocents. Il fut un temps où la bonne moitié des bébés féminins étaient de même radicalement supprimés à leur naissance. Une fille naissait : l’une des femmes présentes ou sa propre mère l’étouffait ; et le père en rentrant passait le petit corps à travers un trou dans la glace ! » etc.

Et de conclure : « Une telle dégradation, une telle débâcle des lois simplement naturelles s’excusent et s’expliquent en même temps d’un seul mot : les Esquimaux n’avaient plus de religion, de religion positive, vraie ! » (Inuk, 1949)

De même saint Charles de Foucauld au milieu des Touareg : « On se croirait dans un camp d’apaches ! » Le jour où le marabout tomba malade à mourir (janvier 1908), c’est vrai que les Touareg s’inquièteront et Moussa enverra des chèvres qui lui donneront un peu de lait. Il sera ainsi sauvé, mais c’est déjà parce qu’au bout de quatre années de présence au milieu d’eux et leur apportant aide et nourriture (1904), ils ont commencé à percevoir le mystère de ce dévouement, premier fruit du rayonnement du Sacré-Cœur au Sahara.

Ces relations que le cœur initie et préside constituent notre histoire personnelle, sans doute chaotique.

Le Pape précise : « Le cœur est également capable d’unifier et d’harmoniser l’histoire personnelle, qui semble fragmentée en mille morceaux, mais où tout peut avoir un sens. C’est ce que l’Évangile exprime avec Marie qui regardait avec le cœur. Elle savait dialoguer avec les expériences conservées en y réfléchissant dans son cœur, en leur donnant du temps, les méditant et les conservant intérieurement pour se souvenir. Dans l’Évangile, la meilleure expression de ce que pense le cœur est représentée par les deux passages de saint Luc qui nous disent que Marie gardait toutes ces choses, les méditant dans son cœur.  (cf. Lc 2, 19 ; cf. 2, 51). Et ce qu’elle conservait n’était pas seulement la scène  qu’elle voyait, mais aussi ce qu’elle ne comprenait pas encore, mais qui était présent et vivant dans l’attente de tout rassembler dans son cœur. »

Très beau passage, mais tout de même, de quoi s’agit-il ? Qu’est-ce que Marie conservait avec tant de soin que l’évangéliste a pris la peine de le mentionner par deux fois, et le Pape de le remarquer ? Le Pape ne le dira pas, il passe à autre chose... Arrêtons-nous cependant pour y aller voir.

Le premier passage (Lc 2, 19) fait référence aux événements de la Nativité de l’Enfant-Jésus, Dieu fait homme, dans l’étable de Bethléem, à l’annonce des anges dans le ciel aux bergers : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. » (Lc 2, 11) Puis comment ces bergers « vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche » (Lc 2, 16).

Le second passage (Lc 2, 51) intervient après le récit de la Douce Rencontre de Jésus, Marie, Joseph au Temple de Jérusalem, où Jésus révèle à ses saints parents son intimité avec son Père :

« Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » C’était après trois jours de recherche angoissante de Marie et Joseph, qui ont certainement rappelé à la Sainte Vierge la prophétie du vieillard Siméon entendue quelque douze ans auparavant, en ce même Temple de Jérusalem : « Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs. »

Il y aura donc un discernement des cœurs en fonction de Jésus, Dieu fait homme, signe de contradiction ? C’est annoncé, et « qui s’émouvra de la blessure du Cœur de Marie sera sauvé, nous assurait notre Père. Qui méprisera ou ignorera les Douleurs de Marie sera condamné. » (Il est ressuscité n° 249, novembre 2023, p. 17) C’est beaucoup plus impressionnant, que simplement « la tendresse que l’on conserve dans les souvenirs du cœur » ( n° 20).

La phénoménologie du Pape reste désespérément horizontale : point de Cœur de Dieu créateur, point de péché originel, point de Rédemption, point de Sauveur à aimer en reconnaissance, point de ciel à gagner, point de démons dont il faut détourner notre cœur, point d’enfer à éviter. Le cœur semble seul avec lui-même. Il y a peut-être “ les autres ”, mais il s’agit de se réaliser soi-même : « En définitive, si l’amour y règne, la personne réalise son identité de manière pleine et lumineuse, car tout être humain a été créé avant tout pour l’amour, il est fait dans ses fibres les plus profondes pour aimer et être aimé. » ( n° 21)

Partant, la compassion dont fait preuve le Pape au sujet des grands-mères pleurant, victimes de la guerre, est poignante, d’autant plus qu’elle est sans solution. C’est dramatique, le Pape pleure sur ces innocents qui perdent tout, fils et maisons : c’est le « signe d’un monde sans cœur » ( n° 22), déplore-t-il, impuissant parce qu’il s’est ôté les moyens de comprendre.

La guerre est l’état constant des sociétés livrées à l’emprise de Satan, nous enseigne notre Père.

La paix est un miracle, une réussite fragile de la vertu des hommes par la grâce de Dieu qui, seule, la rend possible, et aujourd’hui plus particulièrement où nous savons par les révélations de Fatima que c’est l’affaire du Cœur Immaculé de Marie. Le Pape entendra-t-il Jésus lui dire, comme à Lucie en 1925 à Pontevedra : « Aie compassion du Cœur de ta très Sainte Mère entouré des épines que les hommes ingrats lui enfoncent à tout moment, sans qu’il y ait personne pour faire acte de réparation afin de les en retirer » ?

Le Pape voudrait que chacun revienne sur lui-même, réfléchisse : « Ai-je un cœur ? » Ce souhait paraît illusoire, alors même que le Pape a déjà répondu à la question : « Il faut affirmer que nous avons un cœur. » ( n° 12)

Avec notre Père, on pourrait poser une question peut-être plus pertinente : « Qui est-ce que j’aime ? » (encart ci-dessous)

PETITE PHÉNOMÉNOLOGIE DU CŒUR HUMAIN, PAR L’ABBÉ GEORGES DE NANTES

L’ORDRE de Dieu, ce que Dieu  voulait. Il a créé le cœur humain. Un peu de phénoménologie et de psychologie : qu’est-ce que le cœur humain ? Personne ne sait !

Ce cœur qui bat est un instrument physiologique, c’est la pompe du cœur, mais en même temps c’est l’instrument de manifestation de nos émotions. D’où on appelle le cœur humain, le siège spirituel des émotions, des affections, des sentiments.

Ce cœur est comme notre corps, plein de vitalité naturelle, d’une magnifique complexité, d’une grande liquidité, ça bouge là-dedans. Nos émotions palpitent, nos sentiments changent comme des galets qui glissent dans l’eau l’un sur l’autre, on ne s’arrête jamais dans cette vie affective. Et ces sentiments, ces affections, ces passions sont tous évidemment guidés par une finalité qui, objectivement, est d’aimer le bien parfait, d’aimer ce qui est parfait. C’est Dieu qui est parfait. Donc, notre cœur est fait pour aimer Dieu, saint Augustin l’a dit : « Irrequietum est cor nostrum », notre cœur est inquiet tant qu’il te cherche, ô mon Dieu, sans t’avoir trouvé, il ne te chercherait pas s’il ne t’avait pas trouvé, d’une certaine manière, mais enfin, il faut encore qu’il te trouve réellement, les yeux ouverts, et il ne trouvera de repos qu’en toi.

Donc, sa finalité est de chercher Dieu, et aussi les êtres divins, les êtres qui parlent de Dieu, et de haïr les ennemis de Dieu, par le fait même, les ennemis du bien ; de chercher le Ciel où est Dieu, et de fuir l’Enfer et tout ce qui y mène.

Ça, c’est objectivement dans la clarté de la Révélation, mais le cœur humain est souvent aveugle. C’est l’ordre de Dieu qui est inscrit dans sa nature, dans ce vif argent qui est prompt à s’élancer au-­devant de tout ce qu’il veut aimer, à se dresser contre tout ce qu’il déteste.

C’est lui qui est, selon la définition de la prêtresse de Mantinée, dans Le Banquet, de Platon, dans le banquet au cours duquel on discute, on disserte de l’amour. D’abord, la prêtresse de Mantinée explique que l’amour est fils de poros et de pénia, il faut du temps pour comprendre ces choses ! Poros, ça veut dire l’expédient, je traduis : la débrouillardise, et de Pénia, la pauvreté. Quand on est pauvre, il faut être débrouillard, et la pauvreté avec la débrouillardise, on arrive à se faire riche.

Ce pauvre cœur humain voudrait embrasser le monde, il voudrait posséder toute la vérité, toute la science, toute la richesse matérielle, tout ce qui est bon, toute amitié, tout amour à la fois. Il se sent pauvre, et il rebondit sans cesse pour reconquérir ou conquérir ce qu’il a perdu, sans perdre une minute. Seulement, notre cœur est lui-même frappé par le péché originel. Comme la chair qui est maintenant tarée, où les instincts dominent et emportent l’être vers le mal, notre cœur aussi, lui-même est taré.

Il avait Dieu, il était au Paradis, tout lui plaisait, tout le ravissait, il se souciait peu ou point du tout de désobéir à l’ordre de Dieu. Saint Thomas dit que la créature humaine, sortie de Dieu, était si bien faite qu’elle ne pouvait pas avoir de tentations venant de l’intérieur, ni de tentation venant de la nature, de l’ordre naturel qui est parfait, qui ne peut pas tenter l’homme. Il fallait que Dieu pose un principe, une convention, Dieu fait convention avec l’homme, qu’il n’aura son bonheur que s’il obéit à tel précepte : ne pas manger du fruit de l’arbre du Bien et du Mal. C’est une figure, comme nous le savons. Mais d’autre part, il a fallu qu’intervienne dans cet ordre parfaitement réglé, un tentateur, qu’il y ait le virus qui vienne du dehors et qui saisisse le cœur humain. Le tentateur, ce fut le Diable.

