10 AVRIL 2016
La deuxième pêche miraculeuse (Jn 21, 1-19)
CETTE deuxième pêche miraculeuse se déroule dans un climat de mystère, une sorte de halo de lumière ensoleillée dans la brume du matin, sur le bord du lac de Tibériade. C’est un peu irréel (Jn 21), comme en un rêve (...) :
Pourquoi Notre-Seigneur a-t-il fait revenir ses apôtres en Galilée ? Pourquoi les attend-il sur le bord du lac ? Pourquoi leur fait-il refaire une seconde pêche miraculeuse ? Par sentimentalisme ? Par romantisme ?
Les exégètes modernes remarquent que cette scène est racontée deux fois, au commencement de l’Évangile et à la fin, pour faire inclusion. Ils en concluent que c’est une forme littéraire, et qu’il ne faut pas croire que Jésus a fait refaire deux fois le même cinéma. Voilà où ils en sont !
Les gens sentimentaux disent : Jésus a voulu leur faire plaisir en leur rappelant comment cela avait commencé. Non ! Il n’y a pas de sentiments superficiels dans l’Évangile ou alors le sentiment est guidé par une sagesse, par une leçon. Alors, nous nous demandons si tout ce cinéma n’est pas une parabole, pas inventée par Jésus sur le moment, mais réelle, une parabole vécue. Il y a beaucoup – et c’est cela que je veux faire comprendre ce soir d’abord –, à côté des paraboles, des belles histoires que Jésus raconte pour illustrer sa doctrine, révéler son mystère, il y a des paraboles vécues, des scènes que Jésus a vécues, comme la multiplication des pains, comme la rencontre de l’aveugle-né. Ce sont des scènes qui sont en même temps paraboliques, qui portent une leçon et révèlent un mystère.
Lors de la première pêche miraculeuse, saint Pierre reconnaît qu’il est pécheur, que sans Jésus il ne peut rien ; et Jésus l’assure que ce miracle est l’annonce de ce qu’ils feront plus tard : ils repêcheront des hommes dans leurs filets et ils en pêcheront une multitude.
Évidemment, après sa mort, après avoir été renié par saint Pierre, après avoir vu tous les Apôtres fuir, quand Jésus les ramène au point de départ, ce n’est pas pour pleurer d’émotion à voir la barque de la première pêche miraculeuse, c’est parce que Jésus veut les remettre dans ce “ commencement ” pour refaire, mais cette fois avec la grâce et la force de Dieu, une pêche miraculeuse. Cette fois-ci, le nombre de poissons est stupéfiant, mais le filet ne rompt pas. Ce filet, évidemment, devient l’image de l’Église. L’Église, c’est ce grand filet qui ratisse la mer du monde et qui récolte de grands poissons. Ce sont de gros poissons. Ils firent le compte de leurs poissons, c’était encore une pêche extraordinaire, mais ce n’est pas la répétition du premier récit, il y a des choses qui sont semblables et des choses qui diffèrent.
Jésus, maintenant, va leur donner une leçon. Donc, nous voyons que, à la fin de sa vie, Notre-Seigneur qui va bientôt remonter vers son Père, va remettre ses apôtres dans le mouvement de la mission. Avant, ce n’était qu’une promesse lointaine ; maintenant, c’est la réalisation. Cette barque, bien sûr ils l’aiment, cela leur rappelle des souvenirs. Pour un peu on la mettrait au musée, s’il y avait eu des musées en ce temps-là. Pourquoi ? Parce que cela a été la barque de la première pêche miraculeuse, et maintenant c’est la barque de la deuxième pêche miraculeuse.
Mais aussi, c’est la barque de la tempête apaisée. C’est un autre récit de l’Évangile, où les Apôtres ont senti véritablement la puissance de Jésus, son Cœur, sa sollicitude pour eux (...). Cette barque leur rappelle ces événements-là aussi. Mais qu’est-ce que cette barque ? C’est la barque de Simon-Pierre. Qui est Simon-Pierre ? Avec les autres, André, Jacques et Jean ? Les colonnes de l’Église. Simon-Pierre, c’est le Vicaire du Christ, c’est le premier des papes, ce sera l’évêque de Rome. C’est le chef des Apôtres ; c’est la barque du chef des Apôtres.
