LA GUERRE D'ALGÉRIE
VIII. LA PROVINCE MARTYRE (1962)
D EPUIS trois ans, le plan du général de Gaulle s’accomplissait, conduisant d’une manière implacable au but désiré : l’indépendance de l’Algérie. Peu à peu, le masque des discours trompeurs tombait et l’angoisse des plus lucides augmentait. Le calme régnait encore dans nos départements français d’Afrique du Nord, où l’armée continuait à assurer son office. En un an pourtant, l’abandon de notre belle Algérie serait consommé. D’avril 1961 à mars 1962, les négociations engagées par le gouvernement français avec la rébellion algérienne se solderaient par la victoire des pires. (...)
En effet, fort du résultat du référendum du 8 janvier 1961, qui préparait l’accession du FLN au pouvoir, de Gaulle dévoila son intention de reprendre les pourparlers avec le GPRA de Tunis. Les premières entrevues se déroulèrent en février à Lucerne, en Suisse (...). L’ouverture des négociations, annoncée le 11 avril par un discours du chef de l’État, eut pour conséquence immédiate le déclenchement du coup de force d’Alger, le 22 avril. Nous en avons dit les mobiles et les fautes. (cf. Il est ressuscité ! n° 58, juin 2007, p. 25-26) (...)
SOUS LA TERREUR
L’échec des généraux permit au général de Gaulle, en vertu de l’article 16 de la Constitution, de mettre Alger en état de siège et d’achever d’épurer l’armée et l’administration de tous les éléments hostiles à sa politique. Plusieurs régiments furent dissous, deux cent vingt officiers mis aux arrêts de rigueur. Dans l’Algérois, deux cents fonctionnaires, vingt-sept conseillers généraux et douze maires furent suspendus, tandis qu’à Oran, cent quinze crs étaient arrêtés. L’Écho d’Alger et la Dernière heure furent frappés d’interdiction. Le libéral Journal d’Alger continua à publier les mensonges officiels sans crainte de démenti !
Chaque soir, des quartiers d’Alger étaient bouclés par un dispositif policier et militaire considérable. L’église Sainte-Marie fut fouillée. Les appartements étaient perquisitionnés sans mandat. On compta, en quelques jours, des centaines d’arrestations. On retrouvait ensuite, à l’hôpital Mustapha, certains “ suspects ” ayant subi de terribles sévices.
Mgr Duval jeta l’opprobre sur ces officiers “ perdus ”, en écrivant, le 26 avril, à ses diocésains :
« Je vous avais dit dans ma dernière lettre de Carême : “ De faux prophètes viendront à vous et vous proposeront, non la vérité, mais des flatteries et des illusions.” Malgré les circonstances tragiques et de dangereuses sollicitations, les égarés prêts à employer n’importe quel moyen n’ont été qu’une faible minorité... C’est l’amour fraternel, avec tout ce qu’il comporte de respect pour la personne humaine, pour toute personne humaine, qui vous permettra de vous mettre au service de l’Algérie qui a besoin de vous. La meilleure garantie de vos droits, c’est votre volonté de coopérer à la construction de l’Algérie. »
Coopérer avec qui ? Avec un gouvernement d’abandon, faisant le lit du FLN ? Cette mise en garde provoqua l’indignation de nombreux fidèles. Plusieurs curés d’Alger refusèrent de la lire en chaire. (...)
Les Algérois se livrèrent, après le couvre-feu, à de tumultueux concerts sur le rythme Al-gé-rie fran-çaise ! Les femmes frappaient en cadence sur leurs casseroles. C’était un tohu-bohu énorme, assourdissant. La ville, meurtrie, hurlait sa volonté de vivre.
UNE PARTIE INÉGALE
Les négociations qui s’ouvrirent le 20 mai 1961 à Évian étaient assorties du côté français des mesures les plus libérales : transfert au château de Turquant de Ben Bella et des criminels emprisonnés avec lui, libération de six mille détenus et surtout, en Algérie, interruption unilatérale des opérations militaires offensives. Le nouveau commandant en chef, le général Charles Ailleret, un technicien plutôt qu’un familier du champ de bataille, fut chargé de planifier le désengagement militaire français. Dès le mois de juin, le gros des paras regagnait la métropole.
L’A.L.N. se garda bien, de son côté, d’observer la trêve. Les bandes rebelles se reconstituèrent en toute impunité, jouant la plupart du temps sur des désertions, que l’issue visiblement inéluctable de la guerre favorisait, et sur une recrudescence du terrorisme, frappant aveuglément européens ou musulmans récalcitrants.
À Évian, comme les envoyés du FLN jouaient de la surenchère, la conférence fut suspendue le 13 juin. (...)
En fait, la partie était inégale, dès lors que Paris se montrait plus impatient de mettre un terme au conflit que le GPRA, et que ce dernier avait déjà signé, au mois de mars précédent, un “ protocole de coopération ” avec l’Urss, préparant la soviétisation de l’Algérie et du Maghreb. Les entretiens reprirent donc le 20 juillet, mais achoppèrent de nouveau sur la question du Sahara et les richesses de son sous-sol que le FLN convoitait. (...)
Le 5 septembre, de Gaulle lâchait du lest en reconnaissant que le Sahara ferait partie de l’Algérie nouvelle...
Mais pour se « désengager », il lui fallait réduire jusqu’au dernier ceux qui, pour défendre leur terre et par fidélité à leur serment, refusaient pareille trahison.
