IV. La confirmation

Le baptême est le don premier de la vie surnaturelle, de la vie divine, dans le Christ-Jésus. La “ confirmation ”, c’est justement le complément, la confirmation du baptême et la preuve de sa pleine réalité par le don de la force divine, des énergies divines, de la puissance du Saint-Esprit. Ce n’est ni Pierre ni Paul qui l’ont inventée. Instituée par Jésus lui-même, Pierre et Paul et toute l’Église apostolique en ont été d’abord les témoins éblouis et les bénéficiaires, puis à leur tour ils l’ont donnée aux autres, cette confirmation qui était puissance visible et miraculeuse de l’Esprit-Saint pénétrant les seuls baptisés.

Ainsi, le diacre Philippe ayant prêché la Bonne Nouvelle dans une ville de Samarie et ayant converti et baptisé beaucoup de gens, « les Apôtres qui étaient à Jérusalem y envoyèrent Pierre et Jean. Ceux-ci descendirent donc chez les Samaritains et prièrent pour eux afin que l’Esprit-Saint leur fût donné. Car il n’était tombé(sic) sur aucun d’eux ; ils avaient seulement(je souligne) été baptisés au nom du Seigneur Jésus. Alors Pierre et Jean se mirent à leur imposer les mains et ils recevaient le Saint-Esprit ».

PentecôteC’est un très vieux récit des Actes des Apôtres (8, 14-17) qui a trait aux tout premiers événements de l’Église, ses premiers pas apostoliques hors de Jérusalem. Déjà la confirmation apparaît telle qu’elle ne cessera plus jamais d’être : un sacrement distinct du baptême, dont les Apôtres et leurs successeurs sont, sinon exclusivement, du moins principalement les ministres, les responsables, un sacrement qui procure le don nouveau et définitif de l’Esprit-Saint.

Le seul changement qui interviendra dès la seconde génération des chrétiens, ce sera la disparition des manifestations extraordinaires de “ charismes ” et de “ prodiges ” qui accompagnaient et suivaient l’imposition des mains sur les nouveaux baptisés. Mais le don sacramentel n’en continuera pas moins jusqu’à nos jours, quoique plus paisible, moins tangible que dans les commencements de l’Église. Il constitue le deuxième sacrement de l’initiation chrétienne, le troisième étant la réception de l’Eucharistie.

L’ONCTION DE L’ESPRIT-SAINT

L’histoire complexe des rites et de la discipline de la Confirmation témoigne au moins de l’immense autorité et liberté laissée par le Christ à son Église jusque dans la gestion des sacrements et le choix de leur matière et de leur forme, autrement dit des gestes et des paroles qui les constituent et qui varieront considérablement selon les lieux et les temps, sans atteindre leur réalité profonde, d’institution divine.

Au geste rituel de l’imposition des mains s’ajoutera très vite en Orient, jusqu’à le remplacer parfois, celui de la « chrismation » ou onction d’huile sainte. Ce qui n’a rien d’étonnant quand on sait que le don du Saint-Esprit était déjà nommé figurativement, symboliquement :l’onction spirituelle, pour signifier la douceur fortifiante de la divine Présence. Le geste symbolique était comme appelé par une si parfaite expression de l’événement invisible.

L’Occident ajouta tout simplement le nouveau rite à l’ancien, jusqu’à nos jours, comme en témoigne notre dernier catéchisme : « L’Évêque donne le sacrement de confirmation en imposant les mains sur ceux qu’il confirme et en faisant sur leur front avec le Saint-Chrême, une onction en forme de croix »(quest. 201), ce Saint-Chrême étant « un mélange d’huile d’olive et de baume, consacré par l’Évêque le Jeudi-Saint » (quest. 202).

La parole sacramentelle n’a pas été partout conservée sous une forme identique. La forme en usage immémorial dans l’Église romaine était celle que reproduit fidèlement ce même catéchisme : « Je te marque du signe de la croix et je te confirme avec le Chrême du salut, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. » Vénérable par son antiquité et par son usage dans l’Église romaine “ mère et maîtresse ” de toutes les églises, elle avait toutefois le double inconvénient d’accompagner le rite de la chrismation plutôt que celui de l’imposition des mains, et de ne pas signifier expressément la grâce spécifique du Sacrement, le don de l’Esprit-Saint.

La formule byzantine, adoptée par la récente réforme liturgique, est incontestablement préférable : « Accipe signaculum doni Spiritus Sancti ». Recevez le sceau du Saint-Esprit, ou « Sois marqué de l’Esprit-Saint, le Don de Dieu. » (p. 97)Le“ signa­culum ”, c’est la“ sphragis ”grecque, le“ sceau ”, c’est-à-dire la marque, l’empreinte indélébile, nous dirions le tatouage. Et le“ don ”, c’est l’Esprit-Saint lui-même, mystérieusement devenu nôtre. C’est bien l’annonce de son opération puissante, de sa coopération avec le fidèle chrétien désormais fortifié, “ confirmé ” en grâce. On regrette cependant l’évocation du signe de croix et l’invocation à la Sainte Trinité... Ne pourrait-on tout garder ?

POUR LE SERVICE DE L’ÉGLISE

Dans l’Église primitive, ce sont les Apôtres qui priaient sur les nouveaux baptisés pour leur obtenir l’Esprit-Saint, puis leur imposaient les mains. Après eux, ce seront leurs successeurs les évêques qui se réserveront ce ministère. Même lorsqu’en Orient la pratique changea, et que les prêtres baptisèrent et confirmèrent les catéchumènes, ou les nouveaux-nés, au cours de la même cérémonie, le Saint-Chrême utilisé pour l’Onction avait été “ consacré ” par l’évêque le Jeudi-Saint.

