L'abbé Freppel, jeune maître de sagesse
Charles-Émile Freppel est né le 1er juin 1827, à Obernai, où il reçoit sa première éducation. Son père est un grand admirateur de Napoléon Ier ; sa mère, une fervente royaliste légitimiste. (…)
Le 30 octobre 1844, il entre au grand séminaire de Strasbourg. Le 17 juin 1848, il reçoit le sous-diaconat. Pour le mettre à l’épreuve, son évêque le nomme professeur d’histoire au petit séminaire de Strasbourg. (…)
« Jusqu’à mon dernier soupir, je serai républicain, disait alors le jeune abbé Freppel à Monsieur Reich, professeur de philosophie.
– Quand vous aurez quelques années de plus, lui répliqua celui-ci, vous parlerez autrement. »
Et de fait ! il est passé d’un enthousiasme irréfléchi pour la république de 1848 à un amour profond et raisonné pour la monarchie sacrale et absolue de la tradition catholique et française, alors personnifiée par le comte de Chambord. Pour y parvenir, il lui fallut s’arracher à la secte des “ libéraux catholiques ” afin de demeurer “ catholique sans épithète ”, comme il disait. Terrible combat d’un homme qui a lutté seul et que ses adversaires pensaient avoir vaincu et fait taire pour toujours. Le livre de frère Pascal du Saint-Sacrement le fait revivre au moment opportun, comme l’avait prophétisé le Père Cornut, disant en 1893 : « Dans cent ans, la lecture de ses ouvrages sera presque aussi opportune et aussi utile qu’aujourd’hui. »
À peine ordonné prêtre, l’abbé Freppel est professeur aux “ Carmes ”, à Paris, à vingt-trois ans ! Il commence par subir l'ascendant de Lacordaire, mais pour une courte période. (…)
En 1851, l’évêque de Strasbourg le rappelle pour créer une école secondaire. Il s’en acquitte avec une maîtrise accomplie – il n’a que vingt-quatre ans ! – laissant déjà présager le fondateur de l’Université catholique d’Angers. (…)
De retour à Paris en 1852, il obtient, par concours, une charge de chanoine au chapitre de Sainte-Geneviève, au Panthéon rendu au culte catholique par le prince Napoléon. Attirant la jeunesse du quartier Latin, sa voix de bronze, forte et claire, résonne de proche en proche dans toutes les églises de la capitale, si bien que le 26 octobre, le ministre des cultes le nomme à la chaire d’éloquence sacrée en Sorbonne.
LES COURS DE L’ABBÉ FREPPEL EN SORBONNE
ET SA LUTTE CONTRE LES ERREURS MODERNES
En douze ans de professorat, l’abbé Freppel va révéler à une génération qui en avait perdu jusqu’au souvenir ce qu’est le vrai génie du Christianisme, et comment celui-ci répond à tous les problèmes contemporains.
LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE
Dans son cours (1855-1857) sur Bossuet et le XVIIe siècle, l’on voit déjà se forger l’évêque « antilibéral » que sera Mgr Freppel, alliant, à l’école de saint François de Sales, force, douceur et tendresse. (…)
Voici un exemple du fruit politique de ces vertus mystiques : sur la révocation de l’édit de Nantes, son jugement est nuancé. Il aurait préféré une révocation “ partielle ” qui aurait supprimé “ tout privilège dangereux aux protestants ” mais, “ leur laissant le libre exercice du culte, les catholiques ne se seraient pas donné des airs de persécuteurs. La révocation totale fut une faute, qui ne saurait plus obtenir aux yeux d’un appréciateur impartial que le bénéfice des circonstances atténuantes. ”
Puis il en vient à la question brûlante de la liberté de conscience, toujours d’actualité :
« La liberté de conscience comprend deux choses : la liberté de croire au-dedans et la liberté de manifester au-dehors ce que l’on croit : en d’autres termes, la liberté intérieure de la pensée ou de la croyance, et la liberté extérieure de l’enseignement et du culte. Cette distinction est capitale : faute de l’établir, on s’expose à une confusion déplorable et à des malentendus sans fin.
« Cela posé, la question de la liberté de conscience se simplifie beaucoup, en se dégageant de tout ce qui n’y entre pas. Il ne s’agit pas de savoir si l’homme doit ou ne doit pas conserver son libre arbitre, par une raison bien simple, c’est qu’il ne peut pas le perdre. Il ne s’agit pas non plus d’examiner si l’homme est libre, sous sa responsabilité, de penser et de croire intérieurement ce qu’il veut. La chose est évidente. Il n’y a pas de pouvoir humain qui puisse me contraindre à faire un acte de foi intérieur sur une vérité quelconque, si je ne le veux pas.
