26 MAI 2016
L’appel de Jésus-Hostie
JE suis resté dans l’étreinte de ton Corps, ô mon Dieu fait chair, dans l’ivresse de ton Sang, ô divine Parole versée dans mon cœur. Je voulais que tu imprimes en moi ta ressemblance, par la magie de notre amour mutuel. Mais maintenant que je pense dissoutes les espèces et figures de ton sacrement, sortant de l’église je me sens de nouveau bien seul devant ma redoutable tâche. J’invoque ton Esprit-Saint. Si ton Corps et ton Sang m’ont lié à toi et rendu membre de ton Corps Mystique en vérité, que ton Esprit me garde dans les liens de ta communion !
D’abord, grâce à Lui, je conserverai, j’éterniserai le souvenir de ta sainte, de ton ineffable présence corporelle, ô Toi qui es mon Créateur, mon Seigneur et mon Dieu. Parce que tu es descendu en ce logis, le voici consacré. Ton passage m’a marqué d’un signe. Je veux garder mon corps et mon esprit en l’état où ta visite les a mis, tout empreints de gloire et de grâce. Je sais que tu es toujours auprès de ceux qui te prient et qui t’aiment, mais je comprends mieux ce matin le caractère inouï de cette présence où ta chair s’est mêlée à ma chair et ton sang à mon sang. J’en demeure saisi et je vois bien qu’on ne doit pas se détacher si facilement d’une telle union pour courir, libre, à ses affaires temporelles et ses plaisirs d’homme. Il ne peut retourner pleinement à sa vie instinctive, ce corps que tu as si amoureusement honoré de ta Présence et comblé de tes embrassements. Désormais il t’appartient, et puisse-t-il ne plus jamais se séparer de toi, se retrancher de cette union, se profaner enfin, mon corps qui un instant fut ton arche !
La chasteté de chacun de tes membres selon leur état (mais la plus parfaite et la plus conforme à ce souvenir de notre communion matinale est la chasteté virginale) sera mon bonheur et ma règle. Je ne veux à aucun prix suspendre l’effet de ton sacrement ni rien marquer en moi profondément qui trouble et macule l’impression de ta présence. Le charme, le parfum, le goût de l’Eucharistie est si délicat, et digne des anges, que toute sensation trop forte m’en éloignerait. Tu m’obliges à un choix, tu m’invites à oublier tout le reste et comme je voudrais que cette abstinence ne soit même plus une mortification, une peine, mais le mouvement et l’envol de l’Amour ! Hélas, je sais bien que la réalité est autre. Il faudrait que tu me retiennes dans ton étreinte, de force, et me détournes toi-même de la vue des créatures terrestres qui m’attirent, ou alors que je me batte et refuse, que je me renonce et me crucifie moi-même pour m’abstenir de tout afin de conserver intact, vivant et vivifiant, le souvenir de ta Chair et de ton Sang au plus profond de mes entrailles ! C’est l’épreuve commune à tous ceux qui s’aiment, de la fidélité dans l’absence. Mais comment se fait-il qu’elle me soit rude encore quand c’est Toi qui m’es uni, Ton souvenir qui m’enchante et la promesse de Ton retour qui me soutient !
Puis, dans mon labeur ordinaire, j’aurai le saint désir de te faire revivre en moi tel que tu t’es montré ce matin, ô Jésus crucifié, ô doux Corps de mon Dieu, ô beau Sang répandu. Je le veux pour être parfait, pour montrer par toute ma vie combien ceux qui te servent sont aidés et comblés, mais surtout pour répondre à tes inspirations, à tes vues, à tes désirs. Je vais puiser d’heure en heure, de peine en peine, dans la leçon de ton sacrifice ; l’image de ta flagellation, de ta couronne d’épines, de tes clous, de la lance en ton cœur m’obsédera, pour accepter les dérisoires coups d’épingle qui me blessent, les souffrances minuscules de chaque jour. Je me rappellerai ton Sang vermeil dans le Calice pour penser à y mêler quelques sueurs, quelques larmes, tombées de mon visage au labeur de ce jour. Tu poursuivras ce travail du sacrement qui doit m’assimiler à toi et me configurer, moi pécheur, à tout ton être saint et crucifié. Ajouter ce qui manque à la Passion du Christ pour son corps qui est l’Église, sublime mais surhumaine vocation que je ne pourrai accomplir à la mesure des circonstances si toi-même ne vis en moi et n’y poursuis ta messe.
