La vérité sur la tombe de saint Pierre
ALORS que dans son factum Contre la papauté romaine, invention du diable, Luther écrivait : « En vérité, j’ose le dire, car je l’ai vu et entendu à Rome, personne ne sait avec certitude où reposent les corps de saint Pierre et de saint Paul, ni même s’ils y sont. Le Pape et les cardinaux savent parfaitement que c’est là chose incertaine. » Il ne fait aucun doute aujourd’hui que les reliques de saint Pierre ont été identifiées grâce aux travaux d’une archéologue italienne, la regrettée Margherita Guarducci († 1999). Elle a publié le résultat de ses recherches dans un ouvrage remarquable, traduit en français en 1974 aux éditions Saint-Paul : Saint Pierre retrouvé. Le martyre, la tombe, les reliques.
Elle confirme les claires indications du Nouveau Testament (Ac 12, 17 et 1 P 5, 13), et le témoignage de saint Clément, qui sera, à la fin du siècle, le troisième successeur de saint Pierre. (…)
La date du martyre : 13 octobre 64
Dans la nuit du 18 au 19 juillet de l’an 64 après Jésus-Christ, le feu se déclare dans une boutique adjacente au Grand Cirque de Rome, ravageant la ville pendant neuf jours. L’empereur Néron s’emploie aussitôt à procurer les premiers secours, mais bientôt, son esprit d’artiste tourmenté par la folie des grandeurs, le fait rêver de construire, sur les ruines de la vieille cité, une Rome nouvelle, splendide, digne en tout de la majesté de l’Empire...
Le peuple commence à murmurer, exaspéré, et une rumeur se répand, colportée de bouche à oreille : c’est Néron qui a fait mettre le feu à la ville pour servir ses desseins de grandeur ! Ces soupçons n’étaient pas fondés, mais pesèrent lourdement sur Néron qui chercha, dès lors, un bouc émissaire.
« Or il y avait, à Rome même, écrit dom Leclercq, une minorité que son irrésistible protestation contre les dieux de l’Empire signalait à tous, c’était la colonie juiveune circonstance semblait accablante contre eux : Le feu avait pris dans les échoppes du Grand-Cirque, occupées par des marchands orientaux, parmi lesquels étaient beaucoup de juifs. Mais il avait épargné la région de la porte Capène et le Transtévère, dont les juifs formaient presque exclusivement la population.. De là à inculper les juifs il y avait peu à faire, cependant ils échappèrent ; c’est que Néron était entouré de juifs : Tibère Alexandre et Poppée étaient au plus haut point de leur faveur ; dans un rang inférieur, des esclaves, des actrices, des mimes, tous juifs et fort choyés. Est-ce trop s’avancer, que d’attribuer à ce groupe l’odieux d’avoir fait tomber sur les chrétiens la vengeance menaçante ? 1 »
Les horreurs qui s’ensuivirent nous sont connues par les Annales de Tacite : « On saisit d’abord ceux qui avouaient [sous-entendu : être chrétiens]. Puis, sur leurs indications, une grande multitude. » L’identité de ces “ indicateurs ” se laisse facilement deviner si l’on se souvient de saint Clément attribuant les massacres ordonnés par Néron « à la jalousie » (dia zèlon), mot clé de la haine des juifs s’acharnant d’abord contre Pierre (Ac 5, 17), puis contre Paul (Ac 13, 45 ; 17, 5), et, une fois convertis, introduisant la zizanie dans l’Église même (1 Co 3, 3 ; Ga 4, 17).