L’ORGANISATION DE L’ARMÉE SECRÈTE
Au lendemain de l’échec du “ putsch ”, le général Salan avait plongé dans la clandestinité. Le 28 mai, il lançait une proclamation : « D’un coin très cher de cette terre française où je me trouve par la grâce de Dieu, après les péripéties douloureuses des journées d’avril, sollicité par l’ensemble des mouvements nationaux d’Algérie, j’ai décidé de prendre la tête de la résistance à la politique d’abandon... Moi, général d’armée Raoul Salan, ancien commandant en chef civil et militaire en Algérie, prends le commandement suprême du grand mouvement de rénovation nationale. J’ai décidé de réunir tous les patriotes dans un front de combat, sous la devise “ Algérie française ou mourir ! ”
« Lorsque j’eus la conviction que j’avais été, le 13 mai 1958, la dupe d’une comédie affreuse et sacrilège, déclarera-t-il à son procès, je me suis senti engagé devant ma conscience, devant mes pairs, devant ma patrie et devant Dieu. À aucun prix, je ne pouvais admettre d’être considéré comme le complice du général de Gaulle dans le martyre de l’Algérie française et dans sa livraison à l’ennemi. Si j’avais trompé le peuple d’Algérie et l’armée en criant : “ Vive de Gaulle”, c’est parce que j’avais été trompé moi-même. Mais celui qui fut commandant en chef se doit de réparer, fût-ce au prix d’une vie dont il a consenti le sacrifice en entrant à Saint-Cyr. La réparation, c’était d’abord de demeurer au milieu de ce peuple. » Langage digne du maréchal Pétain !
Conseillé par Robert Martel, Salan comptait déclencher, au début de l’été 1961, une insurrection avec des militaires de Boufarik et des colons de la Mitidja. Il espérait encore faire basculer l’armée contre de Gaulle. Mais il devait compter aussi avec l’OAS, l’Organisation de l’Armée Secrète, fondée en février 1961 à Madrid par Pierre Lagaillarde et Jean-Jacques Susini, tous deux anciens présidents des étudiants d’Alger. Un comité OAS s’était formé à Alger dans les derniers jours d’avril, dirigé par l’inquiétant Susini et l’entreprenant Godard.
Ancien maquisard du plateau des Glières, le colonel Yves Godard avait participé à la bataille d’Alger en tant que chef d’état-major du général Massu. Homme de sang-froid et d’astuce, formé à l’école du renseignement, il voulait développer l’oas en lui donnant des structures calquées sur celles du fln. Le 4 juin 1961, il présenta au général Salan un organigramme tout théorique destiné à quadriller la ville d’Alger. Son dessein était d’encadrer la population et de mener une guerre révolutionnaire, c’est-à-dire des actions terroristes contre le fln et contre les autorités gaullistes.
À vrai dire, des membres de l’OAS opéraient déjà des attentats, sous forme d’explosions de charges de plastic. Il s’agissait d’intimider l’adversaire : agents du pouvoir, rebelles FLN, Européens communistes ou libéraux. On visait, du moins dans un premier temps, leurs biens : les domiciles, les véhicules, les magasins, les ateliers.
De son côté, le lieutenant Degueldre, un ancien du 1er REP, organisait dans Alger les “ commandos Delta ”. Entré à dix-sept ans dans les maquis ftp, Degueldre s’était engagé, en 1945, dans la Légion étrangère. Son courage au feu, tant en Indochine qu’en Algérie, lui avait valu de monter du rang, ce qui est exceptionnel à la Légion. Au lendemain de l’échec de Challe, il confia au capitaine Sergent : « Le FLNs’est imposé par la violence. Grâce à elle, il est devenu un interlocuteur valable pour le gouvernement français. À présent, seule la violence nous donnera la parole. » Non ! Le fln était devenu un “ interlocuteur valable ”, parce que de Gaulle et, avant lui, les politiciens de la IVe, étaient acquis à l’indépendance, et que celle-ci bénéficiait d’un soutien considérable sur le plan international.
Le 24 juin 1961, le capitaine Ferrandi, aide de camp du général Salan, notait : « L’état-major de l’oas d’Alger a décidé de multiplier les “ opérations ponctuelles ” : celles-ci devront prendre pour objectif essentiel l’appareil de répression dirigé contre nous, ceux qui le conduisent et ceux qui l’aident. Nous nous engageons sur une pente redoutable. Qui tracera les limites et les lignes d’arrêt ? Saurons-nous résister à l’inévitable entraînement de la violence ? Parviendrons-nous à la contrôler, à la guider, à la maintenir dans les limites que nous lui fixons aujourd’hui ? » (2600 jours avec Salan et l’OAS, 1969, p. 162)
DE GAULLE - FLN, MÊME COMBAT
Quand la complicité du pouvoir avec les fellaghas devint patente, surtout lors de la trêve unilatérale, qui provoqua une recrudescence des exactions et des attentats du fln, c’est sur deux fronts que l’OAS dut se battre. La répression de l’État poursuivait tous ceux qui étaient suspects de sympathie pour l’Organisation. Quand ces “ suspects ” tombaient entre les mains des policiers de la Mission C aux “ Tagarins ”, des gendarmes mobiles à l’École de police d’Hussein-Dey, ou des barbouzes dans leurs villas, ils subissaient des interrogatoires et des sévices qui « reculèrent les limites de la cruauté », dira Salan. (...)