Lorsque le Serpent s’est approché, qu’il a regardé Ève avec admiration et amour, cette sotte ! a cru que c’était arrivé ; son cœur a bondi, et pendant qu’il parlait – excusez la description, elle est volontairement très concrète, parce qu’on rêvasse, on reste sur son catéchisme de l’âge de huit ans, et alors notre religion, c’est une gaminerie ! –, qu’il la regardait avec des yeux intelligents, comme le Serpent l’admirait, qu’il lui manifestait de l’amour, ce qui n’était pas encore de la part d’Ève une faute, parce qu’elle était sotte son cœur a bondi, et pendant qu’il parlait, la serrait dans ses anneaux luisants et lisses, tout chauds, caressants et forts à l’étouffer, elle s’est crue riche et à deux doigts de conquérir la royauté divine. Enfin, elle a trouvé quelqu’un qui l’aimait, qui l’appréciait, et qui l’admirait plus qu’Adam et plus que le Bon Dieu ! Ça suffit à faire perdre une femme, ça ! Son cœur a mis son amour en soi-même, c’est de l’amour de soi d’abord. Toutes ces sottes et tous ces sots qui s’en vont dans des carrières amoureuses, comme ça, qui partent comme dans un roman, ils s’aiment eux-mêmes en croyant qu’ils aiment cette fille qu’ils sont en train de séduire, ou ce garçon ; ils sont contents d’eux-mêmes, ils sont fiers comme Artaban, ils font une sottise ! Je n’ose pas dire le vrai mot qui serait plus grossier, et ils sont tout fiers de faire leur sottise. Allez donc les décrasser de ça ! Il faut que le malheur arrive pour instruire l’être humain. Donc, son cœur a mis son amour en soi-même et demandait à Satan, le Serpent, de lui donner ce que Dieu lui refusait. Pesez chacune de ces paroles ! Quelle folie !

Tous les péchés capitaux communiquent par en dessous, tout se tient dans le désordre de la nature, nous en avons déjà vu un pas mal, hier : la luxure, l’impudeur, l’exhibitionnisme, l’obsession sexuelle, ça communique avec ce péché capital : le désordre du cœur. Mais, tous ces péchés sont abreuvés de la même source de pestilence, qui est l’orgueil. L’orgueil de la chair nue, hier, a le même principe que l’orgueil du cœur flatté, aujourd’hui, insolent et insultant, crevé de vanité dans l’illusion. Après le péché, tout d’un coup, leurs yeux s’ouvrent, ils vont se cacher derrière un buisson parce qu’ils sont nus, et aussi parce que par cette vanité prise en flagrant délit, ils ont tout perdu, ils l’ont compris dans l’instant même qui a suivi le péché. Ils se cachent du regard de Dieu, comme un enfant désobéissant qui se croyait malin, qui est pris au piège de sa malice, qui est pris en flagrant délit d’avoir fait une très grosse sottise. Il faut payer maintenant !

Alors, j’ai mis en rouge, comme ça, comme une moralité de cette introduction : Le chrétien doit se méfier de son cœur, plein d’imagination, de jactance, de vantardise et de folie d’illusions, de rêves fous, de vanité. Mais je dis ça comme Cassandre qui pleure sur les astres, parce que l’homme est l’homme et la femme est la femme, et le cœur humain est perdu et on ne les ramènera que par le châtiment. C’est dommage !

(Splendor Veritatis, Un nouveau regard sur la vie, PC 046, session de Pentecôte 1992).

LE FEU

Sans crier gare, le Pape nous fait passer dans le domaine de la « spiritualité » ( n° 24). C’est l’arrivée dans l’univers catholique, sans trop le dire afin que chacun, « croyant » ( n° 25), puisse y entrer.

Le Pape commence par exposer l’importance du cœur dans la spiritualité de saint Ignace, plus précisément dans les Exercices : « Michel de Certeau montre comment les motions  dont parle saint Ignace sont les irruptions d’une volonté de Dieu et d’une volonté du cœur qui reste différente de la réalité présente. Quelque chose d’inattendu commence à parler dans le cœur de la personne, quelque chose qui naît de l’inconnaissable, enlève la surface de ce qui est connu et s’y oppose. » ( n° 24)

Ce que le Pape ne précise pas ici : saint Ignace dont le langage très clair est dénué d’ambiguïté, demande à son retraitant que le directeur de conscience soit « fidèlement informé des motions et des suggestions diverses qui lui viennent des divers esprits » (annotation 17). Car saint Ignace enseigne qu’il faut exercer un jugement sur ces motions, et déterminer si elles sont de Dieu ou du diable. Ce sont « les règles pour connaître et discerner en quelque manière les différents mouvements qui se produisent dans l’âme, les bons afin d’y correspondre, les mauvais afin de les repousser ».

Tandis que le Père de Certeau en arrive à « montrer » le contraire. Le Pape s’appuie sur lui pour expliquer que ces motions sont « l’origine d’un nouvel ordonnancement de la vie  à partir du cœur. Il ne s’agit pas de discours rationnels qu’il faudrait mettre en pratique en les faisant passer dans la vie, de sorte que l’affectivité et la pratique seraient les simples conséquences – en dépendance – d’un savoir assuré. » Alors que saint Ignace expose clairement, au cinquième point de la première manière de faire une saine et bonne élection :

« Après que j’ai ainsi analysé et discuté tous les aspects de la question : voir de quel côté incline la raison : ainsi c’est selon la plus forte motion rationnelle, et non selon quelque impulsion du sentiment que doit se faire l’examen sur la chose en question. »

Le pape François, jésuite, ne peut pas ignorer la contradiction entre la théorie du Père de Certeau et ce que veut saint Ignace dans ses Exercices. Évacuer ainsi toute rationalité, tout raisonnement, toute autorité externe, partant toute institution, pour se livrer aux motions du cœur sans contrôle, sans jugement : c’est tout simplement l’anarchie.

Et que le Père de Certeau soutienne cette théorie à l’encontre de saint Ignace n’a rien d’étonnant, car c’est la justification de son cas.

Notre Père l’avait connu au séminaire, et nous disait en 1986 : « Hier, dans les journaux, on annonçait la mort du Père Michel de Certeau, – c’était un de mes camarades de séminaire –, nous avons été camarades, tous deux fils d’Action française, nous étions bons catholiques traditionnels, tous les deux de droite et même d’extrême droite. Pendant son séminaire, il a choisi de réussir, de plaire, de briller avec toute son intelligence. Il a renié ses parents, il a renié ses convictions d’Action française, il est devenu progressiste au bon moment, il s’est fait jésuite, il s’est fait un auteur célèbre. Il est mort, je me demande s’il s’est suicidé ou s’il a attendu le moment de la mort, et je ne sais pas s’il avait la foi depuis vingt ou trente ans, il était de toutes les révolutions, de toutes les anarchies. Il a été un des pionniers de mai 68. Il est mort du cancer, il a peut-être précipité sa mort pour marquer la liberté de l’homme sur son destin. Où est-il aujourd’hui ? Je n’en sais rien ! C’est une victime ? C’est une victime consentante. Il a choisi de réussir, il a choisi l’orgueil, il a choisi la célébrité. Il nous a reniés, il nous a considérés comme des étrangers, des ennemis pendant toute sa vie. Aujourd’hui, il avait soixante ans, il est mort. Où est-il ? Que chacun d’entre nous se dise : “ Entre sa voie qui est la voie de perdition et la voie de la fidélité à ce qu’on nous a enseigné, je choisis la voie de la fidélité parce que, ici-bas, c’est la voie de l’honneur, la voie de la vérité, la voie de la gloire et c’est la voie de la vie éternelle. ” » (sermon du 12 janvier 1986)

Voilà tout l’enjeu... et le pape François n’en parle pas. Suivent deux paragraphes (nos 26 et 27) qui parlent à un cœur catholique. C’est mystique, rassasiant pour l’âme religieuse.

« Là où le philosophe arrête sa réflexion, le cœur croyant aime, adore, demande pardon et s’offre pour servir à l’endroit que le Seigneur lui donne de choisir pour le suivre. » ( n° 26)

Le Pape cite saint John Henry Newmann qui « a pris comme devise Cor ad cor loquitur » : « Pour lui, grand penseur, le lieu de la rencontre la plus profonde, avec lui-même et avec le Seigneur, n’était pas la lecture ou la réflexion, mais le dialogue priant, cœur à cœur avec le Christ vivant et présent. C’est pourquoi Newman a trouvé dans l’Eucharistie le Cœur de Jésus-Christ vivant, capable de libérer, de donner un sens à chaque instant et de répandre en l’homme une paix véritable. » ( n° 26)

Il est remarquable que le Pape ait choisi des exemples restreints à une relation personnelle avec Jésus. Point question des autres ici, encore moins d’institution, de l’Église. « Le Sauveur nous sauve en parlant à nos cœurs à partir de son Sacré-Cœur. » ( n° 26) C’est vrai, mais pas en dehors de la communion avec toute l’Église, c’est ce qu’enseigne toute la tradition dont saint Ignace s’est fait le héraut.

