Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus
I. La miniature de l'Immaculée
Le foyer dans lequel Thérèse vient au monde le 2 janvier 1873 est d'une chasteté virginale, d'une grande piété et d'une générosité parfaite, héritant, au seuil du XXe siècle, des meilleurs courants catholiques, traditionnels et légitimistes.
UNE SAINTE FAMILLE PRÉDESTINÉE
La « petite reine » est indissociable de cette famille d'âmes pures, saintes et aimantes qui la protège des influences extérieures. Son monde familial devient aussitôt l'image du Ciel et le restera toujours.
« Toute ma vie le Bon Dieu s'est plu à m'entourer d'amour, mes premiers souvenirs sont empreints des sourires et des caresses les plus tendres !... mais s'il avait placé près de moi beaucoup d'amour, Il en avait mis aussi dans mon petit cœur, le créant aimant et sensible, aussi j'aimais beaucoup Papa et Maman et leur témoignais ma tendresse de mille manières, car j'étais très expansive. »
« La lecture de l'Histoire d'une âme m'a guéri du goût des fausses grandeurs, écrit notre Père dans une de ses premières Lettres à mes amis. J'y trouvai l'image exquise de ce que devait être Nazareth... » (...)
Les récits sont charmants. Zélie Martin, la mère de Thérèse, écrit dans ses lettres : « J'entends Thérèse qui m'appelle : “ Maman ! ” Elle ne monterait pas l'escalier toute seule à moins de m'appeler à chaque marche : “ Maman, Maman ! ” Autant de marches, autant de “ Maman ! ” Et si, par malheur j'oublie de répondre une seule fois : “ Oui, ma petite fille ! ” elle reste là sans avancer, ni reculer. » (1875)
« Cette pauvre petite fait notre bonheur, elle sera bonne. On voit déjà le germe, elle ne parle que du bon Dieu, elle ne manquerait pas pour tout à faire ses prières. Je voudrais que tu la voies réciter de petites fables, jamais je n'ai rien vu de si gentil, elle trouve toute seule l'expression qu'il faut donner et le ton, mais c'est surtout quand elle dit : “ Petit enfant à tête blonde, où crois-tu qu'est le bon Dieu ? ” Quand elle en est à : “ Il est là-haut dans le Ciel bleu ”, elle tourne son regard en haut avec une expression angélique ; on ne se lasse pas de le lui faire dire tant c'est beau, il y a quelque chose de si céleste dans son regard qu'on en est ravi ! » (1877) (...)
« Thérèse apprend avec beaucoup de facilité : elle est très intelligente. Combien je suis heureuse de l'avoir ! Je crois que je l'aime plus que toutes les autres, c'est sans doute parce qu'elle est la plus jeune. »
Thérèse a toujours le sourire sur les lèvres, illuminant sa « bonne figure de prédestinée ». Aussi, tous se mettent-ils au service de la benjamine, car ses sœurs partagent l'admiration maternelle. (...)
Pauline écrit à une amie, le 4 avril 1877 :
« Que je voudrais donc bien que ce petit ange-là ne grandisse pas. C'est si beau une petite âme qui n'a jamais offensé le Bon Dieu... Aussi j'aime beaucoup avoir ma Thérèse auprès de moi, il me semble qu'avec elle aucun malheur ne peut m'atteindre. »
Offenser le bon Dieu ? Voilà une pensée intolérable dans cette famille où toute la vie exhale un climat religieux, où Dieu est véritablement le fondement de cet ordre bien hiérarchisé. Pour plaire au Bon Dieu, il faut plaire à ses parents et à ses sœurs. Faire plaisir et ne pas faire de peine sont les deux ressorts de la vie. Marie le souligne avec force :
« Il n'était pas nécessaire de la gronder lorsqu'elle était en défaut : il suffisait de lui dire que ce n'était pas bien ou que cela faisait de la peine au bon Dieu ; elle ne recommençait plus jamais. » (...)
Dans cette famille, on passe de la terre au Ciel avec une merveilleuse facilité :
« Le premier mot que je pus lire seule fut celui-ci : “ Cieux ”. »
Habilement, Madame Martin fait résonner ce mot dans l'âme de ses enfants :
« La petite Thérèse me demandait l'autre jour si elle irait au Ciel ? Je lui ai dit que oui, si elle était bien sage, elle me répond : “ Oui, mais si je n'étais pas mignonne, j'irais dans l'enfer... mais moi je sais bien ce que je ferais, je m'envolerais avec toi qui serais au Ciel, comment que le Bon Dieu ferait pour me prendre ?... Tu me tiendrais bien fort dans tes bras. ” J'ai vu dans ses yeux qu'elle croyait positivement que le Bon Dieu ne lui pouvait rien si elle était dans les bras de sa mère. »
Un dessein divin mène cette enfant par des voies singulières à un terme mystérieux. Le Saint-Esprit est le premier à agir en elle, car cette “ course ” ne doit pas connaître de retard.
« Notre-Seigneur voulant pour Lui seul mon premier regard, daigna me demander mon cœur dès le berceau si je puis m'exprimer ainsi. »
Mère Agnès a déclaré au Procès : « Dès l'âge de deux ans, la petite Thérèse pensait qu'elle serait religieuse. » (...)
La plénitude des dons du Saint-Esprit est en elle, lui conférant cette étonnante précocité. En 1895, elle écrira :
« J'étais, il me semble, dans les mêmes dispositions où je me trouve maintenant, ayant déjà un grand empire sur mes actions. »
LA PENSÉE DU CIEL
« Le bébé est un lutin sans pareil ; elle vient me caresser en me souhaitant la mort : “ Oh ! que je voudrais bien que tu mourrais, ma pauvre petite Mère ! ” On la gronde, elle dit : “ C'est pourtant pour que tu ailles au Ciel, puisque tu dis qu'il faut mourir pour y aller. ” Elle souhaite de même la mort à son père, quand elle est dans ses excès d'amour. »
Le 28 août 1877, Zélie Martin s'éteint, emportée par le cancer. Thérèse a quatre ans et demi.