Dans ces conditions, on comprend que les commandos OAS, sous les ordres du lieutenant Degueldre, menèrent une lutte acharnée, notamment contre les barbouzes. Mais le recours au terrorisme fut une faute grave dont le résultat fut de souiller aux yeux de la métropole la juste cause de l’Algérie française. Ce n’est pas avec des moyens révolutionnaires et immoraux qu’on sauve une œuvre morale comme était la communauté française d’Algérie.
LÉGITIME DÉFENSE OU TERRORISME ?
« (...) La faute de l’oas, écrit Rieunier, est d’avoir répondu au gaullisme avec ses propres armes. La chevalerie mettait autrefois la violence au service des faibles et des opprimés, mais elle avait pris soin d’en définir les règles et les limites. L’oas était sans tache par la cause qu’elle défendait. Elle ne l’est pas restée par les méthodes qu’elle a utilisées. Mais les méthodes dont se sont servis en 1962 les chefs ou les soldats de l’oas leur ont été enseignées par de Gaulle au micro de Londres. (...) » (Réquisitoire contre le mensonge, p. 302-303)
Il faut dire aussi que l’Armée secrète, comme tous les mouvements clandestins, fut très vite infiltrée par la police et par des « barbouzes », recrutés en métropole dans le “ milieu ”, et envoyés en Algérie pour noyauter, provoquer, enlever ou assassiner les nationaux. (...)
Notre Père, alors curé de Villemaur, était favorable à l’oas pour sa défense de l’Algérie française, tout en réprouvant les moyens qu’elle utilisait, qu’il ne comprenait pas. Arrêté et placé en garde à vue au mois de mars 1962 par les pouvoirs gaulliste et épiscopal odieusement concertés, il précisa sa position dans une lettre à l’intention des frères de la communauté :
« Alors, voyons clair : qui a commencé, qui a attaqué les personnes et menacé le bien commun ? Le FLN que je juge criminel dans sa fin essentielle et dans ses méthodes. Jamais, au grand jamais, la morale chrétienne ne peut permettre ni de les amnistier ni de leur donner ce qu’ils réclament, au détriment des populations tranquilles qu’ils terrorisent depuis tant d’années. Deuxièmement, le Pouvoir est condamnable pour avoir manqué au bien commun en se libérant de sa charge suprême qui est la sauvegarde des personnes et des biens, en même temps que du bien commun national. Inconstitutionnel, illégitime, immoral, il est et il demeure quand il veut et accomplit sa trahison de livraison de l’Algérie au FLN. Que les démocrates invoquent la volonté populaire ne rime à rien en morale : le pouvoir est le premier responsable de ses actes devant Dieu, et la masse, trompée, ahurie, n’est que seconde responsable du crime, dans la mesure où elle sait ce qu’elle fait. Plus gravement responsables sont les élites sociales, en tout premier lieu la hiérarchie et le clergé qui laissent régner le mensonge, la terreur et autres armes du Pouvoir pour paralyser toute opposition au mal qu’il médite et exécute. L’Église est au-dessus des tyrans et indépendante de la “ volonté démocratique”.
« Alors l’OAS? Elle a strictement le droit de légitime défense individuelle et collective, puisque c’est la communauté française d’Algérie tout entière qui est trahie et livrée.Elle en a le droit, hélas ! contre tout adversaire, en premier lieu l’État et ses instruments de violence, en deuxième lieu leflnet les barbouzes, enfin contre le peuple de la métropole, l’armée, le clergé et tout ce qui pactise avec ses adversaires. L’oas comme instrument de défense de la vie et des droits sacrés des Algériens est en pleine légitimité. Ce n’est pas dire que toute action de violence soit pour autant acceptable à la conscience morale. Chacun demeure responsable de ses actes et des actes qu’il ordonne de commettre. »
Et l’abbé de Nantes concluait : « Je me désolidarise d’un clergé qui, soit par aveuglement, soit par lâcheté, soit par idéologie démocratique, libérale ou révolutionnaire, prend fait et cause pour le fln musulman, pour le communisme mondial, pour le pouvoir qui trahit, qui torture, qui ment et qui corrompt tout ; contre des Français et des chrétiens qui veulent demeurer libres sur une terre française et chrétienne. Que Dieu nous aide dans ce triste combat. » (Lettre du 24 mars 1962)
Il sauvait ainsi l’honneur de l’Église de France, dont la hiérarchie était alors du côté de la force et du pouvoir, contre les vaincus, au mépris du droit et de la morale.
VIOLENCE À LA LOI DE DIEU ET À LA CHARITÉ FRATERNELLE
À l’issue de leur session d’automne, qui se tint à Paris du 11 au 13 octobre 1961, l’Assemblée des cardinaux et archevêques de France publia une « déclaration sur la violence devant la loi de Dieu », qui condamnait de façon catégorique l’usage de la violence, « d’où qu’elle vienne ».