Margherita Guarducci retrace minutieusement la chronologie de ces événements et, par d’ingénieux recoupements, confirmés par les fouilles archéologiques et le déchiffrage d’antiques inscriptions, elle arrive avec certitude à dater le martyre du chef des Apôtres du 13 octobre 64, jour du dies imperii, dixième anniversaire de l’accession de Néron au trône impérial :
« Le tragique incendie éclata dans la nuit du 18 au 19 juillet. Il s’éteignit neuf jours après : donc le 28 juillet. Puis ce furent les premiers travaux de secours et les premières initiatives pour la restauration de Rome ; on offrit de nombreux sacrifices aux dieux, tandis que naissaient et peu à peu prenaient consistance les murmures du peuple contre l’empereur. On peut évaluer à deux mois le temps ainsi écoulé. Cela nous reporte à la fin septembre ou au début d’octobre. D’autre part, novembre et décembre doivent être pratiquement exclus. En premier lieu, il n’est pas pensable de voir se dérouler, en cette saison, des jeux tels que les décrit Tacite ; réjouissances publiques en plein air, qui se prolongent tard dans la soirée, comme l’indique l’emploi macabre de torches humaines pour éclairer le public. Les spectacles de ce genre supposent une température assez douce. » (p. 29)
Le rapprochement de la Lettre aux Corinthiens avec les Annales de Tacite montre bien que saint Clément et l’historien romain parlent de la même chose. Or, Tacite place la persécution des chrétiens parmi les événements de l’an 64 : « Sur l’année, il ne peut y avoir de doute, écrit Margherita Guarducci : les noms des deux consuls en charge, Lucanius Bassus et Licinius Crassus, l’indiquent clairement. »
« En somme, d’après tous les éléments en ma possession, la période la plus indiquée pour ces spectacles – donc pour le martyre de Pierre – me paraissait être la première moitié d’octobre, quand à Rome les journées sont encore assez longues et conservent parfois la douceur de l’été.
Margherita Guarducci poursuit son palpitant récit en citant « une singulière coïncidence » découverte dans l’Apocalypse de Pierre et l’Ascension d’Isaïe, deux ouvrages apocryphes :
« Dans ce dernier, il est question de l’empereur Néron. En un langage symbolique, mais suffisamment clair, on le montre possédé du démon et décidé à persécuter les douze Apôtres du Christ, dont l’un (Pierre) viendra tomber entre ses mains. On fait encore d’autres allusions aux méfaits suggérés à l’empereur par Lucifer, et finalement, on trouve deux petites phrases, petites certes, mais combien précieuses ! Je les cite d’après la traduction française sur le texte éthiopien, donnée par le cardinal Eugène Tisserant :
« Et il érigera son image devant la face de toutes les villes.
« Et il dominera trois ans, sept mois et vingt-sept jours. »
« Que pouvait bien signifier cette singulière indication de trois ans, sept mois et vingt-sept jours ? » (p. 30)
Une chose fort simple : « Les images érigées dans toutes les villes sont certainement les statues de l’empereur dressées, selon l’usage, dans les diverses cités de l’Empire. » Quant à la deuxième phrase, elle indique un délai au terme duquel intervient la mort du tyran, qui mettra fin à son pouvoir. Cette dernière étant parfaitement datée du 9 juin 68, il suffit de compter trois ans, sept mois et vingt-sept jours à rebours pour dater du 13 octobre 64 le point culminant de sa domination.
« Ainsi l’Ascension d’Isaïe me ramenait à la première moitié d’octobre 64, celle-là même où, selon mes autres recherches, se seraient déroulés les spectacles du Vatican et le martyre de Pierre. Mais que pouvait rappeler cette date du 13 octobre qui se présentait comme le jour du martyre de l’Apôtre ? Dans l’autre livre prophétique l’Apocalypse de Pierre, ce martyre est considéré comme le commencement de la ruine de Néron. “ Les voilà donc, me disais-je, les deux termes de la période de calamités de trois ans, sept mois et vingt-sept jours ! Elle s’ouvre avec le martyre de Pierre, point culminant de la persécution, et se clôt avec la mort du tyran. ”
« La coïncidence était sans doute impressionnante. Mais aussitôt en apparut une autre, et celle-ci plus décisive encore. Je me suis rendu compte, en effet, que la date du 13 octobre était déjà à elle seule des plus éloquente. Au temps de Néron, le 13 octobre avait une signification, et non des moindres : c’était le jour de son accession au trône, son “ dies imperii ”, comme disaient les Romains. Le dies imperii d’un empereur, comme son dies natalis, jour de sa naissance, étaient des dates importantes dans le calendrier de Rome et de tout l’Empire. Ces jours-là devaient être célébrés par des sacrifices et des divertissements populaires. » (ibid., p. 31)