« L’homme conserve son libre arbitre, quoi qu’on fasse, ce qui est hors de doute. Personne n’a jamais prétendu le contraire.
« Aussi ce ne saurait être l’objet d’une controverse. Pour être circonscrit dans ses véritables limites, le débat porte tout entier et uniquement sur ce point : l’homme est-il libre de manifester sa croyance au-dehors par l’enseignement et par le culte ?
« Or, je dis que le système de la liberté de conscience absolue et illimitée est une chimère et une absurdité : une chimère, parce qu’il est impraticable ; une absurdité, parce qu’il est réprouvé par le sens commun et les principes les plus élémentaires de la raison. »
« (...) Ceux-là mêmes qui s’évertuent le plus à le défendre sont obligés à l’abandonner pour échapper à ses conséquences anarchiques. (...)
« Voilà pourquoi l’Église réprouve le système de la liberté de conscience absolue et illimitée ; et le pape Grégoire XVI l’a condamné, en ces termes, dans sa mémorable encyclique de 1832, adressée à tous les patriarches, primats, archevêques et évêques du monde entier :
« “ De cette source infecte de l’indifférentisme découle cette maxime absurde et erronée, ou plutôt ce délire, qu’il faut assurer et garantir à qui que ce soit la liberté de conscience. On prépare la voie à cette pernicieuse erreur par la liberté d’opinion pleine et sans bornes qui se répand au loin pour le malheur de la société religieuse et civile, quelques-uns répétant avec une extrême impudence qu’il en résulte quelque avantage pour la religion. Mais, disait saint Augustin, qui peut mieux donner la mort à l’âme que la liberté de l’erreur ? ” » (Mirari vos, 15 août 1832)
CONTRE LE MODERNISME DE RENAN
L’année suivante, le cours porte sur Les Pères apostoliques. On pourrait l’intituler : De la naissance de l’Église.
C’est le sujet de nos controverses les plus actuelles, aujourd’hui profondément renouvelé par les découvertes archéologiques. Mais l’étincelante polémique engagée par le jeune professeur contre Ernest Renan l’emporte d’avance contre le modernisme à venir. Renan ayant affirmé dans ses Études d’histoires religieuses, que « la critique est née de nos jours », s’attira cette cinglante réplique :
« Quelle critique ? Est-ce celle qui consiste à substituer l’imagination à la réalité, à remplacer les faits par des hypothèses, à partir d’un système préconçu qu’elle se dispense de prouver, à nier ce qui lui déplaît pour se passer la licence d’affirmer ce que bon lui semble ? »
L’abbé Freppel cite les érudits catholiques de son temps, mais il fustige ceux du nôtre… Il réfutera, d’une manière magistrale et sans appel, le livre “ La vie de Jésus ” de Renan, dans ses cours de 1863 à 1866. Sa réfutation publiée aura un grand succès, et sera considérée par les meilleurs esprits de son temps comme la plus pertinente de toutes.
LA LIBERTÉ RELIGIEUSE
Avec le cours sur Saint Justin, la question de la liberté religieuse est traitée avec toute l’autorité et la sagesse qui ont cruellement manqué au concile Vatican II :
« J’insiste sur ce point, Messieurs, parce que ce n’est pas d’aujourd’hui qu’on cherche à retourner contre le moyen âge catholique les écrits des apologistes du deuxième et du troisième siècle, pour montrer que dans l’Église la liberté de conscience a été tour à tour invoquée et refusée selon les besoins de la cause. Dans ce parallèle entre les premiers chrétiens et les hérétiques des siècles suivants, on n’oublie qu’un point qui est capital : ceux-ci réclamaient la liberté de l’erreur, tandis que ceux-là ne demandaient pas autre chose que la liberté de la vérité. Or, il s’en faut bien que l’erreur, par elle-même, possède les mêmes droits que la vérité. Je dirai plus : l’erreur, en tant qu’erreur, n’a pas plus de droit dans l’ordre intellectuel que le vice, en tant que vice, n’a de droit dans l’ordre moral. (...)