L’abbé de Nantes en rédigea une réfutation vigoureuse que nulle revue n’eut le courage de publier. Il y reviendra six mois plus tard, en remontant aux causes :
« Quand les communistes et leurs complices assassinaient en 1944, on les excusait et les couvrait. Quand s’y mirent les viets et les fellaghas, personne ne se trouva pour les condamner fermement et appeler la France à la juste guerre, le monde chrétien à la Croisade. Les assassins étaient bouddhistes ou musulmans ; l’Église, disait-on, n’avait pas à les condamner. Cependant on remarqua bientôt à leurs côtés une cohorte de militants et de prêtres voués au triomphe de leur “ Idéal ”. Belle promotion de Judas ! Puis, un beau jour, tout ce qui parle et écrit dans l’Église de France commença à exalter à l’égal d’un commandement de Dieu le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, cette invention orgueilleuse et sanglante de la Révolution. Nous en arrivâmes ainsi, de compromissions en trahisons, au bout de dix-huit ans de tolérance à l’égard des ennemis déclarés de Dieu et de la Patrie, à ce scandale de 1961 où nous fut enseignée une nouvelle doctrine morale, jamais entendue encore dans l’Église : toute violence était condamnable, tout emploi de la force était intrinsèquement mauvais, sans distinction de l’agresseur et de l’agressé, sans reconnaissance de la légitime défense ni du combat d’une juste guerre. La paix devait nous tomber du ciel par la trêve unilatérale et l'“ amour ” inconditionnel de l’égorgeur impénitent. Haute folie dont l’application la plus sûre était de délivrer un mandat d’amener contre les plus purs, les plus innocents de nos colons et de nos soldats, et de donner l’amnistie cléricale à Yacef Saadi et à ses bandes d’égorgeurs. » (Lettre à mes amis n° 109, mai 1962)
Si notre Père fut le seul en France à dénoncer la trahison des pasteurs hurlant avec les loups, il en allait autrement en Algérie. « À Oran, raconte le général Jouhaud, le clergé catholique nous soutenait moralement, et même quelques prêtres s’étaient engagés dans l’action, estimant qu’à partir du moment où l’on approuve une révolte, il faut y participer. »
LE SACRIFICE D’UN HÉROS
Muté en Allemagne en juin 1961, le capitaine Philippe Le Pivain avait peu de temps après rallié l’oas, avec la permission de son père, l’amiral Le Pivain. Pour cette cause “ perdue ”, – mais rien n’est perdu quand l’honneur et la charité sont en cause ! –, ce jeune officier de trente-deux ans, d’une intelligence, d’une bravoure et d’une pureté de sentiments qui forçaient l’admiration de tous, sacrifia carrière, réputation et famille. Jacques Achard, chef des commandos Delta de Bab-el-Oued, écrit : « Le capitaine Le Pivain inondait son prochain de la révélation qui l’habitait : sa foi catholique. » Peu de temps avant de mourir, il confiait à un ami son intention d’entrer au monastère.
Le général Salan lui confia le secteur de Maison-Carrée, dans la banlieue d’Alger. Le Pivain fit peindre sur les murs d’immenses inscriptions : « Aimons-nous les uns les autres. OAS. Salan. » Dans son secteur, une école où se côtoyaient musulmans et chrétiens subissait, chaque semaine, un attentat. Le Pivain repéra les fellaghas, les exécuta, et la paix revint.
Le 6 février 1962, le capitaine fut averti par un adjudant de gendarmerie qu’il était trahi. Ne voulant pas différer le rendez-vous qu’il avait pris sur ordre de Salan avec des chefs d’unités territoriales il s’y rendit le lendemain, 7 février. Mais, à Belcourt, rue Jacques Grégori, sa voiture fut stoppée par un barrage. À peine en était-il descendu qu’un garde mobile l’abattit à bout portant d’une balle dans le dos. Il s’affaissa, le chapelet à la main, et expira.
« Il y a des hommes, écrira notre Père, qu’un État ne peut se permettre de juger régulièrement, par peur de leur pureté, de leur grandeur. » Et madame Salan confiera : « La seule fois que j’ai vu mon mari pleurer, ce fut après la mort du capitaine Le Pivain. »
L’endroit où il était tombé devint un lieu de pèlerinage, malgré les CRS qui retiraient les fleurs, les cierges, et détruisaient la plaque “ rue capitaine Le Pivain ”, chaque fois que les Algérois la fixaient au mur. Le 12 février, pendant que la messe des funérailles se déroulait dans la chapelle de l’hôpital Mustapha, une foule immense priait dehors en récitant le chapelet. Plus de cent mille personnes suivirent le convoi funèbre jusqu’au cimetière. (...)
18 MARS 1962 : LA CAPITULATION D’ÉVIAN
Au nouvel An, le général de Gaulle avait annoncé que la France entendait en finir avec l’Algérie « d’une manière ou d’une autre », et que l’armée serait ramenée en Europe dans l’année même. Promesse démagogique, qui suscita un lâche soulagement au sein des familles dont le fils servait en Algérie. Pourtant, loin de cesser, les attentats du fln redoublaient : ils se soldaient en mars par une trentaine de morts et une quarantaine de blessés chaque jour ! Mais de cela, de Gaulle n’avait cure. Pour lui, le fruit était mûr pour une négociation générale. Une rencontre secrète eut lieu en février, (...) préparant l’ultime phase de la négociation qui se déroula à Évian du 7 au 18 mars.
À noter la présence à Genève de deux cents experts et économistes chinois, réunis pour la Conférence des Quatorze sur l’avenir du Laos, qui ne se privèrent pas de venir à Évian “ conseiller ” les Algériens. Le 18 mars, de Gaulle, ayant satisfait toutes les revendications du fln, concluait avec l’ennemi « la plus honteuse capitulation de notre histoire », dira l’abbé de Nantes. Le cessez-le-feu était décrété pour le 19 mars, à 12 heures. (...)
