De Nazareth à Lorette

Sanctuaire de Lorette
Sanctuaire de Lorette, Italie

LA MAISON DE MARIE

Posée au beau milieu de la voie publique, elle n’a pas d’autre fondation ; comme si elle était tombée du Ciel, ou bien avait été apportée par les anges...

Précisément ! Telle est l’explication traditionnelle, depuis que Jérôme Angelita a raconté les quatre étapes de la translation de la Santa Casa dans son Histoire de la Vierge de Lorette en 1531.

Première étape : dans la nuit du 9 au 10 mai 1291, la maison qu’habitait la Vierge Marie lorsque l’ange Gabriel lui annonça qu’elle serait la mère du Sauveur, est arrachée de ses fondements par les anges et transportée de Nazareth en Dalmatie. De là elle reprend son vol, le 10 décembre 1294, traverse la mer Adriatique et vient se poser dans le territoire de Recanati. Huit mois plus tard, la Santa Casa se transporte sur le sommet d’une colline. Le 9 septembre 1295, la ville de Recanati envoie un ambassadeur au pape Boniface VIII pour lui annoncer l’arrivée de la maison de Nazareth sur son territoire. Enfin, le 2 décembre 1295, quatrième et dernière translation de la Santa Casa, une centaine de mètres plus loin, sur la route qui conduit de Recanati à Porto Recanati.

L’ampleur du miracle nous déconcerte. Peut-être parce que nous n’avons plus la foi ? Cela ne faisait pas la moindre difficulté pour les saints et les foules qui se rendaient en pèlerinage à Lorette dans les siècles passés. Mais quand même ! C’est beaucoup de naïveté. Ils avaient le cœur pris et la pensée noyée dans le mystère inscrit sur le fronton de la basilique construite pour abriter cette Santa Casa : Maison de la Mère de Dieu en laquelle le Verbe s’est fait chair.

L’ÉNIGME

« Rien n’est impossible à Dieu. » (Luc 1, 37) C’est bien le cas de rappeler cette parole de l’ange Gabriel, prononcée dans ces murs, du moins s’ils sont authentiques. Mais il y a de quoi être perplexe, non seulement en raison de l’invraisemblance du miracle, mais encore en raison du caractère tardif des sources qui nous le rapportent.

C’est l’ouvrage monumental du chanoine Ulysse Chevalier, Notre-Dame de Lorette, qui acheva de contester les prétendus fondements historiques de la dévotion traditionnelle, dès 1906, d’une manière qui depuis lors a paru décisive à nombre de bons esprits. Le Père Loffreda, o. f. m., du Studium biblicum Franciscanum de Jérusalem, écrivit : « Pour ma part, je suis convaincu que, dès la période préconstantinienne, cette maison fut sacrifiée (?) et détruite. » (Le monde de la Bible, n⁰16, 4e trimestre 1982, p. 14) Quand un éminent archéologue exprime une « conviction », on la suppose fondée ; nul n’a l’impertinence d’en exiger des preuves. Pourtant, il nous faut remarquer que le Père Loffreda n’en fournit aucune à l’appui d’une assertion qui remonte à Chevalier. Celui-ci la posait en effet comme un postulat, principe et fondement qui commanderait toute son œuvre : « Après le dernier effort pour l’indépendance de la Judée, (...) les juifs obtinrent le privilège de ne souffrir parmi eux personne qui ne fût de leur religion. Dans ces conjonctures, il est bien improbable que les souvenirs matériels de l’Incarnation aient pu se conserver. » (Chevalier, Notre-Dame de Lorette, Étude historique sur l’authenticité de la Santa Casa, Paris 1906, 519 pages, page 21)

Cette déclaration de principe est suivie d’une énorme compilation de tous les textes connus et inconnus qui se rapportent à Nazareth d’une part, et à Lorette d’autre part. Dom Henri Leclercq qualifia l’ouvrage de Chevalier de « fatras étalé » (Dictionnaire d’archéologie chrétienne et de liturgie, article Lorette, tome IX (1930), col. 2473) car ce n’est qu’un amas de textes entassés sans rime ni raison, dans la seule pensée de libérer l’Église de la “ superstition ” dont l’accusent les protestants : « Cette publication rendra service à l’Église catholique, annonçait modestement Chevalier, en la débarrassant d’un fait controuvé ; car par là tombera, chez nos frères séparés, une des plus fortes objections à leur retour, contre ce qu’ils ont appelé “ le miracle de la superstition ”. »

Naïve présomption ! Pour en prendre la mesure, après cent ans de vains efforts, et pour retrouver les voies d’un véritable œcuménisme catholique, il suffit de rappeler le cas du Dr Faller, anglican, professeur de l’université d’Oxford, dont Alphonse-Marie Ratisbonne a raconté l’histoire au siècle dernier :

Le révérend pasteur Faller, anglican forcené, avait pris à tâche de surprendre l’Église catholique en flagrante erreur sur un point quelconque de sa liturgie. Se trouvant en Palestine, il crut avoir découvert ce qu’il cherchait, dans l’Office de la translation de la Maison de la Sainte Vierge à Lorette. Sur ce, l’illustre professeur se met en route pour Nazareth, avec une pacotille d’instruments et d’ingrédients chimiques. Arrivé au sanctuaire de l’Incarnation, il se livre à mille expérimentations scientifiques ; au-dedans, au-dehors, de haut en bas, de bas en haut il mesure avec une incroyable minutie tout ce qui reste encore des vestiges de l’antique demeure de la Sainte Famille ; il décompose, il analyse, etc. ; enfin, ce laborieux travail terminé, il s’embarque pour l’Italie et se rend directement à Lorette. Là, il recommence les mêmes opérations, il en compare les résultats avec ceux qu’il avait obtenus à Nazareth ; puis, s’apercevant qu’il lui manquait certaines indications, il retourne en Galilée, puis revient à Lorette. Mais voici qu’à mesure que ces confrontations se poursuivent, ses préjugés haineux se changent en confusion, sa confusion en contrition et celle-ci en conversion. Il retourne, une troisième fois, à Nazareth, non plus en chimiste, mais en catholique convaincu. (Annales de la Mission de Notre-Dame de Sion, 1858, cité par P. A. Eschbach, Lorette et l’ultimatum de M. U. Chevalier, 1915, p. 54-55).

