La vérité des Évangiles
EN 1997 et 1998, frère Bruno de Jésus s’est appliqué à réfuter une série diffusée par la chaîne ARTE : Corpus Christi. Cette émission télévisée présentait un cas emblématique d’exégèse moderniste. Frère Bruno reprocha aux vingt-sept spécialistes de l’émission de s’être livrés à une « parodie de science », en passant « systématiquement sous silence toutes les découvertes les plus modernes dès lors qu’elles tendent à établir la vérité des êtres, des choses, des paroles et événements transmis et conservés par l’Église catholique. »
Au cours de cette controverse avec ceux qu’il appelle les « vingt-sept », frère Bruno de Jésus a fourni nombre de réfutations et d’explications pour rétablir, et confirmer plus fortement par là-même, la vérité des Évangiles. Une fois rassemblées, ses interventions forment un intéressant lexique de réponses aux principales questions que l’on peut se poser sur le sujet.
- L’historicité des Évangiles :
- Faut-il distinguer un « Jésus de la foi » et un « Jésus de l’histoire » ?
- À quel moment les Évangiles ont-ils été rédigés ?
- Comment expliquer les divergences entre les Évangiles et les écrits de Flavius Josèphe ?
- L’apôtre saint Jean est-il réellement l’auteur de l’Évangile de saint Jean ?
- Comment comprendre les différences entre les Évangiles, particulièrement entre les Synoptiques (saint Matthieu, saint Marc, saint Luc) et celui de saint Jean ?
- Enfance et vie publique de Notre-Seigneur :
- Quel lien y a-t-il entre Jésus et Jean Baptiste ?
- Jésus était-il opposé aux pharisiens comme le racontent les Évangélistes ?
- Existe-t-il des vestiges archéologiques correspondant aux récits évangéliques de la vie publique de Jésus ?
- Jésus a-t-il réalisé les prophéties comme l’affirment les Évangélistes ?
- Passion et Résurrection de Notre-Seigneur :
- Quel est le véritable motif de la condamnation de Jésus ?
- L’emplacement exact du Golgotha est-il aujourd’hui connu ?
- Comment expliquer l’apparente contradiction entre les différents récits de la Passion ?
- Y a-t-il d’autres sources historiques pour confirmer les dires des Évangélistes sur la crucifixion, la mort, la mise au tombeau de Jésus, et sur sa Résurrection ?
- Est-ce fondé d’affirmer que l’Évangile est une des sources de l’antisémitisme ?
L’historicité des Évangiles
Faut-il distinguer un « Jésus de la foi » et un « Jésus de l’histoire »?
Il s’agit là d’un postulat moderniste, affirmé d’emblée dans l’émission Corpus Christi : « les Évangiles ne sont pas contemporains des événements qu’ils décrivent, et ils poursuivent d’autres buts que de dire l’histoire. »
D’où la nécessité, selon l’exégèse moderniste, de distinguer le Jésus historique de celui de la foi. Pour les modernistes, il y a le fait historique, scientifique, qui n’est rien en lui-même que très ordinaire, et il y a l’idée (“ pure grâce ”) reçue par la foi, originée dans la « tradition » qui n’est plus transmission de faits objectifs (tels qu’une caméra aurait pu les filmer), mais leur transcription (midrash) inspirée par l’expérience charismatique de la communauté primitive.
Par exemple, un moderniste dira qu’historiquement, “ Jésus a sans doute distribué du pain à ses disciples, comme n’importe qui... ” Ce n’est que bien plus tard que ceux-ci y ont vu une preuve de sa générosité formidable, et alors pour “ faire comprendre à ceux qui n’avaient pas vécu ce partage ” l’intensité de la bonté extraordinaire de Jésus, ils ont “ enjolivé ” cette distribution de pain prosaïque : ils lui ont fait... “ multiplier les pains ”, façon de parler ! Car “ bien sûr, historiquement parlant, le Jésus de l’histoire n’a rien fait de tel en l’an 30 ; a-t-on jamais vu un homme nourrir 5000 hommes avec 5 pains et 2 poissons ? Ou ressusciter, ou monter au ciel comme une fusée ! ”
Le moderniste expliquera donc que ce sont les croyants qui, bien plus tard quand ils en “ feront mémoire ”, ont donné ces “ images ” pour traduire ce que représente pour eux [c’est une certitude intime, donc invérifiable et sans preuves ni reliques sur le terrain !] la personnalité de Jésus... bref, le Jésus de leur foi : le Jésus de la foi ! C’est ainsi que la légende s’est emparée après coup du personnage Jésus, et le résultat s’appelle... l’Évangile.
Telle est l’hypothèse farfelue et perverse, échafaudée pour satisfaire l’orgueil rationaliste refusant de toucher du doigt l’intervention incontestable du « Doigt de Dieu » (comme les Pharisiens qui voyaient l’aveugle-né guéri miraculeusement devant eux, Jn 9, 1-40), qui a été condamnée comme une hérésie par l’Église sous saint Pie X en 1907, dans l’encyclique Pascendi.
Frère Bruno objecte tout simplement aux « vingt-sept » : « Pourquoi le mot « histoire », concept clair pour tous les historiens de métiers en tous domaines, devient-il un écheveau emmêlé... dès lors qu’il s’agit de Jésus ? Pourquoi ce « deux poids, deux mesures », de telle sorte que dès qu’on parle de Jésus, il est « convenu » qu’il n’y a plus rien à en savoir de factuel, de positif, de concret, sinon que la « réalité advenue en Jésus-Christ » [sic] comporte une « référence à Jésus comme personnage historique » !?
Un regard sur les textes que les exégètes prétendent étudier suffit pourtant à constater que les Évangélistes se présentent tout simplement : soit comme des témoins qui ont vu et entendu ce qu’ils rapportent (Marc, secrétaire de Pierre, Matthieu et Jean), soit comme ayant rassemblé le témoignage de témoins dignes de foi (Luc).
Ainsi, saint Luc déclare que sa documentation lui fut transmise « par ceux qui, depuis le commencement, furent les témoins oculaires et les serviteurs de la parole » (Lc 1, 2) et Jean écrit quant à lui en toutes lettres : « Celui qui a vu rend témoignage pour que vous aussi vous croyiez. Son témoignage est véritable et celui-là sait qu’il dit vrai. » (Jn 19, 35).
En exégèse, le modernisme se caractérise depuis Renan par une systématique (pour ne pas dire maladive) mise en doute du témoignage des Évangélistes, et un refus a priori de tenir les témoins des faits du Christ ne serait-ce simplement que pour des gens normaux, honnêtes ! Quant à l’estime due à l’inspiration du Saint-Esprit dont ils jouissent pour ne pas se tromper ni nous tromper dans les faits réels et les événements fondateurs qu’ils rapportent, les modernistes l’ont depuis belle lurette enterrée dans un mépris sépulcral... Or cette incrédulité invétérée, bétonnée, s’est sourdement imposée depuis cent cinquante ans, quoique magistralement démasquée par saint Pie X, jusqu’à gouverner arbitrairement l’exégèse catholique aujourd’hui.
Afin de sortir de l’impasse dans laquelle cette approche rationaliste mène la science exégétique, frère Bruno a tenu à souligner l’intérêt de travaux scientifiques remarquables continuant de paraître dans tous les domaines (exégèse, théologie, histoire), et qui concluent dans le sens de la foi traditionnelle, au rebours du scepticisme ravageur des modernistes. Par exemple, l’ouvrage Retrouver l’historicité des Évangiles (par l’abbé Armand Ory), dont la méthode exégétique consiste à passer les récits évangéliques au crible du « test du raisonnable ».
Par exemple, Ory remarque judicieusement à propos de la communauté primitive : « si ces chrétiens vivaient sur une île, sans contact avec d’autres », alors oui : « ils pouvaient se raconter de belles histoires inventées. » Mais « s’ils vivaient comme des brebis parmi les loups (Mt 10, 16), [alors] chaque assertion de leur part était soumise à une critique impitoyable [...] Or ils ont vécu parmi des meurtriers, saint Étienne ayant été la première victime. Ils ne semblent pas avoir eu le temps de se raconter de pieuses légendes entre eux. »
Sinon, leurs contradicteurs auraient eu beau jeu de démystifier immédiatement ce « Jésus le Nazaréen » que saint Pierre leur annonçait publiquement au matin de la Pentecôte comme l’ « homme que Dieu a accrédité auprès de vous par les miracles, prodiges et signes qu’il a opérés par lui au milieu de vous, ainsi que vous le savez vous-mêmes » (Ac 2, 22). Du reste, Jésus a été le premier à s’en prendre à ceux qui refusaient de reconnaitre la réalité de ses miracles (Mt 11, 20 ; Jn 10, 37-38). N’est-il pas même parfois allé jusqu’à en envoyer les bénéficiaires (les lépreux guéris, Mt 8, 4 ; Luc 17, 14) au « bureau des constatations » de la synagogue ?
C’est donc parce qu’ils ne trouvèrent jamais aucun démenti ni témoin sérieux à opposer à de tels faits miraculeux connus de tous, que les adversaires de « la Voie » (Ac 9, 2) en furent réduits aux pires extrémités : « à la vue de ce que Jésus avait fait [la résurrection de Lazare] », grands prêtres et pharisiens durent reconnaitre : « Que faisons-nous ? Cet homme accomplit beaucoup de signes (...) à dater de ce jour, ils furent résolus de le tuer » (Jn 11, 47 et 53), ainsi que Lazare « parce que beaucoup de Juifs les quittaient à cause de lui et croyaient en Jésus » (id. 12, 11)
C’est donc au même moment, et parce qu’ils ne pouvaient produire aucun contre-témoignage sur les événements historiques de la vie de Jésus (Mc, 14, 51-59), et en particulier de sa Résurrection, que les membres du Sanhédrin exaspérés se muèrent en meurtriers... mais leur rage n’en fit que davantage authentifier ces « témoins oculaires », immortalisés aux yeux de tous dans l’histoire comme témoins dignes de foi, ce que signifie littéralement le mot martyrs !
JÉSUS A-T-IL VRAIMENT MARCHÉ SUR LES EAUX ?