« Sentir et goûter le Seigneur, et l’honorer, est une affaire de cœur. Seul le cœur est capable de mettre les autres facultés et passions, et toute notre personne, dans une attitude de révérence et d’obéissance amoureuse au Seigneur. » ( n° 27)

LE MONDE PEUT CHANGER À PARTIR DU CŒUR

Dans cet élan, le Pape ajoute un sous-titre, à vrai dire inquiétant : « Le monde peut changer à partir du cœur. » Si c’était : « Le monde peut changer à partir du Cœur de Jésus-Marie », ce serait tout différent. Mais hélas, de l’univers catholique nous passons à l’univers conciliaire. « Le Cœur du Christ est extase, il est sortie, il est don, il est rencontre. En Lui, nous devenons capables de relations saines et heureuses les uns avec les autres et de construire le Royaume de l’amour et de la justice dans ce monde. Notre cœur uni à celui du Christ est capable de ce miracle social. » ( n° 28) Et quel donc miracle ?

Le Pape l’explique en citant le concile Vatican II :

« Nous avons tous assurément à changer notre cœur et à ouvrir les yeux sur le monde, comme sur les tâches que nous pouvons entreprendre tous ensemble pour le progrès du genre humain. » ( n° 29) Ce passage est pris du chapitre “ contre la guerre ” de Gaudium et Spes ( n° 82, § 3).

C’est effectivement le souci actuel du Pape, qui constate l’échec de Gaudium et Spes, mais espère le conjurer en répondant toujours plus à l’appel du Concile à « revenir au cœur » ( n° 29), lieu « où l’attend ce Dieu qui scrute les cœurs (cf. 1 S 16, 7 ; Jr 17, 10) et où il décide personnellement de son propre sort sous le regard de Dieu » ( n° 29, Gaudium et Spes n° 14, § 2).

Notre Père commentait : « On est en pleine confusion d’un naturel douteux avec un surnaturel improbable ; c’est du roman, mais celui qui le prend au sérieux ne peut que s’enorgueillir de tant d’éloges immérités ! » (Autodafé, p. 331)

Le Pape continue à citer Gaudium et Spes :

« Quand au ferment évangélique, c’est lui qui a suscité et suscite dans le cœur humain une exigence incoercible de dignité. »

Notre Père s’exclame dans l’Autodafé : « Ah ! c’est d’un autisme transcendantal ! et d’un ferment ou germe révolutionnaire incoercible ! Car ici, tombe le beau masque philanthropique selon lequel chaque “ moi ” humain se bat pour le respect des droits des autres, du prochain, de l’  immigré ”, de tous... s’oubliant lui-même, ce masque est tombé. » (Autodafé, p. 392)

« 30. Allons vers le Cœur du Christ, le centre de son être qui est une fournaise ardente d’amour divin et humain et qui est la plus grande plénitude que l’homme puisse atteindre. C’est là, dans ce Cœur, que nous nous reconnaissons finalement nous-mêmes et que nous apprenons à aimer. »

Voilà comment tout semble dit de la religion du pape François. Dévotion intime au Sacré-Cœur, c’est une rencontre personnelle, pour soi, c’est-à-dire pour son propre accomplissement, sa propre révélation de soi à soi-même. Sans jugement de valeur (bien ou mal), sans autorité ni institution pour orienter, guider. Car c’est au-delà, selon le pape François, que cet embrasement du cœur résultant de la communion au Sacré-Cœur conduira à l’unité du genre humain, dans une nouvelle civilisation de l’amour, ici-bas.

C’est le rêve du Concile, auquel François voudrait donner un fondement et un commencement de réalisation avec l’appui de la plus pure mystique catholique.

Mais en réalité tout cela débouche logiquement sur une vision teilhardienne reprise de Laudato si :

« Toutes les créatures avancent avec nous et par nous, jusqu’au terme commun qui est Dieu, dans une plénitude transcendante où le Christ ressuscité embrasse et illumine tout. »

Notre Père expliquait que « c’est faux d’imaginer tous les désirs de milliards d’individus converger vers un point qui est un homme, même s’il est le Seigneur » (Autodafé, p. 502). D’autant plus que, explique le théologien de la Contre-Réforme catholique, « le Christ n’est pas le point oméga de convergence de tous les êtres de l’univers ni le lieu de fusion de toute l’humanité indifférenciée, mais le Sauveur de ceux qui viendront à lui et le Juge des autres, constitué ainsi “ Seigneur et Christ ” par son Père » (CRC n° 18, mars 1969, “ Hymne à Jésus-Christ sauveur ”, p. 8).

Alors, « retrouver ce qui est le plus important et le plus nécessaire : le cœur » ( n° 31) ?

II. DES GESTES ET DES PAROLES D’AMOUR (Nos 32 à 47)

Ce deuxième chapitre est le plus bref. Le Pape y parle d’abondance du cœur, sans autre référence que les Évangiles. Pour lui, Jésus a donné le meilleur exemple de cette charité, cette attention du cœur qu’il veut nous voir embrasser, par ses regards, ses paroles, ses gestes. La méditation est riche et fine : dans le Sacré-Cœur de Jésus, « là se trouve la source de notre foi, qui donne vie aux convictions chrétiennes » ( n° 32).

DES GESTES QUI REFLÈTENT LE CŒUR

« 34. Selon l’Évangile, Jésus est venu chez les siens (cf. Jn 1, 11). Il ne nous traite pas comme des étrangers, par conséquent nous sommes les siens. Il nous considère comme un bien propre sur lequel il veille avec soin, avec affection. Il nous traite comme les siens. »

Remarquons ici qu’historiquement “ les siens ” sont les juifs, et que le Pape a coupé le verset de saint Jean qui continue : « et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1, 11). Le Pape s’en tient à une interprétation de bienveillance, et à ce coup il exclut le vrai drame qui va se jouer, dont saint Jean a fait le cœur du prologue de son Évangile.

Le Pape poursuit :

Jésus « s’est fait proche de nous dans les choses les plus simples et les plus quotidiennes de l’existence. L’autre nom qu’il porte, “ Emmanuel ”, signifie en effet Dieu avec nous ”, Dieu proche de notre vie, vivant parmi nous. Le Fils de Dieu s’est incarné et s’est anéanti lui-même, prenant la condition d’esclave  (Ph 2, 7). » ( n° 34)

« 35. Cela est manifeste lorsque nous le voyons à l’œuvre. Il est toujours à la recherche, toujours proche, toujours ouvert à la rencontre. Nous le contemplons s’arrêter pour parler avec la Samaritaine au puits où elle va prendre de l’eau (cf. Jn 4, 5-7). Nous le voyons, au milieu de la nuit, rencontrer Nicodème qui a peur d’être vu avec Lui (cf. Jn 3, 1-2). Nous l’admirons se laisser laver les pieds, sans honte, par une prostituée (cf. Lc 7, 36-50) ; dire à la femme adultère les yeux dans les yeux : je ne te condamne pas (cf. Jn 8, 11) ; affronter l’indifférence de ses disciples lorsqu’il dit à l’aveugle sur la route avec tendresse : Que veux-tu que je fasse pour toi ?  (Mc 10, 51). Le Christ montre que Dieu est proximité, compassion et tendresse. »

« 36. Le Seigneur connaît la belle science des caresses. La tendresse de Dieu ne nous aime pas avec des mots. Il s’approche de nous et, proche de nous, Il nous donne son amour avec toute la tendresse possible. »

« 37. Jésus nous murmure à l’oreille : Aie confiance, mon enfant  (Mt 9, 2), Aie confiance, ma fille  (Mt 9, 22). Il nous faut vaincre la peur et réaliser que nous n’avons rien à perdre avec Lui. À Pierre qui perd confiance, “ Jésus tend la main. Il le saisit, en lui disant : [...] Pourquoi as-tu douté ?  (Mt 14, 31). N’aie pas peur. Laisse-le s’approcher de toi, laisse-le se mettre à côté de toi. Nous pouvons douter de beaucoup de monde, mais pas de Lui. Et ne t’arrête pas à cause de tes péchés. Rappelle-toi que de nombreux pécheurs se sont mis à table avec Jésus  (Mt 9, 10) et qu’Il n’a été scandalisé par aucun d’eux. Les élites religieuses se plaignaient et le traitaient de glouton et d’ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs  (Mt 11, 19). Lorsque les pharisiens critiquaient sa proximité avec les personnes considérées comme de basse condition ou pécheresses, Jésus leur disait : C’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice.  (Mt 9, 13) »

JÉSUS PARDONNANT LES OFFENSES

JÉSUS a enseigné le pardon, il nous a enseigné qu’il fallait pardonner, puis il nous a révélé le pardon divin. Nous pénétrons un peu davantage dans sa conscience.

Évidemment, cela est très connu dans l’Ancien Testament, vous l’avez vu dans les psaumes : la réponse de Dieu aux rébellions collectives.

Vous vous rappelez ce psaume qu’on dit être le psaume du Sacré-Cœur (psaume 105). En face des huit forfaits : huit, c’est aller au-delà de la perfection, qui est sept, alors c’est la surabondance du forfait. Eh bien, en face de ces huit forfaits, Dieu a répondu huit fois par la miséricorde envers son peuple.

Mais on trouve dans les psaumes de nombreuses allusions au péché de l’homme et au pardon divin : “ J’avais péché, je m’étais éloigné de toi, j’ai reconnu ma faute, et alors tu m’as pardonné. 

Vous vous rappelez le psaume 29, c’est le psaume de saint Pierre, parce que c’est vraiment le psaume qu’on peut mettre dans la bouche de saint Pierre après son reniement. Celui qui s’était cru tellement sûr, invulnérable par lui-même, impeccable, et qui a dévalé la pente. Alors, il s’est humilié et il demande à Dieu le pardon, et il l’obtient. Magnifique psaume !