En fait, Chevalier n’avait montré qu’une seule chose : « La légende relative à la translation de la Santa Casa n’est pas antérieure à 1472, première date de son apparition. Présentée d’abord d’une manière vague, imprécise, elle va se développer dans des détails circonstanciés, tels qu’on les lit aujourd’hui, et qui avaient reçu leur plein épanouissement en moins d’un demi-siècle (1531). » (Chevalier, p. 326) Mais à cette date le pèlerinage de Lorette, lui, existait depuis plus de deux cents ans. Et c’est là ce qu’il aurait fallu d’abord expliquer !

Trois semaines après la parution de son livre, un lecteur envoyait au chanoine copie d’une bulle du pape Clément V, de 1310, où il était question du pèlerinage du noble chevalier Charles-Louis de Schevenden « aux pieds de la miraculeuse et divine Vierge Marie de Lorette ».

Le chanoine déclara que cette bulle était un faux. Mais le Père Eschbach répondit point par point aux raisons alléguées par lui et qui ne valaient rien (Un document nouveau en faveur de la Santa Casa de Lorette, Rome, 1918). Au bout du compte, le faussaire, c’était lui le célèbre savant, Ulysse Chevalier ! et la bulle de Clément V était bel et bien authentique et sa date, de 1310... De cette bulle, Ulysse Chevalier avait écrit : « Si la pièce était authentique, ces seuls mots constitueraient pour les défenseurs de la translation un argument triomphant. » (Cité par Eschbach, Un document nouveau, p. 13) Aujourd’hui, cette authenticité est hors de doute.

« Il faut noter toutefois, écrit Santarelli en 1988, que la polémique stagna encore pendant cinquante ans, (...) sans que rien vienne indiquer de nouvelles pistes, ni d’un côté, ni de l’autre. » (La Santa Casa di Loreto, Loreto 1988, p. 32)

I. ARCHÉOLOGIE : LES PREUVES D’AUTHENTICITÉ CERTAINE

Nazareth : 1955. Le Père Bellarmino Bagatti entreprend des fouilles à l’occasion de la construction d’une nouvelle basilique, élevée sur la grotte de l’Annonciation en remplacement de l’église édifiée à la hâte par les franciscains au XVIIIe siècle sur les ruines de la basilique des Croisés, elle-même rasée par le sultan Baybars en 1263. Il découvre les fondations d’une église byzantine, construite au Ve siècle et un baptistère, certainement antérieurs à la construction byzantine. Au sud de l’église byzantine se dressait un monastère. Sous les mosaïques du monastère byzantin, il trouve des chapiteaux, des bases de colonnes, ainsi que de nombreuses pierres faisant office de remblai. Certaines de ces pierres étaient recouvertes d’un enduit de plâtre et sur cet enduit étaient incisés des graffiti en araméen, en grec, en latin. Sur l’un d’entre eux, on déchiffre les deux premiers mots grecs de la salutation, « Réjouissez-vous Marie », de l’ange Gabriel (Lc 1, 28) : XAIPE, abrégé en XE, suivi du nom de Marie en toutes lettres : MAPIA (ci-). Conclusion : avant la conversion de Constantin, une église spacieuse, si l’on en juge par le diamètre des colonnes retrouvées, avait été édifiée dès les IIe-IIIe siècles de notre ère sur le lieu de l’Incarnation. Ce sanctuaire primitif portait les vestiges évidents du culte que l’on y rendait à Marie.

LES GRAFFITI

De Nazareth, transportons-nous à Lorette, en Italie, où des fouilles ont aussi été pratiquées entre 1962 et 1965. Le Père Giuseppe Santarelli, recteur du sanctuaire de Lorette, a tendu un piège aux Pères Testa et Bagatti, du Studium biblicum franciscanum, archéologues chevronnés, confrères du Père Loffreda cité plus haut. Il leur a envoyé, par correspondants interposés, l’estampage et les clichés de graffiti observés sur les murs de la Casa, pour expertise, sans révéler leur provenance.

Les deux savants consultés ont répondu avec un ensemble parfait. « Testa a pu affirmer qu’au moins quatre des graffiti soumis à son examen “ sont sans aucun doute d’origine palestinienne ”. » Après avoir étudié une dizaine de graffiti, le Père Bagatti a répondu « en offrant l’explication des symboles correspondants, presque tous d’origine judéo-chrétienne. » (Santarelli, op. cit., p. 128)

Santarelli de conclure : « Il n’est pas facile d’expliquer la présence à Lorette de graffiti qui, à l’examen, paraissent d’origine judéo-chrétienne, sans admettre que les pierres de la Santa Casa proviennent de Nazareth, comme le veut la tradition ». Témoignage d’autant plus éclatant que dans cette région des Marches, il n’existe pas de carrières. Toutes les autres constructions de Recanati et de Lorette sont en briques.

