24 JUIN 2016

Saint Jean-Baptiste, le précurseur

Jean-Baptiste

LES textes de Qumrân jettent une lumière décisive sur la vie de Saint Jean Baptiste. « Selon toute probabilité, affirme frère Bruno, saint Jean-Baptiste a été élevé par les esséniens de Qumrân, dans l’attente d’une purification plus parfaite que celle dont les bains rituels répétés n’étaient que la figure. Un jour, il a quitté Qumrân pour administrer avec autorité non loin de là, dans l’eau vive du Jourdain, un baptême unique, en signe précurseur du baptême d’Esprit qu’administrerait bientôt le Messie. » (...)

Lorsqu’on ouvre l’Évangile, tout commence en automne 28, avec le baptême administré par Jean, fils de Zacharie, à « Béthanie au-delà du Jourdain » (Jn 1, 28), sur la rive orientale du fleuve, juste avant son embouchure dans la mer Morte, à quelques kilomètres au nord de Qumrân qui est situé sur la rive occidentale.

Cette région est appelée par saint Matthieu le « désert de Juda », mais saint Luc emploie une formule différente : « La parole de Dieu fut adressée à Jean dans le désert » (Lc 3, 2), comme si « le désert » désignait non pas une région désertique quelconque mais un lieu déterminé. (...) Or, « le désert » est précisément l’expression par laquelle les solitaires de Qumrân, les esséniens, désignaient la région où ils s’étaient exilés, sous la conduite du “ Maître de justice ”, leur fondateur. (...)

Après la mort d’Hérode le Grand, c’est-à-dire en l’an 1 de notre ère, comme nous l’avons établi à propos de la date de la naissance du Christ, les esséniens sont revenus à Qumrân, et c’est là que le petit Jean, fils du prêtre Zacharie et d’Élisabeth, fut accueilli, lors de la seconde colonisation des rives de la mer Morte, « dans les endroits déserts » dont parle saint Luc, « jusqu’au jour où il se présenta à Israël » (Lc 1, 80).

Nous savons en effet par Flavius Josèphe que les esséniens, à défaut d’une progéniture propre, « adoptent les enfants à l’âge où l’esprit encore tendre se pénètre facilement de leurs enseignements » (Guerre juive, II, 120).

Là, Jean se nourrit de sauterelles et de miel sauvage (Mc 1, 6) ; le Document de Damas, dont on a trouvé les vestiges d’au moins dix copies à Qumrân, précise que les sauterelles doivent être grillées ou bouillies vivantes. Jean s’abstenait de vin et de toute boisson fermentée ; les esséniens ne buvaient que du vin doux. Jean apparaît comme un ascète, à la différence du Christ, ainsi que Jésus le soulignera lui-même (Lc 7, 33-34), mais à la ressemblance des “ moines ” de Qumrân. Jean n’était pas marié ; le célibat était une caractéristique des esséniens. Etc.

Les rapprochements abondent, y compris les rapports de bon voisinage avec un des fils d’Hérode le Grand, Hérode Antipas, celui auquel Pilate enverra Jésus pendant la Passion (Lc 23, 7-12). Ce prince avait un palais à Jéricho et une forteresse à Machéronte, juste en face de Qumrân, sur l’autre rive de la mer Morte. Saint Marc rapporte qu’Hérode « craignait Jean, le sachant homme juste et saint ; en l’écoutant il était perplexe, mais il l’écoutait volontiers » (Mc 6, 20). C’est donc à contrecœur qu’il le sacrifia à la vindicte d’Hérodiade (Mt 14, 3-12).

En revanche, saint Jean-Baptiste réservait toutes ses sévérités aux pharisiens et aux sadducéens : « Engeance de vipères, qui vous a suggéré de vous soustraire à la Colère prochaine ? » jette-t-il à ceux qui se présentent pour se faire baptiser (Mt 3, 7). Cette expression d’une violence extrême est empruntée au rouleau des Hymnes découvert dans la grotte 1, qui stigmatise les « créatures du serpent ».