« Le temps était facile à calculer. Après trois années, on arrivait au 13 octobre 64 ; avec 7 mois de plus, au 13 mai 68 ; et avec 27 jours, au 9 juin 68, jour précis de la mort du persécuteur. »
Néron était monté sur le trône le 13 octobre 54. En 64, il célébrait donc un anniversaire particulièrement solennel puisque c’était le dixième : « Dans son fol orgueil, Néron devait donc éprouver une satisfaction particulière à sacrifier les chrétiens, le jour même où la majesté de l’Empire romain s’exaltait en la personne de l’empereur divinisé. »
La tombe
« Tous les spécialistes de l’antiquité païenne le savent : certaines exécutions capitales étaient parfois considérées comme des attractions de choix dans les programmes ; quelque chose comme le “ clou du spectacle ”. Le public qui remplissait les gradins des cirques ou des amphithéâtres avait des goûts féroces et les organisateurs des jeux s’appliquaient à les satisfaire, ou pour mieux dire, à les exciter. Or, les crucifixions comptaient parmi ces macabres “ numéros ” qui faisaient courir les foules. On a trouvé à Pompéi une inscription qui peut se situer entre 62 et 79 après Jésus-Christ, donc plus ou moins du temps de Néron. Elle invitait les habitants à assister à des combats de gladiateurs qui devaient avoir lieu prochainement à l’amphithéâtre de Cumes. Et pour rendre l’invitation plus alléchante, on annonçait, en “ numéro ” spécial, l’exhibition de cruciarii, c’est-à-dire de condamnés au supplice de la croix. Le “ divertissement ” proposé consistait donc à regarder des malheureux mourir sur une croix.
« Dès lors, il est probable que dans les spectacles du Vatican, des croix, et parmi elles celle de Pierre, furent plantées dans le cirque même. On peut se les représenter au bord de la piste où les chiens féroces poursuivaient et déchiraient les victimes revêtues de peaux de bêtes. Du reste, les tragiques torches humaines dont parle Tacite devaient elles-mêmes être dressées dans le cirque. Elles étaient nées de l’imagination morbide de Tigellinus, le célèbre préfet des prétoriens et le mauvais génie de Néron, et nous savons qu’elles étaient destinées à “ éclairer les spectateurs ”.
« Ainsi, toutes ces horreurs durent avoir lieu seulement à l’intérieur du cirque. En fut le témoin muet, l’obélisque qui s’élève aujourd’hui au milieu de la place Saint-Pierre. S’il pouvait parler, il aurait à nous raconter des scènes d’une horrifiante cruauté, au milieu desquelles resplendissait le sublime héroïsme des victimes. » (p. 24-26)
Après le spectacle, les corps des victimes étaient enterrés à quelques pas du lieu de leur martyre. Nous le savons aujourd’hui, grâce aux fouilles ordonnées par Pie XII le 28 juin 1939, dès le lendemain de son élection. Elles révèlent que la basilique érigée par l’empereur Constantin en l’honneur de saint Pierre au quatrième siècle, s’élevait bel et bien sur la tombe de l’Apôtre, à l’endroit précis où celui-ci avait été enseveli, aux abords du cirque du Vatican :
« L’emplacement était pourtant on ne peut plus mal adapté à cette construction, écrit Margherita Guarducci. Pour le transformer en une surface plane, capable de recevoir l’édifice, il fallait enterrer une nécropole encore utilisée, et de plus, entailler la colline vaticane. L’empereur usant de ses pleins pouvoirs, ordonna que tout cela se fasse. Ainsi la nécropole fut enterrée et entrecoupée de robustes murs de fondation [...]. L’ampleur même de l’œuvre à accomplir et les obstacles énormes à surmonter pour la mener à bien, disent assez l’exceptionnelle importance attribuée à cet endroit du Vatican, car on le tenait pour le lieu précis où se trouvait la tombe du Prince des Apôtres. » (p. 47-48)
Les architectes de Constantin commencèrent par exhumer les ossements de saint Pierre de leur première fosse située sous un petit monument appelé “ trophée de Gaïus ”, du nom du savant ecclésiastique qui en atteste l’existence au deuxième siècle.
Les reliques furent enveloppées dans une étoffe de pourpre entrelacée de fils d’or et déposées dans un monument plus vaste, appelé “ monument constantinien”, englobant l’édicule du deuxième siècle, et revêtu de plaques de marbre et orné de bandes de porphyre. C’est là qu’elles ont été retrouvées, dans un loculus situé à l’extérieur du monument, au cours de la première campagne de fouilles (1940-1942), mais à l’insu des chercheurs, parmi d’autres groupes d’ossements. Recueillis dans une des caisses préparées pour recevoir séparément chaque ensemble d’ossements trouvés au cours des travaux, elles sont tombées dans l’oubli pendant de longues années. C’est à Margherita Guarducci que revient le mérite et la gloire de les avoir identifiés.