LE VOYAGE DE LA CASA

Si elles proviennent de Nazareth, comment donc les pierres de la Santa Casa sont-elles parvenues à Lorette, et depuis quand ? Au beau milieu de son indigeste ouvrage, Chevalier pose la question cruciale qui n’aurait pas dû le laisser en repos : « Jamais on n’expliquera qu’au XVe siècle, époque où le pèlerinage avait atteint son apogée de célébrité dans le monde entier, les papes aient omis de mentionner le miracle de la translation parmi les motifs qui les incitaient à accorder des faveurs spirituelles au sanctuaire, si la tradition en avait été de notoriété publique à Lorette et à Rome. Pour Sixte IV, c’est encore une église paroissiale en 1482. » (Chevalier p. 322) La cause est entendue. Mais alors d’où vient au pèlerinage de Lorette « cet apogée de célébrité dans le monde entier » ? Et quel motif les papes avaient-ils d’accorder tant de privilèges, et d’entreprendre de si grands travaux en faveur de ce qui n’était encore qu’une église paroissiale ?

Les graffiti répondent à la question : les pierres de cette église viennent de Nazareth. C’est elles que l’on vénère comme des reliques en ce pèlerinage, de tradition immémoriale. Avant de rechercher qui les a transportées jusque-là, et quand et pourquoi, il nous faut observer des faits étonnants.

UNE TOPOGRAPHIE INSOLITE

« Tout le charme que voyageurs et pèlerins reconnaissent aujourd’hui au site de Lorette n’est pas l’œuvre de la bienfaisante nature et ne remonte pas très haut dans l’histoire. Jadis au point de vue topographique, les conditions de ce modeste monticule tranchaient tristement sur celles des collines voisines. À ses pieds venait mourir le torrent Musone dont les eaux, après être descendues mugissantes du haut des Apennins, se répandaient finalement, à plusieurs kilomètres de la mer, autour du monticule lorétain, pour y former des mares d’eaux infectes. Ce triste monticule offrait-il, sur ses hauteurs quelque charme ou utilité capable de lui attirer des colons, en dépit de l’air putride qui l’enveloppait ? Force nous est de répondre négativement ; car son élévation n’atteint pas cent mètres au-dessus du niveau de la mer, et d’autre part, son sommet, à dos d’âne, ne présentait qu’une crête étroite, sur laquelle passait le chemin public qui aboutit, il est vrai, à une très belle place dite “ de la Santa Casa ”, d’où l’on serait tenté de conclure, qu’à cet endroit au moins, la colline présentait une agréable esplanade. Il n’en est rien ; attendu que tout cela est dû à la grandiose et patiente œuvre des papes. Tant la terrasse que le palais apostolique et l’importante basilique elle-même reposent, en grande partie, sur des substructions. Seuls les humbles murs de la Sainte Maison ont, pour base immédiate, la terre ferme de l’ancien chemin. » (Eschbach. Lorette et l’ultimatum de M. U. Chevalier, Rome 1915, p. 31-34)

La vaste basilique fut édifiée à la fin du XVe siècle et au début du XVIe. Angelita raconte qu’à l’occasion de ces travaux fut exécutée une reconnaissance. « Tous ceux qui voulurent y aller voir, et ils furent nombreux, constatèrent, chose admirable à dire et plus admirable à voir, que la Santa Casa tenait debout sans fondations. » Reconnaissance répétée en 1751, par le gouverneur de Lorette en présence de cinq évêques, de trois architectes et de quelques contremaîtres, consignée dans un procès verbal. Chevalier produit ce document, mais il le présente à sa manière : « À l’occasion de la réfection du pavé de la s. Casa, on prétendit (sic !) qu’elle était sans fondements. » (p. 428) En 1922, nouveaux sondages sous le pavement. L’architecte rend compte à l’évêque de Recanati-Lorette du même « fait surprenant et extraordinaire ».

« Les fouilles ont confirmé la tradition, écrit Santarelli, vérifiant que le noyau de la Santa Casa, caractérisé par son mortier et sa maçonnerie, est privé de fondations propres. » On constate cependant un certain nombre de reprises en sous-œuvre sans lesquelles elle se serait rapidement changée en un tas de décombres. Ces travaux, témoignent de « soins immédiats et jaloux » apportés à la conservation de la Sainte Maison, « avec un sens archéologique avant la lettre tout à fait anachronique et inexplicable sans la tradition selon laquelle il fallait absolument conserver ces parois rustiques ». (op. cit., p. 93)

Ce que Santarelli dénomme leur « noyau originel », est constitué par trois, non pas quatre ! mais trois murs s’élevant en lits de pierres jusqu’à une hauteur de trois mètres. Des briques ont été ajoutées ensuite pour les exhausser. En son premier état, notons-le en passant, la Santa Casa est en tout point conforme aux maisons remises au jour depuis 1968 à Capharnaüm. (Loffreda, Capharnaüm, guide édité par la custodie de Terre sainte, Jérusalem 1994).

Une remarque de simple bon sens s’impose : « Si une chapelle de campagne, aujourd’hui encore, et donc à plus forte raison au moyen âge, présente des effondrements dans ses murs extérieurs qui sont aussi ses uniques structures verticales, le ou les murs sont reconstruits à neuf, mais jamais, ni aujourd’hui ni a fortiori au moyen âge, on ne réalise des travaux coûteux et difficiles de sous-fondations. Or, la Sainte Maison de Lorette, quelques années après avoir été édifiée, fut consolidée avec le souci de ne pas toucher à la structure posée sur le sol. Aujourd’hui, on qualifierait cela de restauration scientifique. »(Monelli, cité par Santarelli, op. cit., p. 116)

II. LE RETOUR DES CROISÉS

Jérôme Angelita, qui fut secrétaire perpétuel de la commune de Recanati de 1509 à 1561, déclare, dans son Histoire de la Vierge de Lorette dédiée au pape Clément VII, s’appuyer sur les archives de Fiume et de Recanati. Chevalier l’accuse d’avoir inventé de toutes pièces, non seulement les « enjolivements », à coup sûr fabuleux, mais encore les dates précises dont il orne son récit. Toutefois il n’ose accuser de mensonge le bienheureux Baptiste Spagnuoli, prieur des carmes de la congrégation de Mantoue appelés à Lorette à la fin de l’année 1488, qui rédigea un petit écrit pour recommander à la piété des fidèles le pèlerinage qu’il venait desservir. Dans ce récit, publié quarante ans avant celui d’Angelita, il y parle de la Santa Casa « voguant sur l’onde », ce que Chevalier se contente de qualifier de « licence poétique », mais il ne donne pas de dates.

