24 JUILLET 2016
CREDO
IV. Que votre volonté soit faite
sur la terre comme au Ciel
AVANÇONS encore. Dieu est notre Tout, parce qu’il est notre Principe et notre Fondement. Dès lors il est aussi notre Fin, dès maintenant et à jamais. Sa Présence enveloppante renouvelle sans cesse en nous les énergies de la vie, mais ce n’est pas pour les disperser en un feu d’artifice avant de retomber dans la nuit. Loin de là ! Les dons qu’il nous fait s’accompagnent d’ordres bien agencés en vue de notre épanouissement ultime. Ce sont des orientations admirables parce qu’elles emportent notre consentement enthousiaste, mais ce sont encore des lois souveraines, expressions d’un droit divin qui oblige absolument et sans conteste, parce que le but où ils nous conduisent dépasse notre humaine compréhension. En les suivant, en obéissant, la créature retrouve son Créateur et s’appuie sur sa Toute-Puissance. Quelles que soient les apparences, de peine, de mal et d’échec définitif même, la soumission à ses lois conduit à la victoire finale et fait entrer, en heureux, les fils de Dieu dans l’héritage qu’ils ne savaient pas, mais qui dépasse toute leur espérance. Sortir des voies qu’il nous a tracées, ce n’est pas en trouver d’autres, meilleures ni pires même, car nul n’échappe aux volontés de Dieu. C’est, en refusant son bienfait, dépérir et se livrer au néant. « Irrequietum est cor nostrum, Domine, donec requiescat in te. » « Notre cœur est inquiet, Seigneur, tant qu’il ne repose pas en vous », soupirait saint Augustin.
Le cœur de celui qui l’a compris entre, dès lors, dans un profond silence que rien ne troublera plus. « Silentium, tibi laus ! » Le silence est votre louange ! C’est adhérer pleinement au Mystère divin qui apparaît dans nos vies, de la diffusion de son Bien essentiel et de l’assomption progressive des créatures saintes dans cet Amour éternel. Au-delà des vicissitudes, Dieu est, en lui-même et pour lui-même, Gloire et Béatitude ineffable. C’est notre première joie si, comme Charles de Foucauld, nous savons, sans autre souci, nous réjouir de ce que notre Bien-Aimé est heureux, parfaitement et pour toujours, dans son Ciel de gloire. Mais déjà nous connaissons sa Volonté de nous donner pour héritage une part rassasiante de ce bonheur, et c’est notre seconde joie, si grande, si décisive, qu’il nous suffit d’y entrer vraiment pour voir se dissiper les craintes et les peines de cet exil : Dieu nous veut du bien, déjà nous en avons perçu tant de preuves, et encore chaque jour, que pourrait donc nous faire l’homme ? et en suivant ses volontés, en y conformant les nôtres, comment pourrions-nous manquer la béatitude promise ? C’est alors que nous entrons dans cette troisième joie qui en est le prélude, quand nous accomplissons les ordres de Dieu. C’est, en notre conscience et en notre cœur, une union sublime, où l’acte de donation de la créature à son Dieu répond à l’acte originel de donation par lequel Il se donnait le premier, et ce don mutuel emporte l’être humain, de degrés en degrés, par le mérite et par la sainteté croissant sans cesse, vers la vie éternelle où ils ne seront qu’Un dans l’amour.
Tel est le but où les âmes mystiques atteignent dès cette vie. Mais, ultime discrimination, à ce but tous n’atteindront pas de la même manière. Tous accompliront la volonté de Dieu sur eux et la consommation de l’histoire proclamera la parfaite réalisation du dessein très beau, très bon, très sage de la Providence. Et cependant tous ne l’auront pas voulu, et même certains auront cru s’y opposer, dans la révolte et le péché. Ils y entreront nonobstant, mais dans le malheur et la damnation éternelle. Cette dernière vérité, la plus grandiose, la plus terrible, doit enfin jeter sa grande lueur sur le Mystère infini de la Majesté divine. Rien de tel pour rassurer les âmes bonnes et pieuses, rien qui doive effrayer davantage les cœurs endurcis et orgueilleux. Il faut donc ajouter, à notre connaissance de Dieu, cette dernière grandeur de sa Prédestination.