Oui, Jésus a vraiment marché sur les eaux ; ce n’est point-là “ façon de parler ” ou “ langage symbolique ”, car dans leurs paraboles les Évangélistes ne parlent jamais d’hommes qui marchent sur les eaux, arrêtent une tempête ou multiplient des pains, mais « ils racontent au contraire des histoires tout ordinaires : un homme qui sème la semence, un berger qui cherche sa brebis, un pêcheur qui nettoie ses filets ! »
En revanche, raconter que Jésus a marché sur les eaux ne peut avoir pour fonction que de rapporter un fait exceptionnel. C’est la seule interprétation raisonnable de ce péricope. « Celui qui élimine le miracle semble se trouver pour le reste devant des absurdités. Celui qui admet le miracle se promène pour le reste dans le jardin du raisonnable. »
(extrait de la CRC n° 205, l’exégèse catholique renaît, recension du livre de l’abbé Armand Ory)
Ory souligne en outre qu’une rédaction réalisée sous le contrôle des contemporains des événements, et qui plus est en contexte de persécution, implique une grande rigueur dans la fidélité aux événements racontés. C’est pourquoi les modernistes s’accrochent par principe à l’hypothèse d’une rédaction très tardive des Évangiles. Ce qui leur permet de faire considérer ces Écritures comme une “ élaboration ” de la communauté chrétienne postérieure, qui aurait “ arrangé ”, le transfigurant, l’interprétant selon ses propres critères et expériences, le Jésus véritable... Mais même cette hypothèse, élaborée pour les besoins de la cause, met les modernistes en porte-à-faux des découvertes les plus récentes.
À quel moment les Évangiles ont-ils été rédigés ?
Dans l’émission Corpus Christi, le codex Bodmer conservé à Genève est présenté comme « le plus ancien manuscrit que l’on connaisse d’un livre presque complet du Nouveau Testament, daté de la fin du IIe siècle de notre ère », pour en conclure : « Tout cela montre bien la distance qui sépare l’Histoire du récit des quatre Évangiles. »
S’il est malhonnête de confondre ainsi la date d’une copie de l’Évangile avec la date de rédaction du texte original, ce l’est plus encore de passer sous silence une série de découvertes-clés (basées entre autres sur les critères objectifs de la papyrologie) qui permettent de dater les évangiles de l’époque même des Apôtres, témoins oculaires des faits et gestes de Jésus. Il résulte de ces découvertes archéologiques et progrès exégétiques que, dans les années précédant la guerre Juive et la chute de Jérusalem (66-70 ap. J.-C.), les Évangiles selon saint Marc et selon saint Matthieu non seulement existaient sous forme de rouleaux, mais avaient en outre déjà été copiés en codex [ensemble de feuilles écrites cousues ensemble et reliées].
Le 7Q5 : Il s’agit d’un fragment de papyrus (découvert dans la grotte numéro 7 du site archéologique de Qumrân), daté d’avant l’an 50 et identifié par le Père O’Callaghan comme étant un passage de l’Évangile de Marc (Mc 6, 52-53). Les grottes de Qumrân ainsi que le site lui-même ayant par ailleurs été abandonnés en 68 ap. J.-C. (au moment de l’invasion romaine), il faut admettre que tous les manuscrits découverts dans ces grottes sont antérieurs à cette date.
Le P 64 : Le papyrologue Carsten Peter Thiede a établi une nouvelle datation du papyrus Magdalen College d’Oxford (P 64) : environ 50 après Jésus-Christ. Il s’agit d’une portion de l’Évangile de Matthieu, au chapitre 26. Le manuscrit d’Oxford et son complément conservé à Barcelone (P 67) obligent même à dater la rédaction du texte original de la toute première génération apostolique : entre la Pentecôte de l’an 30 et l’an 40 !
Les travaux de John A. T. Robinson : Dans son ouvrage Redater le Nouveau Testament, Robinson parvient, par la voie de la critique interne des textes, à la même conclusion d’une rédaction hâtive des Évangiles. Pourtant lui-même moderniste au départ, Robinson changea à la suite d’une constatation : « Ce qui, de toute évidence, devrait apparaître comme l’événement de loin le plus datable et le plus culminant de l’époque – la chute de Jérusalem en 70 ap. J.-C. et, avec elle, l’effondrement du judaïsme institutionnel fondé sur le Temple – n’est jamais mentionné comme un fait passé. »
Au chapitre 13 de saint Marc, dans le discours eschatologique, Jésus annonce en effet quarante ans à l’avance la chute de Jérusalem : « Lorsque vous verrez l’abomination de la désolation installée là où elle ne doit pas être (que le lecteur comprenne !). »
« L’abomination de la désolation » nous renvoie à la première profanation du Temple par une image idolâtrique en 168-167 av. J.-C., sous Antiochus Épiphane. « (Que le lecteur comprenne !) » : cette parenthèse est une “ note de la rédaction ” signée de l’Évangéliste Marc, et très précisément datée de la terreur instituée par l’empereur Caïus Caligula (empereur depuis 37 ap. J.-C.), obligeant à employer ce langage crypté. De fait, cet empereur avait décidé de renouveler la profanation d’Antiochus Épiphane en édifiant sa propre statue dans le Temple. Alors les chrétiens crurent que le moment était venu de la réalisation de la prophétie. Or c’était avant l’an 41 de notreère, date de la mort de l’empereur qui l’empêcha de mettre son projet à exécution.
La rédaction de l’Évangile selon saint Marc date donc d’avant 41. Dans le cas d’une rédaction plus tardive de l’Évangile (après 70), il aurait été facile de décrire la destruction de Jérusalem telle qu’elle s’est réellement passée. Robinson conclut : « Il n’y a aucun indice, résistant quelque peu à l’examen, qui soit susceptible de montrer qu’aucun des Évangiles ait [forcément] été écrit après le milieu du siècle environ ; et je défie les exégètes par la présente de jamais produire un tel indice ! »
Comment expliquer les divergences entre les Évangiles et les écrits de Flavius Josèphe ?
L’émission Corpus Christi accorde à Josèphe (37- v. 100 ap. J.-C.) une place prépondérante que rien ne justifie. Puisqu’il a vécu et écrit dans la deuxième moitié du Ier siècle, l’émission souligne qu’il est un « témoin oculaire » et que « ses œuvres sont donc d’une valeur inestimable. », alors que les Actes des Apôtres, eux, « fourmillent d’anachronismes et d’erreurs ».
Pour mesurer le préjugé exorbitant que trahissent de telles affirmations, il suffit de citer Théodore Reinach traçant le portrait dudit Josèphe dans son introduction au Contre Apion : « Comme historien, Flavius Josèphe témoigne, en général, de peu de sens critique ; il laisse subsister dans ses explications bien des contradictions, des renvois à des passages “ ultérieurs ”, mais inexistants, qui font peu d’honneur à son soin et à son attention ; il ne professe aussi qu’un respect insuffisant pour la vérité, dès qu’elle ne cadre pas avec ses convictions nationales, son amour-propre ou même son intérêt du moment ; [...] tous ses ouvrages ont plus ou moins le caractère apologétique qui se manifeste tantôt par des exagérations, tantôt par des suppressions calculées. »
En ce qui concerne les relations entre les écrits de Josèphe et les Évangiles, c’est paradoxalement dans les travaux de l’un des « vingt-sept », Étienne Nodet, que l’on trouve l’étude éclairante sur la question. Il semble que pour participer à cette émission très orientée, ce savant ait accepté de passer sous silence ses propres travaux ! Au colloque du centenaire de l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, Étienne Nodet affirmait en effet : « On peut montrer que, relativement à Jésus et Jean-Baptiste, Josèphe n’a aucune information qui ne vienne... de la tradition chrétienne ; il ne constitue donc pas une source indépendante, et confirme par là les textes canoniques. »
Les “ vingt-sept ” qualifient de « midrashique » l’œuvre des Évangélistes. Or, c’est l’œuvre de Flavius Josèphe qui est un midrash, incontestablement. Pour s’en convaincre, il suffit de lire... le même Étienne Nodet ! L’introduction de son ouvrage récent, La Bible de Josèphe, est parfaitement explicite. Pour écrire l’histoire des Juifs, Josèphe a recours à la Bible, évidemment, mais il la paraphrase plutôt qu’il ne la cite. « La paraphrase de Josèphe s’écarte dans de nombreux cas de toutes les formes bibliques que nous connaissons, bien qu’il déclare volontiers être fidèle à ses sources : il ajoute des discours ou retranche des épisodes entiers, il réorganise sa matière et lui donne un style. »
En fait, Josèphe polémique sournoisement contre la prédication chrétienne qu’il connaît par le Nouveau Testament, dont la rédaction est déjà achevée et répandue dans tout l’Empire au moment où il entreprend d’écrire, vers 90. André Paul écrit, dans son livre Le judaïsme ancien et la Bible : « Aussi notre écrivain voulut-il, entre autres choses, faire globalement pièce (quant au fond et quant à la forme) au capital social, doctrinal et littéraire déjà acquis par les chrétiens. »
Il est presque amusant, après cela, de constater que nos « vingt-sept » tendent à prendre systématiquement pour argent comptant d’une « valeur inestimable » (on n’ose dire : « pour parole d’évangile ») les œuvres de Josèphe dès lors qu’elles contredisent... les Évangélistes !
Saint Jean apôtre est-il l’auteur de l’Évangile de Jean ?
Si saint Jean apôtre est traditionnellement considéré comme l’auteur de cet Évangile, cela n’est pas sans présenter plusieurs difficultés, relevées avec insistance par les modernistes. L’exégète Annie Jaubert s’est penchée avec méthode sur la question.
Première objection sérieuse : « le fils de Zébédée, simple pêcheur de Galilée, ne pouvait vraisemblablement être connu du grand prêtre. »
En fait, il n’est pas inconcevable qu’un pêcheur de Galilée “ monte ” à Jérusalem pour y faire des études. Annie Jaubert l’a bien expliqué : « On sait que Jean de Zébédée était pêcheur en Galilée, d’une famille aisée, semble-t-il » (de fait, selon saint Marc (1, 20), Zébédée avait des salariés). Que l’on ne nous objecte pas les Actes des Apôtres où est rapportée l’opinion selon laquelle Pierre et Jean étaient sans instruction. Si saint Luc tient ce récit de saint Jean, il est aisé de comprendre que, par humilité, ce dernier se soit mis dans le même cas que Pierre, parmi les « gens sans instruction et sans culture ». Nous savons que Pierre eut en effet recours à Marc pour rédiger son Évangile. Notons cependant que Jean, lui, n’eut besoin d’aucun secrétaire.
L’abbé Jean Carmignac, dans son livre Le docteur de Justice et Jésus-Christ, a fait l’hypothèse suivante : « Nous savons par Flavius Josèphe (Vie, 10-11) que certains jeunes gens faisaient une sorte de stage dans les différentes familles religieuses avant de fixer leur choix sur l’une d’elles, et nous savons par l’Évangéliste lui-même (Jn 18, 15) qu’il avait été en relation avec le grand prêtre, chef du parti sadducéen ; en ce cas, l’on imaginerait volontiers qu’une âme aussi profondément éprise de Dieu ait cherché, dès sa jeunesse, à s’initier aux divers courants religieux de son temps, mais, ne trouvant nulle part une réalité digne de son idéal, il serait passé successivement chez les esséniens, chez les sadducéens, et peut-être aussi chez les pharisiens, avant de suivre Jean-Baptiste, puis de le quitter pour s’attacher définitivement à Jésus. »
Mais il faut sans doute aller plus loin et penser, avec Annie Jaubert, que « le Disciple pouvait appartenir lui-même à des cercles sacerdotaux ou lévitiques ». Se référant au texte de Polycrate d’Éphèse (vers 190 ap. J.-C.) cité par Eusèbe, selon lequel « Jean, celui qui avait reposé sur la poitrine du Seigneur », avait été prêtre et portait le petalon (la lame d’or du grand prêtre), Annie Jaubert juge que nous n’avons aucune raison d’écarter a priori une telle indication.