« Ce qui ne veut pas dire que la vérité ne doive jamais tolérer l’erreur à côté d’elle : les circonstances peuvent lui en faire une nécessité et même un devoir, pour empêcher un plus grand mal. (...) Mais il n’y a que le scepticisme qui puisse prétendre que l’erreur n’est pas un mal, ou qu’elle possède par elle-même le droit d’être et de vivre au même titre que la vérité. (...) Il ne s’agit pas de savoir si tous les hommes reconnaissent la vérité, mais si elle a des signes certains qui leur permettent à tous de la reconnaître ; or, on ne saurait prétendre le contraire sans nier la distinction radicale de l’erreur et de la vérité. La vérité seule a le pouvoir d’engendrer la certitude, tandis que l’erreur ne peut donner que des opinions. De même, il est vrai de dire que Dieu n’a point promis la vérité à ceux qui ne feraient aucun effort pour la trouver ; mais il l’a promise à tous ceux qui la chercheraient de bonne foi. (...)
« Pour soutenir que l’erreur doit avoir, toujours et partout, le droit d’être et de vivre comme la vérité, on dit : les uns et les autres se croient en possession de la vérité, donc il faut leur accorder à tous le même droit et une égale liberté. (...) Mais il s’agit en définitive de savoir qui a tort et qui a raison. Or, cela n’est pas plus difficile en religion que dans toute autre matière. Comment démontre-t-on les théorèmes d’Euclide ? Par le raisonnement. De quelle manière peut-on prouver la vérité religieuse ? Par des preuves morales aussi certaines que les preuves mathématiques ; car la certitude n’admet pas de degrés, elle est ou elle n’est pas. Je veux bien qu’on n’ait jamais pensé à empêcher les gens de déraisonner en géométrie, parce que le carré de l’hypoténuse n’a jamais produit de révolution ; mais les erreurs religieuses ont des conséquences morales et sociales qui peuvent jeter la perturbation dans les États et les mener à deux doigts de leur ruine. Les guerres de religion depuis trois siècles en sont une preuve suffisante. Voilà pourquoi, tant pour la défense de la vérité que pour celle de l’ordre et de l’unité nationale, les États catholiques du moyen âge ont pu exercer contre les hérétiques un droit de coercition, dont il est impossible de méconnaître la légitimité, bien qu’il ne faille pas en étendre l’usage à des situations auxquelles il ne peut ni ne doit s’appliquer. (...) »
Dans sa cinquième leçon sur la vie d'Apollonius de Tyane par Philostrate, l'abbé Freppel tient à répondre à l'illusion libérale si répandue de son temps. L'avertissement n'a pas vieilli :
« Gardons-nous bien de croire que l'erreur n'offre nul danger lorsqu'on n'a pas de peine à la découvrir ou à la réfuter. Grossière ou spécieuse, l'erreur a toujours une certaine force parce qu'elle trouve dans les passions une complicité qui la sert. Il en est qui s'imaginent volontiers que la vérité n'a qu'à se faire entendre pour être, à l'instant même, acceptée de tous : vaine illusion que l'expérience des siècles et l'étude de l'histoire devraient, ce semble, avoir dissipée depuis longtemps. Sans doute, l'homme est né pour la vérité : il éprouve un penchant naturel à la connaître et à la chercher, il goûte une satisfaction intime après l'avoir trouvée. Mais si, d'une part, il se sent incliné vers elle, les mauvais instincts de sa nature déchue l'en trouvent éloigné. Il la redoute et la fuit, parce qu'elle lui impose des obligations qui le gênent. Voilà pourquoi l'erreur a tant de prise sur l'esprit humain... Vous comprendrez ce qu'il faut à la vérité de temps et d'efforts pour triompher dans le monde. » (...)
FOI ET RAISON
L'abbé Freppel doit, en cette année 1861, parler de saint Irénée, le saint évêque et martyr de Lyon du début du IIIe siècle. Originaire d'Asie Mineure, initié par saint Polycarpe aux enseignements de saint Jean, il poursuivit le combat de ce dernier contre les hérésies gnostiques. En guise d'introduction, l'abbé Freppel veut, sans doute pour répondre à quelque contradicteur, démontrer que les questions religieuses sont « les plus vitales de toutes »,celles qui « exigent le plus d'attention... et le plus de respect ».
