LA GUERRE D'ALGÉRIE
LE CURÉ DE CAMPAGNE,
LE COLONEL, LE PAPE...
Conclusion
APPEL À LA CONVERSION
L E 13 mai 1962, alors que des flots de lettres angoissées et de tristes nouvelles lui parvenaient de la province martyre d’Algérie, l’abbé de Nantes conjurait ses amis de ne pas « fermer leurs oreilles à la clameur qui monte de la terre d’Algérie, de tout ce sang versé par la folie sanguinaire de quelques uns.
« Quand sera la fin de l’épreuve ? Pour répondre à cette question, il ne suffit pas de mesurer les forces en présence, il faut aller avec le regard de la foi au fond des choses et des âmes. Sans doute on prie, mais pas comme Dieu veut. On prie en France pour que Dieu donne la paix mais sans que nous renoncions à nos erreurs et à nos funestes passions. On veut la fin du cauchemar, mais sans regretter les folles opinions politiques qui en sont directement cause ni renoncer à rien de notre confort...
« Il faut alors conclure que nos tribulations ne sont qu’à leurs débuts et que de bien autres châtiments nous attendent. Oh ! certes, ce n’est pas une prophétie. Cela résulte d’une simple analyse de la situation : il faut que le torrent de sang soit plus vaste pour que nos “ élites pensantes ” renoncent à leurs mensonges et à leurs haines. Dieu, dans son amour paternel, est pressé de nous secourir ; Il le fera, soyons-en assurés, dès que nous l’y autoriserons par notre vraie conversion et notre remords. Car Il n’aide que ceux dont la foi est pure, il ne sauve qu’un peuple soumis à la vérité. Tant que l’erreur, flagrante, passionnée, habitera les cœurs, Il nous frappera de ses coups redoublés. Car le sang répandu et les violences ne sont, somme toute, qu’un mal secondaire. Le mal absolu, dont le Bon Pasteur a entrepris de nous guérir, nous d’abord, France privilégiée de son Sacré-Cœur, c’est la violence morale faite aux âmes trompées, endoctrinées, menées par l’intoxication de l’erreur à la haine de ce qui est de Dieu et au service des forces sataniques.
« Je crois en effet que Satan infeste bien davantage la métropole, où pourtant le sang coule peu, que l’Algérie où il est répandu à flots... » (G. de Nantes, Lettre à mes amis n° 109, 13 mai 1962)
Quel remède opposer à cette désorientation diabolique, quelle lumière, quel secours providentiel ? Il est remarquable que ce soit au début de ce mois de juin 1962 que l’abbé de Nantes envoya à ses lecteurs, et ensuite à tout nouvel abonné à ses Lettres, le récit de l’entretien de sœur Lucie avec le Père Fuentes du 26 décembre 1957. La convergence de son analyse politique et mystique des événements avec les vues de la voyante de Fatima est stupéfiant : « Mon Père, la Très Sainte Vierge est bien triste, car personne ne fait cas de son message, ni les bons, ni les mauvais... Mais croyez-moi, Père, Dieu va châtier le monde et ce sera d’une manière terrible... Le démon est en train de livrer une bataille décisive avec la Vierge. »
C’est la grande leçon du Secret de Fatima, en ses trois parties. Le “ troisième secret ” devait être révélé en 1960, ainsi que le voulait Notre-Dame, car alors, « il apparaîtrait plus clair ». Il fut gardé sous le boisseau par tous les papes, pendant quarante ans, jusqu’en 2000. Mais maintenant qu’il est dévoilé, nous constatons qu’il éclaire singulièrement les événements d’Algérie, en décrivant par avance les conséquences du refus opposé par le Saint-Père aux demandes de Notre-Dame de Fatima :
« Une grande ville à moitié en ruines », jonchée de « cadavres », c’est Alger ! rue d’Isly, le 26 mars, ou Oran, le 5 juillet 1962. « Le sang des martyrs » recueilli par les Anges « sous les deux bras de la Croix », c’est celui de nos colons, lâchement assassinés par les fellaghas ou par le pouvoir gaulliste, et nos 150 000 harkis mis à mort à cause de leur fidélité aux « roumis ».
« LES ERREURS DE LA RUSSIE »
Les « erreurs de la Russie » ont été, nous l’avons vu, le ressort de toute la guerre d’Algérie, et ce sont ces « erreurs » qui ont vaincu l’Armée française, non pas sur le terrain où elle était largement victorieuse, mais dans les esprits. Comme lors de la Libération-épuration de 1944, première pénétration ou “ infestation ” des « erreurs de la Russie » dans le corps et l’âme de la nation.