Deuxième difficulté : « pourquoi le fils de Zébédée se désignerait-il comme « celui que Jésus aimait », au lieu de se nommer tout simplement ? »
« Les gens de Qumrân, écrit Carmignac, avaient l’habitude de substituer aux noms propres (d’un usage trop banal à leur goût) des vocables allégoriques, qui renferment soit un hommage filial soit une habile caricature. » La pratique de l’anonymat avait donc un lieu d’élection à Qumrân. Annie Jaubert observe que Jean est sans doute influencé par la manière de faire de ce milieu, lui qui ne désigne jamais “ la Mère de Jésus ” par son nom : « Ce n’est pas sans raison profonde que Marie apparaît ainsi revêtue du privilège de sa maternité. »
Mais pourquoi l’Évangéliste se donne-t-il ce nom-là, mystérieux : « le disciple que Jésus aimait » ? Et ce, seulement à partir du dernier repas (Jn 13, 25), lorsqu’il se pencha sur la poitrine de Jésus et lui demanda : « Seigneur, quel est celui qui te livrera » ?
Se basant sur son étude des documents de Qumrân, Annie Jaubert a formulé une hypothèse. Dans cette communauté, un repas d’adieu était aussi un testament. « Le personnage important fait, avant de mourir, des recommandations à ceux qu’il va quitter. Il leur transmet ainsi son message essentiel. » Cet ultime enseignement est accompagné d’un partage de nourriture, et même d’un contact physique. Or tous les Évangélistes soulignent l’importance du dernier repas de Jésus. En se désignant à partir de ce moment comme « le disciple que Jésus aimait », Jean, dont la tête a reposé sur la poitrine du Seigneur, affirme « qu’il pénètre de manière particulière le message de Jésus et qu’il peut en transmettre le sens profond. »
Troisième difficulté : « l’Évangéliste lui-même est toujours attentif à s’effacer dans les récits où il figure ».
Cette humilité n’empêche pas son chapitre 21, le plus précis, de procéder aisément à l’identification du rédacteur ; Annie Jaubert en a fait la démonstration.
En effet dans l’une des dernières apparitions du Christ ressuscité, Jésus se manifeste au bord de la mer de Tibériade. C’était un jour où Thomas appelé Didyme, Nathanaël de Cana en Galilée, les fils de Zébédée et deux autres disciples se trouvent ensemble avec Simon-Pierre pour aller à la pêche. Le « disciple que Jésus aimait » compte nécessairement parmi les sept énumérés au début du chapitre, puisque c’est lui qui reconnaît Jésus et dit à Pierre : « C’est le Seigneur ! » (cf. Jn 21, 7).
Jaubert note : « Le disciple que Jésus aimait, écrit-elle, ne pouvant être aucun des trois premiers (ni Pierre avec qui il est en dialectique, ni Thomas l’incrédule, ni Nathanaël appelé après lui) ; il reste les fils de Zébédée et deux anonymes. Jacques de Zébédée étant mort en 44 [il n’est donc pas « demeuré » jusqu’à la venue de Jésus (cf. Jn 21, 23)], Jean seul est en lice avec les deux anonymes. » Dès lors, explique-t-elle, il faut nécessairement écarter les “ anonymes ” et trancher en faveur de Jean l’Apôtre, fils de Zébédée, personnage de premier plan : « Si l’Évangile n’avait pas eu très anciennement un tel patronage, comment aurait-il pu s’imposer à des églises si diverses et finalement à l’ensemble de la tradition chrétienne ? » C’est ainsi que Saint Irénée, vers 180, confirme sans conteste la tradition unanime, dont il a hérité comme successeur de saint Pothin et par lui de saint Polycarpe (disciple de saint Jean) sur le siège de Lyon : « Ensuite Jean, le disciple du Seigneur, le même qui reposa sur sa poitrine, a publié lui aussi l’évangile pendant son séjour à Éphèse. »
Jaubert ajoute : « D’autre part, saint Luc associe Pierre et Jean en plusieurs passages, spécialement dans le Livre des Actes (Lc 22, 8 ; Ac 3, 1-11 ; 4, 13-19 ; 8, 14). » Or, nous retrouvons dans le quatrième Évangile la même association entre Pierre et « le disciple que Jésus aimait ».
L’évangéliste répond donc bien au nom de Jean, fils de Zébédée. John A. T. Robinson arrive d’ailleurs à la même conclusion : « L’attribution de cet Évangile à Jean, le fils de Zébédée, est trop ferme pour qu’on puisse simplement l’ignorer. Lui inventer un autre auteur, inconnu, c’est inventer un fantôme, un génie spirituel et un géant de la théologie ; une telle démarche » est tout ce que vous voudrez : excitante, mystérieuse, ardue... mais elle « n’est pas scientifique. » 1
Comment comprendre les différences entre les Évangiles,
particulièrement entre les synoptiques et Jean ?
La présence de légères différences, lors des dépositions de témoins d’un même événement, est un phénomène connu ! Les Évangélistes, s’ils avaient inventé, auraient au contraire cherché à se concerter parfaitement dans les moindres détails. Les légères différences que l’on observe prêchent donc en faveur de l’authenticité de leur témoignage. Ajoutons aussi que chaque Évangéliste rédige et organise son texte selon un plan qui lui est propre, ce qui l’amène à préférer tel événement ou telle parole. Comme le notait déjà le Père René Thibault dans Le sens des paroles du Christ : « les Évangélistes ne font nulle part profession de ranger les logia [discours] dans l’ordre où ils furent prononcés. »
Cependant, c’est un fait indubitable que Jean se distingue des autres Évangélistes. Par exemple, l’institution eucharistique est absente du quatrième Évangile, tout comme l’agonie à Gethsémani. Annie Jaubert écrit : « Jean, qui possède des traditions particulières, ou bien ne veut pas répéter ce qui est connu par ailleurs, ou bien choisit certains épisodes en fonction d’un motif théologique. Cependant, la manière johannique ne cesse de surprendre : une scène apparemment absente transparaît dans un autre contexte qui en met en valeur la substance doctrinale. »
Ainsi, l’institution de l’Eucharistie « est supposée par le grand développement du chapitre 6 sur le Pain de vie. De manière quelque peu analogue, l’angoisse de Jésus aux approches de sa passion n’est pas rapportée au jardin de Gethsémani, mais dans une autre scène [les Rameaux] qui précède le dernier repas (Jn 12, 27) ».
Jean ne rapporte pas de séance devant le Sanhédrin. Dans l’émission Corpus Christi, les « vingt-sept » en profitent pour en nier l’existence. Annie Jaubert a pourtant établi non seulement que le procès devant le Sanhédrin n’est pas absent du quatrième Évangile, mais encore qu’il en constitue pour ainsi dire le sujet unique, depuis l’enquête préliminaire menée par « les juifs » auprès de Jean-Baptiste (Jn 1, 19), jusqu’à la décision de tuer Jésus (Jn 11, 45-53). L’abbé de Nantes, en parfait accord avec cette démonstration, présentait l’Évangile de Jean comme la “ minute ” du “ Procès de Jésus-Christ, Fils de Dieu ”.
Certaines controverses qui se sont déroulées à Jérusalem sont rapportées uniquement par Jean. Pourquoi ? L’abbé de Nantes a formulé l’hypothèse que « les autres Apôtres n’accompagnaient pas Jésus quand il montait à Jérusalem », tout simplement... Saint Jean a été le témoin, à Jérusalem, d’un Jésus se montrant sous un jour différent que lors de son parcours en Galilée. L’archéologie confirme et vérifie d’ailleurs l’extraordinaire connaissance de l’évangéliste sur le milieu, les habitudes, les gens et les détails topographiques mêmes de Jérusalem.
Cependant, ce qui différencie davantage saint Jean des Synoptiques est sa profondeur. Pour autant, rappelons que l’autorité du témoignage de Jean a été d’emblée reçu par les Églises pour son intime concordance avec leurs traditions orales vénérables et les Évangiles déjà reconnus. L’interprétation qu’il donne des événements, qu’il atteste avec la claire et entière conviction intellectuelle et morale de dire la Vérité, a toujours paru aux chrétiens la marque d’une inspiration divine et non pas seulement le fruit d’une “ longue rumination d’un vieillard mystique ” comme le sous-entendent les « vingt-sept ».
L’abbé de Nantes explique : « Saint Jean dépose en témoin des faits, mais aussi, volontairement, en témoin du Mystère. » Il a été donné au « disciple que Jésus aimait » d’être son interprète et de faire passer à son peuple par ses écrits ce que Jésus avait dit déjà en maint discours, à savoir qu’il était Fils de Dieu et Dieu lui-même, ne faisant qu’un avec Dieu le Père et le Saint-Esprit. Cette révélation toute divine fait corps avec le témoignage de Jean, au point qu’il nous est impossible de distinguer ce qui est du Maître de ce qui est du disciple.
Les modernistes considèrent les discours johanniques comme des rêveries absolument inconcevables de la part d’un Galiléen, et en tout cas sans rapport avec le Jésus de Nazareth que nous font connaître les Synoptiques. Nous trouvons à leur répondre dans les Synoptiques eux-mêmes, lorsque Jésus laisse échapper son action de grâces : « Il tressaillit de joie dans l’Esprit-Saint et dit : “ Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, pour avoir caché ces choses-là aux sages et aux habiles et les avoir révélées aux tout-petits. Oui, Père, car tel a été ton bon plaisir » (Lc 10, 21 ; Mt 11, 25-26). Parole si insolite dans les Synoptiques, qu’on l’a comparée à un “ aérolithe johannique ” ! Elle parait extraite d’un discours de Jésus selon saint Jean, et elle appartient pourtant indiscutablement au contexte synoptique. Ils ont donc bien entendu cette phrase et l’ont notée, rejoignant un instant Jean dans toute sa profondeur.
Comment saint Jean, lui, a-t-il pu cependant écouter, retenir, comprendre et prêcher ce mystère dans toute son ampleur, dans tous ses développements ? Frère Bruno de Jésus a proposé, à titre d’hypothèse, une solution à l’énigme. Pour « l’introduire dans la vérité tout entière », pour lui « dévoiler les choses à venir » (16, 13), l’apôtre Jean a bénéficié d’une assistance toute particulière du « Paraclet » en la personne de la Vierge Marie, que Jean prit chez lui après que Jésus la lui eut donnée pour Mère (cf. 19, 26-27). Tout l’Évangile de saint Jean s’explique dès lors par ce colloque incessant entre la Mère, porte-parole du Divin Paraclet dont Elle est le Temple (Lc 1, 35), et le fils adoptif.