Mais le 23 mars, un prélat de la secrétairerie d’État au Vatican télégraphiait à Mgr Duval : « Deo gratias ! »
Tandis que Ben Bella et ses auxiliaires, libérés, quittaient le château d’Aulnoye, des milliers de fellaghas sortaient des prisons françaises ou de leur exil tunisien pour rentrer en Algérie, afin de participer à sa « libération », ou plutôt son quadrillage. Au jour de l’indépendance, l’Algérie sera totalement encadrée, des villes aux plus petits villages, par les éléments de l’aln, eux-mêmes surveillés par leurs chefs politiques. Alors se jouera le sort des musulmans fidèles à la France pris dans la nasse comme un gibier confiant. Aucune garantie, dans les textes d’Évian, n’assurait leur protection.
Les Français de métropole se prononcèrent par référendum, le 8 avril suivant, ceux d’Algérie étant exclus de la consultation ! (...) Comme il fallait s’y attendre, le référendum du 8 avril ratifia l’indépendance de l’Algérie par 64 % des inscrits. En Algérie, le vote n’aura lieu que le 1er juillet 1962, sous l’empire de la terreur FLN.
Durant trois mois, on a honte d’écrire cela, c’est avec le concours de l’armée française, de l’administration, des forces de polices et aussi de l’argent des contribuables français, qu’un “ Exécutif provisoire ” fantoche, formé de bandits et de souteneurs installés au Rocher noir, à quelques kilomètres d’Alger, prit possession de tous les rouages du pays, sous la direction du franc-maçon Abdherramane Farès. Le pouvoir sortant et les nouveaux arrivants avaient le même ennemi : le Français d’Algérie. (...)
LE MASSACRE DE LA RUE D’ISLY
L’OAS conçut alors le projet de contrôler le quartier européen et populaire de Bab-el-Oued, afin de protéger ses habitants contre les incursions des terroristes FLN. L’opération fut déclenchée le 23 mars 1962. Un commando de l’Organisation y désarma sans violence une patrouille de l’armée française. Puis une deuxième. Comme les soldats protestaient, on leur restitua leurs armes. À la troisième rencontre, une fusillade éclata : un officier et cinq hommes de troupe furent tués.
Bonne occasion pour le pouvoir de briser la résistance des pieds-noirs. Les gendarmes mobiles bouclèrent aussitôt le quartier et y pénétrèrent avec leurs blindés, écrasant tout sur leur passage. « Le canon tonnait, raconte Francine Dessaigne, la ville entière tremblait. Les avions T 6 apparurent. Ils tournaient, piquaient, tiraient vers les terrasses et recommençaient. » Le couvre-feu fut décrété. Complètement isolé, privé d’électricité, le quartier n’était plus ravitaillé. Selon le chiffre officiel, 7 148 appartements furent perquisitionnés et saccagés !
Sous prétexte de rechercher des armes, les gendarmes mobiles insultaient et brutalisaient cette population laborieuse, salissant, dégradant ignominieusement tout ce qui la rattachait à la France, en particulier les drapeaux. « Vous n’avez plus besoin de drapeaux, leur disaient-ils, vous n’êtes plus Français. » (...)
Le 26 mars, le colonel Vaudrey, de l’oas, appela les Algérois à « une manifestation de masse, pacifique et unanime, sans arme et sans cri », pour protester contre le blocus de Bab-el-Oued. Le rendez-vous fut fixé à 15 h, place de la Grande-Poste. La manifestation devait se diriger vers Bab-el-Oued en empruntant la rue d’Isly. Là, leur était préparé un traquenard diabolique.
André Levy témoigne : « J’étais au balcon du troisième étage, chez moi. Tout était calme et la foule grossissait. Il régnait en bas l’impression d’une kermesse, des femmes embrassaient les militaires en leur disant : “ Nous sommes Français et voulons le demeurer, laissez-nous passer. ” Et ça passait. »
Mon père, Georges Busson, arriva devant la Grande-Poste à 14 h 30. À l’entrée de la rue d’Isly, il vit un barrage constitué de jeunes militaires arabes, visages tendus, dotés de leur équipement de campagne : casques lourds, fusils mitrailleurs, et commandés par un lieutenant d’origine kabyle, Ouchène Daoud, dans un état d’excitation indescriptible. Papa lui expliqua le caractère pacifique de la manifestation qui voulait simplement obtenir la levée du bouclage de Bab-el-Oued. Mais le lieutenant ne l’écoutait pas, il regardait sans cesse sa montre, et suppliait les manifestants de partir.
Cette section appartenait au 4e régiment de tirailleurs, qui n’aurait pas dû être là, dans le dispositif. Le général Ailleret, commandant en chef en Algérie, avait envoyé le 17 mars une note au Corps d’armée d’Alger, interdisant l’emploi des tirailleurs musulmans pour le maintien de l’ordre en ville. Il les savait capables de tirer sur la population européenne pour obtenir l’indulgence des futurs maîtres du pouvoir. Ce fut le préfet de police, Vitalis Cros, qui les fit venir à Alger et qui les plaça ce jour-là, à cette heure-là, à l’entrée de la rue d’Isly. « J’avais tous les militaires sous ma réquisition. J’ai échangé des coups de téléphone avec Michel Debré et même avec le président de la République », dira-t-il.