En Occident, la confirmation demeura un ministère propre­ment épiscopal, jusqu’en 1946 oùle pape Pie XII autorisa les prêtres à donner exceptionnellement ce sacrement en cas de danger de mort. Allant plus loin, la réforme conciliaire autorise les évêques à déléguer des prêtres à sa distribution dans les paroisses. Facilités regrettables qui font rapidement disparaître le rapport intime de ce sacrement avec le ministère épiscopal, et la distribution des “ charismes ” de l’Esprit-Saint selon les besoins du corps ecclésial, selon le bien du diocèse.

Certes, la confirmation a pour premier effet la sanctification individuelle des fidèles qui la reçoivent. Par là, elle prend place, dans “ l’initiation chrétienne ”, entre le baptême qui l’inaugure et l’Eucharistie qui la parfait. Mais si nous méditons sur ses effets visibles, extraordinaires,“ charismatiques ”, dans les premiers temps de l’Église, d’après les Actes et les Épîtres des saints Apôtres, l’Onction du Saint-Esprit nous paraît beaucoup plus orientée vers les services multiples et divers de la communauté que vers le perfectionnement de la vertu personnelle. La confirmation, administrée par le Père et pasteur de l’Église locale, nous paraît bien plutôt préparer chacun des membres de ce “ corps ” à y exercer sa fonction propre, son“ charisme ”. Par là, ce sacrement constitue la ferme base de départ des sacrements de mariage, d’ordination et des vœux religieux qui constituent des ministères dans l’Église et sont entendus comme des vocations de l’Esprit.

Le catéchisme nous oriente vers cette interprétation qui achève de distinguer sans les opposer, les deux sacrements, du baptême qui est incorporation au Christ, et de la confirmation qui est don d’une vocation personnelle au service de l’Église. « Ce sacrement, dit-il, nous donne le Saint-Esprit avec la surabondance de ses dons pour nous rendre parfaits chrétiens, témoins et apôtres de Jésus-Christ. » (quest. 196)

« Tout le montre dans ses rites, c’est son aspect social qui donne à la confirmation son caractère vrai­ment original. Ce qui est alors conféré, c’est l’Esprit des lois, c’est l’Esprit de corps, c’est l’Esprit de l’Église... Tout parle ici de vocation active, de fonction dans l’Église, de mission commandée par le Pasteur du diocèse au chrétien aguerri. Ce don vient épanouir la vocation sociale du chrétien. » (CRC 114, p. 14) Tel est le changement, telle est la promotion du chrétien qui arrive à l’âge des choix et des responsabilités. Nourri, éduqué, protégé par l’Église depuis son baptême, il est temps qu’à son tour il la serve en répandant sa doctrine, en se dévouant à ses œuvres, en combattant ses ennemis, en témoignant de sa foi, fût-ce jusqu’au martyre.

C’est ce qu’explique admirablement saint Thomas : « Dans le baptême, l’homme reçoit le pouvoir de faire ce qui concerne son propre salut, en tant qu’il vit pour lui-même ; mais dans la confirmation, il reçoit le pouvoir de faire ce qui concerne la lutte spirituelle contre les ennemis de la foi. » Et encore : « La confirmation arme et équipe ceux qui sont conservés en vie pour les luttes et les combats de ce monde. Bien que le baptisé soit devenu membre de l’Église, il n’est pas encore enrôlé dans la milice chrétienne. C’est pourquoi il doit être présenté à l’évêque, comme au chef de cette armée, par un autre qui est déjà enrôlé dans la milice chrétienne, son parrain. » (Sum. theol., IIIa, quest. 72 ; cf. CRC 114, p. 10)

Même s’il n’est pas strictement obligatoire et nécessaire au salut de recevoir ce sacrement, comme Jésus l’a dit du baptême... et de l’Eucharistie, il n’en paraissait pas moins anormal, pour ne pas dire monstrueux, aux Apôtres d’être baptisés sans recevoir ensuite la confirmation. S’en priver par négligence serait s’exposer à une anémie spirituelle, à une faiblesse accablante de l’âme dans les combats de la foi chrétienne pouvant aller jusqu’à la mort spirituelle du repliement sur soi, de l’indifférence, voire de l’apostasie. Tant il est vrai que nul ne doit ni ne peut vivre pour soi seul dans cette communauté surnaturelle qu’est l’Église comme dans la société temporelle.

On comprend avec quelle ferveur le bon chrétien s’applique à réveiller en lui l’Esprit-Saint, comme saint Paul y exhortait son disciple Timothée (II Tim. 1, 6), pour en être plus attentif à sa vocation, plus prompt à remplir sa charge, son ministère quel qu’il soit, dans la communauté. Sans doute le don de l’Esprit-Saint est fait une fois pour toutes, il laisse dans l’âme sa trace indélébile comme le baptême, son“ caractère ”, mais cette disposition permanente à la sainteté se fait selon une vocation, un “ charisme ”, un ministère propre à chacun au service de l’Église. Il faut “ raviver ” ce don divin pour lui donner occasion de produire ses fruits. On se demande si l’un ou l’autre des rites du sacrement ne pourrait pas avec avantage être renouvelé, en“ mémorial ”, de préférence celui de l’imposition des mains par l’évêque, à certains moments importants tels que les envois en mission, les désignations pour des charges ecclésiastiques, de laïcs ou de religieux. Intéressantes propositions pour Vatican III !