Durant son ministère terrestre, Jésus s’est révélé comme « Fils ». Pourtant, il est resté pour ses intimes un inconnu... sauf pour sa Mère : « Voilà si longtemps que je suis avec vous, et tu ne me connais pas, Philippe ? » (14, 9) C’est donc elle, que déjà la tradition vénérait sous le vocable de « Magistra apostolorum » (Maitresse des Apôtres), qui les mènera à la vraie connaissance de leur Maître, Fils de Dieu. 2
Enfance et vie publique de Notre-Seigneur :
Les récits de l’enfance de Jésus sont-ils des mythes, des midrashim?
Si ce sujet n’a pas été abordé par les « vingt-sept », frère Bruno de Jésus s’est néanmoins affronté à d’autres exégètes modernistes sur cette question. Pour leur répondre, il s’est appuyé sur les travaux de René Laurentin, avec qui il se trouvait pourtant en profond désaccord sur d’autres sujets. Mais précisément, « c’est cela, être libre, explique frère Bruno : libre de dire la vérité », y compris lorsque cette dernière est présentée par un adversaire. Pourvu que, comme dans le cas présent, le travail de ce savant soit marqué par la compétence et l’honnêteté. 3
Or les travaux de René Laurentin vengent les Évangiles de toutes les injures et négations des exégètes modernistes, qui soutiennent que les “ récits de l’enfance ” sont soit légendaires, soit midrashiques. Le récit de l’adoration des mages, par exemple, dépendrait selon eux de l’Aggadah juive.
Aggadah : Livre à enseignement moral, mais dont il ne faut pas prendre la véracité historique au pied de la lettre.
Midrash : Interprétation rabbinique de l’Écriture sainte au moyen de récits légendaires.
Pour ce qui est du légendaire, Laurentin écrit : « l’exégèse a été souvent trop influencée par les maîtres du soupçon dans la voie d’une désintégration de l’histoire, ce qui ne va pas sans une désintégration de la foi pour le christianisme, religion historique fondée sur l’entrée de Dieu dans l’Histoire. » (René Laurentin, les Évangiles de l’Enfance du Christ). Après avoir soupesé avec infiniment d’attention chaque élément de nos sobres récits évangéliques, Laurentin conclut à leur historicité pure et simple.
Véridique, oui, ce merveilleux chrétien l’est pleinement. À l’intention des exégètes modernistes, frère Bruno de Jésus note lui aussi, non sans ironie : « Matthieu, honnête chrétien, raconte ce qu’il tient assurément de bonnes sources, à savoir les prodiges mémorables qui ont entouré la naissance du fils de Dieu. Vous “ permettrez ” bien à Dieu de faire quelques miracles pour la naissance temporelle de son Fils bien-aimé, non ? » Quant au récit de l’Enfance dans l’Évangile de saint Luc, les thèmes qui y sont développés permettent d’y reconnaître la marque de saint Jean, qui tenait son témoignage directement de la très sainte Vierge Marie.
D’ailleurs, ces récits de l’Enfance sont si indéniablement historiques que les pharisiens rescapés de la prise de Jérusalem en 70 et réfugiés à Yabné ont inventé (oui, ce sont eux les faussaires !) dans les années 90 ap. J.-C. d’en faire un plagiat éhonté en “ revisitant ” la vie de... Moïse ! Brodant sur le canevas des Évangiles, ils ont donc produit une “ saga de Moïse ” révisée à l’imitation... de l’histoire vraie de l’Enfant-Jésus !
Ainsi dans ce midrash (les anglais diraient : ce « remake »), Pharaon averti de la naissance imminente d’un enfant qui va sauver Israël et détruire l’Égypte, et saisi de crainte envers celui qui lui apparaît comme un rival, consulte ses conseillers et astrologues (comme Hérode les grands prêtres et les scribes ; Mt 2, 4). Il décide aussi de faire périr tous les petits enfants qui peuvent vérifier la prédiction, afin de perdre ainsi à coup sûr le futur libérateur d’Israël, mais celui-ci échappe au massacre, etc.
Il existe bien un lien certain entre cette histoire de Moïse et les Évangiles de l’Enfance ! Toute la question était donc pour l’historien de saisir dans quel sens a joué l’influence, autrement dit : qui a copié qui ? Pour établir la vérité de manière rigoureuse, il suffit de faire remarquer que l’ouvrage de Flavius Josèphe (Les Antiquités Juives), sectateur des pharisiens dès sa jeunesse, fournit l’attestation la plus ancienne de cette légende aggadique (dont il ne dessine d’ailleurs que les premiers linéaments). Or les Antiquités Juives furent publiées à Rome la treizième année de Domitien (soit en 93-94 ap. J.-C.), au moment où Gamaliel, le chef des pharisiens, faisait florès à Yabné... car il est connu que l’Aggadah juive s’accrut soudainement à la fin du premier siècle de notre ère (G. Vermès. La figure de Moïse au tournant des deux testaments)
Les dernières découvertes nous permettant d’assigner une date très haute à la rédaction des Évangiles (et leur diffusion certaine dans tout l’Empire romain avant l’an 50), nous pouvons conclure de la chronologie des documents qu’indubitablement, c’est le Midrash de Moïse qui est calqué sur le récit de saint Matthieu ! Puisque la cause est entendue, établie apodictiquement par la critique interne et externe des textes, ne renversons plus les rôles : c’est pour faire pièce à la véridique histoire de Jésus, déjà connue de tous, que les rabbins ont inventé la légende (le midrash) de Moïse. Et non l’inverse. 4
Quel lien y a-t-il entre Jésus et Jean Baptiste ?
Dans l’émission Corpus Christi, les « vingt-sept » commencent par récuser le récit des Évangélistes, qui proposent (évidemment) des « versions chrétiennes » de l’activité de Jean le Baptiste. Les « vingt-sept » préfèrent s’appuyer en effet sur un autre portrait du Baptiste : celui que dresse l’historien juif Flavius Josèphe... comme si les témoignages de ce dernier étaient autant d’oracles impartiaux, plus fiables que les faits rapportés par les historiens de l’Église primitive !
En fait, Josèphe polémique sournoisement contre la prédication chrétienne qu’il connaît. Étienne Nodet l’expliquait à Lyon : « Par des effets habiles de rhétorique, Josèphe donne à entendre que Jésus apparaît rapidement au début du règne de Tibère et en Judée, et Jean-Baptiste plutôt vers la fin et en Pérée. » Ainsi, tout l’effort de Josèphe tend à nous faire accroire que Jean-Baptiste est venu après Jésus, et qu’il ne peut donc pas être son... « Précurseur » (Mc 1, 7 ; Jn 1, 30).
Josèphe agit ainsi car ce témoignage d’un véritable prophète, reconnu par tous, est une preuve capitale de la légitimité de Jésus (Lc 20, 1-8) et de la vérité de l’Évangile, entrainant de nombreuses conversions (Ac 19, 4). Unanimement, sans la moindre hésitation ni contradiction, les quatre Évangiles n’appliquent-ils pas à saint Jean-Baptiste, précurseur de Jésus, la prophétie d’Isaïe : « Une voix crie dans le désert : préparez les chemins du Seigneur » (Is 40, 3), sans risque de contredit ? Remarquez que cela n’empêche pas les « vingt-sept », de leur côté, de contredire radicalement ledit Josèphe un peu plus loin dans l’émission, en réduisant Jésus à la condition de simple... « disciple du Baptiste » !
Or cette figure de Jean-Baptiste comme Précurseur n’est pas de l’invention des chrétiens de la fin du premier siècle après Jésus-Christ, puisqu’elle est déjà annoncée par les juifs de Qumrân dans des textes datés d’avant la naissance du Christ, et attendue par eux tout au long du premier siècle avant Jésus-Christ comme la réalisation des prophéties de l’Ancien Testament (Ml 3, 1 et 23-24 ; Is 40, 3) qu’ils connaissaient bien. C’est tout l’apport de ce que l’abbé de Nantes appelle le Moyen-testament.
Cette communauté essénienne (littéralement : pieuse) se retira au « Désert », les solitaires de Qumrân désignant de cette façon la région où ils demeuraient. Un parallèle entre le vocabulaire propre à la communauté de Qumrân et les termes employés par les Évangélistes pour décrire saint Jean-Baptiste permet d’établir les liens étroits entre ce prophète et la communauté des Esséniens. « La parole de Dieu fut adressée à Jean, fils de Zacharie, dans le désert. » (Lc 3, 2). Frère Bruno explique : « Selon toute probabilité, saint Jean-Baptiste a été élevé dans la mouvance des esséniens de Qumrân, dans l’attente d’une purification plus parfaite que celle dont les bains rituels répétés n’étaient que la figure. »
C’est dans l’attente de cette communauté que Jean-Baptiste a reçu une vocation exceptionnelle qui, loin d’en faire un « qumrânien exclu » [comment, pourquoi ?], comme objecte stupidement l’un des « vingt-sept », répondait au contraire divinement à leur ardent désir de l’avènement du Messie, annoncé comme imminent dans les écrits du « Maître de Justice », fondateur de Qumrân. Avec ce dernier, saint Jean-Baptiste est un anneau de la chaîne messianique préparant la venue de Jésus.
Cette volonté des « vingt-sept » de mettre Qumrân sous le boisseau cache assurément un parti pris inavoué, inavouable, contre la lumière nouvelle que projette cette découverte sur le premier siècle de notre ère. Car voici qu’à cette lumière s’anime et revit le vrai judaïsme, qui a donné naissance au Christ et à son Église !
Jésus était-il opposé aux pharisiens comme l’affirment les Évangélistes ?
Une première réponse jaillit d’une lecture, même superficielle, des Évangiles : Jésus n’appartient pas au parti des pharisiens qui se demandent dans quelle école il a étudié (Jn 7, 15). Jésus s’oppose sans cesse à eux et ne recrute certainement pas chez eux ses disciples. Il suffit de lire les textes (Mt 23, 13-23 ; Jn 8, 26 et passim, etc).
Les « vingt-sept » affirment pourtant que ces histoires d’affrontements publics avec les pharisiens sont des additions postérieures, et que Jésus n’a jamais été en conflit avec les pharisiens, car Il était... l’un d’entre eux !! Pour prouver cette allégation, ils soulignent que le style de prédication de Jésus est très semblable à celle des rabbins, en particulier par l’usage de paraboles : « le Talmud ou les Midrash ne contiennent-ils pas des centaines de paraboles comparables à celles de Jésus ? Et ses arguments ne sont-ils pas de type rabbinique, ainsi que ses phrases, et jusqu’à son langage ? » Par exemple, « Jésus dit à propos des hypocrites : “ Tu vois la paille dans les yeux de ton voisin sans voir la poutre dans les tiens ! ” » Or « cette expression vient du Talmud. De la même manière, lorsqu’il parle de l’impossibilité pour un homme riche d’entrer dans le Royaume de Dieu, il dit : “ C’est aussi impossible que pour un chameau de passer par le chas d’une aiguille. ” C’est encore une expression rabbinique. Il n’a pas inventé cette expression : elle appartient à la tradition rabbinique. »
Au risque de démolir l’argument, osera-t-on demander comment Jésus a pu faire ses études dans la Mishna et le Talmud, qui sont des ouvrages rédigés aux IIe, IIIe, IVe (voire VIIe) siècles... après Jésus-Christ ?!