Leclercq, n’hésite donc pas à qualifier Jérôme Angelita d’« inventeur et de faussaire ». (Leclercq, op. cit., 2495) C’est peut-être un peu vite dit, car voici du nouveau.

LA CACHETTE AUX TRÉSORS

En mars 1968, un sondage effectué dans le mur occidental à l’intérieur de la Santa Casa, révéla une cavité. Un trésor était caché dedans. Nous savions que des travaux avaient déjà fourni l’occasion de plusieurs trouvailles. Celles qui étaient rassemblées là avaient pour « point de référence chronologique » une monnaie de Ladislas d’Anjou-Durazzo, roi de Naples (1376-1414), murée au milieu d’autres objets qui, soudain, « nous transportent dans un pays lointain ».

Fragments coquille de d'oeuf
Fragments de coquille d'œuf d'autruche retrouvés dans un mur
  1. Des morceaux de coquille d’œuf d’autruche. S’impose tout de suite à l’esprit une provenance de Palestine, car, depuis le temps des Croisades, l’œuf d’autruche était placé dans les églises de Palestine à titre d’ornement. Usage apporté en Occident par les Croisés, comme l’atteste par exemple le retable de Piero della Francesca (1420-1492), où l’on voit la Vierge et l’Enfant entourés de saints et d’anges avec un œuf d’autruche, suspendu dans l’abside, au-dessus d’eux.

Selon les bestiaires du Moyen Age, les œufs d’autruche, déposés par la femelle sur le sable, étaient portés à maturation par le soleil : figure de l’enfantement virginal du Verbe de Dieu fécondé par le soleil de l’Esprit-Saint dans le sein de Marie.

  1. L’insigne des Croisés. Il y avait encore là cinq Croix d’étoffe rouge. Ceux qui faisaient vœu de “prendre la Croix” pour aller combattre l’infidèle en Terre sainte, portaient cet insigne comme un saint habit, reçu au cours d’une véritable cérémonie de vêture. Ces Croix, dans ce mur, sont comme des ex-voto offerts par des “ Croisés ” à la Maîtresse de Maison, en action de grâces pour l’heureuse issue de leur saint voyage.
  2. Les monnaies. Santarelli observe que « le sou de Ladislas est l’unique monnaie, parmi les centaines que l’on a trouvées à la Santa Casa, à être murée entre les pierres de la Maison elle-même », intentionnellement, semble-t-il. Ladislas d’Anjou-Durazzo était le descendant du frère de Saint Louis. Cette monnaie met donc le sceau de la famille sur ces murs, où Saint Louis est peint à la fresque (...) en souvenir de sa visite à la basilique de Nazareth, le 25 mars 1251. » (op. cit., p. 223)

Quant aux autres monnaies, retrouvées en grand nombre sous le pavement, elles se partagent en deux lots bien distincts. Le premier appartient à la fin du IIIe siècle de notre ère, et le second remonte à la deuxième moitié du XIIIe siècle. Entre les deux : rien. Pas même un objet fabriqué de main d’homme sur la colline de Lorette où passe pourtant une route. Comme si, à une longue désaffection, avait soudain succédé l’installation de la Sainte Maison sur cette crête au XIIIe siècle.

En effet, diverses monnaies, frappées à Ancône, à Ascoli Piceno, à Camerino, attestent la fréquence des pèlerinages venus des Marches dès cette époque. Bientôt, ils affluèrent même de plus loin. Quatre monnaies d’origine allemande, du XIIIe siècle, apportent une éclatante attestation à l’appui de l’historicité du pèlerinage du noble Charles-Louis de Schevendem cité plus haut.

LA DOT DE LA PRINCESSE ANGELI

Le trait de génie du Père Santarelli consiste à mettre en relation avec Lorette un passage du Chartularium culisanense conservé à Naples, portant la liste des biens reçus en dot par Ithamar ou Marguerite Angeli, fille du despote d’Épire Nicéphore Ier Angelo Comnène, qui épousa Philippe II d’Anjou, prince de Tarente, fils de Charles II, roi de Naples. Ce mariage fut célébré en septembre 1294, donc trois mois avant la date de la translation de la Santa Casa de Dalmatie en Italie, fixée au 10 décembre de la même année par Angelita dans son Historia.

Le prince de Tarente reçut quelques villes et des droits sur le despotat d’Épire (actuelle Albanie), ainsi que des biens dont la liste se lit sur le folio du Chartularium dit Culisanense.

« Le seigneur Philippe reçoit du seigneur Nicéphore les choses suivantes pour son épouse Marguerite. »

Suit une énumération de biens meubles dont la liste couvre cinquante-deux paragraphes. Les trois premiers désignent des reliques :

  1. Un clou de la crucifixion de Jésus, inclus dans « un ornement d’or à placer sur la tête », sans doute un diadème princier.
  2. « LES SAINTES PIERRES EXTRAITES DE LA MAISON DE NOTRE-DAME, LA VIERGE MÈRE DE DIEU. »
  3. Un tableau de bois peint représentant la Vierge portant l’Enfant-Jésus.

