Mgr Freppel, un évêque de combat
L’ÉVÊQUE D’ANGERS AU CONCILE Vatican I
Nommé évêque d’Angers, sacré à Rome, à Saint-Louis-des-Français, le 18 avril 1870, Mgr Freppel reçut du Souverain Pontife une insigne marque d’honneur, d’estime et d’affection : Pie IX alla en personne lui rendre visite via San Isidoro. Mgr Freppel étant sorti au moment où le Pape s’était présenté, celui-ci l’avait attendu pour le complimenter et s’entretenir longuement avec lui.
L’action du nouvel évêque fut décisive au Ier concile du Vatican, non seulement pour emporter la décision d’une définition dogmatique ,mais encore pour circonscrire parfaitement le champ de l’infaillibilité personnelle du Pape. Le Pontife romain n’est pas infaillible en tout et tout le temps, comme le voulaient certains ultramontains excessifs, mais son infaillibilité personnelle n’est pas non plus soumise à l’acquiescement du Concile, comme les gallicans le soutenaient.
Dès lors, l’évêque d’Angers se trouva providentiellement préparé pour un combat qu’il ne pouvait imaginer à ce moment-là. Après la mort de Pie IX, son successeur, outrepassant ses droits, prétendra imposer aux Français le ralliement à la République impie et persécutrice, par opportunisme et libéralisme. Les libéraux catholiques utiliseront alors cette arme formidable de l’infaillibilité du Pape pour imposer leurs opinions à toute l’Église, selon l’axiome cher à Mgr Lavigerie : « Il faut toujours obéir au Pape vivant. »
Mgr Freppel s’élèvera alors, seul contre tous, pour défendre la vérité catholique. Mais avant d’évoquer cet ultime combat du grand évêque d’Angers, il nous faut d’abord le suivre dans son diocèse...
Il est précédé d'une telle réputation de savoir et de vertu que son peuple angevin lui fait, le 27 juillet 1870, un véritable triomphe. Il ne sera pas déçu. (…)
Lors de l'invasion de la France par la Prusse et alors que la révolution menace, il manifeste son patriotisme en offrant au gouvernement toutes les ressources dont le clergé pouvait disposer. (…)
En bon pasteur lucide et courageux, il trace par avance ce que sera le programme anticlérical de la troisième république, et se prépare à lutter contre :
« Dès que les Prussiens seront partis, nous aurons à lutter contre le matérialisme et les athées. On voudra dénoncer le concordat, proclamer la séparation de l'Église et de l'État, supprimer le budget des cultes, dépouiller l'école de son caractère religieux, introduire l'enseignement gratuit et obligatoire, etc. Pour moi, je me prépare à la lutte et je n'oublierai rien pour combattre les démagogues par la parole et par la plume. »
La seule solution qu'il aurait fallu faire prévaloir, si on avait bien voulu l'écouter, était de « revenir à la royauté nationale et traditionnelle qui, seule, a fait l'unité, la grandeur et la force de la France ». Car à se maintenir en république, « le moment arrivera, et bientôt, où la république rouge essaiera de renverser notre provisoire : cela est si vrai que notre parti démocratique à Angers, bien loin de désarmer, se montre plus fier et plus menaçant que jamais. Il en est ainsi partout, et en premier lieu à Paris. Arrivera donc la répression. Or jamais, au grand jamais, une assemblée n'a refait l'ordre dans les têtes et dans les rues sans un pouvoir monarchique quelconque, dictature militaire ou autre. » Cet avertissement fut prophétique, il est toujours d’actualité ! (…)
LA LUTTE CONTRE LE LAÏCISME RÉPUBLICAIN
D’une activité épiscopale débordante, Mgr Freppel multiplie les bonnes œuvres, s’implique dans tous les secteurs de la vie sociale tout en réfutant les prétentions de ceux qui voudraient en chasser l’Église. Sur les deux chapitres de l'éducation et de la santé, aujourd'hui en pleine décomposition, écoutez sa grande voix épiscopale démasquer en toute vérité le laïcisme, et réduire à rien l’hypocrisie dont il se pare pour mieux abuser les catholiques :
« Vous ne voulez plus que des écoles laïques, les despotes de tous les temps ont parlé de la sorte. Et la liberté et la conscience des pères de famille, qu'en faites-vous ? C'est peu de chose pour vous, paraît-il ; pourvu que vos rancunes soient satisfaites, le reste vous est indifférent. En ne voulant pas souffrir à côté de vous des gens qui pensent autrement que vous, vous n'êtes que trop fidèles aux habitudes dictatoriales de votre parti, pour qui la liberté n'a jamais été qu'un mot vide de sens.