Que Jésus ait repris des « expressions » ou des proverbes courants en Israël (Lc 4, 23), quoi de plus normal ? S’il y a des textes en revanche dont ses adversaires s’arrogeaient le monopole de l’intelligence, et dont Jésus va reprendre les « expressions », ce sont ceux de la Loi dont les Pharisiens se targuaient pour se justifier dans leurs litiges contre lui... mais ces citations ne servirent qu’à mieux les confondre, précisément ! Là encore, il suffit de lire les textes (Jn 5, 39 et 10, 34-38).
Quant à l’usage des paraboles enfin, l’exclusivité n’en revient pas aux rabbins du Talmud ; et il n’a pas fallu attendre les Pharisiens pour les employer, ainsi que la littérature sapientielle le prouve et l’Évangile l’atteste (Mt 13, 34-35), citant le psalmiste : « Ma bouche prononcera des paraboles, elle clamera les choses cachées depuis la fondation du monde » (Ps 78, 2). L’accomplissement de cet oracle messianique suffit à expliquer pourquoi Jésus parle en paraboles, tout simplement.
Imperturbables toutefois, les « vingt-sept » continuent de chercher midi à quatorze heures : « Jésus était certainement pharisien parce qu’il a été au Temple [sic !], plusieurs fois. L’Évangile le dit : “ Il enseignait au Temple ” ; il l’a dit lui-même dans sa défense à la Passion : “ J’enseignais au Temple ouvertement, qu’avez-vous à me reprocher ? ” »
Jésus aime le Temple, c’est vrai. Il s’y trouve « chez son Père » (cf. Lc 2, 49). Il ne manque pas une occasion de marquer sa vénération pour le Saint Lieu et son indignation de le voir transformé en lieu de trafic (cf. Jn 2, 13-22). Cependant, comme l’objecte Annie Jaubert, « il serait paradoxal de prétendre que les textes qui montrent avec le plus d’évidence l’antagonisme entre Jésus et les autorités de Jérusalem prouvent... qu’il était un fidèle sujet du Temple ! » Le quatrième Évangile montre au contraire que « Jésus risque chaque fois la mort pour porter son message au cœur de Jérusalem » (cf. Jn 7, 32 ; 11, 8).
Dans ce cas, pourquoi Jésus montait-il à Jérusalem précisément à l’occasion des fêtes ? L’échafaudage des « vingt-sept » est renversé par la réponse, de simple bon sens, donnée par Annie Jaubert : « parce que les périodes de fête garantissaient l’affluence des auditeurs, en même temps que cette protection de la faveur populaire contre les desseins homicides des autorités ». En effet si les gardes envoyés par les grands prêtres et les Pharisiens ne purent arrêter Jésus, c’est parce que le peuple, « suspendu à ses lèvres » (Lc 19, 47-48 ; cf. Jn 7, 46-47), se serait retourné contre eux (Lc 20, 6 ; 21, 46) pour les lapider ! Pour autant, « cela ne signifie pas que Jésus ait été indifférent à ces grandes fêtes chargées de traditions et prégnantes de doctrine, à ces fêtes qui groupaient la masse d’un peuple qu’il aimait tant. Jésus a dû être attentif au sens de ces fêtes et a même pu y greffer son enseignement. » Et ce malgré les Pharisiens à l’affût d’un faux-pas, tramant sans cesse quelque guet-apens contre lui ( cf. Jn 10, 22-39) !
Existe-t-il des vestiges archéologiques correspondant
aux récits évangéliques de la vie publique ?
En ce dernier quart du XXe siècle, nous vérifions par grâce (et non sans une volonté divine, providentielle) que les Évangiles disent vrai. C’est comme si le décor des Évangiles sortait de terre... ou bien de l’eau ! Nous donnerons ici deux exemples.
Un bateau du temps de Jésus, semblable à la barque de Pierre, a été tiré du fond-même du lac de Tibériade, sur la rive occidentale, au large de Tarichées-Magdala. Cette embarcation témoigne de la véracité des récits évangéliques jusque dans le choix des prépositions. Saint Marc raconte comment, avant d’imposer silence au vent et à la mer déchaînés, Jésus était « dans la poupe, sur le coussin, dormant » (Mc 4, 38). Non pas « à la poupe, dormant sur le coussin » (comme traduit la Bible de Jérusalem) là où il aurait gêné la manœuvre... mais dedans, comme l’a écrit saint Marc en employant la préposition en, et comme le montre l’épave retrouvée, nous faisant voir la scène : sous le pont arrière en effet, il y avait un logement pour les filets, assez grand pour qu’un homme pût s’y tenir, bien à l’abri. C’est là que Jésus dormait comme dans un tabernacle, tandis que Pierre était au-dessus, tenant la barre, luttant contre les vagues et le vent !
Bethsaïde a été retrouvée : « Malheur à toi, Chorazeïn ! Malheur à toi, Bethsaïde ! » (Mt 11, 21) La prophétie de Jésus s’est accomplie à la lettre, de manière impressionnante. Chorazeïn, Bethsaïde et Capharnaüm furent rasées par les Romains au début de la guerre Juive (67 ap. J.-C.). Et l’on perdit même le souvenir de l’emplacement de Bethsaïde jusqu’à nos jours. Au cours de la première moitié du XXe siècle cependant, des indices s’accumulèrent pour désigner Et-Tell comme l’endroit le plus probable. De 1981 à 1984, le Père Bargil Pixner y ramassa même des tessons datés du Grec et du Romain ! Il n’y avait donc aucun doute que le site avait été occupé au temps de Jésus.
Des fouilles furent alors menées par une équipe pluridisciplinaire de chercheurs à partir de 1987. Dans leur rapport, « plusieurs découvertes confirment d’une étonnante façon la réalité historique des évangiles. Ainsi dans la partie centrale du plateau, il a été trouvé un ensemble comportant une grande cour dallée entourée de salles datant des premiers siècles avant et après Jésus-Christ. Indiscutablement, cet ensemble a été fréquenté par des pêcheurs [...] l’interprétation de ces ruines demeure incertaine. Ce pourrait être une place entourée de boutiques, les bâtiments d’une coopérative de pêcheurs, ou l’opulente insula d’une famille de pêcheurs comme les Zébédée. »
« C’est la première fois que nous avons la chance de travailler sur un site directement lié à Jésus, raconte le docteur Remi Arav, directeur des fouilles. La plupart des autres villes, telles Nazareth ou Capharnaüm, ont été reconstruites après le premier siècle. Bethsaïde, elle, nous apparaît dans toute son authenticité. Elle a été entièrement désertée après l’époque du Christ. Nous travaillons donc sur un site pratiquement intact. »
Les archéologues ont pu vérifier de façon saisissante une des paroles de Jésus. La campagne de fouilles de 1992 a mis au jour deux dalles de basalte, posées l’une sur l’autre, servant à moudre le grain. Elizabeth McNamer a expliqué ce qui s’est passé après cette découverte : « L’une de mes étudiantes essaya de pousser la pierre du dessus et n’y parvint pas. Alors je demandai à une deuxième étudiante de l’aider. Or, Jésus avait dit : “ Deux femmes seront en train de moudre ” (Mt 24, 41), et en effet... il faut être deux pour cette tâche ! »
Jésus a-t-il réalisé les prophéties comme l’affirment les Évangélistes ?
Jésus est advenu comme les Écritures l’annonçaient, ce qui constitue une preuve objective, indestructible et encore actuelle de sa messianité constatable, historique. Saint Matthieu, en particulier, s’applique à le démontrer tout au long de son Évangile adressé aux juifs. Les « vingt-sept » affirment au contraire que des épisodes ont été « créés » et modifiés dans la tradition de Jésus pour les accorder à certains textes de l’Ancien Testament.
Créés ? Au contraire, comme le fait remarquer le Père Lagrange dans son livre Évangile selon saint Matthieu, « on voit dans Matthieu un traitement assez libre du texte [de l’Ancien Testament] en vue des réalités, ce qui est tout le contraire d’une invention des réalités pour coïncider avec un texte. » C’est le cas par exemple du passage dans lequel saint Matthieu relate la fin de Judas.
L’évangéliste cite en effet une prophétie de Zacharie qu’il attribue à... Jérémie : « Alors s’accomplit l’oracle de Jérémie le prophète : “ Et ils prirent les trente pièces d’argent, le prix du Précieux qu’ont apprécié des fils d’Israël, et ils les donnèrent pour le champ du potier, ainsi que me l’a ordonné le Seigneur. ” » (Mt 27, 9-10)
« Dans Zacharie, explique Lagrange, Dieu s’est choisi un pasteur pour paître en son nom les brebis d’Israël. Éconduit par les mauvais pasteurs, succombant à sa tâche, le bon pasteur reçoit de Dieu l’ordre de demander son salaire, si toutefois on veut le lui donner. Les mauvais pasteurs comptent un salaire dérisoire que Dieu lui ordonne de jeter au potier. Ce pasteur est le type de Jésus, dont la hiérarchie n’a pas voulu, et qu’elle a mis à prix pour une somme minime. La ressemblance est frappante, et le texte du prophète s’applique au sanhédrin comme une sévère condamnation. Il y avait de plus la coïncidence étonnante du potier de Jérémie, et du champ du potier. »
De même, contrairement à ce qu’affirment les « vingt-sept », saint Jean ne « crée » pas l’épisode du “ coup de lance ” pour le faire coïncider avec un texte de l’Ancien Testament : les mains et les pieds percés de clous ne suffisaient-ils pas dans ce cas à authentifier la prophétie de Zacharie (« Ils regarderont celui qu’ils ont transpercé », 12, 10) ? Si la Plaie du côté avait été forgée de toutes pièces pour y faire correspondre une prophétie, saint Jean n’aurait pas manqué cette occasion en or de citer ici l’oracle d’Ézéchiel (47, 1), lui qui ne cesse de parler de l’Eau vive (Jn 4, 10-14, et surtout 7, 38) !