La découverte des reliques
Un matin de mai 1952, elle descendit pour la première fois sous la basilique vaticane pour visiter les fouilles. Avec la permission du pape Pie XII, elle voulait observer le graffito dont l’un des archéologues, le jésuite Antonio Ferrua, venait de publier le dessin dans la Civilta cattolica et dans le quotidien Il Messaggero :
« Cette inscription consistait en deux lignes d’écriture. Dans la première, on voyait, parfaitement reconnaissables, les quatre premières lettres du nom grec de Pierre : PETP (OC). Dans la seconde, on lisait les trois lettres : ENI [...], “ Pierre est ici, dedans ”. » (p. 60)
« À ma grande surprise, le graffito n’y était pas, ou, plus exactement, il n’y était plus. » (p. 62) L’explication de ce mystère était simple : le jésuite avait détaché du mur le morceau d’enduit portant cette inscription et l’avait emporté. « Premier d’une série de mystérieux épisodes qui avaient pour but d’occulter mes découvertes successives sur saint Pierre », confiera Margherita Guarducci bien des années plus tard (30 JOURS, février 1990, p. 51).
Margherita Guarducci s’attacha alors à déchiffrer l’inscription du mausolée des Valerii, découvert en 1942 : « Pierre, prie pour les saints hommes chrétiens ensevelis près de ton corps. » C’était déjà un résultat : « La lecture de l’invocation à saint Pierre procura une grande joie à Pie XII. Malgré son éloignement relatif de la tombe [une vingtaine de mètres], elle attestait explicitement le culte de l’Apôtre dans les souterrains de la basilique. Pour la première fois, on parlait de son corps, allusion certaine à ses ossements qui, chose étrange, n’avaient pas été retrouvés. » (p. 64)
Or, un matin, se trouvant devant le mur appelé “ mur g ”, en raison des graffiti dont il est couvert, en compagnie du “ sampietrino” qui avait pris part depuis le début à tous les travaux de fouilles sous la Confession de la Basilique, Margherita Guarducci lui demanda :
« Giovanni, vous qui avez toujours suivi de près les travaux, vous rappelleriez-vous, par hasard, si rien d’autre n’a été trouvé là-dedans que le peu de chose dont parle la relation ?
–Si, répondit aussitôt celui-ci. Il devait y avoir autre chose. »
Sans la moindre hésitation, il conduisit l’archéologue vers un réduit où étaient remisées des caisses de dimensions diverses. Après une brève recherche, il s’arrêta devant une petite caisse de bois, munie d’un couvercle fixé par deux clous.
« Voilà, elle est ici. »
Cette caissette contenait des ossements « fragiles, légers, de couleur très claire –presque blancs – et abondamment incrustés de terre, signe évident qu’ils provenaient d’une tombe creusée dans la terre nue. »
« Je remarquai aussi, écrit l’archéologue, de petits restes d’étoffe, de couleur rougeâtre, où brillaient des fils d’or. »
Elle était si éloignée de l’idée que ces os fragiles, légers, de couleur laiteuse, étaient ceux du Prince des Apôtres, que ceux-ci attendirent presque dix ans l’examen anthropologique qui s’imposait : « C’est seulement en octobre 1962 que le professeur Correnti coupa la ficelle dont, en septembre 1953, j’avais entouré la petite caisse de bois trouvée dans le réduit des grottes vaticanes. » (p. 110)
Ce professeur travailla “ à l’aveugle ”. On lui donna plusieurs groupes d’ossements, respectivement siglés T, K et VMG (vide du mur g).
Or, il ignorait tout des données archéologiques et topographiques. « Si j’étais loin de penser aux reliques de saint Pierre, lui l’était encore bien plus que moi ! » (p. 112)
Le résultat des deux premiers groupes « provoquèrent une retentissante désillusion ». Le groupe T, « celui auquel jusqu’alors on attribuait la plus grande importance, s’était subdivisé en trois individus, dont une petite vieille de plus de soixante-dix ans ! Et le groupe K en quatre individus, « et pas un seul ne présentait le moindre titre à une identification avec l’Apôtre ».