Pour aller au plus simple, écoutons notre Père Emmanuel, cette réplique admirable du Curé d’Ars qui convertit au siècle dernier sa paroisse du Mesnil-Saint-Loup. Il y a en Dieu, enseignait-il, deux sortes de volontés, la « volonté du bon plaisir » et la « volonté signifiée ». « Or, la première est à Dieu, et en quelque sorte ne nous regarde pas ; la seconde nous regarde et c’est elle que nous devons surtout regarder en Dieu. C’est dans cette volonté que nous voyons le salut de tous les hommes ; c’est en elle que se passe le mystère de la grâce. » (Vie, p. 358) Et ce disciple profond de saint Augustin et de saint Thomas de rappeler à ses paroissiens que nous connaissons la bonne volonté de Dieu, celle qu’il nous a signifiée, et à laquelle il nous faut obéir en tout ce qu’il nous appartient de faire. Elle est adorable, cette Loi divine, et praticable, par les secours de la grâce, et béatifiante si nous lui sommes fidèles. En cette Volonté, nous connaissons que Dieu veut le salut de tous les hommes et n’a rien négligé du nécessaire et du superflu pour leur donner d’y parvenir. Ah ! que Dieu est donc bon, généreux et miséricordieux. Voilà de quoi avancer avec assurance dans des chemins sûrs, vers la vie éternelle. Est-ce à dire que, dès lors, Dieu se soit livré au caprice des hommes, à leur malice, s’étant d’avance engagé à les sauver tous et à n’importe quel prix ? Dieu serait-il contraint de récompenser ses pires ennemis ? ou d’avouer en les rejetant qu’ils ont mis en échec ses desseins immuables et l’ont ainsi vaincu ? Ne le croyez pas, chrétiens, ne l’imaginez pas ! Dieu est d’une autre puissance que ces raisonnements misérables le donneraient à croire... Ce qu’il nous signifie de sa volonté n’en est qu’une part et sans doute la moindre, celle qui nous est à présent utile. Mais sa première et dernière sagesse, sa volonté générale et l’ensemble achevé de son dessein, qui peut les connaître ? C’est le « bon plaisir » de ce Grand Roi, et dans le temps même que j’écris, ou que vous me lisez, tous, absolument tous, nous le réalisons pour notre part et selon notre cheminement individuel, par notre bonne ou par notre mauvaise volonté, en tous nos actes et nos plus secrètes intentions. Ici ce bon plaisir couronne les élus, et là il maudit les réprouvés, ne faisant qu’appliquer à tous la juste sentence de leurs actions, mais en conformité avec sa pure, simple, souveraine, éternelle Volonté (de Verit. q. 23, art. 3).
Ici la plume tremble, l’âme s’arrête stupéfaite... Tout de même une grâce puissante soutient notre courage, à mi-chemin du désespoir et de la présomption : « Ô douce main, ô touche délicate, qui a la saveur de la vie éternelle, qui paye toute dette, vous donnez la mort, et la mort se change en vie. » (Saint Jean de la Croix, Vive Flamme, str. 2). L’espérance se fonde sur le Mystère d’une Sagesse impénétrable mais qui, pour nous, se révèle tout Amour. Qu’avons-nous besoin de savoir davantage ? Nous avons assez pour bien faire, mais le reste de lumière inaccessible qui brûle à nos yeux, nous contraint à nous prosterner pour adorer et pour prier. Le disciple le plus aimé du Père Emmanuel, le Père Bernard Maréchaux, ajoutait : « Il nous déclara souvent que s’il avait fait quelque bien aux âmes, c’était pour leur avoir inculqué ces principes... : Les âmes ne prient plus, disait-il, parce qu’elles ne connaissent pas la grâce de Dieu. » (ibid. p. 357)
Ainsi Dieu échappe à nos prises, mais qu’avons-nous besoin de nous assurer de Celui qui trône dans les Cieux ? Qu’il nous prenne au contraire et que nous disparaissions en Lui où est notre vie, notre amour, où seront enfin notre bonheur et notre gloire :
« Ô mon Dieu, Trinité que j’adore, aidez-moi à m’établir en vous, immobile et paisible, comme si déjà mon âme était dans l’éternité. Que rien ne puisse troubler ma paix ni me faire sortir de vous, ô mon Immuable, mais que chaque minute m’emporte plus loin dans la profondeur de votre Mystère.
« Pacifiez mon âme ; faites-en votre ciel, votre demeure aimée et le lieu de votre repos ; que je ne vous y laisse jamais seul, mais que je sois là tout entière, tout éveillée en ma foi, tout adorante, toute livrée à votre action créatrice... Ô mes Trois, mon Tout, ma Béatitude, Solitude infinie, Immensité où je me perds, je me livre à Vous comme une proie ; ensevelissez-Vous en moi pour que je m’ensevelisse en Vous, en attendant d’aller contempler en votre lumière l’abîme de vos grandeurs. » Rien de plus beau que cette élévation de sœur Élisabeth de la Trinité ? Si pourtant, la troisième demande du Pater, dans sa divine simplicité : « Notre Père qui êtes aux Cieux... que votre Volonté soit faite sur la terre comme au Ciel. » Qu’en acceptant et suivant les volontés que vous leur avez signifiées, tous les hommes s’il est possible, ô mon Dieu, soient sauvés selon les mystérieux desseins de votre bon plaisir.
Ainsi cheminent notre pensée et notre prière aux confins du monde connu, plus loin que les nébuleuses spirales, à la recherche de Celui qui en est la Cause et le Cœur. Elles vont à la rencontre des lumières et des grâces qui en descendent vers les hommes. Tous les mystères de notre vie découlent de ce Mystère essentiel ! Nous ne l’oublierons plus, dans la suite de notre méditation sur le Credo : nous ne savons le tout de rien, parce que tout vient de Dieu et y fait retour, selon les lois saintes de sa Justice et plus encore de sa Miséricorde.
Laissons tendrement s’exhaler enfin la plainte de l’âme avide d’aller contempler son Dieu et son Père, dans l’unité du parfait amour :
« Pasteurs, vous qui passerez
Là-haut, par les bergeries jusqu’au sommet de la montagne,
Si par hasard vous voyez
Celui que j’aime le plus,
Dites-lui que je languis, que je souffre et que je meurs. »
Que les anges portent jusqu’au trône de Dieu nos louanges, nos demandes, notre adoration et les marques de notre amour !
Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Lettre à mes amis no 222, tome III, février 1966.