Première remarque : « Les “ saintes pierres ” entrent dans une liste d’objets de prix et sont citées immédiatement après une relique touchant le Christ. Elles doivent donc être considérées comme formant un ensemble très précieux, et constituer aussi des reliques. » (Santarelli, op. cit., p. 191)

De plus, parmi toutes les monnaies retrouvées dans le sous-sol de la Sainte Maison, « deux deniers tournois revêtent une particulière importance ; ils portent une croix et une inscription : Gui Dux Atenes. Ces monnaies sont les seules, parmi toutes celles du XIIIe siècle et du début du XIVe, à être datées avec précision : 1287-1308. » (Santarelli, op. cit. p. 163)

Après avoir observé que ces dates recouvrent celles de la translation de la Sainte Maison à Lorette, fixées par la tradition entre 1291 et 1294, Santarelli écrit : « Mais il y a plus. L’une des deux monnaies a été retrouvée le 20 avril 1964, près du mur de soutènement de la Sainte Maison. Or, nous savons aujourd’hui que l’on plaçait jadis des monnaies dans les fondations des édifices pour rappeler la date du début des travaux et quelquefois aussi en mémoire des protagonistes de la construction. » (op. cit. p. 164)

La convergence avec le Chartularium culisanense est manifeste, car Guy de la Roche, duc d’Athènes (1287-1308) était le fils d’Hélène Angeli Comnène, cousine d’Ithamar qui apporta les « saintes pierres extraites de la Maison de Notre-Dame » en dot à Philippe II d’Anjou, son époux. En août 1294, Guy passa sous la suzeraineté de Philippe.

Santarelli a découvert en outre sur le mur intérieur nord de la Santa Casa, à un mètre environ au-dessus du sol, une inscription difficile à déchiffrer, mais profondément incisée dans la pierre, bien visible, et encadrée de deux croix qui sont elles-mêmes enfermées dans un écu et marquées plus légèrement : Ateno [rum] ou Ateneo [rum], « des Athéniens » ou d’« Athènes » (op. cit., p. 217-220). Cette inscription, unique en son genre, ne dit pas grand-chose à elle seule, mais elle éclaire soudain l’histoire du voyage de la Casa d’une lumière singulière si on la rapproche des deux tournois de Guy de la Roche, duc d’Athènes.

LA MAISON DE MARIE À NAZARETH (1284)

Sans nous laisser entraîner davantage dans les ramifications de généalogies compliquées, transportons-nous plutôt à Nazareth, en 1287. La cité se trouve alors sous le régime de la trêve entre le sultan et les chrétiens d’Acre. Une clause du traité précisait : « Le sultan garantissait aux pèlerins et aux clercs le libre accès de l’église de Nazareth et la possession de quatre maisons dans cette ville. » (Delavillle Le Roulx, Les Hospitalier en Terre Sainte et à Chypre (1100-1310), Paris 1904, p. 234-235)

Un pèlerin, Ricoldo di Monte Croce, dominicain de Florence, témoigne de l’état des lieux : « Nous vînmes à Nazareth. Nous trouvâmes une grande église, presque rasée ; des premiers édifices il ne restait que la cellule (cella), dans laquelle Notre-Dame reçut l’annonce de l’Ange. Le Seigneur l’a préservée par-dessus tout, pour que l’on garde mémoire de son humilité et de sa pauvreté. »

Chevalier cite ce texte dans son latin originel (op. cit., p. 55), et le fait suivre de plusieurs autres relations parfaitement explicites ; il ne s’agit pas de la grotte vénérée encore aujourd’hui, « mais bien d’un édifice construit de main d’homme », comme le souligne Eschbach, qui ajoute :

Grotte de l'Annonciation à Nazareth
Grotte de l'Annonciation à Nazareth

« Aussi bien, serait-il puéril d’en appeler à la Toute-Puissance de Dieu pour expliquer la conservation d’une grotte naturelle creusée dans le roc. Voilà donc, de l’aveu du chef des opposants, une preuve éclatante de l’existence, à Nazareth, en outre de la sainte grotte, d’une humble et modeste maison ayant servi d’habitation à la Sainte Famille et protégée d’En-Haut. » (Eschbach, Lorette et l’ultimatum de M. U. Chevalier, p. 78)

Chevalier concluait en effet triomphalement de « la série des voyageurs en Terre sainte » et de leurs témoignages, que la cella de l’Incarnation subsista à Nazareth jusqu’à la fin du XVe siècle : « Par un bonheur rare, exultait-il, nous avons même un texte la mentionnant qui correspond exactement (1294) avec la date de l’arrivée de la s. Casa dans les Marches : c’est celui de Ricoldo et, à lui seul, il serait décisif dans l’espèce. » (op. cit., p. 74)

Ainsi, commente Eschbach, « ce n’est pas la conservation providentielle de cet édicule qui fait le bonheur de notre savant critique, mais bien la certitude, qu’il puise dans le récit de Ricoldo, de son existence à Nazareth en l’année 1294, c’est-à-dire trois années encore après la date (10 mai 1291) à laquelle la tradition place sa première translation, par les Anges. M. Chevalier voit là une preuve, sans réplique, de la fausseté du récit légendaire, et c’est ce qui cause son “ bonheur rare ”.

« Son livre venait à peine de paraître, quand le regretté P. Poisat s. j., dénonça dans les journaux (Univers du 14 juillet 1907) cette page sur Ricoldo comme entachée d’une erreur fondamentale. La citation latine et française de ce pèlerin avait été tronquée, et la date de son pèlerinage faussée. Ce n’a pas été en 1294, mais une dizaine d’années auparavant, que le fameux pèlerin dominicain était venu à Nazareth : ce qui renversait de fond en comble les bienheureuses conclusions qu’en avait tirées notre distingué membre de l’Institut. » (Eschbach, op. cit., p. 78-79)

D’ailleurs, la relation de Ricoldo ne s’arrêtait pas là. Celui-ci terminait en disant que de Nazareth il retourna à Saint-Jean-d’Acre, la cité des Chrétiens. Ce qui ne se pouvait qu’avant 1291, date du siège et de la chute de cette malheureuse ville et du massacre de ses habitants.