« En matière religieuse, il n'y a pas d'affirmation qui coûte : on discute tout, on tranche de tout, et l'on sait peu, parce qu'on n'étudie rien moins que la religion. Voilà une des plaies qui affligent notre génération ; ce défaut d'instruction solide la livre à la merci des faiseurs de systèmes qui dissimulent sous l'audace des affirmations leur peu de connaissance de la religion qu'ils jugent. Il y a tel écrivain qui, chaque matin, cite l'Église entière à la barre de son tribunal, et que l'on embarrasserait peut-être en lui adressant une simple question de catéchisme. Et pourtant ce ne sont pas des souvenirs de catéchisme seulement, mais de la science théologique qu'il faudrait pour traiter sérieusement de si graves matières. (…) »
Avec véhémence, l'abbé Freppel invite à l'étude, qu'il ne sépare jamais de la foi :
« Vous aspirez à la vraie science. Un vaste champ est là devant vous : parcourez-le d'un bout à l'autre, donnez pleine carrière à l'activité de votre esprit, exercez votre intelligence à pénétrer le sens caché des doctrines, la raison intime des faits, remuez, fouillez, creusez ce monde d'idées en face duquel vous a placé la Révélation divine ; mais ne vous élevez pas au-dessus de la Parole du Maître, demeurez en communion avec la grande société au sein de laquelle le dépôt de la vérité se conserve dans son intégrité. Ce n'est pas en repoussant la foi que vous arriverez à la science : la foi est le fondement nécessaire en dehors duquel vous ne ferez que bâtir sur le sable, et le souffle du lendemain viendra renverser en un clin d'œil l'édifice de la veille. »
« Certes, l'expérience a justifié de tout point ce langage. Non seulement la philosophie séparée de la foi n'a pu encore s'accorder sur une seule vérité mais, après s'être épuisée dans des recherches sans résultat positif, elle a fini par se demander, de nos jours, non plus si la science est faite, mais si elle est possible, si ce qu'on appelle la philosophie ou la science ne doit pas se résoudre dans la critique, c'est-à-dire dans la démolition universelle. »
Il raconte ensuite le combat de saint Irénée contre la gnose du IIe siècle, cette « vraie synagogue de Satan », puis il montre comment cette gnose, « cette suite de sottises transcendantales », se perpétue jusque dans le protestantisme de Luther et dans la philosophie allemande de Kant et de Schelling importée en France par l'éclectisme de Victor Cousin.
DÉFENSE DE L’INFAILLIBILITÉ PONTIFICALE
Mais l'abbé Freppel aime voir surtout en saint Irénée le défenseur de la primauté du Siège romain, et de l'infaillibilité pontificale :
« Saint Irénée avait écrit : “ C'est à cette Église [de Rome], à cause de sa principauté supérieure, que doivent nécessairement s'unir et s'accorder toutes les églises, c'est-à-dire tous les fidèles, quelque part qu'ils soient. C'est en elle que la tradition des Apôtres a été conservée par les fidèles de tous les endroits du monde.” »
« II est donc de toute nécessité que la foi se conserve pure et inaltérable dans l'Église romaine, autrement tous les fidèles seraient obligés de s'accorder avec l'erreur, et c'en serait fait du principe de saint Irénée ou de l'infaillibilité de l'Église. Mais quel est le gardien et le dépositaire de la foi dans l'Église romaine ? C'est l'évêque, répond saint Irénée. Conséquemment, le dépôt de la foi ne peut ni se perdre ni s'altérer entre les mains de l'évêque de Rome... L'infaillibilité doctrinale du Pontife romain assure l'indéfectibilité du Siège apostolique et, par là, celle de l'Église universelle : c'est la clef de voûte qui soutient et couronne tout l'édifice chrétien. »
De telles affirmations en pleine chaire de la gallicane Sorbonne ? L'audace était grande ! Telle est l'indépendance de l'abbé Freppel dans sa chaire de Sorbonne : « La vérité, quoi qu'il en coûte ! »
L’ÉGLISE ET LE MONDE MODERNE
En invoquant l'autorité de Tertullien lui-même, Montalembert, chef de file des catholiques libéraux, condamnait « toutes les violences faites à l'humanité sous prétexte de servir la religion », et soutenait « la thèse de la liberté absolue de tous les cultes pour tout pays et en tout temps ».
