21 MAI 2016

Comment l’Esprit-Saint
imprime-t-il ses dons dans nos âmes ?

EN ce 6e dimanche après Pâques, l’Église nous donne à méditer le 14e chapitre de l’Évangile de saint Jean dans lequel Notre Seigneur, avant de monter au Ciel, promet à ses apôtres de ne pas les laisser orphelin en leur envoyant un autre défenseur, l’Esprit de vérité qui les aidera à rester fidèles à ses commandements. Que pouvons-nous dire de cet Esprit de vérité ? Comment l’Esprit-Saint agit-il dans nos âmes ? Quel est l’enseignement de l’Église sur ce Consolateur que Jésus a promis d’envoyer à son Église ?

L’Esprit-Saint nous a été donné comme notre Ami, comme l’Hôte de notre âme.

Comment va-t-il imprimer dans nos âmes sa manière de penser et d’agir ? La théologie nous donne des distinctions qui sont bien utiles.

Dieu, c’est-à-dire l’Esprit-Saint, agit en nous en nous donnant les vertus morales. Mais il y a une manière plus parfaite : c’est lorsque Dieu, non seulement nous donne ses vertus, nous donne la force d’avoir ces inclinations qui nous poussent vers le bien, mais qu’il nous donne en plus ses dons spirituels.

Qu’est-ce que les dons du Saint-Esprit ? Comment les dons du Saint-Esprit sont-ils plus parfaits que les vertus ? La chose est un peu délicate et consiste en ceci : lorsque Dieu nous donne des vertus, par sa grâce, il nous donne de savoir agir et de vouloir agir sous notre contrôle propre, avec notre propre initiative, pour le bien.

Par exemple, Dieu nous donne la vertu de prudence, et ainsi, dans nos actions, dans nos délibérations, quand nous avons des décisions à prendre, nous réfléchissons et, très volontairement, c’est une activité qui nous est tout à fait propre, nous décidons d’agir de telle ou de telle manière. Nous avons la vertu de prudence. Ou bien la vertu de tempérance : en face de telle ou telle satisfaction terrestre, nous savons exactement en jouir dans la mesure où Dieu veut, et refuser ce qui serait superflu. Ou bien dans la vertu de religion, nous avons une inclination qui nous pousse à servir Dieu comme il le faut.

Tout cela nous paraît venir de nous tout seuls, et cependant, si la grâce de Dieu n’était pas là, nous serions bien incapables d’avoir ces vertus. Donc, dans un premier temps, Dieu nous donne des forces pour marcher, pour aller de l’avant, d’une manière qui nous semble à nous tout à fait de notre initiative. Les théologiens remarquent que cette manière d’agir selon nos vertus est une manière bien imparfaite. Dans la prudence, nous ne savons pas toujours bien peser le pour et le contre, et nos décisions ne sont pas toujours marquées par une très grande sagesse.

Il y a une manière beaucoup plus parfaite dont Dieu intervient dans notre âme, dont l’Esprit-Saint imprime dans notre esprit ses manières de faire, ce sont les dons. Et là, Dieu nous donne, non pas des vertus qui nous permettent d’agir sous notre contrôle, mais une souplesse intime qui fait que nous correspondons à son influence, à ses inspirations, et que nous faisons le bien d’une manière que saint Thomas dit comme “ divine ”. Nous ne sommes plus simplement des hommes vertueux, des hommes bons, mais à ce moment-là, le chrétien devient comme un être tout sanctifié du dedans et qui va vers le bien comme par des instincts divins, dit saint Thomas. Dieu, à ce moment-là, nous donne une manière d’agir qui est beaucoup plus selon Lui que selon notre manière d’agir humaine propre. Cela est manifeste dans la vie des chrétiens par instants. Il n’est pas de chrétien qui, à certains moments de sa vie, s’il a déjà acquis les vertus morales, n’ait pas de ces dons du Saint-Esprit qui lui font aller d’emblée vers le meilleur bien, comme poussé par une force qui vient d’au-delà de lui-même, exempt de recherche, exempt de labeur.