Bien plus, Ricoldo nous apprend lui-même qu’il était aux extrêmes limites de l’Orient quand lui arriva la nouvelle de l’immense désastre d’Acre. Mais ce paragraphe final, Chevalier l’a retranché ! De tels procédés valent un aveu. Aussi Eschbach peut-il conclure : « De l’aveu de l’opposition, il reste donc acquis à l’histoire que, peu de temps encore avant l’année 1291, les pèlerins continuaient à vénérer à Nazareth, en outre de la grotte dite de “ l’Annonciation ”, la “ chambre ” de la très Sainte Vierge, qui était un humble “ édifice ” dont la conservation ne pouvait s’expliquer qu’en l’attribuant a une providence spéciale de Dieu. » (idem)

En revanche, ladite “ chambre ” avait bel et bien disparu lorsque Guillaume de Boldensele, de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, visitait Nazareth en 1336 : « Là, écrit-il, se trouvait jadis une grande et belle église, maintenant, hélas ! presque entièrement détruite. Un endroit exigu s’y trouve cependant à couvert, et jalousement gardé par les Sarrasins ; là, près d’une colonne de marbre, ils affirment que se sont accomplis les mystères de la conception divine. » Santarelli écrit : « Ce “ diligentius custoditur ” semblerait faire allusion à une garde plus attentive pour éviter peut-être de nouveaux enlèvements. (op. cit., p. 256, note 208) » De fait, la description de Guillaume de Boldensele correspond à ce que nous voyons encore aujourd’hui de la grotte vénérée. Mais il ne fait pas la moindre allusion à un “ édifice ” quelconque. Qu’est donc devenue la cella de Marie vue par Ricoldo cinquante ans plus tôt ? Réponse : elle a été enlevée, et depuis, les Sarrasins montent la garde.

L’ENLÈVEMENT (9-10 MAI 1291)

Par qui ? Anges ou hommes ? L’un n’empêche pas l’autre. Nous pouvons aisément concevoir que les chrétiens qui prirent cette initiative ne le firent pas sans en avoir reçu l’inspiration de Notre-Dame elle-même. Ce thème trouve une correspondance dans l’iconographie, « à commencer par une fresque du XVIe siècle dans une église de Colleluce di San Severino, dans les Marches. La Santa Casa est représentée naviguant sur la mer ; au-dessus, la Vierge lui fait escorte et la conduit au port de Lorette. » (Santarelli, op. cit., p. 296)

Dès lors, que les anges se soient mis de la partie, aux ordres de la Reine des anges, quoi d’étonnant ? Ce ne serait pas la première fois ; tout au long des Croisades, les envoyés du Ciel ne cessent d’aller et venir portant songe, pressentiment, exhortation aux champions de la cause de leur Seigneur. Ce n’est pas du rêve ! C’est l’expérience positive, réellement vécue par les Croisés, transposée dans les chansons de geste, mais aussi bien racontée au quotidien par les témoins. S’il a fallu l’intervention des blanches armées du Christ pour sauver les Francs d’une écrasante défaite devant Antioche, le 28 juin 1098 (Anonyme de la première croisade, La Geste des Francs, arléa 1992, p. 123), nous pouvons croire qu’elles sont encore venues à la rescousse, deux cents ans plus tard, pour réussir un tour de force humainement impossible : enlever la Maison de Marie en une nuit, et la transporter en lieu sûr à la barbe des musulmans.

Angelita a peut-être privilégié le côté surnaturel de l’opération pour rendre plus acceptable le larcin : emportée par les anges ? Alors cela devenait avouable, publiable urbi et orbi par le Pape lui-même ! Santarelli a fait une étude très attentive de l’iconographie lorétaine (« Nouveau éléments iconographiques », in op. cit., p. 305-368). Fréquemment, la translation s’y trouve figurée sur deux plans : la maison, portée par les anges, survole un bateau chargé de pierres, piloté par des hommes sur la mer, escorté par la Vierge portant son Enfant, dans le Ciel. Mais à Écouen, une scène sculptée dans la pierre montre des soldats autour de la Maison. Preuve que la réalité historique n’a jamais été perdue de vue.

Depuis la chute de Jérusalem (1187) et la perte du Saint-Sépulcre, les chrétiens n’avaient rien de plus précieux au royaume d’Orient que la Maison de Sainte Marie, à Nazareth, en Galilée. En 1263, le mamlûk Baybars avait rasé la magnifique basilique édifiée par les Croisés, mais la cella de Marie était demeurée à l’abri, dans la crypte.

Les différents sanctuaires
Plan des divers sanctuaires édifiés au-dessus de la grotte vénérée.

Moins de trente ans plus tard, le sultan Qalawun, pour en finir, dénonce la trêve et son fils, ‘Ashraf, met le siège devant Saint-Jean-d’Acre (5 avril 1291).

« Au bout d’un mois, les progrès de l’attaque devant Saint-Jean-d’Acre étaient devenus très sensibles. Les vivres, régulièrement apportés du dehors, ne manquaient point ; mais l’espoir du succès, que l’énergie de la défense avait donné d’abord, s’était affaibli. On avait déjà fait passer en Chypre une partie des femmes et des enfants. » (M.-L. de Mas Latrie, Histoire de l’Île de Chypre, Paris 1861, tome I, p. 490-491) La date indiquée par Jérôme Angelita pour l’“ envol ” de la Santa Casa sur les ailes des anges – la nuit du 9 au 10 mai 1291 – correspond trop exactement à cette situation pour avoir été “ inventée ”.

