8 JUILLET 2018

La vie de la Sainte Famille à Nazareth

AIMONS revenir à Nazareth et gardons-nous d’idéaliser le village de Nazareth et la condition de la Sainte Famille au milieu de ce peuple galiléen. C’était un coin perdu, une population dont il ne pouvait rien sortir de bon, rapporte l’Évangile sans y contredire, et cela ne doit pas être oublié. La Sainte Famille exceptée, ce devaient être des médiocres, et qui le resteront. L’Évangile, si prompt à signaler l’éveil de la foi, l’enthousiasme généreux des foules autour du Maître, ne pourra noter que la bassesse des sentiments et l’incrédulité féroce des Nazaréens vis-à-vis de leur compatriote. C’est à leur sujet que Jésus rappelle pour la première fois le proverbe : « Un prophète n’est jamais bien reçu mais méprisé dans sa propre patrie, et parmi ses parents et jusque dans sa maison» (Mc 6, 2) Il le dira encore de Jérusalem qui tue les prophètes, et cela suffit à nous faire connaître qu’ici et là, Jésus a souffert de l’hostilité constante de ses compatriotes, jusqu’à la Croix.

L’expérience quotidienne des vrais chrétiens comme la vie des Saints le laissent aussi bien deviner. Vous avez connu de vrais chrétiens dans un village ? Ils peuvent y vivre trente ans et plus, leurs vertus et leur charité sincère demeureront méconnus, la séduction que leur humble perfection exercerait sur les voisins ne cessant d’être contrariée, annulée par la jalousie, l’incompréhension, la haine que suscitent leurs convictions arrêtées, leur conduite uniquement dictée par la Volonté de Dieu, le respect de ses Droits et la défense de sa Vérité.

Les Saints Évêques et Docteurs de l’Église sont morts emprisonnés, exilés, martyrs, pour leur défense de l’Orthodoxie, et la foule des petits chrétiens supporte à longueur de vie les coups de langue et les coups de dents de leur prochain, pour des questions de rien sur lesquelles toutefois il ne leur est pas permis de céder. Il n’y a guère de doute, c’est ainsi que vécurent à Nazareth, trente ans, Lui, le Fils de Dieu, et Eux, la Vierge Immaculée et le Juste Joseph, sans parvenir tout à fait à se faire aimer ni même respecter. Les torrents de feu de leur charité et de leur piété étaient sans cesse combattus par les ténèbres environnantes. Ils se repliaient sur eux, dans leur sanctuaire intime, tristement, sentant combien ce monde avait besoin de rédemption !

C’était dans l’ordre des Volontés divines. En choisissant Nazareth, comme plus tard en choisissant son dernier Apôtre, Judas, le Fils de Dieu voulut héroïquement connaître d’expérience ce Mal humain auquel il venait porter remède. Celui qui a voulu envoyer ses Apôtres dans le monde sans consentir à rien leur épargner de ses tourments, d’abord en a vécu silencieusement la peine à Nazareth.

On imagine qu’il a vu les pleurs de la Vierge Marie et le chagrin de Saint Joseph en maintes occasions, dont la cruauté répercutée dans leurs trois Cœurs tendres se trouvait multipliée à l’infini. Tout ce péché humain quotidien, à leur porte et jusque sous leur regard très pur ! Ils ont dû, dans ce monde si bas, si pécheur, où Nazareth ne pouvait, ne devait pas faire exception, souffrir de mille manières. Saint Joseph dut perdre plus d’une pratique et craindre même plusieurs fois d’être tout à fait privé de travail ou contraint de s’expatrier à cause de sa conscience très délicate. Quand un homme est encouragé par les siens dans cette résistance au mal, ses affaires ne vont pas à merveille !

En un temps comme le nôtre, où tant de justes souffrent persécution pour la Justice et la Vérité, il est bon d’imaginer raisonnablement que la pauvreté et la petitesse de la Sainte Famille furent déjà cette part de persécutions qui, en ce bas monde, accompagnent nécessairement le centuple de joie promis à ceux qui ont tout abandonné pour suivre Jésus !

Lisez les psaumes comme Ils les lurent, car ils furent écrits d’abord pour Eux, à Nazareth. Ils furent de ces « humbles d’Israël » méconnus, souvent méprisés, parfois haïs, mais obstinément et silencieusement fidèles à leur Dieu et à sa Loi. Impression douloureuse, attendrissante, dont l’Imitation de Jésus-Christ, ce vieux livre vénérable, nous assure qu’elle est vraie : « Toute la vie du Christ fut une Croix et un Martyre ». Cette pensée est féconde.

Si nous avons la belle vocation de faire de nos maisons et de nos familles des répliques modestes de Celles de Nazareth, n’imaginons pas le calme douillet que seuls procurent la lâcheté et les reniements quotidiens. Qu’on cherche à imiter la Sainte Famille dans le respect scrupuleux de la Loi de Dieu, et la Croix et le Martyre, et l’Apostolat et la Gloire nous seront donnés par Lui selon ce qu’il voudra. Tout autre calcul répugne.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Lettre à mes Amis n° 83