Tandis qu’à toutes les âmes de bonne volonté, publicains et pécheurs y compris, Jean-Baptiste disait : « Une voix crie : “ Préparez dans le désert une route pour Yahweh ” (Is 40, 3). » Cet oracle d’Isaïe sert au Précurseur pour définir sa mission propre (Jn 1, 23 ; cf. Mt 3, 3 ; Mc 1, 3 ; Lc 3, 4). Or, la Règle de la communauté fait deux fois allusion à ce même oracle pour justifier la fuite au désert de ceux qui ont fait sécession d’avec le sacerdoce de Jérusalem. La rencontre n’est pas fortuite. Elle signifie que, pour les “ moines ” de Qumrân comme pour saint Jean-Baptiste, la fin approche, le temps du salut point déjà.

LE BAPTÊME DE JEAN

La mission de Jean-Baptiste est de préparer les cœurs à cette visite de Dieu, en leur prêchant la conversion (Mt 3, 8), dont le signe est la réception d’un baptême de repentir dans les eaux vives du Jourdain. Dérivé des baptêmes par immersion pratiqués à Qumrân, celui de Jean prépare un baptême définitif dans l’Esprit-Saint que donnera Celui dont Jean se dit indigne de délier la sandale, et qui va venir après lui. (...)

Selon Jean-Baptiste, comme selon les scribes de Qumrân, il est urgent de se convertir, car le jugement est imminent, qui séparera le froment de la paille destinée au « feu qui ne s’éteint pas » (Mt 3, 12). (...)

À la différence du baptême de Qumrân, celui de Jean ne se répète pas et revêt de ce fait le caractère d’une initiation. Il introduit ceux qui professent une attente active du Messie dans la communauté des « frères » qui sera prête à recevoir le baptême de l’Esprit-Saint le jour de la Pentecôte, afin de bâtir son Église avec des « pierres vivantes ». (...)

Après avoir refusé de croire en lui, les « frères de Jésus » passèrent en effet au Christ à partir du jour de la Pentecôte, par vagues successives, au point de disparaître, absorbés par la communauté chrétienne, tandis que les pharisiens, leurs ennemis de toujours, renaissaient des cendres de Jérusalem, après la guerre Juive, à Yabné, pour y fonder une tradition rabbinique antichrist, et instituer le “ baptême des prosélytes ” pour contrefaire celui des chrétiens, sous le nom de tevilah.

Tout en soulignant combien, par cette attente qui leur est commune, « la ressemblance entre le milieu du Baptiste et le milieu de Qumrân est étonnante », le Père Daniélou s’empresse de marquer la spécificité de la vocation de Jean-Baptiste :

« Faut-il dire alors que Jean n’est qu’un grand prophète essénien ? Il est possible qu’il ait été un essénien. Il est plus vraisemblable qu’il fut seulement dans la mouvance de l’essénisme. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il eut une vocation personnelle. “ La parole de Dieu lui a été adressée dans le désert ” (Lc 3, 2). Il a donc eu un message propre et d’ailleurs les “ disciples de Jean ” apparaissent à diverses reprises comme un groupe tout à fait distinct des esséniens (Jn 3, 25). »

Quel est donc ce « message propre » ? Il n’est pas seulement « d’annoncer l’imminence de la visite de Dieu, de la venue du Messie et de l’effusion de l’Esprit, comme on le faisait déjà à Qumrân. Il est de témoigner que la “ visite ” est arrivée, que le Messie est là, que l’Esprit est répandu. Il est d’avoir eu à désigner Jésus comme étant la réalisation de l’événement attendu. » (Daniélou) C’est dans ce but que Jean-Baptiste a quitté un jour Qumrân, et a commencé à administrer avec autorité non loin de là, dans l’eau vive du Jourdain, un baptême unique, en signe précurseur du baptême d’Esprit qu’administrerait bientôt le Messie. Le rôle unique, incomparable de Jean-Baptiste, à la jonction de l’Ancien et du Nouveau Testament, au centre de l’histoire du salut, a été proclamé par Jésus lui-même :

« En vérité je vous le dis, parmi les enfants des femmes, il n’en a pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste ; et cependant le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui. » (Mt 11, 11)

Frère Bruno de Jésus-Marie
Extraits de Il est ressuscité ! n° 7, février 2003, p. 3-6