Dieu pardonne, rien de plus connu.

Notre-Seigneur ajoute à cette révélation de l’Ancien Testament une perfection, lorsqu’il parle de la brebis perdue, de la drachme perdue, de l’enfant perdu (l’enfant prodigue), toutes ces paraboles sont à la suite l’une de l’autre parce qu’elles manifestent qu’il y a plus de joie au Ciel pour un pécheur qui se convertit que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui continuent, qui persistent.

Voilà la révélation de Notre-Seigneur sur le Cœur de Dieu, qui pardonne et qui aime pardonner.

Mais, avançons toujours, Jésus lui-même, comme Dieu, pardonne les péchés.

C’est davantage. La révélation va plus loin, ce ne sont plus des paroles.

Jésus se met à la place de Dieu, il agit en Dieu lui-même, en Personne divine, et mis en présence du pécheur, c’est une situation où un être saint a nécessairement un haut-le-cœur. Nous ne le réalisons pas parce que nous ne faisons attention à rien, mais lorsque tous ces sales bonshommes amènent en présence de Jésus cette poufiasse prise en état d’adultère, il ne faut pas oublier que Notre-Seigneur, en voyant ces hommes a peut-être une répugnance profonde pour ces hypocrites, bien sûr ! mais il ne faut pas croire, comme dans certains tableaux flatteurs, que cette bonne femme a pu séduire Jésus par sa beauté ! Ah ! ça non ! Jésus, qui voit le fond des cœurs, ne voit pas une pauvre femme ! On nous fait maintenant des portraits de prostituées, il n’y a rien de mieux sur la terre qu’une prostituée... Laissez-moi tranquille ! Une prostituée, c’est premièrement une paresseuse qui gagne cent fois plus en se prostituant que ce qu’elle gagnerait si elle était à l’atelier comme ses sœurs, qui boit parce qu’il faut s’encourager dans ce travail-là, et finalement elle est pleinement répugnante. L’adultère du chapitre 8 de Jean est répugnante pour Jésus, et crasseuse en plus ! Eh bien, il lui pardonne ! « Moi non plus, je ne te condamne pas, et ne pèche plus, s’il te plaît ! »

Voilà comment il faut comprendre que Dieu est plein d’amour et que nous ne sommes pas pleins de séduction aux yeux de Dieu dans notre péché. S’il nous pardonne, c’est parce qu’il va au-delà de ce mouvement de répulsion qui lui est naturel, en tant qu’il est saint.

De la même manière, Jésus pardonne, et c’est psychologiquement plus accessible, lorsque, passant dans un bourg des Samaritains, ils y sont tellement mal reçus que Jacques et Jean, les Boanergès, les fils du tonnerre, disent : « Seigneur, faites tomber votre foudre sur ce village-là, qu’on en finisse ! » Jésus leur dit : « Vous ne savez pas de quel esprit vous êtes ! » Mais ça veut dire que Jésus est aussi indigné en tant qu’homme, et plus encore, que Jacques et Jean, d’être reçu pareillement, seulement cette indignation Jésus la surmonte par la vertu de charité qui est une vertu divine, mais qui passe au domaine de l’humain quand Jésus apaise ses Apôtres et pardonne aux Samaritains.

Mais ajoutons [...] il en a souffert.

– Là, je veux vous introduire ce matin dans les arcanes de la psychologie du Christ. Il en a souffert physiquement, nous ne le savons que trop. Nous réduisons la Passion de Jésus à des douleurs physiques.

– Il a souffert physiquement, spirituellement dans son âme et dans son cœur, dans cette espèce de contrariété qu’il a affrontée, c’est-à-dire que nous voyons bien Jésus en butte à la haine des pharisiens, discutant avec eux. On voit bien qu’il souffre d’être contesté, d’être nié. Mais ça encore, nous le savons bien. Quand nous faisons notre chemin de la Croix, nous pensons aux douleurs physiques, mais nous pensons aussi aux douleurs, que j’appellerai “ spirituelles ”. La chair souffre, mais l’esprit souffre. Quand Jésus discute avec tous ces gens, quand les pharisiens lui disent : « Mais si tu es le Fils de Dieu, descends de la Croix ! » nous comprenons bien que Jésus souffre dans son intellect d’être contredit ainsi.

– Mais pensons-nous à la souffrance que j’appellerais l’émotion de sa sensibilité spirituelle  ?

Je vais dire un mot qui va vous étonner, mais qui fait comprendre.

C’est dans le même registre psychologique que le trac de l’avocat qui va plaider ou du conférencier qui va faire une conférence. C’est cette espèce de fragilité de soi-même par rapport à soi-même que l’homme a, c’est sa passibilité fondamentale. Jésus a été ému. Il a été, un peu comme Moïse l’a été, je vous le disais hier, “ exaspéré ”, poussé à bout, comme Moïse dans le désert. Marc parle de sa “ colère ”, à un moment, tout au début du ministère, une seule fois. Jésus se met en colère.

Mais il y a des moments où Jésus adopte une attitude qui, à première vue, nous surprend, pour ne pas dire : nous choque. En face de ce malheureux saint Pierre, peu après sa confession de foi admirable, quand saint Pierre refuse la douleur que Jésus veut accepter, l’itinéraire d’échec que Jésus annonce, saint Pierre se met en travers. Enfin, quand même ! C’était quand même pour le bien de Jésus, c’était parce que saint Pierre n’acceptait pas cette voie douloureuse, on le comprend un peu ! « Arrière Satan ! » Là, il y a eu une réaction émotive chez Jésus, que nous trouvons très peu de temps après, en face de la foule. C’est presque incompréhensible. Jésus se montre exaspéré, hors de lui-même : « Jusqu’à quand supporterai-je cette génération rebelle et adultère ? » Il s’agit de braves gens, de ce bonhomme qui demande aux Apôtres de libérer son fils d’une possession diabolique, et les Apôtres n’y réussissent pas. Jésus : « Est-ce que vous demanderez toujours des signes ? » Ça frise l’exaspération. En face des pharisiens et des sadducéens, nous allons trouver, nous l’avons vu hier, cette perpétuelle agressivité de Jésus, en réponse à tous ces méchants.

Si l’Évangile l’a permis, c’est pour nous montrer que Jésus était un homme comme nous, qu’il souffrait doublement.

Premièrement, il souffrait du mal extérieur qui lui était ainsi imposé, mais il souffrait d’une sorte d’écartèlement en lui de la nature divine et de la nature humaine.

Quand ce Jésus ensuite, imaginez-le après cette exaspération qu’il montre, quitte tout ce monde-là, monte sur la montagne et passe la nuit en prière, ah ! nous comprenons qu’un homme excédé, abîmé dans une détresse profonde à cause de cette génération incrédule et adultère, que cet homme ait besoin de se ressourcer.

Voilà la prière de Jésus qui nous avait paru si mystérieuse.

Au début de cette étude, nous ne savions pas quelle pouvait être cette prière ; maintenant, nous commençons à comprendre.

S’il y avait en Jésus un désarroi intime que nous n’osions pas soupçonner, mais qui est tout simplement la preuve de la plénitude de sa nature humaine, doublant sa nature divine, s’il y a cette peine, elle doit se répercuter dans ses relations à son Père. S’il doit lui parler de quelque chose, c’est de ça. Donc, la prière de Jésus n’est pas simplement une louange, mais c’est une demande. Il a besoin de quelqu’un à qui parler pour être consolé, réconforté, rassuré.

(Extrait de la retraite d’automne 1982, abbé Georges de Nantes, L’Évangile et les psaumes).

LE REGARD

Puis le Pape passe aux regards de Jésus :

« 39. L’Évangile nous raconte qu’un homme riche vint à lui, rempli d’idéaux, mais manquant de force pour changer de vie. Alors, Jésus fixa sur lui son regard  (Mc 10, 21). Peut-on imaginer cet instant, cette rencontre entre le regard de cet homme et le regard de Jésus ? »

« 40. Jésus est attentif aux personnes, à leurs préoccupations, à leurs souffrances. »

« 41. C’est justement parce qu’Il est attentif à nous qu’Il est capable de reconnaître chaque bonne intention, chaque bonne petite action que nous faisons [...]. Qu’il est beau de savoir que si les autres ignorent nos bonnes intentions ou les choses positives que nous faisons, Jésus ne les ignore pas, au contraire Il les admire. »

En conclusion de cette partie sur l’attention de Jésus aux autres, le Pape livre une riche idée : « En tant qu’être humain, Il avait appris cela de Marie, sa mère. Elle, qui conservait avec soin toutes ces choses les méditant en son cœur  (Lc 2, 19), Lui apprit, avec saint Joseph, dès son enfance à être attentif. » ( n° 42)

LES PAROLES

Après les gestes, les regards, le pape François médite sur les paroles de bonté de Jésus :

« 43. Nous avons dans les Écritures sa Parole toujours vivante et actuelle, mais il arrive aussi que Jésus nous parle intérieurement et nous appelle pour nous conduire au meilleur endroit. Ce lieu le meilleur, c’est son Cœur. Il nous appelle à entrer là où nous pouvons retrouver des forces et la paix : Venez à moi, vous tous qui peinez et ployez sous le fardeau, et moi, je vous soulagerai.  (Mt 11, 28) »

« 44. Les paroles de Jésus montrent que sa sainteté n’élimine pas les sentiments. Elles révèlent en certaines occasions un amour passionné qui souffre pour nous, s’émeut, s’afflige jusqu’aux larmes. »

Et le Pape donne en exemple les pleurs de Jésus sur Jérusalem ( n° 45) ou sur Lazare ( n° 46).