« À partir de la mort de maman, mon heureux caractère changea complètement ; moi si vive, si expansive, je devins timide et douce, sensible à l'excès. » (...)
Ce deuil ouvre ce qu'elle a appelé « la période la plus douloureuse de mon existence », lui apprenant la précarité de la vie et attisant encore son attente du Ciel.
« Cependant je continuais à être entourée de la tendresse la plus délicate. Le cœur si tendre de Papa avait joint à l'amour qu'il possédait déjà un amour vraiment maternel !... Vous, ma Mère, et Marie n'étiez-vous pas pour moi les mères les plus tendres, les plus désintéressées ?... » (...)
Sur le “ Chemin du Paradis ”, nom donné par Louis Martin au chemin qui mène aux Buissonnets, ceux-ci sont le théâtre « d'une vie véritablement heureuse », où l'orpheline s'épanouit, à l'abri du monde.
« Que pourrai-je dire des veillées d'hiver, surtout de celles du dimanche ? Ah ! qu'il m'était doux après la partie de damier de m'asseoir avec Céline sur les genoux de Papa... De sa belle voix, il chantait des airs remplissant l'âme de pensées profondes... ou bien, nous berçant doucement, il récitait des poésies empreintes des vérités éternelles... Ensuite nous montions pour faire la prière en commun et la petite reine était toute seule auprès de son Roi, n'ayant qu'à le regarder pour savoir comment prient les Saints... » (...)
Son père est pour elle l'image du Bon Dieu qui a écrit son nom dans les étoiles. Le soir, revenant à la maison, « Je regardais les étoiles qui scintillaient doucement et cette vue me ravissait... Il y avait surtout un groupe de perles d'or que je remarquais avec joie trouvant qu'il avait la forme d'un T (voici à peu près sa forme). Je le faisais voir à Papa en lui disant que mon nom était écrit dans le Ciel, et puis, ne voulant rien voir de la vilaine terre, je lui demandais de me conduire. » (...)
Dans cette famille royaliste, elle entend parler sans cesse du roi de France qui va revenir ; à ses yeux, son père est aussi l'image du Roi : « Je ne puis dire ce que j'aimais Papa, tout en lui me causait de l'admiration ; quand il m'expliquait ses pensées (comme si j'avais été une grande fille) je lui disais naïvement que bien sûr, s'il disait cela aux grands hommes du gouvernement, ils le prendraient pour le faire Roi et qu'alors la France serait heureuse comme elle ne l'avait jamais été. »
L'admiration était réciproque et l'on peut se demander comment la petite fille ne s'est pas perdue dans l'orgueil et l'égoïsme. Tout ce qui aurait pu être un danger pour une enfant ordinaire, en elle se retourne en vertu. Le péché originel est déjà vaincu d'une manière décisive, jusqu'à la racine. En 1895, sainte Thérèse s'interrogera, dans le manuscrit destiné à sa Pauline, devenue entre-temps sa supérieure sous le nom de mère Agnès de Jésus :
« Je me demande parfois comment vous avez pu m'élever avec tant d'amour et de délicatesse sans me gâter, car il est vrai que vous ne me passiez pas une seule imperfection, jamais vous ne me faisiez de reproche sans sujet, mais jamais vous ne reveniez sur une chose que vous aviez décidée ; je le savais si bien que je n'aurais pas pu ni voulu faire un pas si vous me l'aviez défendu. »
Or cette excellente éducatrice n'avait pas dix-sept ans quand la famille s'installa aux Buissonnets !
Ces joies familiales rendent le Ciel proche, aimable et désirable, et toute sa vie Thérèse espérera les retrouver. Quelle belle illustration de la métaphysique relationnelle de notre Père ! (...)
« LA TERRE ME SEMBLAIT UN LIEU D'EXIL. »
Vint le tour de Thérèse d'entrer comme demi-pensionnaire chez les bénédictines, le 3 octobre 1881. Quoique « chérie de toutes les religieuses [...] ,les cinq années que j'y passai furent les plus tristes de ma vie. »
Elle commence à « connaître le monde », pour lequel elle est peu faite, « et les misères dont il est rempli ». Sa nature, sensible à l'excès, se trouve douloureusement affectée par le contact avec quelques élèves d'éducation vulgaire, jalouses de ses succès scolaires. Cependant, les témoignages de sa vertu abondent : délicatesse, héroïsme, fidélité, obéissance, extraordinaire force de volonté. L'aumônier, l'abbé Domin, déclarera : « Comme confesseur, je crois pouvoir dire qu'à cette époque la servante de Dieu ne commettait aucune faute pleinement délibérée. »
L'enfant s'étiole dans cette « terre commune ». À son état de tristesse et d'inquiétude vient s'ajouter une épreuve bien plus douloureuse encore, provoquant en elle une nervosité maladive : elle apprend indirectement que Pauline a le projet d'entrer au Carmel. Elle va perdre sa seconde mère ! La nouvelle lui brise le cœur :
(...) « Je versai des larmes bien amères, car je ne comprenais pas encore la joie du sacrifice. »
Pauline la console en lui expliquant la vie du Carmel :
« Je sentis que le Carmel était le désert où le Bon Dieu voulait que j'aille aussi me cacher... »
Elle n'aura plus qu'à triompher de tous les obstacles pour répondre à l'appel de Celui qui la veut toute à Lui, et y « attendre le Ciel » avec Pauline.
CRC n° 338, septembre 1997, p. 1-5