Que sera-ce ? Par quel membre me saisira le bourreau ce matin ? Quels vices se réveilleront en moi au contact du monde et sous la main de l’ennemi ? Quelle partie de mon corps aura à souffrir, quel compartiment de mon esprit ? Je ne sais et je ne peux que me mettre dans la disposition générale de te ressembler en portant ma croix aujourd’hui afin d’être ton disciple. Mater l’orgueil, flageller les convoitises, refuser la consolation et le repos, aimer qui vous persécute, s’enfoncer dans le travail sans attendre aucun salaire, préférer l’abjection. Ô Toi, divin Christ qui de la plante des pieds au sommet du crâne ne fus que blessures et douleurs, tu as tout éprouvé à la fois, tout supporté et accepté sans un gémissement. Fais, par la vigilance et le secours inépuisable de ton Esprit, que je ne refuse pas le peu qui me sera demandé. Car si ma journée passe sans que nul sacrifice, aucun renoncement, pas la moindre peine ou contradiction ne me fassent souffrir, toutes mes prières et mes protestations d’amour seront vraiment comme le figuier stérile qui démentit les promesses de l’alliance. Garde-moi de cette malédiction !
Ô présence de mon Dieu, ô Sacrifice de mon cher Christ, je voudrais tant et si bien m’effacer et me convertir en vous, me laisser absorber par le rayonnement de votre sainteté que j’en arrive moi aussi comme vous à n’être que le pain et le vin, le sacrement de la charité et de l’amour pour tous mes frères. C’est à cette extrême pointe de l’humilité et de la douceur que vous êtes parvenu, ô Jésus, quand, descendu des cieux, immolé et mort sur la croix, vous en vîntes enfin à résider dans les tabernacles silencieux de nos sanctuaires désertés. Quel excès de bonté et de miséricorde ! Voilà enfin, ma vocation je l’ai trouvée, s’écrieront comme d’autres Thérèse mainte et mainte âme bien en avant de la mienne. Ces âmes chrétiennes, encore vêtues de leur robe nuptiale, âmes pressées d’imprimer dans leur vie les marques de l’immolation qui les configure à leur Époux crucifié, ces âmes mystiques, cherchant avec avidité ce qu’elles pourraient encore s’imposer pour vous être plus unies tant que dure l’exil de la terre, reçoivent cette leçon sublime de votre Eucharistie : Soyez le pain de vos frères, soyez comme moi dans l’hostie de ces êtres donnés que chacun peut prendre et manger. Soyez le vin de vos frères comme je le suis devenu par mes immenses souffrances au pressoir de la croix. Nourrissez-les sans réserve de la substance de votre être, laissez-vous dévorer chaque jour et s’ils ne veulent pas de vous ni de vos biens, demeurez à côté d’eux, fidèles, sans bruit, pour le jour de leur faim. Voyez comme moi leur Seigneur et leur Dieu je les attends éternellement dans mes églises vides ! Réjouissez-les de toute votre sainte et céleste allégresse. Que de vos lèvres passe en leur cœur cette joie débordante des élus, de ceux qui savent que le Ciel est rouvert aux pauvres, aux éplorés, aux vaincus de la vie, aux persécutés. Passez au milieu d’eux en prêchant la grâce, l’espérance et la joie des fêtes éternelles. Voyez le calice où brille le vin exquis de mon Sang, passant de main en main pour allumer dans les cœurs l’ivresse de la grâce.
Ah ! quelle suite grandiose est offerte par vous, ô Jésus, à notre messe, à votre Saint-Sacrifice. Je vois bien ce que je devrai faire avec votre secours et le don septiforme de votre Esprit-Saint, mais je crains mon inconstance. Ah ! si vous pouviez forcer ma volonté rebelle ! Mais non, vous me laissez à moi-même encore aujourd’hui pour que ma vie et mes efforts me soient une source de mérites jaillissant en vie éternelle et qu’après avoir tout reçu de vous dans cet instant heureux de ma communion, vous receviez de moi ces pauvres fleurs que je cueillerai au long du jour avec amour, ornées de quelques gouttes de mon sang.
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Page Mystique n° 70, Tierce, août 1974.