Que représente cette barque d’où l’on fait une pêche miraculeuse quand, sur l’ordre de Jésus, on jette le filet ? Cette barque qui a connu la tempête et que Jésus a sauvée du naufrage, cela signifie l’Église. Donc, cette barque, c’est une parabole ou, si vous le voulez, c’est un figuratif. C’est une figure de l’Église. Tous les Pères de l’Église en ont fait des homélies magnifiques pour montrer que cette barque, c’est l’Église, et on ne peut pas sortir de cette barque sans tomber à la mer et se noyer. C’est cette barque qui est protégée de la tempête, c’est cette barque qui ira jusqu’à la fin du monde en portant son équipage, c’est-à-dire les Apôtres et leurs successeurs. C’est cette barque qui tire de la mer du monde tous les gros poissons et les hommes qui s’y noient pour les sauver tous.
Alors, quand Jésus revient – et c’est le dernier chapitre de saint Jean – et qu’il les surprend au petit matin dans leur barque avec point de pêche et point de poissons, il sait tout, mais il veut recommencer le miracle pour leur annoncer que maintenant, malgré leur trahison, malgré leur lâcheté du Vendredi saint, ils sont pardonnés. Les choses vont reprendre quand il sera remonté au Ciel. Mais il faut qu’il leur donne du courage ; alors il est là sur la terre ferme, et il a avec eux une conversation étonnante, et surtout il va manger avec eux une dernière fois (...).
Bientôt, Jésus va être là-bas, dans la Terre promise, les collines éternelles. Dans ces collines éternelles, il leur prépare le pain et le poisson. Le poisson, qui se dit “ ictus ” en grec, c’est le symbole du Christ, car les premières lettres de ces mots désignent : Jésus Christ, Fils du Dieu Sauveur. Donc, le poisson, c’est lui-même. Le pain et le poisson signifient l’Eucharistie. Il se donnera sous la forme du pain.
Pour les travailleurs qui reviennent de leur pêche miraculeuse et qui ont travaillé toute la nuit sans rien prendre, mais qui ont eu confiance en lui, Jésus du haut du Ciel ne cessera de nourrir son Église. Ces valeureux Apôtres pardonnés savent qu’il est là-bas, dans le Ciel, et qu’il les regarde se battre contre la tempête, qu’il les protégera toujours, qu’il viendra à leur secours jusqu’à la fin du monde.
Après quoi il a une longue conversation avec saint Pierre, où il lui fait passer une épreuve. Trois fois, il lui demande s’il l’aime vraiment, pour lui faire racheter son triple reniement. Ensuite, saint Pierre s’inquiète de ce que saint Jean est là, derrière eux, qui les suit, pour savoir ce que saint Jean deviendra. Le Christ dit cette parole énigmatique :
« Si je voulais qu’il demeure jusqu’à ce que je revienne, que t’importes ? Toi, suis-moi ! »
Parole mystérieuse sur laquelle je ne m’étends pas ici. Voilà comment cela se termina et comment les Apôtres comprirent, dans cette dernière parabole en actes, que l’Église était fondée, que bientôt le Saint-Esprit leur serait donné et que, dans l’absence du Christ, il sera toujours présent du haut du Ciel et que cette barque ne sombrerait pas.
Nous-mêmes, dans les temps catastrophiques que nous vivons, nous pouvons dire que, depuis le schisme de Mgr Lefebvre, le danger de schisme de l’après-Concile, ce sont ces paraboles en actes, ce sont ces discours de Notre-Seigneur qui nous ont dissuadés, avant même tout écrit de théologie ou tout droit canonique, avant même qu’on n’ait rien dit, c’est l’Évangile même qui nous a dissuadés de faire schisme sous prétexte que la barque prenait eau de toute part, que les Apôtres avaient renoncé à se battre et avaient peur.
Jamais nous ne quitterons la barque de l’Église ; c’est là la barque du salut, la barque sur laquelle le Christ veille comme sur la prunelle de ses yeux, c’est elle qui nous conduira jusqu’au Ciel à travers toutes les tempêtes de la fin des temps, et dans le calme que Jésus fera régner dans l’univers au moment où la grâce sera implorée par le Cœur Immaculé de Marie et que sera rendue la paix au monde.
Abbé Georges de Nantes
Extraits du sermon des vêpres du lundi 31 mai 1993.