Dans son Tertullien l’abbé Freppel lui répondit en dénonçant, une fois de plus, l'erreur principale des catholiques libéraux : leur indifférentisme à l'égard de la vérité. Reprenant ce qu'il avait déjà dit dans son Saint Justin sur la liberté de la vérité opposée à la liberté de conscience absolue et illimitée, il précise et corrige la pensée de l'apologiste :
« Certes, l'éloquent Tertullien a parfaitement raison de dire que tout sacrifice demande à être fait de bon cœur, que la religion, étant une affaire de conscience, doit être embrassée volontairement et non par force, partant, que la vérité n'a d'autres armes pour pénétrer dans les cœurs que celles de la persuasion. Mais autre chose est de contraindre quelqu'un à faire des actes religieux auxquels sa conscience se refuse, ce qui n'est jamais permis, autre chose de l'empêcher de pervertir les âmes par la parole et par l'exemple. Il ne faut donc pas s'obstiner à vouloir sauver un homme malgré lui, soit ! mais ce qu'on peut exiger de lui, c'est qu'il ne travaille pas à perdre les autres malgré eux. Car le droit de chacun finit là où commence le droit d'autrui ; supposez donc un État catholique où la vérité règne sans partage, acceptée de tous comme le bien suprême de leur âme : à coup sûr, chacun y a le droit de conserver sa foi, de telle sorte que personne ne vienne l'inquiéter dans ce qu'il a de plus cher et de plus précieux. Supposez maintenant une poignée de gens, comme les albigeois et les vaudois, venant ressusciter les plus insidieuses théories du manichéisme, trompant la foi des âmes simples et honnêtes, faisant appel aux plus mauvaises passions de l'homme, et menaçant en outre le repos de l'État par leurs attaques contre l'Église : certes, les princes chrétiens avaient non seulement le droit, mais encore le devoir de protéger la conscience de leurs sujets contre de pareilles invasions, d'éloigner d'eux les périls auxquels le sophisme, aidé par les passions, exposait la foi ; de réprimer même par la force matérielle ceux qui, les premiers, en avaient fait usage pour appuyer des prédications incendiaires : ils se trouvaient dans le cas de légitime défense contre une agression injuste ; ils assuraient la liberté des âmes, menacée par l'oppression de l'erreur et du vice. »
LA DÉFENSE DU SYLLABUS (1864)
Lorsque paraît le Syllabus, l’encyclique de Pie IX condamnant les erreurs modernes, l’abbé Freppel se porte à la défense du Magistère attaqué par les libéraux, ou mal défendue par les catholiques libéraux.
« En deux mots, ce n'est pas la pratique des législations existantes que le Souverain Pontife condamne, ni les situations créées par les événements qu'il n'est au pouvoir de personne d'effacer de l'histoire, mais ce qui est condamné hautement et solennellement, ce sont les systèmes des doctrinaires de la Révolution qui, partant d'une philosophie contraire au christianisme et à la saine raison, viennent aboutir à l'indifférence théorique ou pratique des religions et à la négation de la vérité absolue.
« Et c'est là, qu'on veuille donc bien le comprendre, l'idée-mère de l'Encyclique. Pourquoi le Souverain Pontife commence-t-il par le panthéisme, le naturalisme et le rationalisme, le catalogue des erreurs modernes ? C'est pour indiquer la source commune d'où elles découlent, et en même temps, pour donner aux propositions condamnées leur caractère et leur véritable sens. Ce sont ces différents systèmes que l'Acte pontifical poursuit et atteint dans leurs conséquences dogmatiques, morales, sociales et politiques. Voilà le premier but de l'Encyclique.
« D'autre part, il faut bien le dire (…),“il est arrivé, comme disait Pie IX, que des catholiques, dupes de malheureuses illusions, se trouvent souvent d’accord avec ceux qui déclament contre les décrets du Saint-Siège”. En effet, il s’était produit, sur les rapports de la science avec la foi, de la philosophie avec la théologie, de l'État avec l'Église, de la religion avec la société, des opinions hasardées, qui auraient pu conduire les meilleurs esprits au-delà du but qu'ils se proposaient d'atteindre. Et ici, qu'on veuille bien ne pas se méprendre sur ma pensée, il ne m'appartient nullement et il ne saurait entrer dans mon esprit de vouloir faire la leçon à qui que ce soit : nous avons tous notre profit à retirer de l'enseignement de notre Père commun ; il n'y a ni vainqueurs ni vaincus, là où la vérité seule a triomphé ! Mais enfin, personne ne me contredira si j'affirme qu'il appartenait au Docteur suprême des chrétiens, de nous signaler à tous certains écueils qu'il faut éviter, et de nous prémunir contre des tendances périlleuses, et d'imprimer ainsi une direction uniforme à suivre aux théologiens et aux publicistes catholiques. C'est le deuxième but de l'Encyclique du 8 décembre. »
HORS DE L’ÉGLISE POINT DE SALUT
L’étude des philosophes païens – et les conclusions que l’abbé Freppel en tire à la suite de Clément d’Alexandrie – soulève également la question du salut des païens. Peut-on se sauver dans n’importe quelle religion ? L’abbé Freppel répond en se couvrant de l’autorité du Souverain Pontife :
« Dans l’encyclique Qui pluribus, le pape Pie IX, à l’exemple de ses prédécesseurs, avait déjà déclaré ce système de l’indifférence en matière de religion aussi contraire à la raison naturelle qu’à la doctrine catholique. Pour soutenir que les hommes peuvent se sauver dans n’importe quelle religion, il faut affirmer qu’il est indifférent pour eux d’embrasser la vérité ou de la repousser, d’ajouter foi à la parole de Dieu ou de lui fermer l’oreille. En d’autres termes, il faut affirmer l’identité du oui et du non, du vrai et du faux, c’est-à-dire l’identité des contraires, dans le sens du panthéisme hégélien ; et voilà l’erreur capitale que le Souverain Pontife poursuit sous les formes multiples où elle se cache.