À 14 h 50, mon père était déjà engagé dans la rue d’Isly, avec les premiers groupes de manifestants, quand il entendit, derrière lui, le crépitement d’armes automatiques. « Tout à coup, déclarera un témoin, sans qu’aucun coup de feu ait été tiré, sans aucune provocation de la foule, un des tirailleurs tira sans sommation une longue rafale de son arme, fauchant des dizaines de personnes. »
« La foule se dispersa et les gens s’éloignèrent du barrage en courant, raconte Gilbert Alcaydé. De nombreuses personnes, dont des femmes et des enfants, tentèrent de se mettre à l’abri dans l’embrasure de la porte d’accès au Crédit foncier : c’est sur elles que le feu se concentra d’abord et les corps tombèrent les uns sur les autres jusqu’à ne faire plus qu’un amas sanglant. Pendant de brefs instants, le tir des armes automatiques se faisait moins intense : cette pause apparente correspondait au temps nécessaire à leur réapprovisionnement. (...) »
« Ma famille, témoigne Christiane Rey, se jeta à terre. Ma mère se mit à réciter l’Ave Maria de toutes ses forces. Des voix l’encouragèrent : “ Priez, madame, priez pour nous ! Nous, on ne peut pas. ” Une fillette se plaignait d’une toute petite voix : “ Je suis blessée, j’ai mal au ventre, je vais mourir ! ” Maman la rassura : “ C’est la peur. Moi aussi j’ai mal au ventre ! ” Mais la voix enfantine se tut... pour toujours. Mon père s’était retourné sur le dos. Un vieux réflexe lui revenait : “ Un officier doit voir ce qui se passe. ” Et il vit... des soldats qui arrosaient la foule couchée, systématiquement et longuement, de droite à gauche, et de gauche à droite. Il vit le sang qui éclaboussait les murs et peu à peu, s’étendait en flaques poisseuses. Il entendait les hurlements de peur et de douleur, les plaintes et les prières de ceux qui demandaient pitié. »
L’enregistrement de la fusillade et de ces supplications sera diffusé, le soir même, une seule fois et pas deux, sur Europe n° 1. Il faut entendre ces cris : « Halte au feu ! Mon lieutenant, criez halte au feu ! » Le feu dura néanmoins près d’un quart d’heure. Un témoin, Daniel Pons, raconte : « Après que le tir eut cessé, j’ai pu voir des gens se relever et sur lesquels on a tiré à nouveau, en particulier deux jeunes filles passèrent devant moi les bras en l’air, et elles furent mitraillées. » (...)
On dénombra, d’après les autorités gaullistes, 45 morts et 150 blessés. Il y eut en réalité 85 morts et plus de 200 blessés.
Un témoin du massacre, le colonel Bosviel, écrit : « On a parlé d’affolement de la troupe. Ce n’est pas vrai. Les tirailleurs savaient pertinemment ce qu’ils faisaient. Je les ai commandés pendant plus de trente ans et je connais leur comportement. On leur avait certainement dit qu’on allait à cette manifestation et que l’on tirerait sur la foule. » Juste avant l’ouverture du feu, rue d’Isly, Émile Duzer, colonel des affaires musulmanes en retraite, a entendu les tirailleurs musulmans parler entre eux : « L’un dit en arabe : “ Allez ! Tirez sur les chrétiens. ” Et un autre : “ On nous a dit : Tirez sur les chrétiens. ” »
Le 3 avril 1962, lors de la réunion du Comité des affaires algériennes, de Gaulle déclarera qu’il était « indispensable d’avoir tiré pour disperser les charmes (sic !) ». Et Pierre Messmer, son ministre de la Défense, ajoutera, tout aussi cyniquement : « Peut-être n’y avait-il pas d’autre façon de sceller le grand livre, fermé quelques jours plus tôt par les accords d’Évian. »
JOURNAL D’UNE AGONIE
Les Algérois qui furent tués lors de ce massacre n’eurent pas droit à des funérailles dans les églises d’Alger, par décision de Mgr Duval. (...)
Malgré l’engagement pro-fln de leur archevêque, la plupart des curés de paroisse partageaient les sentiments et les souffrances de leurs ouailles. Marie-Jeanne Rey, alors jeune institutrice, se souvient des cérémonies religieuses en l’église Sainte-Marie Saint-Charles :
« Il y avait foule. Depuis que le destin les malmenait, beaucoup de nos concitoyens avaient retrouvé le besoin de la prière en commun. La messe du dimanche devenait poignante [...]. Chaque semaine, l’assistance nous apparaissait un peu plus clairsemée et abattue. Le curé faisait ses adieux aux partants et les couvrait de recommandations affectueuses. Ceux qui s’exilaient savaient ce qu’ils perdaient en quittant cette église. Nulle part ailleurs nous ne retrouverions cette compréhension profonde, cet amour vrai, qui nous avait tant aidés. » (Mémoires d’une écorchée vive, 1987, p. 217 et 413)
Oran, où l’OAS était très implantée, connaissait elle aussi des journées tragiques. Dans cette grande ville, les forces gaullistes n’arrivaient pas à s’emparer du poste émetteur de la radio-OAS. (...)
Le 25 mars 1962, tandis que les fellaghas profanaient et pillaient une église au quartier des Planteurs, les blindés des gendarmes mobiles se dirigeaient vers le poste émetteur repéré par hélicoptère. Les commandos de l’oas bloquèrent la colonne. Un de leurs chefs, mis en présence d’un capitaine, déclara : « Je suis musulman. Mon père est bachaga et officier de la Légion d’honneur. Votre gouvernement nous a trompés. Je mourrai français ici même. » Le capitaine, bouleversé, le laissa filer. Mais, le même jour, le général Jouhaud était arrêté. L’OAS d’Oran était décapitée.