L’abbé de Nantes y consacra cinq “ Lettres à mes amis ” (nos 112-116), du 1er juillet au 20 août 1962, dont l’ensemble forme un véritable traité sur le drame franco-algérien, sur ses causes profondes et les leçons salutaires qu’il importe d’en tirer. On voit clairement comment les “ Rouges chrétiens ” ou chrétiens “ progressistes ” sont parvenus en 1944 aux postes de commande et ont, depuis, asservi l’Église à la Révolution. (...)
« Nous sommes entrés en 1944 dans un monde faux... Les forces agressives de la Révolution sont parées de toutes les beautés, de toutes les espérances ; les forces défensives de l’ordre social et des communautés historiques traditionnelles sont toujours rétrogrades, criminelles et dépourvues de tout idéal. Par conformisme, par ignorance, par lâcheté, mais plus que tout par noyautage, l’Église continue d’accepter exclusivement ces analyses mensongères des faits, et laisse ainsi diriger sa charité sur les têtes des pires ennemis de l’ordre humain et de Dieu, sa colère sur ses meilleurs enfants et serviteurs dévoués. Jusqu’à quand ? Jusqu’où ira cette incroyable aversion et haine de soi-même, cette inversion et amour de son contraire ? » (Lettre n° 114) (...)
Dans sa dernière Lettre, datée du 20 août 1962, l’abbé de Nantes justifie sur un ton pathétique, aux accents prophétiques, sa “ politique ” ; elle s’inscrit dans le combat même de l’Immaculée contre le démon :
« J’admire, dans ces tempêtes apocalyptiques qui secouent notre pauvre monde, ces craquements sinistres de la vieille et maternelle Chrétienté, le soin que mettent beaucoup de gens qui s’estiment de bonnes et belles âmes, à demeurer à l’abri, dans quelque crique aux eaux calmes, où jouir de la tranquillité et vaquer à leurs travaux et soucis personnels. Ils sont sourds aux cris des persécutés, aveugles au sang de leurs frères versé en haine de la foi. Certains ne tolèrent pas de me voir occupé de cette politique et m’enjoignent de revenir à la mystique qui, loin des débats de ce temps, berce leurs âmes de nobles considérations... » (...)
Et voici la conclusion, qui annonce le “ troisième secret ” : « La charité passe avant tout commandement, elle les domine tous : “ Si la miséricorde était un péché, disait saint Bernard, je crois bien que je ne pourrais me retenir de le commettre. ” La miséricorde, cet été, est un crime politique. Mais nonobstant ce péril, elle est une vertu chrétienne. Y aurait-il cent millions de prudents dont la religion resterait indifférente au chrétien outragé, au pauvre dépouillé, à l’innocent calomnié, à tout un peuple désespéré, l’Église ne serait pas avec ces millions de morts, mais au chevet du martyr comme la Vierge et les autres au pied de la Croix. »
Ces millions de « morts », ce sont les « cadavres » que, dans le Secret, l'« Évêque vêtu de Blanc » rencontre en traversant la « grande ville à moitié en ruine ». D’autres, heureusement, ont une âme de bon Samaritain : « Peu m’importe le jugement des gens de ce côté-ci de l’eau. Ce qui compte c’est le regard que posait sur moi hier cette vieille femme, réfugiée d’Oran, où elle a laissé sa maison, son église, ses morts, toute sa vie. Si j’avais trempé dans le crime odieux qui l’a dépouillée sans raison, si je m’en étais fait complice par légèreté ou inadvertance, si depuis des années j’avais médit et calomnié son peuple pour justifier leurs égorgeurs, alors sous ce regard mes yeux de prêtre se seraient détournés, de honte, et j’aurais dû confesser que j’avais failli à ma tâche de prêtre de Jésus-Christ. Mais j’ai lutté et j’ai souffert, au nom du Christ, pour elle et pour les siens. Elle l’a su là-bas. La justification de ma “ politique ” est dans ce regard échangé. Jésus-Christ n’a pas abandonné ces pauvres gens. » (Lettren°116)
L’ATTENTAT DU PETIT-CLAMART
L’été du terrible exode fut marqué par une ultime tentative de renverser le cours des choses. Dans la soirée du 22 août, le président de la République venant de l’Élysée, se rendait à Villacoublay pour y prendre un avion qui devait le ramener à Colombey-les-deux-églises. Lorsque sa voiture arriva dans le centre du Petit-Clamart, plusieurs véhicules en stationnement ouvrirent le feu sur les pneus de la voiture présidentielle. Atteinte à plusieurs reprises par des balles de pm et de fm, elle réussit à gagner l’aérodrome avec deux roues restées gonflées, sans que personne ait été atteint : ni le président, ni madame de Gaulle, ni le chauffeur, ni le colonel de Boissieu, gendre du président.