« Mais en vérité, j'entends débiter depuis quelque temps des choses tellement étranges qu'on est à se demander s'il reste encore dans une partie de cet infortuné pays une ombre de bon sens. Depuis quand a-t-on besoin d'être laïc pour enseigner l'orthographe, le calcul, l'écriture, la musique ? Est-ce que les vingt-six lettres de l'alphabet sont devenues laïques depuis le 4 septembre ? Y a-t-il quelque part une grammaire ecclésiastique, ou une autre qui ne le soit pas ? Qu'est-ce que ces qualifications ont à voir et à faire dans un ordre de choses qui ne les comporte pas ? Est-on plus apte à conduire les doigts de l'enfant ou à lui faire épeler des syllabes, parce que l'on porte une redingote ou une robe ? Mais, messieurs, ce sont là des puérilités qui n'ont pas de nom et qui, je l'imagine, font rire de nous, à l'heure qu'il est, dans le monde entier ; ou bien y aurait-il quelque autre chose, sous ce mot "laïque" ?
Y aurait-il par hasard l'exclusion de toute croyance et de tout enseignement religieux ? Les écoles des Frères seraient-elles odieuses au parti radical, parce qu'au lieu d'y apprendre à chanter la Marseillaise et à coiffer le bonnet rouge, on y apprend la crainte de Dieu, le respect de l'autorité, l'amour de la discipline, l'esprit de dévouement et de sacrifice, toutes choses qui ne portent ni de près ni de loin à faire des émeutes, à incendier les monuments et à fusiller les prêtres ? Est-ce là ce qui déplaît ? Qu'on le dise tout haut et tout le monde comprendra ! »
Que Dieu nous donne un évêque, un seul suffirait, pour jeter à la face de ceux qui nous gouvernent : « La régénération de la France ne sera possible que par l'éducation chrétienne de la jeunesse. »
L'UNIVERSITÉ CATHOLIQUE D'ANGERS
« Ce qui a perdu la France, disait Mgr Freppel, ce sont les idées révolutionnaires, dont l'Université a été parmi nous le représentant le plus complet et le plus actif. Si nous ne parvenons pas à briser son monopole et à fonder les facultés catholiques, nous sommes tout simplement perdus et il n'y a pas même l'espoir de résurrection. »
C'était déclarer une guerre sans merci à la Ligue de l'enseignement, soutenue par Gambetta, inspirée par la prétendue " réforme intellectuelle et morale" d'Ernest Renan. (…) Mais c'était aussi s'opposer à Mgr Dupanloup, l'évêque d'Orléans, qui déclarait : « Nous acceptons, nous proclamons l'esprit généreux, le véritable esprit de la Révolution française, et d'ailleurs que faisons-nous en ce moment sinon de rendre hommage à ce véritable esprit de la Révolution française, en réclamant la liberté de l'enseignement promise par la Charte, et avec elle toutes les légitimes libertés religieuses ? »
C'est dire si la fondation d' « une université catholique tout court et sans épithète » fut emportée de haute lutte par le jeune évêque d'Angers, non seulement contre les francs-maçons de l'Université d'État, mais encore contre les faux frères qui projetaient d'ouvrir à Paris, « sous les auspices de Mgr Dupanloup », une université « catholico-libérale ». (…)
UNE CONTRE-RÉFORME INTELLECTUELLE
Aujourd'hui, les paroles de l’évêque d’Angers retentissent encore pour tracer le seul programme capable de sauver, dans le monde entier, la jeunesse catholique en perdition : « Une foi immuable pour base et pour règle ; une science éminemment progressive, comme objet d'étude et comme but. Ce programme, nous aspirons à le reprendre, avec l'intelligence des besoins et des conditions de notre époque, pour l'élargir et le développer, pour refaire la synthèse des sciences sur un plan plus vaste qu'au quatrième siècle, au treizième ou au dix-septième. »
Ce qui implique de rétablir une concaténation de toutes les sciences « pour les relier à Dieu, comme une chaîne d'or suspendue à l'infini ».