Le 29 mars, lors du service funèbre célébré à la cathédrale en présence de Mgr Lacaste, évêque d’Oran, l’archiprêtre, le chanoine Carmouze, évoqua, avec émotion, « ceux qui sont morts afin que l’Algérie demeure française et chrétienne, idéal qui, je crois, n’est pas interdit pour ceux qui ont fait ce pays, pour ceux qui l’ont fécondé ». Et d’inviter les fidèles à prier « pour que l’Algérie reste toujours animée par un idéal français et chrétien ». Le 10 mai 1962, l’archiprêtre, « dont la bonté, écrit le bachaga Boualam, était légendaire chez les musulmans », était arrêté en pleine nuit et placé en internement administratif.
Le 14 mai 1962, dans plusieurs quartiers européens d’Alger, des commandos d’hommes armés mitraillèrent des cafés et des passants dans les rues. Bilan : vingt morts, soixante blessés. Aussitôt, la presse métropolitaine prétendit qu’il s’agissait d’une provocation OAS. (...)
JUSTICE D’EXCEPTION POUR L’OAS
Le général Salan fut arrêté par traîtrise, à Alger, le Vendredi saint 20 avril. Lui et Jouhaud furent jugés par un Haut tribunal militaire institué par de Gaulle le 27 avril 1961. Il suffisait, pour y déférer un accusé, d’un décret du pouvoir exécutif. (...)
Après un simulacre d’instruction et trois audiences bâclées, le Haut tribunal militaire condamna à mort le général Jouhaud, le 13 avril 1962. De Gaulle attendra le 28 novembre pour André Levy témoignecommuer la peine en détention perpétuelle. Pendant sept mois, le général Jouhaud s’attendait chaque matin à ce qu’on vienne le chercher pour l’exécuter !
Le procès du général Salan s’ouvrit le 15 mai 1962. « Je suis le chef de l’oas, déclara-t-il. Ma responsabilité est donc entière. Je la revendique, n’entendant pas m’écarter d’une ligne de conduite qui fut la mienne pendant quarante-deux ans de commandement. (...)
« Je n’ai de compte à rendre qu’à ceux qui souffrent et à ceux qui meurent pour avoir cru à la parole donnée, aux engagements pris. »
Défendu par maître Tixier-Vignancour, Salan garda ensuite le silence durant tout son procès. (...)
À la surprise générale, le Haut tribunal militaire accorda au général Salan, le 23 mai 1962, les circonstances atténuantes. Furieux que le tribunal n’ait pas obtempéré à ses ordres en condamnant à mort le chef de l’OAS, de Gaulle n’hésita pas à le dissoudre et à le remplacer, le 30 mai, par une “ Cour militaire de justice ”, obligeant le général de Larminat, ancien des FFL et compagnon de la Libération, à présider ce nouveau tribunal d’exception. Larminat se déroba, se faisant hospitaliser la veille de l’audience où il devait juger le lieutenant Degueldre, et se suicida le 1er juillet.
Condamné à mort, Degueldre fut passé par les armes au fort d’Ivry le 6 juillet 1962. Les soldats du peloton d’exécution ayant volontairement mal visé, il ne fallut pas moins de cinq coups de grâce pour achever le lieutenant légionnaire, dont l’agonie durera plus de dix minutes...
Par arrêt du Conseil d’État du 19 octobre 1962, la “ Cour militaire de justice ” sera déclarée illégale. « Les condamnations qu’elle avait prononcées devaient donc être considérées comme nulles et non avenues. » (Jaffré, p. 334) Ainsi vit-on, sous le régime gaulliste, une peine capitale exécutée en application d’un arrêt devant être considéré comme n’ayant jamais existé !
UNE CHRÉTIENTÉ RUINÉE
Après le cessez-le-feu du 19 mars 1962, le FLN, voulant précipiter l’exode des Européens, développa une nouvelle tactique : les enlèvements. De petits groupes de fellaghas saisissaient leur proie et l’emportaient, sans que jamais on la retrouvât. En mai 1962, on compta, en Algérie, une cinquantaine d’enlèvements par jour ! (...) Les rares officiers qui s’y opposèrent furent sanctionnés. (...)
Après les accords d’Évian, environ neuf mille Européens furent enlevés par le FLN et portés disparus. Les femmes et les jeunes filles prisonnières des terroristes musulmans furent contraintes à la plus abjecte prostitution (Capitaine Leclair, Disparus en Algérie, 1986, p. 244). Des prêtres furent assassinés, tel l’abbé Therrer, curé des Sources, à Birmandreis. « Pourquoi donc n’avoir pas dit, dans son éloge funèbre, qu’il a été assassiné par le FLN ? protestèrent ses paroissiens. Pourquoi donc n’avoir pas rappelé que les derniers mois de sa vie ont été un véritable calvaire ? Il a vu son église, à peine édifiée, profanée et pillée à deux reprises. Il a vu son presbytère entièrement dévalisé, sa voiture lapidée plusieurs fois. Enfin, le soir de son assassinat, l’église était incendiée. »
Au cours des mois suivants, plus de quatre cents églises, sur les cinq cent soixante-sept que comptait la Chrétienté d’Algérie, seront désaffectées, profanées, parfois transformées en mosquées ou détruites. (...)