Saint Jean a seulement vu s’accomplir devant lui la prophétie d’une façon insolite. « Pour éviter que les corps des condamnés restent sur la croix durant le sabbat, les juifs demandèrent à Pilate qu’on leur brisât les jambes »... afin de les achever en les privant de l’appui qui leur permettait de respirer ! Jésus ayant déjà expiré, le soldat s’assure de sa mort en lui ouvrant le côté droit avec le javelot pour mieux atteindre le cœur ; il connait son métier, et le Saint-Suaire a conservé l’endroit de cette ouverture atteignant directement le péricarde (d’où jaillit l’eau) puis la base du cœur, plus efficacement que ne l’aurait fait un coup de lance sur la gauche du thorax. Tout cela est criant de vérité et dépasse l’imagination d’un faussaire !
La Loi juive prescrivait de manger l’agneau pascal sans lui briser aucun os, parce que cet agneau représentait Quelqu’un de sacré ; et le soldat a eu (providentiellement, ou par quelle inspiration divine ?) cet égard pour le véritable Agneau de Dieu, qui venait de sacrifier sa propre vie pour le salut du monde. Saint Jean a tout simplement témoigné de cet accomplissement des Écritures à propos du Messie. Parce qu’il y était.
Si les chrétiens avaient d’ailleurs « modifié et créé » quoi que ce soit, les juifs les auraient eux-mêmes accusés de mensonge au moment où les écrits du Nouveau Testament se répandaient dans toute la diaspora. Or, les juifs n’ont apporté aucun démenti aux dires des Évangélistes, parce que c’était impossible : il était de notoriété publique qu’ils disaient vrai.
Une des preuves les plus connues est l’attitude des Grands prêtres lorsque les gardes leur rapportèrent la Résurrection de Jésus (Mt 28, 11-15) : loin de se convertir, comme l’avait prédit Jésus de manière voilée (Lc 16, 31), les juifs ne songèrent pas à opposer la moindre dénégation aux soldats. Pourtant, la violation de sépulture était sous les Romains passible de mort ! Si donc réellement Jésus n’était pas ressuscité, pourquoi n’ont-ils pas porté plainte contre les apôtres auprès du Gouverneur ? Au contraire, ils subornèrent les gardes en montant un « démenti » à diffuser en catimini des romains, pour éviter que le gouverneur déclenche une enquête, découvre leur supercherie... et donne raison au témoignage des Apôtres !
Cette « fable » est d’ailleurs si ridicule que l’évangéliste tient à nous la signaler pour mémoire ! Et dans un fameux commentaire, saint Augustin nous fait rire de ces soldats chargés de répandre le bruit que les disciples sont venus de nuit enlever le corps : “ Ah, les fameux témoins qui ont vu alors qu’ils dormaient ! Faut-il vraiment que les Grands prêtres se soient perdus dans leurs machinations ” pour inventer de pareilles histoires... à dormir debout ! C’est ainsi qu’à l’opposé du but poursuivi, les juifs eux-mêmes ont fourni une preuve supplémentaire de la Résurrection jusqu’à aujourd’hui.
En revanche, et bien que cela reste occulté, les scribes de Jamnia, ne pouvant nier la réalité historique des miracles, ont osé corriger les prophéties afin qu’elles ne désignent plus Jésus qui les avait accomplies à la lettre, au temps fixé deux siècles plus tôt par le prophète Daniel.
En effet, grâce aux manuscrits découverts à Qumrân, nous avons montré (en nous appuyant précisément sur les travaux du P. Barthélemy), que ces rabbins réfugiés à Jamnia après la destruction de Jérusalem par Titus en 70 ap. J.-C., entraînant la ruine du Temple et la fin du sacerdoce, n’avaient pas hésité à apporter, de leur seule initiative, « tout un réseau de corrections théologiques » au texte sacré, corrections intentionnelles, adoptées et transmises par tous les témoins du texte massorétique jusqu’à nos jours.
LE grand rouleau trouvé dans la grotte 1, copie intégrale du livre du prophète Isaïe exécutée entre 125 et 100 avant Jésus-Christ (1Q Isa), présente un certain nombre de ces “ variantes ”.
Soulignons l’incise qui, selon le rouleau de Qumrân, établit un contraste (suggéré dès le premier verbe du verset 14) entre le destin passé et douloureux d’Israël à qui Dieu s’adresse à la deuxième personne d’une part, et le sort à venir glorieux du Serviteur d’autre part. Que ce “ Serviteur ” souffrant d’Isaïe 53 soit bien le Roi-Messie, fils de David, annoncé par Jérémie, le manuscrit de Qumrân le met soudain en pleine lumière pour la première fois, à l’encontre du texte “ canonique ” établi par les scribes de Jamnia à la fin du premier siècle de notre ère.
La différence entre les deux versions tient à un yod, assurément la plus petite lettre de l’alphabet hébreu ! Il a suffi de remplacer meshahtî, « j’ai oint », par un mot inintelligible : mishhat, littéralement : “ défiguration ”. La version de Qumrân est conforme à l’idée que l’onction met à part des autres hommes (Ex 30, 32). La substitution du mot « défiguration » à celui « d’onction » s’explique-t-elle par une distraction de copiste ? D’autres divergences entre le texte massorétique et les rouleaux de Qumrân (1Q Isa et 1Q Isb) engageaient naguère le Père Barthélemy à « peut-être soupçonner une modification intentionnelle ». C’est le moins qu’on puisse dire...
Nous ne pouvons ici que renvoyer à notre étude sur le sujet (frère Bruno Bonnet-Eymard, Bible, archéologie histoire, tome 1). Rappelons seulement le cas du mot « nazîr ».
Saint Matthieu établit en effet un lien entre le nom de lieu de Nazareth et le nom de “ Nazôréen ” : Jésus est appelé « le Nazôréen » parce qu’il habitait Nazareth. Puisque ce village est inconnu de l’Ancien Testament, il est clair que Matthieu joue sur un autre mot signifiant autre chose qu’un lieu géographique : celui de nazîr. Quand saint Matthieu rédigeait son Évangile, on pouvait en effet lire au verset 22 du chapitre premier du Premier Livre de Samuel, où Anne femme d’Elqana explique à son mari ses intentions sur l’avenir de Samuel, son enfant : « Je le donnerai comme nazîr tous les jours de sa vie. » Cette version est attestée par un manuscrit retrouvé à Qumrân.
Matthieu part donc du nom de nazôréen, donné à Jésus à cause de son village, pour l’actualiser en fonction de la sainteté signifiée par le mot nazîr. Samuel, fils d’Anne, enfant du miracle et consacré à Yahweh dès sa naissance, est l’exacte et gracieuse figure de Jésus, fils de Marie, qui grandit à Nazareth et fut appelé en toute vérité « le Nazôréen ».
Or ce mot de Nazîr est précisément omis par le texte massorétique, celui de notre Bible hébraïque actuelle. Une seule explication s’impose : à l’heure où les rabbins de Jamnia travaillaient à leur recension, l’Évangile de saint Matthieu était déjà répandu dans tout l’Empire. La censure du mot nazîr dans le texte massorétique du premier livre de Samuel est intentionnelle et se veut un “ démenti ” opposé à l’Évangéliste ainsi accusé d’appeler à la rescousse des Écritures... forgées par lui ! Ils ont réussi, puisque deux mille ans plus tard, l’un des « vingt-sept » tombe encore dans le piège, qualifiant la prophétie citée par saint Matthieu de « magnifique faux verset » !
Passion, Résurrection de Notre-Seigneur :
Quel est le véritable motif de la condamnation de Jésus ?
Dans la liste des douze disciples, il y a Simon le Zélote. Cela signifie-t-il que « parmi les disciples de Jésus, il y en avait un qui sympathisait ou avait sympathisé avec les zélotes » et que cela pourrait être la cause de la condamnation de Jésus ? C’est ce que les « vingt-sept » laissent entendre.
Il est vraiment surprenant de voir ces “ savants ”, ces “ chercheurs ” se contenter de connaissances très approximatives dans le domaine qu’ils revendiquent en propre. En effet, dans la liste des Douze fournie par saint Marc et saint Matthieu, l’un des apôtres porte le nom de Simôn ho kananaios (Mt 10, 4 ; Mc 3, 18). Que signifie kananaios ? Cananéen ? Impossible : ce mot s’écrit avec un khi et non avec un kappa (Mt 15, 22).
Alors : habitant de la ville de Cana ? Ce n’est pas cela non plus, car nous lisons dans saint Luc : « Simon appelé le Zélote (zèlôtèn) » (Lc 6, 15 ; cf. Ac 1, 13). Le passage de kananaios à zèlôtèn fournit la clé de l’énigme car il s’explique par l’hébreu qânâ’ : “ être jaloux, plein de zèle ”. Assurément, cela ne suffit pas à faire de ce Simon un membre fanatique de la secte juive des Zélotes, groupe apparu avant la guerre entre les Juifs et les Romains, dans les années 66 à 70. Alors, finalement, que reste-t-il ? Tout simplement : le terme zèlôtès signifie que Simon était ainsi surnommé à cause de son zèle, de son ardeur, et non point pour son appartenance au parti des Zélotes... qui n’existait pas au temps de Jésus !
Les « vingt-sept » mettent ensuite en doute le personnage de Pilate et le procès romain tel qu’il paraît dans les Évangiles : il s’agit selon eux d’une création littéraire de la tradition chrétienne, destinée à favoriser un “ renversement des alliances ”, en exonérant les Romains de la responsabilité de la mort de Jésus, et en accentuant la responsabilité des juifs.
Il parait difficile de se moquer plus insolemment des textes ! Quel est le véritable motif de la condamnation de Jésus ? On ne le trouvera pas en se mettant en contradiction avec le récit des Évangélistes. Rétablissons la vérité en suivant une fois de plus Annie Jaubert :
« La même charge qui faisait condamner Jésus par le sanhédrin, le faisait tomber aussi sous la juridiction romaine : c’était l’affirmation messianique. Alors le cas de Jésus ne relevait plus de la loi juive mais de la loi romaine. Si le sanhédrin avait eu les mains libres, sans doute aurait-il fait lapider Jésus. Mais on ne pouvait se passer, dans un cas aussi grave et aussi public que celui de Jésus, de l’autorisation explicite du gouverneur. Or le moyen le plus simple pour obtenir cet assentiment et convaincre Pilate était précisément de monter ce motif en épingle. Ipso facto, ce motif faisait de Jésus un séditieux et le rendait passible d’un châtiment romain. Jésus, en se faisant roi, se dressait contre César. C’est ce motif qui est développé dans toutes les accusations devant Pilate et sur l’écriteau de la croix.
« On peut penser aussi qu’un autre mobile guida également les grands prêtres. Livrer Jésus aux païens et le faire condamner par eux au supplice de la croix, c’était le coup le plus dur qu’on pût porter à celui qui se déclarait le Messie ; c’était la preuve par neuf que Jésus n’était pas celui qu’on attendait, qui aurait juridiction sur les peuples et délivrerait Israël. Le calcul était juste. Paul doit se débattre contre l’argument rabbinique qu’ “ il est maudit de Dieu, celui qui a été pendu au bois. ” Ce “ messie ” avait été abandonné de Dieu.