Le Pape évoque « l’angoisse de Jésus face à sa mort violente de la main de ceux qu’Il aime tant [...] au point de dire : Mon âme est triste à en mourir.  (Mc 14, 34) » ( n° 45)

Le Pape se défend que toute cette méditation soit « du romantisme religieux. Car rien n’est plus sérieux et décisif, et sa plus haute expression se trouve dans le Christ cloué sur la croix qui est la parole d’amour la plus éloquente. Il ne s’agit pas d’une coquille vide, d’un pur sentiment, d’une évasion spirituelle. Il s’agit d’amour. C’est pourquoi, lorsque saint Paul cherche les mots justes pour expliquer sa relation avec le Christ, il écrit : Il m’a aimé et s’est livré lui-même pour moi.  (Ga 2, 20) » ( n° 46)

Notre Père allait un peu plus loin en expliquant comment chaque geste de bonté de Jésus, chaque pardon aurait son mérite sauveur dans la Passion de Jésus (voir l’encart ci-dessus).

Ainsi, Jésus est bon, plein de tendresse et de miséricorde, pour les pauvres, les pécheurs. Mais Jésus n’est pas que cela.

Et de fait, le Pape avait écrit : « Dès que l’on aborde la question sociale, il est de mode, dans certains milieux, d’écarter d’abord la divinité de Jésus-Christ, et puis de ne parler que de sa souveraine mansuétude, de sa compassion pour toutes les misères humaines, de ses pressantes exhortations à l’amour du prochain et à la fraternité. Certes, Jésus nous a aimés d’un amour immense, infini, et il est venu sur terre souffrir et mourir pour que, réunis autour de lui dans la justice et l’amour, animés des mêmes sentiments de charité mutuelle, tous les hommes vivent dans la paix et le bonheur. Mais, à la réalisation de ce bonheur temporel et éternel, il a mis, avec une souveraine autorité, la condition que l’on fasse partie de son troupeau, que l’on accepte sa doctrine, que l’on pratique la vertu et qu’on se laisse enseigner et guider par Pierre et ses successeurs.

« Puis, si Jésus a été bon pour les égarés et les pécheurs, il n’a pas respecté leurs convictions erronées, quelque sincères qu’elles parussent ; il les a tous aimés pour les instruire, les convertir et les sauver.

« S’il a appelé à lui, pour les soulager, ceux qui peinent et qui souffrent, ce n’a pas été pour leur prêcher la jalousie d’une égalité chimérique.

« S’il a relevé les humbles, ce n’a pas été pour leur inspirer le sentiment d’une dignité indépendante et rebelle à l’obéissance.

« Si son Cœur débordait de mansuétude pour les âmes de bonne volonté, il a su également s’armer d’une sainte indignation contre les profanateurs de la maison de Dieu, contre les misérables qui scandalisent les petits, contre les autorités qui accablent le peuple sous le poids de lourds fardeaux sans y mettre le doigt pour les soulever.

« Il a été aussi fort que doux ; il a grondé, menacé, châtié, sachant et nous enseignant que souvent la crainte est le commencement de la sagesse et qu’il convient parfois de couper un membre pour sauver le corps.

« Enfin, il n’a pas annoncé pour la société future le règne d’une félicité idéale, d’où la souffrance serait bannie ; mais, par ses leçons et par ses exemples, il a tracé le chemin du bonheur possible sur terre et du bonheur parfait au Ciel : la voie royale de la Croix. Ce sont là des enseignements qu’on aurait tort d’appliquer seulement à la vie individuelle en vue du salut éternel ; ce sont des enseignements éminemment sociaux, et ils nous montrent en Notre-Seigneur Jésus-Christ autre chose qu’un humanitarisme sans consistance et sans autorité. »

Ainsi écrivait le Pape... en 1910, saint Pie X dans la Lettre sur le Sillon, n° 42.

C’est une mise en lumière de la déficience majeure de la mystique que prêche le pape François dans cette encyclique, où il n’y a ni vérité, ni erreur. Le pape François est donc bien loin de cette charité qui animait le pape saint Pie X, la vraie Charité de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est défense de la Vérité autant que bonté pour les petits, Charité qu’Il tenait de sa Mère au Cœur Immaculé, bien sûr !

III. VOICI LE CŒUR QUI A TANT AIMÉ (Nos 48 à 91)

Le pape François introduit ce troisième chapitre par ces mots : « Rappelons maintenant comment l’Église réfléchit sur le saint mystère du Cœur du Seigneur. » ( n° 47) Le mot « dévotion » apparaît pour la première fois au paragraphe n° 48 de l’encyclique : « La dévotion au cœur du Christ n’est pas le culte d’un organe séparé de la personne de Jésus. »

L’ADORATION DU CHRIST

Ainsi, les premières réflexions de « l’Église », en la personne de François, à propos de la dévotion au Sacré-Cœur sont pour définir un contour, mettre des limites suivies d’une mise en garde contre des abus dans l’utilisation des images du Cœur de Jésus : « Nous vénérons cette image, mais l’adoration ne s’adresse qu’au Christ vivant. » ( n° 49)

Le Pape en arrive à expliquer : « C’est pourquoi personne ne doit penser que cette dévotion pourrait nous séparer ou nous éloigner de Jésus-Christ et de son amour. » Cette assertion est surprenante. Lorsqu’il s’agit de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, nous avons l’habitude d’entendre cette mise en garde, afin de conserver le christocentrisme de Vatican II.

Mais ici, qu’est-ce à dire ? C’est que le Pape vient de nous décrire dans sa deuxième partie le Jésus de l’Évangile tel qu’il l’entend et qu’il le rappelle dans ce paragraphe n° 51 : « Ce Christ au cœur transpercé et brûlant est le même qui est né à Bethléem par amour, qui a parcouru la Galilée en guérissant, en caressant, en répandant la miséricorde, le même qui nous a aimés jusqu’au bout en ouvrant les bras sur la croix. Enfin c’est le même qui est ressuscité et qui vit glorieusement au milieu de nous. » Il ne faudrait donc pas que la dévotion au Sacré-Cœur soit autre chose que cela, par exemple, que ce Jésus revienne pour juger les vivants et les morts, que son Sacré-Cœur formule des demandes au roi de France, qu’il envahisse nos affaires temporelles, au point de devenir un emblème contre-révolutionnaire... Voilà qui serait fâcheux !

LA VÉNÉRATION DE SON IMAGE

« Si l’image d’un cœur avec des flammes de feu est un symbole éloquent nous rappelant l’amour de Jésus-Christ, il convient cependant que ce cœur fasse partie d’une représentation de Lui. Son appel à une relation personnelle de rencontre et de dialogue est de cette manière plus significatif. » ( n° 54) En note, on trouve la référence à deux décisions de la congrégation des rites, prises sous Léon XIII, pour interdire la représentation du seul Cœur de Jésus sur les autels.

On gage que Pie IX n’aurait pas toléré un tel iconoclasme. Avant le bienheureux Pie IX, saint François de Sales, sainte Marguerite-Marie n’étaient sans doute pas de cet avis, qui ont représenté le Cœur de Jésus entouré d’épines, ni non plus Notre-Dame de la Médaille miraculeuse qui a voulu que les deux Cœurs de Jésus et Marie soient représentés sur le verso de la médaille. Il est vrai que c’était avant l’interdit romain.

Le Pape s’appuie sur le concile de Trente pour se défendre de toute superstition dans le culte des images. « À travers les images que nous baisons, devant lesquelles nous nous découvrons et nous prosternons, c’est le Christ que nous adorons. » ( n° 56 citant le concile de Trente)

Tout cela est vrai, instruira sans doute le peuple fidèle... mais le laissera de marbre.

Le Pape, qui aime bien la religion populaire, aurait pu y prendre appui, pour donner du cœur à la vénération des images, qui bien sûr ne sont que des « figures incitatives » ( n° 47), comme l’a souligné notre Père :

« On sait de quel amour les saints ont donné mille preuves, parmi lesquelles les tendresses et baisers sans nombre envoyés aux statues, aux images ou donnés aux médailles miraculeuses, au chapelet lui-même avec une absence totale de respect humain et une avidité d’amour surprenante. C’est tellement remarquable dans beaucoup de saints dont je ne citerai que deux pour en avoir été très frappé. C’est évidemment Louis-Marie Grignion de Montfort et le Père Maximilien-Marie Kolbe. C’est assez surprenant.

« Quand on voit ces gestes, ces baisers insensés appliqués très soigneusement, très avidement, très pieusement aux statues, au piédestal de la statue, à une image, cette tendresse surprend beaucoup de gens.

« C’est une absence de respect humain, mais cela n’est rien. C’est une affirmation, une manifestation d’amour qui n’est pas faite pour être vue par les autres, mais qui est véritablement faite pour être vue par l’objet de notre adoration ou estime ou admiration, que ce soit une statue de Jésus enfant dans sa crèche, une statue de la Vierge Marie, surtout les statues couronnées, c’est-à-dire qui ont été l’objet d’une distinction par l’Église romaine, ou bien les statues de pèlerinage qui évoquent des apparitions. [...]

« Je me suis rappelé que vingt et vingt fois, j’ai fait cette théorie qui s’appelle tout simplement la méditation par les cinq sens de saint Ignace. Méditation qui est tellement difficile à faire comprendre aux retraitants et qui est la base de la méditation, la base de l’oraison et le seul accès à une mystique vraiment catholique. Cela qui est incessant dans le cœur des saints, est pratiquement ignoré des fidèles et bien mal utilisé.