« À l'exemple de nos devanciers, et suivant la marche qu'ils nous ont tracée, nous reprendrons l'une après l'autre toutes les parties de ce vaste programme, allant de chaque matière à celle qui s'en approche davantage, du droit aux lettres, des lettres aux sciences, des sciences à la médecine, et de toutes ces disciplines unies entre elles, à la science reine et maîtresse, la théologie, sans nous arrêter devant aucun obstacle jusqu'à ce que l'université catholique de l'Ouest sorte de là, une, complète, pourvue de tous les organes qui lui permettront de vivre et de durer. »
Il fallut y apporter une belle obstination pour tenir tête aux persécutions de l'État, et persévérer, malgré le désaveu larvé qui commence à sourdre de Rome après la mort du saint pape Pie IX et l'avènement de Léon XIII. (…)
Pénétré de cette maxime « qu'on n'est pas toujours sûr de l'emporter ici-bas, même quand on a pour soi les bons arguments et les bonnes intentions », l'évêque d'Angers tiendra tête, « car Dieu, disait-il ,ne nous commande pas de vaincre, mais de combattre ». Il est bon de garder à la pensée ces paroles d'or au moment d'aborder le triste chapitre de “ l'échec de la restauration monarchique ”, inachevé puisque nous en vivons encore aujourd'hui les irréparables conséquences.
POLITIQUE CONTRE-RÉVOLUTIONNAIRE D’ABORD
DIEU ET LE ROI
« Malgré mon peu de goût pour la politique, écrit Mgr Freppel, je dois reconnaître pourtant qu'en ce moment-ci la question politique prime tout et qu'il faut absolument la résoudre, si nous ne voulons pas tomber dans le plus affreux gâchis. »
Cette “ question politique ” se résout en un principe clair : « La France est perdue à moins de répudier solennellement toute alliance avec la Révolution. » Il faut donc rétablir la monarchie : « Un seul homme pourrait nous sauver, c'est le comte de Chambord ; or, c'est précisément celui dont on veut le moins, parce que son nom signifie fin de la Révolution et retour à l'Église. C'est quand les hommes sont à bout de ressources que Dieu se plaît à manifester sa puissance. Espérons et prions. »
Mgr Freppel attend tout de Dieu, et c'est ce qui lui donne le courage d'agir. Il fonde un journal, l'Étoile, avec son ami et compatriote Charles Muller. Le premier éditorial déclare : « Nous sommes catholiques et légitimistes. C'est l'attachement de nos pères à leur religion et à leurs rois qui a fait l'unité française et qui a fait la grandeur de la France. C'est par l'oubli de ses vraies traditions que la France est tombée où nous la voyons. Elle ne peut se relever qu'en revenant à la foi chrétienne. » (…)
« Pour en arriver là, que faut-il ? Il faut que tous ceux, et ils sont nombreux encore, qui partagent nos convictions, fassent leur devoir. Il faut qu'ils comprennent que le moment est venu d'affirmer hautement leurs principes. Il faut qu'ils répudient énergiquement la politique de compromis et d'expédients où l'on s'efforce de les engager. Il faut qu'ils se mettent à la tête du parti de l'ordre au lieu de se tenir modestement à sa queue. Il faut qu'ils donnent au pays l'exemple de la confiance dans leurs doctrines.