Sur le troisième groupe, le travail du professeur dura d’octobre 1962 à juin 1963 :
« La première connaissance des résultats me fut donnée par lui-même dans les premiers jours de juin, alors que l’actuel souverain pontife Paul VI était encore le cardinal Montini.
« Vous savez, me dit le professeur, c’est très curieux. Dans votre petite caisse de bois, j’ai trouvé les os d’un seul individu et non de plusieurs, comme dans le groupe T et dans le groupe K.
–D’un seul individu ? lui répondis-je. Et vous avez pu en établir le sexe ?
–Oui, masculin.
–Et l’âge ?
–D’un âge avancé, dans les soixante à soixante-dix ans. Et il ajouta :C’était un homme de constitution robuste. »
« Puis il continua en m’indiquant que toutes les parties du squelette, sauf les pieds, étaient plus ou moins représentées. Il y avait des fragments de la calotte crânienne, des maxillaires, une dent canine, des fragments de côtes, de vertèbres, du bassin, la main gauche presque entière et des fragments assez importants des membres inférieurs. En outre, sur quelques os, en leurs parties les plus saillantes, on remarquait des taches rougeâtres, et sur tous il y avait – cela je l’avais constaté moi-même – de la terre en abondance.
« Même à ce moment-là, je ne pensais pas que ce puisse être là les ossements de Pierre. Comme d’habitude, ma pensée se reportait aussitôt à l’ouverture de la cachette par le côté est, vers les pièces de monnaie médiévales et l’os de chien trouvé parmi les ossements humains.
« N’avez-vous pas vu, vous aussi, demandai-je au professeur, un os d’animal ?
–Certainement, je l’ai vu ; j’en ai même vu plus d’un ! Il y en avait également dans le groupe T et dans le groupe K. Savez-vous que dans la caissette de bois, il y avait aussi de minuscules os de souris ? J’en ai trouvé quelques-uns et je crois qu’il s’agit d’une seule petite souris.
« L’idée de la petite souris m’amusa. Puis je convins avec le professeur Correnti qu’il était vraiment singulier de voir ces ossements appartenir à un seul individu. Et là-dessus prit fin la conversation. »
Une identification certaine
« Combien de temps me fallut-il pour commencer à soupçonner, puis à penser avec précision qu’il s’agissait des reliques de saint Pierre ? Au moins deux jours, je crois.
« Repensant à ma conversation avec le professeur Correnti, je repris ce que j’en avais tiré, et m’aperçus, avec émerveillement, que tout s’éclairait d’une lumière nouvelle. Le professeur avait été catégorique : les ossements humains provenant de la cachette du mur G appartenaient à un unique individu, de sexe masculin, d’âge avancé, entre soixante et soixante-dix ans, de constitution manifestement robuste. Or je savais que le loculus était, dans le monument de Constantin, le seul considéré à cette époque comme la tombe de Pierre, et Pierre était précisément un individu de sexe masculin, mort à un âge avancé, ayant eu comme pêcheur habitué aux plus rudes fatigues, une robuste constitution. Les os étaient abondamment incrustés de terre ? Mais la tombe primitive de Pierre était justement une très modeste tombe creusée dans la terre nue, les fouilles l’avaient démontré. Sur quelques os, m’avait dit le professeur Correnti, on notait des taches rougeâtres ? Mais j’avais moi-même trouvé, au milieu des os, de petits restes d’étoffe rougeâtre entrelacée de fils d’or. Je commençai alors à comprendre comment les choses avaient dû se passer. Constantin fait relever de l’antique tombe de Pierre les restes de ses ossements. Il les fait envelopper dans un précieux drap de pourpre et d’or, et les dépose dans le loculus du monument-tombe qu’il a érigé en l’honneur du Martyr. La pourpre et l’or, personne ne pouvait le nier, convenaient admirablement à la dignité d’un martyr qui était en même temps le Prince des Apôtres.
« À ce moment également, s’éclaira pour moi d’un jour nouveau le fameux graffito : Petros eni (“ Pierre est ici, dedans ”). Au début, je pensais qu’il se rapportait à la tombe primitive creusée sous l’édicule. Mais à présent, me rappelant qu’il provenait de l’intérieur du loculus et celui-ci apparaissant désormais comme la seconde tombe de l’Apôtre, il était logique, voire nécessaire, de mettre en relation l’inscription avec le loculus. Ainsi la phrase “ Pierre est ici, dedans ”, écrite à l’intérieur de la cachette prenait une profonde signification.