C’est le moment que choisirent des chrétiens pour concevoir un dessein plein de hardiesse : celui de démonter et emporter en une nuit les « saintes pierres » vénérées à Nazareth comme reliques de la Maison de Marie. Un exploit à la mesure des Croisés, ils en ont fait la preuve maintes fois. Il suffit de rappeler comment ils transportèrent par voie de terre, à sec, au temps de la première Croisade, une flotte entière en une nuit, des attelages de bœufs tirant de lourds bateaux sur des rails de bois, depuis le port de Civitot, les remettant à l’eau, au lever du soleil, sur le lac Ascanius qui touchait à la ville de Nicée !

Pour enlever ces pierres, vénérées en ce lieu depuis la plus haute antiquité, il fallait agir à l’insu non seulement des sarrasins qui infestaient la région et assiégeaient Saint-Jean-d’Acre, mais encore à l’insu des chrétiens qui livraient un combat héroïque pour ne pas se laisser rejeter à la mer. D’où le “ silence des sources ” que Chevalier s’empresse d’interpréter comme preuve d’affabulation postérieure.

S’il n’avait été aveuglé par ses préjugés, il aurait été plus attentif aux textes, et aurait observé que le “ silence ” ne fut pas tel que le secret n’ait fini par transpirer sous la plume de Giovanni Battista Petrucci, archevêque de Tarente, dans sa vie en vers de saint Jacques de la Marche achevée en 1485. Il écrit que la chapelle ayant été « volée », emportée de force à travers les flots de la mer agitée, elle se tint d’abord en Illyrie, puis, de nouveau, traversant la mer, elle fut apportée en Italie. Chevalier cite les vers latins et passe, sans paraître remarquer que Petrucci prête à l’événement un caractère humain, prosaïque, sans miracle ni transport par le ministère des anges ! (op. cit., p. 217-218 ; cf. Santarelli, op. cit., p. 296-298)

Quels furent les auteurs de ce « rapt » ? On lit, dans le journal personnel de Mgr Landrieux, évêque de Dijon, à la date du 17 mai 1900, que le docteur Lapponi, médecin du Pape, en consultant les archives du Vatican (Cité par W. d’Ormesson, La présence française dans la Rome des papes, Paris 1959, 142. Cf. Santarelli, op. cit., p. 169) y avait trouvé qu’au début du siècle, la famille des Angeli chez qui les « saintes pierres » de la Maison de Marie se trouveront, trois ans plus tard, « possédait d’importants domaines en Palestine ». Cependant, Santarelli en a cherché la preuve, en vain.

POURQUOI LORETTE ?

Cette année-là, saint Célestin V siégea sur le trône pontifical d’août à décembre 1294 : juste le temps de recevoir, des mains de la princesse Marguerite, les précieuses reliques. Il ne nous reste aucune trace de la royale donation. Mais le fait est là : la Maison de Marie fut reconstruite sur la colline de Lorette, dans la province des Marches qui fut arrachée par Pépin le Bref aux Lombards pour être donnée au Pape. D’ailleurs, le silence des documents, en histoire, est toujours d’une interprétation difficile, à preuve le tintamarre qui éclate soudainement sur la foi d’une sentence judiciaire datée de 1315, que personne ne songe à mettre en discussion. Elle condamne une bande de gibelins armés qui a fait irruption à « l’église Sainte-Marie de Lorette », vidant les troncs et emportant les riches ex-voto laissés par les pèlerins.

Voilà donc, vingt ans après l’installation de la Maison, un pèlerinage bien établi, qui attire les foules. Eschbach souligne avec raison « le contraste existant entre la médiocrité de cette chapelle improvisée et l’importance des pèlerins, soit comme nombre, soit comme nationalité, que suppose le texte du document judiciaire. »

Le jésuite Riera écrit, au XVIe siècle, que la Maison de Marie fut transférée par le ministère des anges dans les États pontificaux par un dessein très sage de la divine Providence, comme la chaire de saint Pierre l’avait été, aux origines, d’Antioche à Rome. Mais les États du Pape sont vastes. Pourquoi Lorette ? Pourquoi avoir implanté un sanctuaire marial en ces lieux incommodes ?

Les partisans obstinés de la légende ne se posent pas cette question : la Maison a été posée là par les Anges, cela suffit et répond à tout. Quant à Santarelli, il affirme que l’on ne pouvait choisir un meilleur endroit. Il soutient avec Monelli que le monte Prodo était, à la fin du XIIIe siècle, « une des dernières collines au nord, avant que la présence du coude du monte Conero modifie la constance de l’orientation est-ouest des collines. » Précisément, pourquoi avoir privilégié cette orientation est-ouest ? Personne, à notre connaissance, n’a encore posé la question de cette façon. Elle naît pourtant de la simple considération de « ce qu’il en a coûté aux papes pour créer le Lorette moderne », comme disait Eschbach.

POUR IMITER NAZARETH !

Nous avons cherché longtemps la solution de cette énigme. La réponse nous est venue d’une comparaison entre les deux sites : de Nazareth en Galilée, et de Lorette aux Marches d’Ancône. Il suffit de rapprocher les configurations des deux cités implantées sur leurs collines respectives, pour découvrir avec émotion que Lorette est née d’une volonté de reconstituer non seulement la Casa de Marie, mais le site de Nazareth. Voilà qui donne soudain consistance à une donnée de la tradition rapportée par Teramano, selon laquelle la province des Marches envoya en Terre sainte une commission de seize notables avec la charge de « vérifier si les mesures de la chapelle de Lorette correspondaient à celles de ses fondations restées à Nazareth ». Nous pouvons penser que les pèlerins désignés étaient des architectes et qu’ils avaient pour mission de relever toutes les données de la topographie, afin de faire de Lorette un nouveau Nazareth.