« Les peuples vont du côté où ils sentent la vie, où ils sentent le courage et l'espoir. Voulons-nous que la France se rallie à notre drapeau, commençons par ne pas craindre de le porter haut. »
Précisément ! Première pomme de discorde : « Notre drapeau, c'est le drapeau blanc. On a reproché à M. le comte de Chambord de n'avoir pas voulu le répudier. Et pourquoi donc l'aurait-il répudié ? Avait-il le droit de le répudier ? Le drapeau blanc a été le drapeau de la France avant d'être le drapeau de la royauté. Le drapeau blanc nous rappelle la France affranchie de l'étranger par Jeanne d'Arc, la France affranchie et sauvée une seconde fois de l'invasion ennemie par les Bourbons. »
À lire ces pages décisives sur cette question embrouillée à plaisir par les orléanistes pour faire barrage à la restauration du chef de Famille détesté, la lumière perce soudain les ténèbres. Il suffit de lire cette simple réflexion parue dans l'Étoile du 1er août 1873, selon laquelle « la question du drapeau ne se posait pas, tant il était évident qu'elle " serait tranchée par l'empressement des villes et des villages à pavoiser leurs maisons de bannières blanches ", lors du retour du Prince. »
LES CAUSES DE L’ÉCHEC DE LA RESTAURATION MONARCHIQUE
Qu'est-ce donc qui a manqué ? Force est de constater que c'est la résolution du Prince lui-même. On reste consterné par le nombre d'occasions manquées, dont frère Pascal ne craint pas de dénoncer la cause profonde : « Hélas ! Henri V voit dans le contrôle des Assemblées le seul remède pour éviter que le pouvoir royal ne se transforme en dictature. Défenseur héroïque et admirable du principe monarchique, mais prisonnier malgré lui des idées reçues de son temps, il n'a pas compris l'essence même de la monarchie française. »
Aussi ne conçoit-il de monter sur le trône qu'après avoir été appelé par la nation ,au travers de ses représentants, au lieu de monter à cheval afin de “ rentrer par la brèche ”, comme eût fait Henri IV ! (…)
Mais le dernier mot de la question paraît être donné par un événement mystérieux, connu de peu de personnes. En 1883, le Sacré-Cœur confia à Madame Royer la mission « de demander au Roi deux choses : de prendre l'étendard du Sacré-Cœur pour sa garde, pour sa maison, et de laisser à l'armée le drapeau tricolore ». (…)
Apprenant la maladie du Roi, Madame Royer envoya sa lettre à Frohsdorf. Mais l'entourage n'osa pas la remettre à son auguste destinataire « de peur de paraître profiter de l'affaiblissement de ses forces pour le faire revenir sur sa décision ».
Frère Pascal écrit très justement : « En répondant à la demande du Sacré-Cœur, le comte de Chambord aurait démontré par les faits que cette question du drapeau n'avait jamais été pour lui une simple question de couleur. Jusque-là, le drapeau tricolore avait été l'emblème de la Révolution et des funestes dogmes libertaires de 1789. Mais puisque le Sacré-Cœur le demandait, son acceptation devenait un acte d'obéissance et de soumission, non au vouloir populaire, mais à un ordre du Christ, vrai Roi de France. Le comte de Chambord, son lieutenant, eût reconnu par ce geste la royauté sociale du Sacré-Cœur sur tout le royaume de France.
« Quant à mettre l'emblème du Sacré-Cœur sur son drapeau personnel, que pouvait-il y avoir de plus significatif ? Depuis les guerres de Vendée, le Sacré-Cœur était, par excellence, le signe de ralliement de tous les contre-révolutionnaires. Le comte de Chambord aurait ainsi réaffirmé ouvertement tout à la fois sa détestation des principes de 1789 et sa volonté ferme et entière d'instaurer une monarchie très chrétienne qui, par le sacre, ferait de lui le lieutenant dévot et obéissant du Christ, Roi de France. »
LA LUTTE CONTRE “ LES MAUVAIS CATHOLIQUES ”
LE CATHOLICISME LIBÉRAL
La France tombe donc en République et pour longtemps, jusqu'à l'heure de Dieu qui, seul, l'en délivrera... et cette heure n'est pas encore venue. Pour Mgr Freppel, c'est une lutte sans merci qu'il engage résolument non seulement contre des adversaires déclarés du Christ et de l'Église, mais encore et surtout contre ceux que sainte Bernadette appelait les « mauvais catholiques ». Cette lutte est d'abord doctrinale :
« Je cherche à me rendre compte, confie l'évêque ,de la grande erreur qui fait le fond de ce qu'on appelle le catholicisme libéral. » En lui donnant un nom de maladie : " fallouxera ", il exprime plaisamment les frénésies de ses adversaires menés par le comte de Falloux, « l'homme qui posait pour le chef du parti catholique ! en révolte contre le Pape pendant le Concile, en révolte contre l'Évêque, en révolte contre le Roi. »