« Finalement, pour étouffer dans l’œuf le mouvement qui se dessinait autour du prophète de Nazareth, c’était un coup de maître d’obtenir à la fois : la condamnation religieuse par le sanhédrin, et la condamnation politique par Pilate. »
L’emplacement exact du Golgotha est-il aujourd’hui connu ?
Dans les Évangiles, le Golgotha semble désigner un lieu précis dont on sait seulement qu’il est en dehors de Jérusalem. Est-il localisable à l’emplacement où se dresse aujourd’hui l’église du Saint-Sépulcre, bâtie au IVe siècle de notre ère par l’empereur Constantin ? Deux principales difficultés peuvent être soulevées contre cette localisation : l’absence de toute inscription antique de pèlerinage en ce lieu avant l’an 325, et la situation du site à l’intérieur des remparts.
L’absence d’inscriptions antiques datant de la première génération de chrétiens n’est pas en soi une objection décisive, comme l’explique Carsten Peter Thiede : « Quand vivaient encore les générations des témoins oculaires, la vénération particulière d’endroits précis n’avait aucun intérêt. » Saint Paul, en effet, n’exhorte pas les Corinthiens à visiter le tombeau vide, mais à interroger les témoins oculaires de Jésus ressuscité (1 Co 15, 6). Ensuite, après la prise de Jérusalem par Titus, toute possibilité de vénération des Lieux saints fut empêchée pendant près de deux siècles.
Il est cependant notable qu’en 325, lorsque des fouilles purent enfin être entreprises pour retrouver le Golgotha, la tradition conservée dans la communauté de Jérusalem fut assez forte pour imposer un site précis, tenant pour certain cet emplacement, même s’il fallait dégager des tonnes de déblai, comme le raconte Eusèbe dans sa Vie de Constantin, et même si le site se trouvait en pleine ville, donc en apparente contradiction avec la précision donnée par l’Évangile. En fait, tout s’explique en sachant qu’à l’époque de Jésus, les murailles passaient à proximité immédiate du Golgotha et du tombeau du Christ, effectivement situés à l’extérieur des murailles ! Ce n’est que peu de temps après la Résurrection que le site se trouva englobé par la construction d’un nouveau rempart par le roi Agrippa Ier (41-44 ap. J.-C.).
Des fouilles récentes (Diez Fernandez, 1984) ont par ailleurs confirmé que le tombeau et le rocher du Golgotha correspondent bien à l’emplacement de la basilique du Saint-Sépulcre. Nous savions en effet qu’en 135 ap. J.-C., le site du Golgotha préalablement arasé et remblayé fut choisi par l’empereur Hadrien, à dessein de supplanter le culte chrétien, pour élever un temple dédié à Vénus. Or, les fouilles ont montré que ce temple d’Hadrien s’élevait bien sur la zone qu’occupe aujourd’hui la basilique du Saint-Sépulcre, car des murs destinés à étayer le temenos (enceinte sacrée) du temple païen ont été découverts en différents endroits de la basilique.
SUR le site, les archéologues font des découvertes surprenantes : par exemple cette inscription latine d’un pèlerin chrétien, laissée entre 135 et 325. Ne pouvant atteindre la partie centrale du rocher, alors recouverte par le temple d’Hadrien, le pèlerin grava son dessin un plus loin, mais toujours dans la zone du rocher du Golgotha.
Pour faire édifier le temple, l’empereur fit enlever de grandes parties du rocher et laissa seulement le milieu, qu’il fit aplanir. Sans le vouloir, il mit ainsi le site à l’abri des injures du temps. Les archéologues ont découvert dans cette partie centrale du rocher une cavité ronde dans laquelle se trouve un anneau de pierre de 11 cm de diamètre, servant à fixer une croix : on enfilait la croix dans la cavité, à travers l’anneau, jusqu’à ce qu’elle fût encastrée, pour pouvoir la dresser ensuite. Que cet anneau soit le véritable anneau de la croix du Christ, ou bien seulement une reproduction (placée là vraisemblablement par Hélène, mère de Constantin), il n’en donne pas moins de précieuses informations : ce diamètre précis, certainement basé sur de solides informations transmises, signifie que la croix ne pouvait dépasser en hauteur 2,40 mètres. Cette indication vient ainsi compléter les Évangélistes, qui eux n’ont pas précisé la hauteur de la croix.
Enfin, la dernière découverte lors de ces fouilles fut une profonde fracture dans le rocher. Il est certain que la fracture a été causée par un événement naturel ayant un impact particulier. Les archéologues Georges Lavas et Saki Mitropoulos n’hésitent pas à faire le rapprochement avec la conséquence du tremblement de terre mentionné par l’Évangile de Matthieu : « La terre trembla et les rochers se fendirent » (Mt 27, 52).
(D’après l’article de Carsten Peter Thiede, 30 jours n° 9, 1993)
Les résultats si probants de ces recherches viennent en même temps réfuter la théorie “ rivale ”, apparue au siècle dernier, du “ Jardin sépulcral ”, près de la Nablus Road, mentionné par les « vingt-sept ». Non seulement il est trop éloigné des anciennes murailles de la ville, mais les vestiges que l’on peut y observer remontent au VIe siècle avant J.-C.
Comment expliquer l’apparente contradiction entre les différents récits de la Passion ?
Annie Jaubert a découvert un calendrier juif ancien, encore utilisé au temps de Jésus, fixant le repas pascal au mardi soir. « Si Jésus a suivi ce calendrier pour la célébration de la Pâque, il a été arrêté dans la nuit du mardi au mercredi et crucifié le vendredi. »
La lumière jaillit soudain de cette hypothèse avec tant de force qu’il suffit de la formuler pour qu’elle s’impose à tout esprit libre, avec une sorte d’évidence contraignante. Elle ne conduit pas à déplacer ni à retrancher mais, au contraire, à serrer de plus près le sens littéral des textes, en dévoilant soudain la cohérence implicite des récits évangéliques, en même temps que leur rigoureuse historicité. Il suffit de comprendre que les Synoptiques ont construit leur récit en se référant à l’ancien calendrier tandis que Jean pour sa part relate les événements par rapport à la Pâque légale.
Y a-t-il d’autres sources pour confirmer les dires des évangélistes sur la crucifixion, la mort, la mise au tombeau de Jésus et sa Résurrection ?
Nous donnerons ici 3 exemples.
Exactitude jusque dans les détails :
Toujours prêts à mettre en doute le témoignage des Évangélistes, les « vingt-sept » formulent très sérieusement l’hypothèse de « Pâque en automne », et ce pour des raisons de... botanique : « Les textes soulignent que, pour accueillir Jésus, le peuple agitait des feuilles de palmier. Mais au printemps, à Jérusalem, il n’y a pas de feuilles de palmier. » Hélas : nos savants en herbe ne savent-ils pas que les longues feuilles pennées du palmier ne tombent pas comme feuilles mortes « à l’automne », mais seulement sous la poussée des nouveaux rameaux ?!
Imperturbables, ils continuent néanmoins : « Ailleurs, on nous dit que Jésus a vu à son arrivée à Béthanie un figuier, et qu’il n’y avait pas de figues sur l’arbre... Comment se fait-il qu’il s’étonne qu’il n’y ait pas de figues au printemps ? C’est en automne qu’on trouve les figues ! » Nouvelle erreur : on récolte une première fois en juin les figues précoces qui ont passé l’hiver sur l’arbre. Une seconde récolte a lieu fin août (figues tardives). Le fruit qui n’est pas encore parvenu à maturité est appelé pag (Ct 2, 13), d’où le nom de Bethphagé (« maison des figues vertes »). Bref, contrairement aux « vingt-sept », les Évangélistes écrivent en toute connaissance de cause et se montrent exacts jusque dans les détails, même botaniques.
Le titulus :
Contrairement à ce qu’affirment les « vingt-sept », un titulus fut bien placé sur la Croix et au-dessus de la tête de Jésus. L’iconographie chrétienne n’a rien inventé. Elle s’est simplement conformée aux textes. Le titulus a d’ailleurs été précieusement conservé. Rohault de Fleury a fourni une savante démonstration de l’authenticité de la vénérable relique. (Mémoire sur les instruments de la passion de Notre-Seigneur Jésus-Christ)
Nous n’en citerons ici qu’un extrait : « Le titulus de la Croix conservé à Rome, en l’église Sainte-Croix de Jérusalem, est une planchette de 23, 5 x 13 cm toute vermoulue. Elle porte une inscription en trois lignes : de la première ne subsistent que les jambages des lettres hébraïques. On lit sur la seconde le mot NAZARENUS, écrit en caractères grecs, de droite à gauche, comme si c’était de l’hébreu, et les lettres sont renversées comme si on les voyait dans un miroir ; la troisième ligne porte le mot latin, écrit lui aussi de droite à gauche de la même façon : NAZARINUS. Les lettres sont tracées en creux, serrées les unes sur les autres, sans séparation entre les mots, en “ scriptio continua ” : après NAZARINUS on lit les deux premières lettres du mot REX, Roi. »
Le Père Grelot (l’un des « vingt-sept ») précise, cette fois avec compétence, la raison des inscriptions latines et grecques sur le titulus : en latin parce que c’était la langue administrative de l’Empire romain, en grec parce que c’était la langue du commerce, la langue internationale de l’époque.
Afin de contester l’authenticité de la relique romaine, les « vingt-sept » soulignent la présence de fautes sur la planchette. Or, bien au contraire, Rohault de Fleury explique que chacune des « fautes » du scribe constitue à elle seule une preuve d’authenticité, et l’ensemble emporte la conviction ; c’est pris sur le vif : « Comment supposer en effet qu’un faussaire eût été assez maladroit pour fabriquer après coup ce titre tel que nous l’avons aujourd’hui, c’est-à-dire pour substituer contre l’usage ordinaire : l’epsilon à l’hèta, la diphtongue “ ou ” à l’omicron dans le mot Nazarenous, et surtout pour substituer le mot Nazarenous au mot Nazôraios employé par saint Jean, le seul des évangélistes qui rapporte l’inscription entière ? »
Il précise encore : « Saint Jean est le seul qui emploie le mot Nazarenus, afin de compléter ce que les autres avaient dit ; et, par une circonstance particulière, c’est presque l’unique mot que nous ait conservé la relique du titre, comme pour confirmer le texte de Saint Jean, le seul qui n’ait pas quitté Notre-Seigneur un instant pendant sa Passion. Il a vu et a rapporté littéralement ce dont les autres ont donné l’esprit. Si l’on eût voulu falsifier la relique, on eût cherché, ce me semble, à être plus adroit en la composant de manière à satisfaire aux quatre versions. »
Les Travaux de R. W. Hynek
Dans son ouvrage Le martyre du Christ, ce médecin tchèque vient expliquer certains passages de la Passion de Jésus, en précisant les causes de la mort d’un crucifié.