Le 15 septembre, le chef du complot était arrêté : il s’agissait du lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry, trente-cinq ans, brillant ingénieur de l’Aéronautique française, spécialiste de réputation internationale des missiles téléguidés, qui plus est chevalier de la Légion d’Honneur et père de famille exemplaire.
Le 28 janvier 1963, s’ouvrit à Vincennes son procès, devant la Cour militaire de justice instituée par de Gaulle, mais que le Conseil d’État venait de déclarer illégale. Dans sa déclaration du 2 février, Bastien-Thiry parla comme le curé de Villemaur. Son dessein, expliqua-t-il, n’était pas d’abattre le président de la République, mais de l’arrêter pour le traduire en Haute-Cour et le juger. Et c’était bien cela le fond du procès :
« (...) Antérieur à l’attentat manqué contre lui, un immense attentat réussi était évoqué, celui que de Gaulle, dans la plénitude du pouvoir qu’il avait réclamé, avait résolu et mené à son terme inexorablement contre l’Algérie française. Quatre ans de guerre tournante pour aboutir enfin à faire tirer ses soldats et ses gendarmes sur son peuple désarmé qu’il avait juré de défendre et de sauver ! » (G. de Nantes, Lettre à mes amis n° 133)
« Cet homme est ruisselant de sang français, concluait le colonel Bastien-Thiry, et il représente la honte actuelle de la France. Il n’est pas bon, il n’est pas moral, il n’est pas légal que cet homme reste longtemps à la tête de la France [...]. Nous n’avons pas agi par haine de De Gaulle, mais par compassion pour les victimes de De Gaulle et pour sauvegarder des vies humaines innocentes sacrifiées par un pouvoir tyrannique... Un jour cet homme rendra compte de ses crimes : devant Dieu, sinon devant les hommes. »
Il avait osé invoquer une autre légitimité que celle du « pouvoir de fait ». Il n’avait pas hésité à ridiculiser le tyran : « Après avoir mis le général de Gaulle en état d’arrestation, lui demanda le président, s’il avait résisté, que lui auriez-vous fait ? – Oh ! répondit calmement Bastien-Thiry avec son sourire inimitable, nous lui aurions tout juste enlevé ses bretelles. » Ce fut alors un immense éclat de rire, malgré l’atmosphère tragique qui enveloppait les audiences. Mais de Gaulle ne lui pardonna pas. Le verdict tomba le 4 mars : Bastien-Thiry et ses deux principaux auxiliaires, Bougrenet de La Tocnaye et Prévost, étaient condamnés à mort.
Une semaine plus tard, le lundi 11 mars, alors que ses deux compagnons bénéficiaient de la grâce présidentielle, le colonel était fusillé au fort d’Ivry. Il assista avec une grande ferveur à la messe de l’aumônier et communia en brisant en deux l’hostie que lui tendait le prêtre, lui demandant d’en remettre la moitié à son épouse. Il marcha ensuite au poteau, en égrenant son chapelet, le visage calme et serein, même joyeux. Avant la salve, il ne cria pas “ Vive la France ! ” mais pria pour elle et pour ceux qui allaient le tuer.
Au retour, son avocat déclara bouleversé : « Bastien-Thiry a vécu pour Dieu, pour sa patrie : il est mort au service de Dieu et de sa patrie. C’est désormais un martyr. »
RÉQUISITION DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE
Dans son réquisitoire, le procureur général Gerthoffer s’était réclamé explicitement de la doctrine catholique, qui couvrait, expliquait, justifiait, du moins le prétendait-il, la politique algérienne du général de Gaulle. C’en était trop ! Dans une lettre vengeresse, l’abbé de Nantes protesta au nom de la morale catholique :
« L’avocat général (...) a cru trouver son argument le plus convaincant dans l’autorité de cette Église catholique dont se réclament les conjurés. Elle a soutenu la décolonisation et fait de ce sens de l’histoire l’un de ses dogmes. En s’élevant contre cette politique, les accusés ont donc “ tourné le dos ” à leur Église. La foi chrétienne rejoint le matérialisme dialectique et l’évolutionnisme démocratique pour condamner les révoltes et soubresauts des nationalistes français et pour justifier contradictoirement l’œuvre de Charles de Gaulle, lui aussi, comme on sait, fils soumis de l’Église. S’opposer à lui, c’est refuser de se soumettre à elle, donc à Dieu !