« Quand Grignion de Montfort a sa petite statue de la Sainte Vierge sculptée par lui-même, il l’a au creux de sa main dans ses marches incessantes. Il la baise, il la baise cent fois et, à le regarder, on croirait que c’est un homme qui apaise sa sensibilité sur un objet matériel qui évoque vaguement quelque chose de surnaturel. Mais, en fait, c’est une sorte de communion, parce que, au même moment où le Saint manifeste sa dévotion, cette dévotion va plus loin que lui-même. Le Bon Dieu veut bien que la vérité de sa dévotion lui fasse atteindre l’objet même de son adoration, de sa piété, de sa dévotion. Ici c’est la Sainte Vierge, comme aussi bien ce sera sur la Croix, Jésus Crucifié.

Dieu qui voit cela, Dieu qui est le Créateur de toute chose, Dieu soutient la forme artistique de l’objet, si peu artistique qu’il soit, c’est Dieu qui répond à ce baiser par son propre baiser spirituel. Pourquoi insister ? Par les leçons de saint Ignace et les autres, si on arrive à cette réussite de la méditation de voir, entendre, odorer, savourer, toucher les saints, la Sainte Vierge, Jésus-Christ lui-même, on aura gagné d’entrer dans la communion des saints du Ciel, partageant leur joie, leur amour et tout bien.

« C’est mal dit, probablement, mais quand une personne dévote prend son chapelet et en baise la Croix et la médaille de la Sainte Vierge, cette personne dévote a tout à fait le sentiment et la certitude qu’elle atteint, bien au-delà de l’objet, celui qui est évoqué sur ces objets. D’où la recommandation expresse d’avoir des médailles et d’avoir cette dévotion très appuyée, très marquée, même si les modernes en dénoncent la superstition, l’idolâtrie. Ils n’ont rien compris.

« Saint Ignace baisait les rochers de la caverne de l’agonie ou bien les pierres du chemin durant son pèlerinage en Galilée. Le saint est au-delà de lui-même, porté au-delà de lui-même. C’est une sorte de sacrement, de sacramental si vous voulez et c’est une chose qui doit nous être recommandée. Quand on voit qu’une personne tient énormément à son chapelet, ce n’est pas du tout sans raison, c’est plein de raisons. Ce chapelet devient, entre la Vierge Marie et la personne qui y tient, un lien de communion spirituelle. On dirait : alors, dans ce cas-là, tout est communion. Exactement ! La communion de la messe absorbe et attire et consomme toutes les autres.

« Appliquons cette méthode d’attention divine aux médailles bénites, indulgenciées, aux petites statues dont peut-être nous imaginerons de voir le regard divin fixé sur nous dans un océan de gloire, à nos crucifix, multipliant les baisers et les caresses qui nous y tiennent unis. Ce sera le début d’une très amoureuse piété et d’un grand progrès spirituel. » (Petit traité sur le chapelet, août 1999)

UN AMOUR SENSIBLE

Et ainsi, et davantage encore en va-t-il de la dévotion au Sacré-Cœur !

À la suite du pape Pie XII dans son encyclique Haurietis Aquas de 1956, le pape François rappelle que Jésus nous a aimés d’un amour sensible, humain : « Les battements du Cœur de Jésus-Christ, uni hypostatiquement à la divine personne du Verbe, ont sans aucun doute été inspirés par l’amour et par toutes les autres affections sensibles. » ( n° 61, citant Haurietis Aquas)

Puis le pape François cite plusieurs Pères de l’Église, en exemple d’ « une forte affirmation de la réalité concrète et tangible des affections humaines du Seigneur » ( n° 62) : saint Jean Chrysostome, saint Ambroise, saint Augustin, saint Jean Damascène.

Notre Père aurait aimé cette sélection de saints qu’il a beaucoup pratiqués, par exemple saint Jean Chrysostome pour son réalisme eucharistique.

Dans une citation de saint Augustin, le Pape a fait une coupure, qu’il signale par des points de suspension :

« Ce qui affecte la faiblesse humaine, comme la chair même de l’humaine faiblesse ainsi que la mort de la chair humaine, le Seigneur Jésus l’a pris non par une nécessité de sa condition, mais par sa volonté de miséricorde [...] afin que, s’il arrive à quelqu’un d’être affligé et de souffrir au milieu des tentations humaines, il ne se croie pas pour autant étranger à sa grâce. » ( n° 62)

Et voici ce qui a été omis : « Par là, il a voulu transfigurer en lui son corps qui est l’Église, dont il a daigné devenir la tête, de manière à ce que ses saints et ses fidèles fussent ses membres : afin que, s’il arrive à quelqu’un, etc. » C’est donc la médiation de l’Église qui est gommée par le Pape ici... omission très significative de “ la dévotion au Sacré-Cœur ” qu’il voudrait sans intermédiaires, sans médiations, ni image, ni Église.

Le Pape poursuit en citant un théologien moderne, au pédigrée pour le moins sulfureux, qui explique : « En raison de l’influence de la pensée grecque, la théologie a longtemps relégué le corps et les sentiments dans le monde du pré-humain, du sous-humain ou tentateur du véritable humain. Mais ce que la théologie n’a pas résolu en théorie a été résolu dans la pratique par la spiritualité. Celle-ci et la religiosité populaire ont maintenu vivante la relation avec les aspects somatiques, psychologiques et historiques de Jésus. Les Chemins de Croix, la dévotion aux Plaies, la spiritualité du Précieux Sang, la dévotion au Cœur de Jésus, les pratiques eucharistiques [...]. Tout cela a suppléé aux lacunes de la théologie en nourrissant l’imagination et le cœur, l’amour et la tendresse pour le Christ, l’espérance et la mémoire, le désir et la nostalgie. La raison et la logique ont pris d’autres chemins. » ( n° 63)

Et voilà comment le modernisme triomphe, en creusant un abîme entre son piétisme et la raison.

Cela montre la nécessité des travaux du théologien de la Contre-réforme catholique, pour dépasser cette fausse distinction.

Ainsi dans son cours de théologie kérygmatique de 1973, notre Père reprenait ce même souci :

« Les modernes l’ont mieux vu que les anciens : le Corps, éminemment le Corps du Christ, est un instrument de communication, de don et d’appropriation. Pour être connu et connaître. Pour aimer et être aimé. Le Corps du Christ, physique et mystique, individuel et social, Eucharistie et Église indissolublement liés, est le moyen pour le Fils de Dieu de nous atteindre tous, de nous vivifier et unir à Lui pour le temps et dans l’éternité. C’est bien établi. Mais ce n’est qu’un aspect du mystère, aspect pratique, ou historique, tourné vers le monde. Il existe une autre fonction du Corps qui est de porter l’Esprit, de le retenir, de lui donner figure, de le révéler et de le communiquer. C’est l’aspect contemplatif ou céleste du même mystère du Christ et de l’Église. Aussi, après avoir constaté que nous n’avions part à la résurrection du Christ que par le ministère et le sacrement de son Corps, nous devons affirmer que nous n’avons d’accès à son Esprit-Saint et d’union à Lui, purifiante, illuminatrice, béatifiante que par contact et communication de son Corps qui en est porteur. » (CRC n° 72, septembre 1973, p. 12. – “ L’Église et l’Esprit ”)

C’est tout le mystère de l’Incarnation, dont notre Père a proposé une nouvelle explication dans sa théologie totale (1986) appuyée sur sa métaphysique relationnelle (1981) :

« Nous voyons donc très bien le Père qui engendre son Fils, ce Fils est la Parole du Père : le lovgo “ ejndiavqeto ” [logos endiathètos], Parole intime de Dieu, c’est la Parole qui résonne aux oreilles du Père, dans le Ciel. Mais quand une parole est prononcée, moi, j’aime bien qu’il y ait des gens pour la recevoir, et quand Dieu a créé le monde il s’est fait un auditoire, comme celui que j’ai ce soir. Quand il profère sa Parole, il se la profère pour l’écouter ; moi, quand je vous parle, je m’entends et, dans la mesure où ma parole vient bien conformément à ma pensée, je suis content de cette parole parce qu’elle reflète bien ma pensée ; quand ça ne va pas, ça ne va pas ! Quand je l’entends, je m’écoute parler, mais en même temps cette parole sort de ma sphère et elle atteint vos oreilles. C’est le lovgo “ proforicov ” [logos proforikos], la “ parole proférée ” des Grecs [...].

« Puisque Dieu parle, il se crée des êtres pour l’entendre parler, puisque sa Parole c’est son Fils. Il aime son Fils, il admire son Fils, il veut que beaucoup d’êtres entrent en partage de son Fils. Et quand les hommes ont été créés, pourquoi le Fils s’est-il incarné ? Parce qu’il fallait parler à ces bachi-bouzouks un langage de bachi-bouzouks, parce qu’ils étaient incapables de comprendre un langage divin. Donc, Dieu a dit à son Fils qui parlait un langage divin, un langage de nature divine : “ Va auprès de ces ignorants, parle-leur un langage qu’ils puissent comprendre, prends donc un langage qui leur soit adapté. ” C’est comme moi quand je vais chez les Russes : j’apprends le russe pour pouvoir leur dire ce que je pense en français, sous une forme qu’ils puissent écouter.

