Mgr Freppel, son refus de Rerum novarum

Dès 1885, Léon XIII confia à La Tour du Pin : « Dieu vient de se servir de notre humble bonne volonté pour remettre la question sociale à l’ordre du jour de l’Église. » Et il lui annonçait la publication prochaine d’une encyclique sur le sujet.

Léon XIII
Léon XIII

Pour en élaborer le texte, le Pape avait fondé en octobre 1884, avec le concours de Mgr Mermillod, L’Union de Fribourg, réunissant chaque année dans cette ville des catholiques sociaux de toute l’Europe. Ces intellectuels, dont la plupart finiront dans la démocratie chrétienne, s’assemblaient pour concevoir une législation européenne, sans détenir aucun pouvoir législatif, cela va sans dire.

En pleine utopie, ils partaient d’un a priori, contraire à tout l’enseignement de Mgr Freppel, a priori selon lequel le régime politique n’a aucune importance. La difficulté étant à leurs yeux purement sociale, elle devait donc trouver la même solution en France, en Angleterre, en Allemagne, en Russie, finalement dans le monde entier. D’où leur idée de formuler une doctrine sociale universelle dont le Pape serait seul juge et garant.

À la lumière de la philosophie de saint Thomas, et sous l’influence de René de La Tour du Pin, ils étaient anticapitalistes, ou plutôt contre ce qu’ils déclaraient « la prétendue productivité du capital », toujours considérée comme de « l’usure ». De plus, selon eux, l’État devait s’immiscer dans toutes les relations entre patrons et ouvriers, pour fixer un salaire minimum, par exemple, ou la durée légale du travail. Revenait aussi à l’État le soin de rendre le régime corporatif obligatoire. Ils se montraient favorables aux syndicats séparés, à défaut de syndicats mixtes, et comme préparation nécessaire à l’établissement des corporations ! On ne pouvait s’opposer davantage à ce que préconisait l’évêque d’Angers... et le simple bon sens !

René de La Tour du Pin
René de La Tour du Pin

À Rome l’influence de René de La Tour du Pin et de l’Œuvre des Cercles catholiques d’ouvriers et de l’Union de Fribourg, dont il était le penseur, était prépondérante. De surcroît, Léon XIII était de plus en plus impressionné par le dynamisme des pèlerinages d’ouvriers conduits dans la ville éternelle par Léon Harmel (de 1400 en 1885 à 10 000 en 1889). En revanche, prévenu par le cardinal Lavigerie que Mgr Freppel était son « ennemi personnel », il n’écouta pas l’évêque d’Angers venu à Rome pour lui demander de ne pas se mêler de cette question ouvrière hors de ses compétences.

Le 2 février 1888, Mgr Mermillod remettait au Pape un mémoire émanant de l’Union de Fribourg comportant des rapports sur le salaire, le crédit, l’organisation corporative. Ce texte servira de point de départ à la rédaction de Rerum novarum qui parut le 16 mai 1891, au terme d’une gestation difficile (...).

Mgr Freppel fut l’un des rares, pour ne pas dire le seul, à refuser l’encyclique Rerum novarum, en tous cas, il fut le seul à oser aller le dire à Rome. Honneur à lui ! Il ne fut pas suivi, sauf du petit nombre, de Charles Périn ; de Paul Baugas, professeur d’économie sociale de l’Université catholique d’Angers ; d’une certaine manière, plus discrète, de René Bazin (Ferdinand était mort en 1889) ; de quelques autres encore. Le plus grand nombre préféra la voie facile de l’obéissance au Pape et tomba dans la démocratie chrétienne du Sillon.

L’exemple typique nous en est donné par un certain Daine. Président du Syndicat catholique des métallurgistes d’Angers, il participa en 1893 au congrès organisé à Reims par Léon Harmel pour mettre en pratique l’encyclique Rerum novarum. Ce fut, en fait, le premier congrès de la Démocratie chrétienne. Daine en rapporta des idées révolutionnaires et même socialistes. Sous son influence se produisit alors une véritable révolution dans le Cercle catholique d’Angers, Mgr Freppel n’étant plus là pour le protéger. Séparation de la question ouvrière et de la Religion ; reconnaissance de syndicat séparé au nom de l’encyclique Rerum novarum ; lutte des classes, etc. En un mot : la trahison de la doctrine sociale de Mgr Freppel au nom du Pape...

Extraits de Il est ressuscité ! n° 56, avril 2007 p. 21
et de Mgr Freppel, Tome 4 : « J’ai lutté seul », 1887-1891, p. 381