« Alors, ça, c’est insupportable. Je conteste. Je nie. Parce que si nous acceptons en silence cette réquisition de l’Église à l’appel de l’avocat de Charles de Gaulle, tous les dépouillés, tous les proscrits, tous les torturés, toutes les victimes de la politique de cet homme verront désormais l’Église à ses côtés bénissant son crime et canonisant son dessein. Le goupillon de Léon-Étienne Duval pour la mitrailleuse lourde des gardes-mobiles, avant le massacre de la rue d’Isly !... La décolonisation, loin d’être un dogme de l’Église, n’est qu’un principe révolutionnaire, raciste, barbare, générateur de subversions infinies, de misère et d’anarchie, tout comme le principe de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes. Il est urgent, à l’encontre des réquisitions honteuses de l’avocat général Gerthoffer, de répudier au nom de l’Église une, sainte, catholique, apostolique, ces faux dogmes qui ont couvert l’œuvre sanguinaire de Charles de Gaulle. Notre silence souillerait l’Église du crime de complicité. » (Lettre à mes amis n° 133, 7 mars 1963)
LE PAPE ET LE COLONEL
Las ! Un mois, jour pour jour, après le martyre du colonel Bastien-Thiry, paraissait l’encyclique “ Pacem in terris ” du pape Jean XXIII, qui traçait le tableau « d’une communauté mondiale libre, égale et fraternelle, où chaque homme et chaque peuple reçoivent tout autant qu’ils peuvent naturellement désirer, où les nations sont indépendantes et les religions, cultures et idéologies s’accordent et “ convergent ”, où il n’y a plus de peuples dominateurs et de peuples dominés, où enfin les hommes de bonne volonté désirant dans leur cœur profond la paix et l’harmonie, ayant fait litière des malentendus ancestraux et des conflits d’intérêts, soumettent leurs humeurs et leurs passions au bien suprême de la paix universelle. »
Ce programme irénique, utopique, aboutit à condamner toute défense de nos communautés historiques. Entre les deux morales qui en découlent, il faut choisir :
« Rien de plus parlant à cet égard que la comparaison de deux documents récents : la dernière encyclique du Pape et la déclaration du colonel Bastien-Thiry devant ses juges. L’une et l’autre sont d’une vigueur systématique et d’une hardiesse peu communes. Or, ils aboutissent à des conclusions diamétralement opposées pour avoir pris comme objets et règles de leur morale des réalités et des principes très différents. L’officier français servait son pays, selon les lois en vigueur et conformément aux possibilités et aux nécessités concrètes du monde où Dieu l’avait placé. Le Saint-Père prône un monde idéal et futur à construire sur la bonne volonté de tous les hommes. (...) C’est la plus formidable inimitié, instaurée au sein même de l’Église catholique romaine... »
Parce qu’il n’y a personne autre pour protester, l’abbé de Nantes portera seul le poids de cette “ inimitié ”, déclarant résolument : « Il faut qu’on sache, à Rome et à Paris, qu’il y a des reniements et des trahisons impossibles à un catholique français. Le sang de nos martyrs en fait foi. » (Lettre à mes amis n° 139, avril 1963) Ce n’est pas un hasard si, le jour où le colonel Bastien-Thiry donnait sa vie pour la France, l’abbé de Nantes recevait de son évêque l’ordre de quitter paroisses et diocèse dans les plus brefs délais. Le “ dernier fusillé ” du général de Gaulle donnait en quelque sorte la main à celui qui serait “ la première victime de la révolution conciliaire ”, qui s’opérait dans le même temps à Rome, au centre de la Chrétienté.
« Il fallait donc que se taisent les témoins de la Vérité, jusqu’au plus humble ! Les années ont passé sur ce drame affreux, mais le sang innocent crie encore vers le Ciel. Ma conscience m’est témoin qu’en ces heures tragiques je n’ai pas failli, quoiqu’il m’en ait coûté, à mon devoir de prêtre de Jésus-Christ. » (Lettre à Mgr Le Couëdic, 19 décembre 1965, Lettre à mes amis n° 220, p. 2)
DANS LA JUSTICE ET LA VÉRITÉ
Un an plus tard, en juillet 1964, au plus fort de son combat contre la Réforme de l’Église, l’abbé de Nantes revenait sur le drame algérien. De l’autre côté de la Méditerranée, c’était alors le chaos, la misère due à l’effondrement de l’économie et au chômage, l’émigration en masse vers la France, les rivalités politiques entre clans. (...)