« Mais comment expliquer la présence dans le loculus des monnaies médiévales et des os d’animaux ?
« En ce qui concerne les monnaies médiévales, j’arrivais assez vite à une hypothèse, qui fut confirmée par la suite : elles s’étaient glissées dans la cachette à travers les fissures des murs. Celles-ci étaient très visibles, et d’autre part, les fidèles au cours des siècles avaient jeté des myriades de pièces dans la tombe de Pierre. On en avait retrouvé dans des endroits les plus inattendus.
« Pour les os d’animaux, la chose fut plus longue et plus laborieuse. […] L’unique manière de justifier la présence de ces os d’animaux à l’intérieur du loculus était de penser qu’ils se trouvaient déjà dans le terrain où la tombe primitive de Pierre avait été creusée, et au temps de Constantin, furent recueillis par inadvertance avec les ossements humains. Dès lors la difficulté se transformait pour moi en une preuve positive. En effet, on était ainsi obligé de remonter à l’âge où cette zone du Vatican était encore un terrain rural où paissaient des moutons et habitaient des paysans. Et cela reportait aux temps des “ jardins ” de Néron, c’est-à-dire exactement à l’époque de saint Pierre. » (ibid., p. 112-115).
La preuve pluridisciplinaire
Pie XII avait pris la décision historique de commencer les travaux le 28 juin 1939, vigile de la fête des apôtres Pierre et Paul. Mais il fallut attendre 1952 pour voir Margherita Guarducci s’y engager, et leur donner le tour décisif qui aboutit à identifier les ossements de saint Pierre en 1963, après la mort de Pie XII (9 octobre 1958).
Ce Pontife avait suivi les travaux avec un intérêt passionné :
« Désireux d’être mis au courant au fur et à mesure des derniers résultats, il me recevait lui-même en audience et s’entretenait longuement avec moi, raconte Margherita Guarducci. Il se faisait montrer et expliquer les photographies et les dessins, et me demandait des renseignements sur la science épigraphique en général et sur la technique du déchiffrement en particulier. Parmi les souvenirs les plus chers de ma vie, resteront toujours pour moi les “ leçons ” d’épigraphie données à cet exceptionnel élève. Il y montrait une remarquable finesse d’intuition, une mémoire prodigieuse et une étonnante capacité de se familiariser rapidement avec une science qui jusque-là lui avait été totalement étrangère.
« En juillet 1958 sortaient de l’imprimerie les premières épreuves de mon travail sur les graffiti. Le 5 de ce mois, j’en portai un exemplaire au Pape, avant son départ pour Castelgandolfo. Ce fut la dernière fois que je le vis. Il m’avait manifesté son intention de venir personnellement devant le mur g, pour lire sur l’original les précieux graffiti qu’il connaissait déjà presque un par un, par les photographies ou les relevés. Mais ce projet ne put malheureusement se réaliser : le 9 octobre, à Castelgandolfo, le grand pontife s’éteignait. »
Jean XXIII « était loin d’éprouver pour les fouilles sous la basilique le grand intérêt ressenti par Pie XII. Non seulement il montrait les connaître assez peu, mais encore (du moins fut-ce mon impression) il ne témoignait aucun désir d’en savoir davantage. […]
« Mes tentatives pour informer un peu mieux le nouveau Pape, et pour éveiller son intérêt, se perdirent sans espoir dans l’océan de sa débonnaire cordialité. Insister aurait été inopportun. » (p. 73-75)
Paul VI succéda à Jean XXIII en juin 1963. Margherita Guarducci raconte : « Le 25 novembre 1963, je devais être reçue en audience par le pape Paul VI, pour lui offrir mon petit livre sur saint Pierre, destiné aux Pères du Concile œcuménique, et déjà traduit en cinq langues. Je décidai de profiter de l’occasion pour mettre le Saint-Père au courant de mon “ secret ”. […] » (p. 115-116)
Elle continue : « Le souvenir de cette audience est resté ineffaçable dans ma mémoire. J’avais été conduite dans la salle immédiatement contiguë à la bibliothèque privée. Mon audience devait donc être la première des audiences spéciales.