Mais c'est très sérieux. Des querelles de personnes aujourd'hui oubliées se dégage un flot de lumière capable d'éclairer nos luttes d'aujourd'hui, à l'heure de la “ liberté religieuse ” :
« À voir certains hommes, l'on dirait que, pour eux, la foi s'arrête au seuil de la conscience et que, au-delà, il n'y a plus lieu d'en tenir compte. Pourvu qu'ils la respectent au for intérieur, ils croient avoir fait à la religion une part suffisante, la jugeant inutile ou incommode pour le reste. L'homme d'État se dédouble, pour ainsi dire : chrétien dans la vie privée, il se montre indifférent ou pire encore dans la vie publique. » (…)
« Or, c'est là une grave erreur contre laquelle nous ne saurions trop vous prémunir. L'Évangile est la loi des sociétés, non moins que des individus. Son domaine n'est circonscrit ni par les limites étroites de la personnalité humaine, ni par la sphère moins restreinte du foyer domestique : il embrasse à la fois les États et les particuliers. L'Évangile de Jésus-Christ est l'Évangile du Règne de Dieu ; et le Règne de Dieu ne peut être que complet. Rien ne saurait se soustraire à cette influence souveraine, pas plus les lois civiles et les institutions sociales que les actes privés de chaque homme. »
TOUT INSTAURER DANS LE CHRIST
« C'est de l'âme vivifiée par la grâce divine, que la grâce reçue d'En Haut doit rayonner au-dehors, se réfléchir dans tous les actes de la vie, et sortir du domaine individuel pour pénétrer en tous sens l'ordre domestique et l'ordre social. Instaurare omnia in Christo, restaurer tout dans le Christ, tout sans exception, l'âme humaine d'abord et, par elle, la famille, l'État, la société humaine, voilà l'œuvre de l'Incarnation du Verbe. Mettre la main à cette œuvre, c'est le devoir de chaque chrétien ; l'accomplir, c'est le travail providentiel des siècles. » C'est du saint Pie X avant la lettre !
Suit une magnifique description de la société civile considérée comme une immense « réciprocité de services et de fonctions ». On attribue généralement cette formule géniale à Charles Maurras. Elle est de Mgr Freppel. Cette admirable contemplation du corps mystique du Christ ne pouvait naître que d'une plume chrétienne.
« Après la société religieuse, qui est la plus parfaite des œuvres divines, rien n'est grand, rien n'est beau comme le spectacle que présente la société civile quand elle est dirigée par une main ferme et habile, et s'avance comme un vaisseau qui fend les flots dans la majesté de sa force. À la vue de cette hiérarchie des pouvoirs qui se succèdent depuis le sommet de l'échelle jusqu'à son degré le plus infime, à la vue de cette réciprocité de services et de fonctions, d'où résulte pour le corps entier le jeu facile et régulier de tous ses membres, à la vue de ce rouage merveilleux où chaque pièce vient s'ajuster à celle qui la précède et soutient celle qui la suit, à la vue de cette multitude d'hommes se retrouvant unis, après de longs siècles d'histoire, dans l'attachement à un même sol, dans le culte des mêmes souvenirs, dans le respect et la pratique d'une même foi, dans un commun héritage d'infortunes et de souffrances, de grandeurs et de gloires, à la vue de toutes ces choses, le cri du prophète sort de tous les cœurs et vient se placer sur toutes les lèvres : “ Qu'il est bon, qu'il est doux d'habiter ensemble comme des frères. ” »
À ce corps mystique du Christ s'oppose la société révolutionnaire sortie de l'enfer en 1789. Mgr Freppel ne mâche pas ses mots : « La Révolution, c'est la nation chrétienne débaptisée, répudiant sa foi historique, traditionnelle, et cherchant à se reconstruire, en dehors de l'Évangile, sur les bancs de la raison pure, devenue la source unique du droit et la seule règle du devoir. Une société n'ayant plus d'autre guide que les lumières naturelles de l'intelligence, isolées de la Révélation, ni d'autre fin que le bien-être de l'homme en ce monde, abstraction faite de ses fins supérieures, divines. » Autant dire : un retour au paganisme. Pire : « Car le paganisme plaçait la religion à la base et au sommet de la cité. L'apostasie est pire que l'infidélité. »
Or, avec le “ catholicisme libéral ”, cette apostasie pénètre au cœur de l'Église, par le biais du ralliement à la république, d'abord prêché par des évêques, tel Mgr Guibert, évêque de Gap, et bientôt par le Pape lui-même ! Ce dernier ira jusqu'à supprimer de l'acte de consécration au Sacré-Cœur, formulé par la congrégation des Rites en 1875 sous le règne de Pie IX, toute allusion à la conversion des libéraux-catholiques ! D'où l'ultime combat de Mgr Freppel. (À suivre)
Extraits de Résurrection n° 18, juin 2002, p. 13-18