« Et donc, voici le Fils de Dieu envoyé auprès des hommes. Il est Dieu, il a une nature divine, cette Parole est prononcée en la langue divine que le Père seul peut comprendre, et il prend un moyen d’expression qui est à notre niveau : un langage humain, une nature humaine, une chair humaine, une langue humaine, des oreilles et des yeux humains, etc., tout ce qui est nécessaire, tout l’appareil, toute la panoplie de l’homme et il devient un homme comme nous.

« Alors, d’un côté il y a l’homme et d’un autre côté, il y a le Dieu ? Pas du tout ! Il y a la Personne divine qui, de Dieu se fait homme, pour être accepté, reçu, entendu, compris par les hommes. C’est la grande formule de saint Cyrille d’Alexandrie au concile d’Éphèse, en 431, qui a permis de proclamer Marie Mère de Dieu parce qu’il n’y a, en Jésus, qu’une seule réalité, – il n’y a qu’une “ personne ”, dirions-nous dans notre langage moderne –, il y a la Personne unique du Fils de Dieu qui se fait homme, qui s’incarne, qui prend une chair pour entrer en contact avec notre chair, une langue pour parler avec nous, et traduire son langage divin en un langage humain. » (Théologie totale, 4e chapitre : “ Dieu s’est fait homme. Conférence du 15 janvier 1987 à la Mutualité, Paris)

Ainsi, tout devient cohérent, il n’y a plus de dichotomie kantienne, deux domaines distincts. Ce que le pape dénomme « religiosité populaire » est le moyen voulu par Dieu de le rejoindre, de communier à lui, Jésus Dieu fait homme.

UN TRIPLE AMOUR

Le pape François continue par un sous-titre alléchant : « Le triple amour. »

Ces paragraphes (nos 64 à 67) sont largement inspirés de l’encyclique Haurietis Aquas du pape Pie XII. Le Pape y détaille les trois amours qui habitent le Sacré-Cœur : l’amour sensible, l’amour spirituel humain, l’amour divin.

« Ces trois amours ne sont pas des facultés séparées fonctionnant de manière parallèle ou sans lien, mais elles agissent et s’expriment ensemble en un flux constant de vie. » ( n° 66) En citant Pie XII, le Pape s’évertue à distinguer les deux natures du Fils de Dieu, nature humaine, nature divine, conformément au concile de Chalcédoine, dont la formule de saint Cyrille avait affirmé l’unité dans la Personne du Fils.

Mais le Pape surmonte la difficulté en faisant appel, comme notre Père, à la compréhension mystique de l’Incarnation selon saint Cyrille d’Alexandrie :

« Il n’y a qu’une adoration [...] selon que le Verbe s’est fait chair » ( n° 68, concile d’Éphèse), « “ d’une seule adoration, le Dieu Verbe incarné avec sa propre chair  est adoré. » ( n° 68, IIe concile de Constantinople, séance du 2 juin 553).

Ici, il est notable de voir le Pape passer par-dessus le concile de Chalcédoine (451) pour faire appel à ce deuxième concile de Constantinople (553), qui a toute une histoire !

C’était en pleine querelle monophysite, à cause du rejet du concile de Chalcédoine par les Orientaux le jugeant trop favorable au nestorianisme. Après différentes tentatives d’union que notre Père relate dans son numéro passionnant sur la crise du nestorianisme (CRC n° 90, mars 1975), l’empereur, alors Justinien, décida la convocation d’un concile à Constantinople pour essayer de refaire l’union entre les tenants d’Éphèse et ceux de Chalcédoine. Mais le pape Vigile refusa de s’y rendre. « Le Concile de Constantinople s’ouvrit le 5 mai 553 en pleine illégalité. En majorité grec, il examina les Trois Chapitres [trois dossiers de textes incriminés de Théodore, Théodoret, et Ibas, trois nestoriens plus ou moins avoués qui avaient été épargnés, excusés ou même réhabilités par Chalcédoine], et les déclara les uns hérétiques, les autres blasphématoires. C’est alors que Vigile fit parvenir un long et admirable Mémoire, son Constitutum, où il innocentait avec réserves, en partie seulement, les trois suspects, mais interdisait de contredire aux jugements et décisions de Chalcédoine, et de condamner des morts dont, vivants, l’Église avait reconnu l’orthodoxie. »

Passons sur les péripéties : fureur de l’empereur qui déclare déchu le Pape pour complicité avec l’hérésie nestorienne. « Le Concile condamna les Trois Chapitres et donc par ricochet, le concile de Chalcédoine qui les avait admis et le pape Vigile. Il rédigeait en même temps une Profession de foi excellente, riche de tout l’acquis des deux traditions d’Éphèse et Chalcédoine, mêlant ainsi à l’amertume des contestations stupides la saveur de la doctrine cyrillienne. L’Orient y adhéra. L’Occident la refusa [...]. Le 8 décembre 553, un autre Constitutum rend public le ralliement du pape Vigile aux thèses conciliaires [...]. L’Occident s’insurge, et le diacre Pélage proclame le Pape hérétique. Pourtant ce même Pélage, qui lui succède peu après sur le Siège de Pierre (556-561), à son tour reconnaît les décisions de ce Concile qui deviendra de ce fait et après coup légitime, Ve Concile œcuménique. »

Pour notre Père, l’important dans cette histoire mouvementée, c’est que « Rome y gagna de récupérer les trésors irremplaçables du monophysisme cyrillien. » (CRC n° 90, mars 1975, p. 9)

Ainsi, le pape François s’inscrit dans ce courant mystique, cher à notre Père, qui contemple et adore Jésus, Dieu le Verbe fait homme, selon la merveilleuse doctrine de saint Cyrille. Et c’est dans cet élan que le Pape termine alors ce chapitre dédié à l’adoration du Christ par un paragraphe entier ( n° 69) sur la contemplation mystique de saint Jean de la Croix dans le Cantique spirituel, qui est savoureuse : « Ce mystique comprend la figure du côté blessé du Christ comme un appel à la pleine union avec le Seigneur. Il est le cerf blessé du fait que nous ne nous sommes pas encore laissés toucher par son amour. Il descend aux cours d’eau pour étancher sa soif et trouve le réconfort chaque fois que nous nous tournons vers lui :

Reviens, colombe,
Car sur le sommet des monts
Apparaît le cerf blessé,
Savourant la brise fraîche de ton vol »

PERSPECTIVES TRINITAIRES

Blessé, abaissé, le Christ veut susciter notre amour, pour nous mener avec lui vers le Père. C’est ce que veut expliquer maintenant le Pape, sous le titre : « Perspectives trinitaires ».

« 70. La dévotion au Cœur de Jésus est nettement christologique. »

Cette affirmation du Pape montre qu’il tient la dévotion au Sacré-Cœur comme partie intégrante de la théologie du mystère de l’Incarnation. C’est dire que la dévotion au Sacré-Cœur n’est pas surérogatoire. Elle est centrale dans notre religion. Et il s’en explique : « Il s’agit d’une contemplation directe du Christ qui nous invite à l’union avec Lui », parce qu’Il « veut nous conduire au Père. On comprend pourquoi la prédication de l’Église, et cela dès les origines, ne nous arrête pas à Jésus-Christ, mais nous conduit au Père. C’est Lui qui, en fin de compte, doit être glorifié en tant que plénitude originelle. » ( n° 70)

Tout cela est appuyé sur beaucoup de référence aux épîtres de saint Paul, comme : « Pour nous en tout cas, il n’y a qu’un seul Dieu, le Père de qui tout vient et pour qui nous sommes. » (1 Co 8, 6) Et encore : « Béni soit le Dieu et Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation. » (2 Co 1, 3)

Le pape François s’attarde sur l’épître aux Éphésiens « où nous lisons avec force et clarté comment notre adoration s’adresse au Père : “ Je fléchis les genoux en présence du Père ” (Ep 3, 14). “ Un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, par tous et en tous. ” (Ep 4, 6) » ( n° 71)

On reconnaît ici une idée chère au pape François, avec son fameux « todos ! » des JMJ de Lisbonne. Pour le Pape, cet élan vers le Père est une invitation pour tous, indistinctement, « tutti ! »

Ce qui n’est pas manifestement la théologie de saint Paul, qui a bien précisé dans les deux versets précédant celui cité par le Pape :

« Il n’y a qu’un corps [l’Église] et un esprit, puisque vous avez été appelé par votre appel à une seule espérance ; un seul Seigneur, une seule foi, un seul baptême ; un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous et par tous et en tous. » (Ep 4, 4-6) Ainsi, l’amour du Cœur de Jésus réclame l’entrée dans l’Église, l’adhésion au baptême, c’est-à-dire la participation au mystère de la Rédemption opéré par Jésus, Notre-Seigneur, pour trouver le Père.

Le pape François précise : « Le Père est avant tout le Père de Jésus-Christ [...]. Observant comment le Christ se rapportait au Père, nous remarquons la fascination de son cœur humain, son orientation parfaite et constante vers le Père. Sa vie sur cette terre a consisté en un parcours où il a ressenti, dans son cœur d’homme, un appel incessant à aller vers le Père. » ( n° 72)

« 73. Nous savons qu’Il s’adressait au Père avec le mot araméen Abba ”, c’est-à-dire papa ”. À l’époque, certains furent gênés par cette familiarité (cf. Jn 5, 18). » Ah bon ? Le Pape a mis entre parenthèses une référence à l’évangile de saint Jean, espérant probablement que personne n’irait voir... et ne découvre la réalité d’un Jésus de Nazareth proclamant qu’il était le Fils de Dieu, à la face des juifs ses compatriotes, qui ont voulu le tuer pour ce motif très précisément, et cela dès le début de sa vie publique : « Voilà pourquoi les juifs n’en cherchaient que plus à le tuer : parce que non seulement il violait le sabbat, mais il appelait encore Dieu son propre Père, se faisant l’égal de Dieu. » (Jn 5, 18) Ce n’est pas tout à fait l’atmosphère sereine que laissait supposer le Pape.