« Une fois terminée la série des audiences privées, le Pape sort de son bureau et s’avance vers moi. Sur la table de marbre d’un meuble doré se trouvent déjà mes six petits volumes dans leur écrin. Après avoir offert mon présent par de brèves paroles, je dois faire part au Souverain Pontife de la grande nouvelle qui me brûle les lèvres. Je vois alors des personnes traverser la salle, et passer tout près de moi. Je ne me sens pas à mon aise. Le Pape s’en aperçoit, et ordonne de fermer la porte. Alors seulement je me décide à parler et à dire que, selon une extrême probabilité, les reliques de saint Pierre ont été identifiées. Le Pape esquisse un mouvement de surprise. Une lumière s’allume dans ses yeux. D’une voix altérée par l’émotion, il m’exprime sa joie et me demande qui a déjà connaissance de la nouvelle. J’énumère quelques noms et me déclare prête à lui apporter les preuves de ce que je viens de lui annoncer. Mais ce n’est pas le moment propice et mon exposé est remis à une prochaine occasion. » (p. 116)
Cette occasion se présenta à deux reprises : le 10 janvier 1964, à son retour de Palestine, et encore le 13 février, Paul VI se fait expliquer longuement l’ensemble des résultats acquis, avec plans et photographies, et approuve le programme de recherches complémentaires capables de procurer une certitude absolue.
Ces recherches pluridisciplinaires commencèrent par l’analyse des restes d’étoffe rougeâtre entrelacée de fils d’or trouvés au milieu des ossements : « Les examens furent réalisés dans les laboratoires de l’Institut de chimie de l’Université de Rome, par les soins du professeur Maria Luisa Stein, spécialiste en analyse des tissus, et du professeur Paolo Malatesta. Il m’importait de savoir à quel genre d’étoffe appartenaient ces restes de tissus, et surtout d’avoir la certitude que les fils métalliques étaient de l’or véritable. […]
« Je fus moi-même présente à une partie de ces examens et il me fut donné d’observer au microscope les minuscules fragments déposés sur le verre du porte-objet. Je me rappelle l’extraordinaire impression que me firent les fils d’or : leur aspect était merveilleusement transformé. À travers l’objectif, ils apparaissaient comme de brillantes petites bandes de métal ; on aurait dit de vifs petits serpents enroulés autour d’une tige de fibre rougeâtre. Je me demandais, et les deux spécialistes qui exécutaient les examens se le demandaient avec moi, comment avaient pu faire les anciens pour réduire le métal en lames si minces, les tailler en bandes si fines et enrouler ces bandelettes rigides autour des fils. C’était la démonstration d’une technique merveilleusement évoluée, et cela aussi confirmait combien cette étoffe était précieuse. À la fin des examens me fut délivrée une attestation certifiant que la plus grande partie des échantillons provenait d’un tissu de laine et que l’or était authentique. » (p. 118)
Le deuxième examen concernait les os incrustés de terre : « Il s’agissait de savoir si la terre incrustée dans les os était la même que celle du champ P où se trouvait la tombe primitive de l’Apôtre. On se rendit à l’Institut de pétrographie de l’Université de Rome. Le professeur Carlo Lauro, directeur de l’Institut, envoya au Vatican son assistant, le professeur Giancarlo Negretti, pour prélever les échantillons nécessaires à la confrontation. Les examens longs et difficiles donnèrent un résultat pleinement positif. La terre des ossements était de sable marneux, comme l’étaient les six échantillons, et présentait d’autres caractéristiques l’inscrivant dans le même milieu géologique et pétrographique. Une éventuelle différence de terre aurait démontré une provenance différente des ossements. Au contraire, la terre était parfaitement semblable à celle de la tombe primitive. » (p. 119)
La contre-épreuve consista à expertiser le « crâne de saint Pierre » conservé et vénéré dans la basilique du Latran. Permission demandée à Paul VI. Accordée… Résultat négatif, qu’il aurait fallu publier aussitôt, ce qu’on ne fit pas, au grand désappointement de Margherita Guarducci : « Mais j’ai cru absolument nécessaire de demander la permission, aussitôt obtenue, de pouvoir affirmer ouvertement que l’examen scientifique du contenu des reliquaires ne modifiait en rien les conclusions acquises au sujet des ossements du loculus du mur g. » (p. 121-122)