« Il ne peut y avoir qu’une religion véritable, par la raison bien simple que deux propositions contradictoires ne sauraient être également vraies ; et par conséquent, cette religion véritable est la seule qui puisse conduire l’homme à sa fin, comme la véritable logique est la seule qui puisse empêcher l’homme de déraisonner, et la véritable arithmétique la seule qui puisse lui apprendre à ne pas se tromper dans ses calculs. Cette maxime, “hors de l’Église pas de salut”, est avant tout une maxime de sens commun : la nier, parce qu’elle refuse à l’erreur un pouvoir qui n’appartient qu’à la vérité, c’est retomber dans la confusion panthéistique que je signalais tout à l’heure. Mais entendons-nous bien sur le sens et la portée de cette maxime : elle signifie qu’il n’y a pas de salut pour ceux qui se trouvent hors de l’Église sciemment et volontairement ; car la bonne foi excuse ceux qui se trompent, et l’ignorance involontaire exclut la culpabilité. C’est ainsi que le Chef de l’Église interprète la formule dans l’un des documents auxquels il renvoie pour l’intelligence des propositions condamnées par le Syllabus, et vous me permettrez de placer sous vos yeux ces paroles explicatives, ne serait-ce que pour vous faire voir comment l’on doit interpréter une encyclique, lorsqu’on croit pouvoir s’en mêler :
« “ Nous voulons exciter votre sollicitude et votre vigilance épiscopale afin que, dans la mesure de vos forces, vous chassiez de l’esprit des hommes cette opinion impie et funeste que le chemin du salut éternel peut se trouver dans toutes les religions. Démontrez avec cette habileté et cette science par lesquelles vous excellez, démontrez aux peuples confiés à vos soins que les dogmes de la foi catholique ne sont nullement contraires à la miséricorde et à la justice de Dieu. Il faut en effet admettre de foi que, hors de l’Église apostolique romaine, personne ne peut être sauvé, qu’elle est l’unique arche de salut, que celui qui n’y serait point entré périra par le déluge ; mais il faut également tenir pour certain, que ceux qui sont à l’égard de la vraie religion dans une ignorance invincible n’en porteront aucunement la faute aux yeux du Seigneur. Maintenant, qui oserait s’arroger le pouvoir de marquer les limites de cette ignorance, suivant le caractère et la diversité des peuples, des pays, des esprits, et de tant d’autres choses ? Lorsque, affranchis de ces entraves corporelles, nous verrons Dieu tel qu’il est, nous comprendrons par quel lien étroit et beau sont unies en Dieu la miséricorde et la justice. ” Allocution Singulari quadam (Consistoire du 9 décembre 1854).
« Voilà, Messieurs, comme s’exprime l’Église sur le sort de ceux qui vivent en dehors d’elle. Elle affirme le principe, car si elle cessait de l’affirmer, elle se renierait elle-même ; mais elle s’en remet à Dieu du soin de l’appliquer. Elle déclare que la vraie religion est seule capable de sauver les hommes ; et cette déclaration, il n’y a que les athées et les panthéistes qui puissent la repousser sans être inconséquents ; mais en proclamant qu’en dehors de la vraie religion il n’y a pas de salut, elle enseigne également que nul ne sera condamné pour l’avoir ignorée sans qu’il y eût de sa faute. » (…)
Un tel homme d’Église était bien évidemment destiné à occuper les plus hautes charges.
Extraits de la CRC n° 356, mai 1999, p. 13-16
Mgr Freppel, Tome 1 : Sagesse et Alacrité