Le Pape poursuit sa méditation du colloque du Père et du Fils : « Le quatrième Évangile dit que le Fils éternel est tourné vers le sein du Père  (Jn 1, 18) depuis toujours [...]. C’est pourquoi, lorsque le Fils se fait homme, il passe des nuits entières à converser avec le Père bien-aimé sur le sommet de la montagne (cf. Lc 6, 12) [...]. Regardons sa louange : Il tressaillit de joie sous l’action de l’Esprit-Saint, et dit : Je te bénis, Père, Seigneur du ciel et de la terre.  (Lc 10, 21) Et ses dernières paroles, pleines de confiance, sont : Père, entre tes mains je remets mon esprit.  (Lc 23, 46) » ( n° 74)

Et le Pape enchaîne : « Tournons maintenant notre regard vers l’Esprit-Saint... » ( n° 75) Après la contemplation du Fils, qui nous a amenés au Père, voici logiquement que le Pape termine son étude trinitaire par la troisième Personne, le Saint-Esprit, « ... ­l’Esprit-Saint qui remplit le Cœur du Christ et brûle en lui. Comme l’a dit saint Jean-Paul II, le Cœur du Christ est le chef d’œuvre de ­l’Esprit-Saint ” » ( n° 75).

C’est joli, mais révérence gardée, c’est une grosse bêtise ! Ce serait faire de la deuxième Personne de la Sainte Trinité un effet de la troisième Personne. Plus généralement ces trois paragraphes (nos 75 à 77), où le Pape veut expliquer le rôle du Saint-Esprit en s’appuyant sur Jean-Paul II, sont ainsi entachés de l’erreur dénoncée par notre Père, à Rome, dans son troisième Livre d’accusation, contre l’auteur du prétendu catéchisme de l’Église catholique, sixième hérésie : erreur sur le Saint-Esprit, animateur d’un monde nouveau.

« Selon notre pure foi catholique et son expression latine explicite, l’Esprit-Saint agit suivant en tout Jésus-Christ, selon les lois et les progrès de l’évangélisation toujours gouvernée et réalisée par Lui dans les Apôtres et les Chefs de l’Église investis de son Pouvoir. » (Liber III, p. 19)

L’Église, institution, œuvre de Jésus, animée par ­l’Esprit-Saint est la grande absente de l’encyclique.

Pour le Pape, « notre relation avec le Cœur du Christ se transforme alors sous l’impulsion de l’Esprit qui nous oriente vers le Père, source paternelle de la vie et origine suprême de la grâce » ( n° 77). C’est l’Esprit qui agit maintenant, directement, et qui révèle même le Fils : « C’est l’Esprit qui aide à saisir la richesse du signe du côté transpercé du Christ, dont l’Église est issue. » ( n° 75) C’est même cet Esprit qui a inspiré la mission de Jésus : « Car dans le cœur du Christ est vivante l’action de l’Esprit-Saint, auquel Jésus attribue l’inspiration de sa mission (cf. Lc 4, 18 ; Is 61, 1). » ( n° 75, citant Jean-Paul II qui se moquait pas mal du sens réel des citations bibliques comme notre Père l’a souvent montré)

Notre Père concluait son analyse du prétendu Catéchisme de l’Église catholique par trois propositions d’anathèmes lumineuses :

« Si quelqu’un dit que l’Esprit-Saint procède du Père sans admettre qu’Il procède également du Fils et que sa mission est toute déterminée et conduite visiblement par Jésus-Christ répandu et communiqué , c’est-à-dire par son Église hiérarchique, qu’il soit anathème ! » (Liber III, sixième hérésie, premier anathème)

« Si quelqu’un dit que l’Esprit-Saint révèle secrètement le Christ dans les âmes, depuis toujours et partout comme dans l’Église, qu’il soit anathème ! » (Liber III, sixième hérésie, deuxième anathème)

Le Pape conclut ce passage sur l’Esprit-Saint par cette formule : « C’est pourquoi la liturgie, sous l’action vivifiante de l’Esprit, se tourne toujours vers le Père à partir du cœur ressuscité du Christ ». Ici encore, pour le Pape, c’est l’Esprit qui agit.

Notre Père a formulé un anathème contre ce genre de proposition : « Si quelqu’un nie la Présence de Jésus-Christ à son Église et corporellement, activement dans le Saint-Sacrifice de la messe, au profit du Saint-Esprit, qu’il soit anathème. » (Liber III, sixième hérésie, troisième anathème)

Le pape François voit l’Esprit agir même en Jésus : « L’action de l’Esprit-Saint dans le cœur humain du Christ provoque en permanence cette attirance vers le Père. » ( n° 72)

Le théologien de la Contre-Réforme catholique a fait la lumière dans son cours de Théologie totale (1986) sur ce point délicat :

« Nous [les Occidentaux] disons que le Père engendre le Fils et l’Esprit-Saint procède des deux. D’où cette idée qui est fausse mais qui s’est répandue dans le peuple, non seulement dans le peuple mais chez beaucoup de théologiens, que l’Esprit-Saint est le lien du Père et du Fils, Celui qui fait l’union entre le Père et le Fils ; quelquefois, on dit : le baiser du Père et du Fils. C’est absolument faux ! Pourquoi ? Parce que le Père et le Fils étant absolument Un, ils n’ont absolument pas besoin d’un trait d’union, d’une autre personne qui se mette entre eux deux pour faire l’union. C’est impossible. Le Père engendre son Fils, et cette union est parfaite, c’est une unité : le Fils est Un avec son Père, puisque le Père lui donne toute sa nature, et c’est l’unité d’une même nature, ils sont consubstantiels, il n’y a donc rien entre eux. Le Père engendre le Fils. »

Mais alors, qui est le Saint-Esprit ?

« Saint Thomas dit que pour que l’on comprenne ce qu’est l’Esprit-Saint, il faut absolument dire qu’il procède du Père et du Fils, parce que, à ce moment-là on comprend que la nouveauté du Saint-Esprit provient, précisément, de l’union poussée jusqu’à l’unité de ces deux Personnes divines. Que se passe-t-il lorsque deux personnes sont parfaitement unies ? On comprend que ce qu’elles sont capables de produire, c’est un acte d’amour. Voilà comment saint Thomas a répondu à la plus grande difficulté qu’on ait rencontrée durant l’histoire de la théologie concernant la Personne du Saint-Esprit.

« Le Saint-Esprit est Feu, ce sont des flammes de feu, c’est une source d’eau vive, c’est une source d’eau jaillissante. La pluie ou la neige qui tombe, on regarde ! On ne se fatigue pas, parce que c’est toujours la même chose et ça change toujours. C’est la vie. On regarde une source jaillissante. On regarde... C’est la vie ! Le Saint-Esprit, c’est la source jaillissante. Ou plutôt, le Père et le Fils sont une source jaillissante d’un être vivant, un être qui jaillit, qui bouge et bougera toute l’éternité. Ça bouge depuis toute l’éternité. Le Saint-Esprit est la vie d’amour de Dieu !

« Et quand nous sommes saisis par l’amour de Dieu, nous disons avec l’Épouse du Cantique des cantiques :  Qu’il me baise de sa bouche, de ses baisers ! ” Ce sont les baisers de Marie-Madeleine, ce n’est pas un ni deux, mais une éternité de baisers, c’est une éternité d’actes d’amour, et chacun de ces actes d’amour n’est pas plus faible que le précédent, mais ils sont toujours de la même nouveauté. C’est ça l’éternité, parce que c’est ça le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit, c’est l’Amour jaillissant du Père pour le Fils, du Fils pour le Père, et c’est un amour jaillissant qui, comme il jaillit, revient au Père et au Fils pour être relancé de nouveau, c’est une Vie.

« D’où notre vie chrétienne, qui n’est pas : Je suis en état de grâce, donc ça va, je n’ai plus qu’à attendre d’aller au Ciel pour voir Dieu perpétuellement ” ! Notre vie chrétienne, c’est une grâce jaillissante du Cœur du Christ, qui sans cesse vient dans nos âmes et qui est à lui seul une Personne fascinante, plus que le Démon, et capable, en face de toutes les fascinations du Démon, de multiplier ses touchers spirituels, comme disent les mystiques, ses baisers spirituels, afin que notre âme soit éprise d’un amour sans cesse renaissant.

« Voilà ce qu’est le Saint-Esprit en nous. Et nous n’avons qu’à passer asymptotiquement en Dieu pour comprendre ce qu’est le Saint-Esprit en Dieu : c’est l’amour jaillissant du Père et du Fils qui, éternellement, revient à ce centre du Cœur de Dieu, dans la joie et l’allégresse. »

S’il plaît à Dieu, nous poursuivrons cette confrontation passionnante, puisque le pape François nous procure ainsi l’occasion d’une révision complète de notre religion, de notre foi catholique, « inchangée, inchangeable, non négociable, pour cause de perfection divine », pour mieux aimer, adorer le Sacré-Cœur de Jésus, comprendre et correspondre à son dessein de Justice et de Miséricorde, pour la louange de Gloire du Père, par le Cœur Immaculé de Marie, LE véritable « chef-d’œuvre du Saint-Esprit » (à suivre).

frère Sébastien du Cœur de Marie Immaculée.