La difficulté de cette recherche provenait du fait que, depuis seize siècles, nous ne connaissons pas un seul cas de crucifixion, ni au point de vue clinique ni au point de vue anatomique. Hynek explique : « C’est grâce au tableau turinois de la Passion de Notre-Seigneur que je crois avoir réussi à résoudre le problème, en expliquant la mort du Christ par des crampes de tétanos et par suffocation au milieu d’épouvantables douleurs, en pleine connaissance d’esprit. Cette hypothèse se trouve appuyée et confirmée par le suffrage de plusieurs savants de renom mondial et dernièrement encore par la découverte de M. le Dr Lédenyi, professeur à l’Université de Bratislava, qui a constaté que si l’on tenait les bras en croix pendant un certain temps (et d’autant plus si les bras étaient cloués sur une croix !), par tension extraordinaire du diaphragme la respiration serait considérablement limitée, de sorte qu’ainsi commencerait la suffocation, la cyanose et la lividité. »
Hynek poursuit : « Je me rappelle qu’une des plus sévères punitions de l’ancienne armée austro-hongroise [avant 1914 !] était le fameux “ Anbinden ”, c’est-à-dire l’attachement du sujet de sorte que, pour un court laps de temps, l’homme puni était obligé de se tenir uniquement sur les pointes des pieds. Qu’est-ce qui était la cause de ses souffrances ? C’est l’extrême tension de ses muscles, aboutissant bientôt à des contractions convulsives. Aussi ne permettait-on pas de prolonger ce supplice plus de cinq à dix minutes. » Hynek applique ensuite ces observations au cas des crucifiés, et particulièrement à Celui dont le Saint Suaire nous offre l’image : « D’exténuantes contractions de l’avant-bras, devenant déjà des spasmes, gagnaient les bras, les épaules, les muscles du thorax, des reins, des hanches et des jambes. » Ce sont bien les symptômes que l’on observe sur les silhouettes faciale et dorsale empreintes sur le Saint Suaire.
Le Saint Suaire :
Il existe une pièce archéologique incomparable, qui est aussi la plus insigne relique de la Chrétienté : le Saint Suaire de Turin, preuve éclatante de la douloureuse Passion, de la Mort, de l’Ensevelissement et de la glorieuse Résurrection de Jésus. Pour cette raison, les « vingt-sept » ne veulent pas le connaître.
Jésus de Nazareth, le seul homme au monde qui a souffert mort et passion de la manière que raconte le Saint Suaire, témoin silencieux, est aussi le seul homme au monde qui est sorti vivant du tombeau. Non, ce n’est pas saint Pierre qui a « modifié intentionnellement » la parole prophétique (Ps 16, 10) qui annonçait cette Résurrection ! Le psaume, dans sa version originale, disait bien : « Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption. » Ce sont les rabbins de Yabné qui ont « modifié intentionnellement » le texte à la fin du premier siècle, après la ruine de Jérusalem, changeant le terme de « corruption » en celui de « tombeau », croyant ainsi faire mentir saint Pierre, puisque Jésus avait effectivement séjourné trente-six heures dans le tombeau de Joseph d’Arimathie. Mais ce sont eux qui ont menti... par la plume !
Aujourd’hui encore, au seuil du troisième millénaire, Jésus s’impose à l’attention du monde entier par sa photographie laissée sur le Linge où Il fut enseveli et d’où Il s’est relevé d’entre les morts, le troisième jour, selon les Écritures. Nous touchons, nous voyons, nous vénérons, nous adorons la brûlure et les taches de Sang qu’il a laissées sur le Saint Suaire de Turin.
Est-ce fondé d’affirmer que l’Évangile
est une des sources de l’antisémitisme ?
Telle est la thèse de l’émission Corpus Christi. Les vingt-sept spécialistes affirment unanimement que ce ne sont pas les Juifs qui ont tué Jésus, mais les Romains. Selon les « vingt-sept », les Évangiles qui disent le contraire sont forcément une “ réécriture de l’Histoire ”, mensongère et postérieure, cause de l’antisémitisme et de tous les crimes commis sous son inspiration.
Par exemple, selon les « vingt-sept », la trahison de Judas et le reniement de Pierre sont des légendes, inventées par les chrétiens pour figurer la trahison du peuple juif. Il ne s’agit pas selon eux d’ « événements ayant existé historiquement ». Leur démonstration laisse sans voix, jugez-en plutôt :
L’un des « vingt-sept », linguiste de formation, nous explique que les similitudes de noms entre d’une part Judas (fils de Simon Iscariote) et Pierre (appelé Simon), et d’autre part entre les noms de Cephas et Caïphe, établissent que « la trahison de Judas et le reniement de Pierre sont des événements qui sont à mettre en rapport avec une autre réalité : le reniement, la trahison du peuple de Judée (qui chez les Prophètes s’appelle Juda), et le reniement des grands prêtres. » Pour conclure : « Si on se situe au moment de la rédaction, je crois qu’on n’est pas devant la relation d’événements. »
Du nom de “ Caïphe ”, ce spécialiste ne connaît apparemment que la version grecque fournie par le Nouveau Testament et par Flavius Josèphe : Caïaphas. Mais les inscriptions des ossuaires découverts à Jérusalem en 1990 (voir la tombe de Caïphe) établissent la forme sémitique originelle de ce nom : qayapha’, et non pas keïpha’ (équivalent hébreu du nom grec de “ Pierre ”, Petros) ou Cephas, auquel ce linguiste veut à toute force assimiler le nom de Caïphe. Voilà qui confond le linguiste sur son propre terrain et répond à cet indigne bafouillage.
Les « vingt-sept » affirment aussi que pour faire peser sur les juifs la mort de Jésus, les quatre Évangélistes auraient inventé tardivement l’histoire d’une trahison de Jésus par l’un de ses disciples, auquel ils ont donné le nom de “ Judas ”, afin d’en faire la figure du peuple de Judée, “ Juda ”.
Un seul fait suffit à les mettre en déroute : le remplacement de Judas par Matthias. Aucun d’eux n’y fait la moindre allusion. Et pour cause ! Car cet épisode, rapporté au début des Actes des Apôtres (1, 15-26) avant la Pentecôte, est d’une saveur archaïque et sémitisante, très éloignée du contexte de la fin du premier siècle, où les “ vingt-sept ” situent la formation du “ mythe ” prétendu !
Aussi signent-ils leur défaite au moment où ils croient triompher en affirmant que dans « les épîtres de Paul, on découvre que Paul ignore tout de la trahison de Jésus par Judas. Paul dit qu’après sa mort, Jésus ressuscité est vu par ses douze disciples. Au contraire, dans les Évangiles, cette apparition de Jésus n’a lieu que devant “ onze ” disciples. Il est clair que Paul ignorait cette défection de Judas Iscariote. À l’époque où Paul rédige ses épîtres, vers 50-60, l’épisode n’existait pas. » Un enfant du catéchisme répondrait facilement : Paul parle des “ Douze ”, et non pas des “ Onze ”, parce que Matthias (qui a été témoin avec les Apôtres de tous ces événements : du Baptême de Jésus jusqu’à son Ascension, cf. Ac 1, 22) a remplacé Judas.
Pour charger les Évangiles d’antisémitisme, il y a plus. La séance du sanhédrin, que les modernistes (depuis Loisy) tiennent pour « impossible et imaginaire », aurait été inventée dans ce but. On trouve la réfutation de cette affirmation sous la plume d’Annie Jaubert, qui résume ainsi leur argumentation :
« - Les chrétiens ont tendu de plus en plus à charger les juifs du crime de la mort de Jésus. - Le procurateur Pilate avait en effet condamné à mort Jésus comme “ séditieux ”. - Il fallait donc innocenter Jésus afin que, par contrecoup, on puisse innocenter les chrétiens de constituer un danger pour l’État romain. - Il fallait donc que Pilate reconnût l’innocence de Jésus, et que la responsabilité en retombât sur d’autres : les juifs. »
Seulement, il y a un hic ! Comment charger les premiers chrétiens d’antisémitisme quand, comme le rappelle Annie Jaubert, « le plus ardent désir de la première génération de missionnaires, qui étaient juifs eux-mêmes, a été de convertir leurs frères juifs ? [...] La prédication chrétienne s’adresse toujours aux juifs par priorité. C’est ainsi qu’agit Paul. [...] Que dire de Pierre qui circulait dans tant de communautés de la diaspora et qu’on reconnaissait comme “ l’apôtre des circoncis ” (Ga 2, 7-8) ? Les synagogues de la diaspora ont été sans cesse le tremplin de la mission chrétienne primitive ; elles lui ont fourni non seulement les premiers convertis, mais surtout ces “ craignant Dieu ” qui entouraient les synagogues, qui se mouvaient dans l’orbite du judaïsme et attendaient, eux aussi, “ l’espérance d’Israël ”. Dans ces perspectives, on peut se demander quel intérêt auraient eu ces premiers chrétiens à muer en responsabilité juridique la responsabilité morale des juifs. »
« Si vraiment la communauté chrétienne modelait les récits au gré de ses intérêts, il était plus habile de montrer en Jésus “ la victime de machinations secrètes et de manœuvres irrégulières ”, non d’une condamnation officielle. La condamnation de Jésus selon la Loi ne pouvait qu’entraver la prédication chrétienne auprès des juifs ; et cela non seulement en Palestine, mais dans la diaspora où étaient fortes la puissance et l’influence juives, précisément dans les milieux que touchait la mission chrétienne. »
Enfin, « Il apparaît tout simplement invraisemblable d’avoir forgé ou seulement refondu à l’usage des Gentils une scène du procès pour y encadrer des chefs d’accusation typiquement juifs, et qui ne peuvent “ parler ” qu’à des juifs. Le passage de Marc ne peut être une construction apologétique destinée aux païens [...]. Si l’on peut y discerner un souci apologétique, c’est plutôt celui de justifier Jésus d’une condamnation qu’on ne pouvait évacuer », autrement dit : celui de faire comprendre comment un Dieu a pu s’anéantir ainsi comme un esclave « jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix » (Ph 2, 8) !
En définitive, l’invention par les Évangélistes d’un procès forgé de toutes pièces par eux « se heurte ainsi à des invraisemblances massives », conclut Annie Jaubert. La solennelle comparution de Jésus devant le sanhédrin est donc un fait historique incontournable, et non un complot ou une lubie antisémite postérieurs.
Extraits de la Contre-Réforme Catholique n° 336 et 345, août 1997 et avril 1998.
Bible Archéologie Histoire, tome 2, p. 97-117
1. Contre-Réforme Catholique, n° 168 p. 13-14
2. Bible, rchéologie, histoire tome 3, Le procès de Jésus tome 3 p. 63-64
3. Contre-Réforme Catholique n° 203
4. Contre-Réforme Catholique n° 204, p. 6
Contre-Réforme Catholique n° 205, p. 15
Il est ressuscité ! n° 183, p. 15