« La présence aujourd’hui, au Vatican, des vraies reliques de Pierre, continue Margherita Guarducci, inflige un coup mortel à toutes les autres, dispersées dans les églises, chapelles et curies épiscopales. » Mais cette affirmation, loin de scandaliser la foi des simples, ne peut que mettre en plus éclatante lumière, cette vérité toute simple, propre à donner un fondement inébranlable à notre foi en l’Église fondée sur Pierre :
« À une époque où, à Rome, n’existait pas encore le commerce des reliques, les ossements furent enfermés dans un monument parfaitement datable, dans un loculus resté intact jusqu’à nos jours, et mêlés à divers objets qui contribuent, chacun pour son compte et avec une impressionnante cohérence, à démontrer leur authenticité. » (p. 145-146)
Le reniement
« Le matin du 26 juin 1968, au cours de l’audience habituelle du mercredi dans la basilique, Paul VI fit aux fidèles rassemblés dans la basilique vaticane, l’annonce de portée historique : les reliques de saint Pierre avaient été retrouvées. » Point final. « Au soir du jour suivant, le 27 juin à 19 h 30, et de par la volonté du pape, les reliques de saint Pierre retournèrent dans le loculus de marbre du monument constantinien. »
Aujourd’hui, ces reliques sont tombées dans l’oubli le plus absolu. Margherita Guarducci a confié au magazine “ 30 JOURS ” qu’elle avait sollicité à plusieurs reprises une audience de Jean-Paul II. En vain. « Il se peut que je me trompe, mais j’ai toujours eu l’impression, et je l’ai écrit, que l’action des adversaires des reliques était arrivée jusqu’au Pape. D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi Jean-Paul II, informé de tout ce qui concerne l’Église, n’a jamais ressenti la nécessité de se documenter, directement et dans tous les détails, sur un problème aussi important que celui de la présence effective de saint Pierre dans la Basilique vaticane. Peut-être les pressions exercées sur le Pape actuel sont-elles encore plus fortes que celles exercées sur Paul VI, pendant le concile Vatican II. »
Invitée à préciser sa pensée, elle n’hésite pas : « J’ai dit que ce faux œcuménisme, sous lequel se cachent des idées malsaines et des intérêts obscurs et hostiles à l’Église, a joué un rôle fondamental dans la volonté de minimiser et d’annuler la présence tangible de Pierre, dans l’Église de Rome. Au début, je n’arrivais pas à comprendre la raison de ces étranges événements et la tendance constante à cacher les découvertes. Certains milieux du Vatican y étaient pour beaucoup. Mais cette obstination à occulter, à nier contre toute démonstration scientifique les preuves que les reliques du Prince des Apôtres existent vraiment sous la Basilique de Rome, d’où venait-elle, sinon d’intérêts obscurs ? Si l’on n’exalte pas Pierre, on place automatiquement l’Église catholique sur un pied d’égalité avec toutes les religions. » (30 JOURS, fév. 1990, p. 54-55)
On ne saurait mieux dire. C’est en 1967 que les « rencontres bilatérales » luthéro-catholiques ont débuté officiellement. On comprend dès lors l’attitude de Paul VI, annonçant à la sauvette l’année suivante, le 26 juin 1968, que les reliques de saint Pierre avaient été retrouvées, et les faisant replacer dans le loculus constantinien, sans autre forme de solennité, pour son enterrement définitif. Margherita Guarducci n’était pas présente ce jour-là dans la basilique, parmi la foule des fidèles, n’ayant pas été prévenue. La déclaration commune luthéro-catholique, est aujourd’hui le salaire de ce reniement. Il ne vaut pas même trente deniers. Mais le disciple n’est pas plus grand que son Maître. Il fallait que Pierre entende à son tour ses successeurs déclarer à la vue des ossements clairement identifiés : « Je ne connais pas cet homme ! »
Prions pour le Saint-Père, afin que, « revenu », il confirme ses frères dans la foi en Pierre, Vicaire de Jésus-Christ et fils de la Colombe.
frère Bruno Bonnet-Eymard.
Extrait de II. Le martyre de Pierre à Rome,
(CRC n° 361, novembre 1999, p. 9-15)
(1) Dom Leclercq, Les Martyrs, t. I, “ Les temps néroniens et le deuxième siècle ”, Mame 1921, p. 31-32.