« Aveugles, sourds aux suites amères de leur machiavélisme enfantin, les prêtres de la religion nouvelle continuent à exalter l’oppresseur et verser leurs hautes calomnies sur les vaincus. (...)
« Je suis en ce moment l’avocat des vaincus, des suppliciés, des proscrits, auprès du tribunal de l’Église. Je suis prêt à rouvrir leurs dossiers, à examiner de nouveau, en toute liberté et charité bien entendu, à la lumière de notre morale catholique, immuable et sans faille, le grand dossier de l’Algérie française, de ses colons, de ses soldats, de ses harkis. En face de l’abbé Davezies et de la Denise Walbert du Père Congar, qui aidaient le fln au nom de l’Évangile, je présenterai le capitaine Le Pivain, mon ami, le héros le plus pur sans doute de l’OAS, ses compagnons n’en doutent pas. Trahi par l’un des siens, tombé aux mains des gardes mobiles dans un barrage de rues, sans armes, il a été abattu là, prisonnier de ses propres frères, en vertu d’ordres supérieurs. Il y a des hommes qu’un État ne peut se permettre de juger régulièrement, par peur de leur pureté, de leur grandeur ! Il a tiré son chapelet de sa poche puis il s’est affaissé lentement, le visage calme, l’âme en paix avec Dieu, sur ce sol qu’il avait juré de garder à la France. (...)
« Oui, il y a encore un avenir pour nous, mérité par le sang de nos frères ! Gardons la foi, l’espérance et la charité. » (Lettre à mes amis n° 175, 1er juillet 1964)
NOUS Y RETOURNERONS...
En quittant pour toujours le sol algérien, Robert Martel, qui avait tant fait pour le garder à la France, en prit l’engagement : « Tout en récitant ma prière d’homme traqué qui avait tout perdu, je pensais : Je reviendrai. Et il est bien certain que, dans le même temps, beaucoup de musulmans qui nous aimaient songeaient : Ils reviendront. (...) » (La Contrerévolution en Algérie, 1972, p. 611)
L’abbé de Nantes, lui aussi, a annoncé ce retour, mais en précisant qu’il faudrait auparavant renier les faux principes au nom desquels nous avons trahi notre vocation missionnaire et coloniale et fait le malheur des peuples dont nous avions reçu la charge providentielle.
« Si toutes les relations humaines sont justiciables de la dialectique hégélienne du maître et de l’esclave, alors nous ne pouvons instaurer de relations d’homme à homme ou de peuple à peuple, de sujétion, de patronage, de protectorat, etc., sans y mêler quelque levain d’injustice et de haine qui tôt ou tard les empoisonnera et dissoudra. Si en revanche ces relations humaines relèvent, nonobstant toutes les imperfections et injustices inévitables, de la révélation évangélique du Père et du Fils dans un même Esprit-Saint de charité, ces rapports humains sont dignes et justes, féconds et fondateurs de communautés durables et paisibles...
« Il faut accuser la République d’avoir semé la révolte et d’avoir enseigné aux peuples colonisés comme aux masses prolétariennes la haine de la vraie France et le mépris de sa Religion. Aux peuples coloniaux nous avons ainsi arraché la France, sa civilisation, sa religion, son culte du vrai Dieu, au nom de la Liberté et du Droit ! Mais nous leur avons laissé pour trace de notre passage le chancre du matérialisme, la démocratie, le laïcisme, le culte de l’homme ! Nous les avons frustrés du meilleur de la colonisation et nous leur avons laissé le pire. Il ne faut pas conclure : Ah ! ce n’était vraiment pas la peine... Si, c’était la peine, tant de peines, tant de sang ! Mais il aurait mieux valu, il vaudra mieux demain y aller au nom de la France catholique, pour convertir et civiliser ces peuples lointains au Nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que de les subjuguer pour les rejeter ensuite, au nom de la Liberté, l’Égalité et la Fraternité républicaines, divinités barbares et sanglantes, qui font le malheur des peuples et la damnation éternelle des âmes partout où elles règnent. » (CRC n° 107, La France coloniale catholique, juillet 1976)
frère Bruno de Jésus
Extraits de Il est ressuscité ! n° 60, août 2007, p. 20-28