Durant les mois de mai et de juin 1962, la population européenne quitta le bled pour s’entasser dans les villes, avant de s’embarquer en catastrophe vers la métropole dans les premiers jours de juillet. Que de drames personnels et familiaux ont charrié ces journées tragiques, marquées à jamais en lettres de sang et de larmes dans la mémoire des Français d’Algérie !
Deux jours après le référendum du 1er juillet, qui donna 99, 7 % de oui (sic !), de Gaulle proclamait officiellement l’indépendance de l’Algérie. Pendant ce temps, à Oran, se déchaînait l’enfer. Le 5 juillet 1962, jour anniversaire de la prise d’Alger en 1830, un effroyable carnage se déroula dans la ville, les douze mille militaires français étant consignés dans leurs casernes. Le général Katz, chef du Corps d’armée, surnommé “ le boucher d’Oran ”, avait reçu l’ordre exprès du général de Gaulle de ne pas intervenir (Geneviève de Ternant, L’agonie d’Oran, 1996, p. 49). Il y eut ce jour-là, à Oran, environ trois mille morts ou disparus.
JÉSUS ÉTAIT AVEC SES MARTYRS
Durant tout l’été 1962, les harkis, désarmés par des officiers français, furent massacrés d’une manière épouvantable par l’ALN : « Certains sont crucifiés sur des portes, les yeux crevés, le nez coupé, la langue arrachée, systématiquement émasculés. D’autres sont dépecés vivants à la tenaille, lapidés, ébouillantés, ligotés et jetés dans des brasiers devant les populations rassemblées et horrifiées. » (Camille Brière, Ceux qu’on appelle les pieds-noirs, 1984, p. 186)
Un sous-officier en activité dans la région de Sétif raconte : « La harka de Beni-Lalem est massacrée tout entière. Le chef de cette harka, célèbre dans toute la région pour son courage, bien que torturé, crie aux gens de l’aln : “ Jusqu’à la dernière goutte de sang, nous sommes Français. Vous pouvez nous tuer, cela ne changera pas notre cœur. ” » (Bachaga Boualam, Les harkis au service de la France, 1963, p. 262)
Notre Père écrira : « Jésus est avec ses martyrs et même avec les tragiques et grotesques pantins désarticulés que là-bas on promène un anneau dans le nez, couverts de mille plaies, yeux crevés : musulmans qui avaient cru les “ roumis ” et s’étaient engagés pour la défense de la civilisation des “ nazaréens ”. N’en déplaise aux théoriciens de la décolonisation, à travers le drapeau français, c’est le Christ qu’ils avaient entrevu et ils meurent de leur fidélité, tandis que nous dormons dans notre trahison. » (Lettre à mes amis n° 116, du 20 août 1962)
Pour préserver leurs harkis et leurs familles de sauvages représailles, certains officiers français organisèrent leur repli en métropole. Mais le gouvernement gaulliste s’y opposa. (...) Cette directive fut appliquée. Et on vit des harkis indigènes arrivant dans le port de Marseille être refoulés et ramenés de force en Algérie...
La presse du moment a parlé de dix mille victimes. Les documents publiés par le bachaga Boualam montrent qu’il y eut au moins cent cinquante mille harkis assassinés. Une note du Service historique de l’armée, du 21 avril 1977, signée par le général Porret, le confirme. Véritable génocide dont de Gaulle et sa Ve République portent l’effrayante responsabilité.
L’APOSTASIE PRATIQUE DE L’ÉGLISE
« Le 1er juillet, en la fête du Précieux Sang de Notre-Seigneur, le Chrétien parjure a remis l’Algérie au Musulman assassin. Cette monstrueuse livraison est le fruit d’une étroite collaboration, savante de ruse et pleine de violence, du Pouvoir avec l’Ennemi dans la crucifixion de toute une communauté historique de nom français et d’âme chrétienne. » (G. de Nantes, Lettre à mes amis n° 112, 1er juillet 1962)
Un fait illustre cette livraison à l’islam. Le 6 juillet, la cathédrale d’Alger était profanée par huit cents musulmans harangués par un imam. Un sergent de la force locale fit ensuite, du haut de la chaire, l’éloge de Mgr Duval, qui consentit à livrer sa cathédrale pour qu’elle devienne une mosquée, comme celle de Constantine, de Cherchell. « En Algérie, disait-il, l’Église, comme elle le doit, n’a pas choisi d’être étrangère, mais algérienne. »
Le 7 juillet 1962, l’archevêque d’Alger recevait un télégramme du pape Jean XXIII, dont le texte fut aussitôt publié dans la presse :
« À l’occasion de la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, le Souverain Pontife forme des souhaits fervents de prospérité pour le nouvel État, appelant de ses vœux l’harmonieuse collaboration des diverses communautés, favorisée avec tant de zèle par votre Excellence. Sa Sainteté invoque de grand cœur sur tous les habitants de la terre algérienne les abondantes bénédictions du Dieu Tout-Puissant. »
Ce scandaleux télégramme vérifiait ce que notre Père écrivait dans sa Lettre à mes amis du 6 mai 1962 : « Nous vivons l’apostasie pratique de l’Église. » C’est dire que pour lui, défenseur de l’Algérie française, le combat ne faisait que commencer.
frère François de Marie des Anges
Extraits de Il est ressuscité ! n° 59, juillet 2007, p. 17-30