Notre Père suggéra de vérifier mon hypothèse en superposant les deux sites. À merveille ! Le périmètre du village évangélique et celui de la Cité sainte de Lorette coïncident très exactement. Cependant, l’emplacement de la Santa Casa à Lorette ne correspond pas à celui de la Maison de Marie à Nazareth.

Plan des sanctuaires de Nazareth et Lorette
Superposition du site de Lorette sur ceui de Nazareth

Précisément ! Nous tenons dans ce détail inattendu la preuve décisive en faveur de notre hypothèse, car la princesse Ithamar était orthodoxe, et le contrat de mariage stipulait bien qu’elle serait autorisée à demeurer en sa confession. Or, les orthodoxes situent la scène de l’Annonciation au nord-est de Nazareth, là où se dresse leur église Saint-Gabriel.

REINE DES ANGES, AUXILIATRICE DES CHRÉTIENS

Le premier sanctuaire chrétien à Nazareth fut la Maison même où Marie reçut l’Annonce du messager de Dieu,. Cette demeure s’élevait sur la pente rocheuse où une grotte creusée de main d’homme lui servait de cellier. En des circonstances dramatiques, les chrétiens la mirent à l’abri dans la grotte. Peut-être dès 67, au début de la Guerre juive. Ou bien en 614, lors de l’invasion perse, ou en 1009, lorsque le calife Hakim rasa les Lieux saints de Nazareth. En tout cas, on découvre dans cette grotte les précieux vestiges d’un culte chrétien tout à fait primitif instauré dans la Maison de Marie.

En 313, l’édit de Milan met fin aux persécutions. Les pèlerins affluent à Nazareth. Au début du Ve siècle, les byzantins édifient une basilique à trois nefs sur la crypte primitive qui enchâsse comme un joyau les restes de la Maison de Marie. Cet édifice échappa aux destructions des Perses (614) et des Arabes (638). Ces derniers le respectèrent comme le lieu de l’Annonce faite à Marie toujours vierge, à laquelle ils croient (B. Bonnet-Eymard, Le Coran, traduction et commentaire systématique, t. II, p. 54). Après la première Croisade (1099), une grandiose cathédrale remplaça l’édifice byzantin.

1263 : le sultan Baybars rase la basilique des Croisés. Mais il respecte la crypte avec la Santa Casa qu’elle abrite. Ricoldo y fait encore pèlerinage dans les années 1280.

Dans la nuit du 9 au 10 mai 1291, avant la chute de Saint-Jean-d’Acre (18 mai), les « saintes pierres » de la Maison de Marie sont descellées de la grotte vénérée à laquelle elles sont appuyées.

Septembre ou octobre 1294 : mariage de Philippe d’Anjou, prince de Tarente, avec Ithamar, surnommée Marguerite Angeli.

10 décembre 1294 : translation de la Santa Casa, d’Épire en Italie. Avant son implantation définitive, elle connaît plusieurs déplacements, sans doute à la recherche d’un lieu rappelant Nazareth tant aux vieux Croisés qu’aux pèlerins !

Alors, la Maison de Marie commença d’attirer les foules pèlerines, comme l’attestent le vœu du chevalier Charles-Louis de Schevenden et la sentence des juges de Macerata.

En 1464, dernière année de son pontificat, Pie II vint en personne à Lorette. Paul II, son successeur, moins de deux mois après son couronnement, en action de grâces pour un miracle obtenu de Notre-Dame de Lorette, octroie une bulle d’indulgences en faveur de son sanctuaire (1er novembre 1464). Et le 12 février 1470, il déclare la sainte chapelle fondée miraculeusement (bulle Super ætereas).

1472 : Pierre Tolomei, prévôt de Teramo, rédige une notice consacrée à la translation miraculeuse de l’église de Lorette. Elle aurait quitté Nazareth quand les chrétiens du pays abandonnèrent la foi du Christ pour celle de Mahomet ! Preuve que l’on avait perdu de vue les événements fondateurs et leurs dates exactes, mais non pas la provenance de la Sainte Maison.

1479 : la réponse des Turcs ne se fait pas attendre. Les Marches sont menacées d’une contre-Croisade. Les Récanatins prennent à leur solde deux cents hommes d’armes pour défendre le sanctuaire de Lorette et l’on ajoutera à la basilique tout un système fortifié de créneaux et chemin de rondes. Cent ans plus tard, au lendemain de la victoire de Lépante (7 octobre 1571), saint Pie V ajoute aux litanies de Lorette, en action de grâces, l’invocation Auxilium christianorum, « Secours des chrétiens », ora pro nobis !

À l’ouverture des Temps modernes, à partir du pape Pie II et jusqu’à Pie IX, la Vierge de Lorette préside aux destinées de l’Église, annonciatrices des combats des derniers Temps. Lorette est la figure de l’Église, ville forte d’une Reine secourable aux chrétiens comme une armée rangée en bataille.

  • Dans Bible archéologie histoire, tome 1 :
    • De Nazareth à Lorette, la maison de Marie, (CRC tome 27, n° 317, nov. 1995, p. 1-20)
Méditations :
  • Lettre à la Phalange, n° 54 : De Lorette à Fatima, une continuité qui annonce la croisade nouvelle, CRC tome 27, n° 318, décembre 1995, p. 11-14
  • Dans le tome 1 des Lettres à mes amis :
    • La grande épreuve de saint Joseph, n° 99, décembre 1961,
    • L'ange du Seigneur annonçà à Joseph, n° 102, février 1962,