  • Un don du Saint-Esprit qui nous est connu, que nous avons tous éprouvé, c’est le don de Piété. La Piété est un don qui correspond à la vertu de religion. Par la vertu de religion, nous sommes inclinés à faire notre devoir envers Dieu, à accomplir nos devoirs envers Dieu. Nous le faisons même parfois avec une réelle satisfaction. Mais enfin, c’est nous qui nous commandons, tandis que la piété est un don du Saint-Esprit, est un mouvement qui est en nous et qui nous fait aller vers Dieu avec amour, avec joie, avec facilité, avec attachement. C’est beaucoup plus parfait que la vertu de religion.
  • Prenons un autre exemple : le don de Conseil. Le don de Conseil est une surélévation de notre vertu de Prudence. Dans la vertu de Prudence, nous allons calculer les raisons que nous avons de faire ceci et les raisons que nous avons de ne pas le faire. Quelquefois, ce calcul est bien long et bien incertain. Quand nous décidons, Dieu nous a aidés à faire ce calcul et à décider. Mais, dans certaines occasions de la vie, il semble que quelqu’un agisse en notre esprit et qu’il nous fasse agir à sa manière à lui qui est toute intuitive, toute directe, rapide et très sûre. C’est le don de Conseil. C’est l’Esprit-Saint qui se superpose à notre esprit et qui, pour ainsi dire, agit en nous en nous demandant simplement de nous laisser faire. Les spirituels comparent les dons aux vertus par cette image : du côté des vertus, c’est comme un homme qui rame pour avancer sur le lac. Les dons, c’est comme un homme qui met la voile et qui est poussé par l’Esprit-Saint. Il marche d’une marche plus rapide, plus aisée, avec beaucoup moins d’efforts et d’une manière beaucoup plus sûre. Voilà les dons du Saint-Esprit. C’est un peu l’invasion de Dieu en nous.
  • Il y a des dons du Saint-Esprit qui sont d’une application courante. Le don de Force, par exemple, qui nous donne non seulement d’agir avec courage, comme la vertu de Force, du même nom, nous donne la force dans la mortification, dans la soumission au règlement, dans la soumission aux lois de Dieu, mais encore, le don de Force est une sorte de suavité que nous avons pour faire un bien difficile et même héroïque.

Cela, les saints, comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus nous en donnent un exemple. Les saints ont eu ce don de Force dans toutes les journées, dans tous les détails de leur vie, accomplissant des choses qui nous sont absolument surhumaines, avec une sorte d’aisance tout à fait étonnante, surtout chez des petites jeunes filles, comme sainte Blandine, sainte Jeanne d’Arc, sainte Thérèse. C’est l’Esprit-Saint, c’est sa présence.

  • Mais il y a des dons qui sont beaucoup plus relevés et d’un emploi beaucoup plus rare, parce qu’ils touchent à la cime de notre esprit. Par exemple, le don de Science, qui correspond à la vertu d’Espérance. Beaucoup de gens ne savent pas ce qu’est le don de Science, ils imaginent que c’est la science telle qu’on l’apprend dans les collèges. La science qu’on apprend dans les collèges est absolument inutile à l’homme pour son salut. Tandis que cette Science-là est un don de Dieu merveilleux, qui fait voir comme en un clin d’œil ce que vaut la terre, ce que valent les choses de la terre en comparaison des choses du Ciel. C’est la correspondance de l’Espérance, parce que, dans la vertu d’Espérance, il est vrai, nous calculons et nous voyons bien que toutes les choses de la terre sont éphémères et passent. C’est un raisonnement qui fait que nous nous détachons des choses créées et que nous aspirons vers les dons supérieurs de la grâce, puis de la vie éternelle. Mais enfin, c’est lent, c’est humain, on y sent le travail de l’esprit humain. Tandis que le don de Science nous donne en un coup d’œil la vue du néant des choses humaines, et de la perfection, de la plénitude, de la vérité, de l’éternité des choses divines, des choses célestes.

On voit des gens qui sont attachés aux choses terrestres, les saints nous en donnent des exemples et nous en avons des exemples beaucoup plus proches, on dirait que c’est toute leur vie et tout d’un coup, ils laissent tout cela en plan et ils se retournent vers les choses célestes. Il n’y a plus que le Ciel qui compte et les choses spirituelles. Que s’est-il passé ? Y a-t-il eu le labeur d’une vertu ? Pas du tout ! C’est venu en un clin d’œil, c’est le don de Science. Tout d’un coup, ils ont eu la Science, ils ont su que les choses humaines, avec tout leur prestige, n’étaient rien que néant, choses passagères, et qu’il n’y avait qu’une sorte de biens qui étaient savoureux, qui devaient être recherchés par-dessus tout, auxquels il fallait s’attacher de toute son âme, c’était les biens célestes, les biens éternels. Ah ! là, on voit une influence du Saint-Esprit !

C’est ainsi que, peu à peu, dans la vie, par ces expériences intimes ou dans d’autres, on finit par croire cette vérité de Foi que l’Esprit-Saint est une Personne qui a sa personnalité, son caractère, son individualité. C’est un certain Esprit qui sait ce qu’Il veut, qui sait ce qu’Il pense. C’est l’Esprit de Jésus-Christ qui est capable de nous donner à penser ainsi et de vouloir comme Lui, et qui peut être si proche de notre âme qu’Il gonfle notre âme comme les voiles d’un bateau sont gonflées par le vent, et qui la pousse en avant avec une force qu’elle n’aurait pas d’elle-même.

  • Si je voulais, je pourrais vous parler longuement du don d’Intelligence qui correspond à la vertu de Foi, qui nous fait voir à l’intime, jusque dans leur profondeur, les mystères de notre religion. Ah ! le don d’Intelligence vous révèle, même à des enfants – j’ai vu cela dans des enfants – les splendeurs du catéchisme. L’enfant ouvre des yeux tout grands. Ce n’est pas simplement son intelligence, sa vertu d’intelligence qui lui fait comprendre l’enseignement qu’on lui donne, mais le don d’Intelligence lui fait intus legere, lire au-dedans, voir la vérité profonde de ce qui lui est enseigné.
  • Le don de Sagesse, qui est le don le plus éminent, fait savourer aux hommes les richesses des Mystères de Dieu. Savourer, jouir de ces choses qui ne parlent pas aux hommes. Les hommes sont là, à réciter le Credo, ils le chantent dans la plus grande froideur d’âme. Ils y croient, ils ont la Foi, ils manquent de Charité. Ou s’ils ont la vertu de Charité, c’est qu’ils s’exercent à aimer Dieu, à aimer les choses de Dieu, et à aimer le prochain à cause de Dieu. Ils s’y exercent. La vertu de Charité est une œuvre, un labeur ardu. Tout d’un coup, voilà le don de Sagesse : l’âme s’enflamme et elle aime, elle jouit des choses de Dieu, elle jouit de la présence de Dieu, c’est un peu déjà la béatitude céleste commencée.

C’est merveilleux d’avoir les dons du Saint-Esprit ! Est-ce tout ? Allons encore un peu plus loin et disons que les dons du Saint-Esprit, selon l’enseignement de l’Église, produisent les fruits du Saint-Esprit. Qu’est-ce ? Ce sont des actes que produisent les dons en nous, comme un bon arbre produit de bons fruits. Ces actes sont des actes de vertu, mais qui entraînent avec soi des sentiments de paix, de joie, nous dit saint Paul. Les fruits du Saint-Esprit sont, en particulier, l’amour, la joie, la paix, la patience, la douceur, la bonté, la mansuétude. Mais je ne m’arrête qu’aux trois premiers : l’amour, la joie et la paix.

Par les dons du Saint-Esprit, l’âme produit à longueur de journée des actes qu’elle fait avec joie, dans la paix et qui lui procurent un grand amour de Dieu et du prochain. Dieu veut nous aider dans notre vie et si nous sommes fidèles, Il nous aidera dans notre vie par son Esprit-Saint, d’une manière si proche, si aimable, si affectueuse que nous finirons par faire le contraire de ce que voudraient nos instincts, que nous finirons par accomplir avec une perfection extraordinaire les actes de vertus les plus surhumains, et que nous le ferons avec joie, dans la paix, en rayonnant de bonheur parce que ce sera l’amour de toute notre vie qui sera satisfait.

Voilà ces dons du Saint-Esprit, voilà cette construction de notre âme, de notre perfection qu’un Ami très intime a entreprise dès le jour de notre Baptême et pour laquelle Il ne nous demande que notre concours, que notre docilité. C’est pourquoi, il faut dire souvent : « Veni Sancte Spiritus ! », il faut demander au Saint-Esprit qu’il fasse en nous cette œuvre bien nécessaire dont dépend notre bonheur éternel et dont dépendent dès ici-bas, notre joie et notre paix. Alors, qu’Il nous donne le courage, la force nécessaire de construire l’édifice de nos vertus morales de tempérance, de force, de justice, de prudence. Et que sur ces vertus que nous lui accorderons, Il donne les dons qui nous fassent aller d’une manière plus aisée, plus rapide, plus parfaite, à la perfection.

Abbé Georges de Nantes
Extraits du sermon du 2 juin 1968