Il est ressuscité !

N° 211 – Juillet 2020

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2019

Georges de Nantes, défenseur de la chrétienté

« Nous appelons les hommes de bonne volonté au combat pour le salut d’un pays où montent les fragiles promesses d’une nouvelle Chrétienté. » (Amicus, 25 octobre 1949)

ENFANT de l’Église par toutes les fibres de son  être, l’abbé de Nantes est entré dès son plus jeune âge en politique pour le salut de la Chrétienté, au nom de sa mystique. « Il n’y a pas d’Église sans Chrétienté, disait-il, comme il n’y a pas de Chrétienté sans Église », la Chrétienté étant le prolongement temporel, historique, de l’Église catholique, selon la belle devise de saint Pie X, reprise de saint Paul : « Omnia instaurare in Christo. » Dans la “ cathédrale de lumière ” que représente à nos yeux éblouis l’œuvre de notre Père, ses combats pour la Chrétienté et leurs justifications historiques, théologiques et mystiques, sont autant de solides arcs-boutants et contreforts qui étayent les murs de sa doctrine “ totale ”.

Pourquoi vouloir « tout instaurer dans le Christ » ? Parce que Lui-même le veut, que son Divin Cœur en brûle, qu’Il a offert son Saint-Sacrifice et institué son Église à cette intention, ayant reçu « toutes les nations en héritage » (Ps 2, 8) pour les offrir en action de grâces et louange de gloire à Dieu son Père.

Mais de tout temps, particulièrement dans le nôtre, il faut défendre l’une et l’autre société, car l’ennemi est aux portes, il a même investi la Cité sainte. C’est le combat des deux Cités, pour parler comme saint Augustin, des deux Étendards selon saint Ignace, dans lequel chacun se trouve engagé depuis le jour de son baptême :

« Des deux étendards, l’un est rouge et noir, portant dessinées la volupté et la terreur. Le péché et la mort sont cachés dans ses plis. L’autre est blanc et rouge comme les lys de France et l’anémone de Palestine, portant brodés deux cœurs, symboles de pureté et d’amour, avec les noms de Jésus et Marie. C’est le combat de la lumière contre les ténèbres, de la terre contre le ciel, et si les deux étendards sont également rouges, c’est parce qu’en vérité le sang répandu ici en sacrifice par les martyrs, est le même que versent les méchants en haine de la foi dans leur fureur inassouvie. Je suis passé d’un camp dans l’autre. Me voici délivré, recruté. Vivent les Cœurs de Jésus et Marie ! » (Page mystique no 56, juin 1973)

De cet affrontement, notre Père a eu le choc, pour ainsi dire existentiel et mystique, un jour de procession de Fête-Dieu, chez les Maristes de Toulon. C’était en 1936, après la victoire du Front Populaire, annonciateur de plus grands désastres encore.

« Tandis que nos voix chantaient le Tantum ergo, luttant avec l’hymne d’adoration à Jésus-Hostie, de la place de la Liberté toute proche déferlait jusqu’à nous, menaçant et profond, poussé par la masse des ouvriers de l’Arsenal en grève, le refrain de l’Internationale... Débordant, roulant ces choses précieuses comme font des épaves les vagues de la mer, l’Internationale était la plus forte, sa haine laissait désarmé ce monde-là et je le voyais bien, par quelle grâce intime je ne sais. Seule existait, au-dessus de nos têtes, la blanche hostie dans l’ostensoir d’or, notre force, notre espérance, Jésus-Christ vrai Dieu et vrai homme, devant lequel le commandant de Nantes ôtait sa casquette aux cinq galons d’or et s’agenouillait en adoration véritable, devant Celui-là seul pour lequel il est beau de vivre et il vaut de mourir. Je savais que je serais prêtre, et que c’était entrer au service de l’unique Maître qui ne déçoit pas, ou plutôt, l’Unique qui sache commander et conduire son navire au port, en grand pavois, victorieux. »

Douze ans plus tard, le 27 mars 1948, c’était fait, notre Père était prêtre et s’offrait à « être une vivante Hostie et un Pain spirituel avec le Christ pour le salut du monde ». Et le dur labeur commençait...

SUR LA DENTELLE DU REMPART

Dès ses premiers articles de politique religieuse parus dans Aspects de la France, notre Père qui voulait « défendre le pays, à ma petite place, et réparer un peu l’injustice que l’A. F. a subie depuis 1926 du fait d’un clergé français trop peu éclairé, et dévoyé de sa grande tradition de défense de la cité et de la vraie paix » (lettre à Charles Maurras du 21 janvier 1949), se montre préoccupé des conditions de salut de la Chrétienté. Quelle action mener : catholique ou nationaliste ?

« Le salut est dans l’union de ces deux actions, celle qui dicte à César ses devoirs politiques et celle qui lui impose une raison supérieure de les remplir avec ferveur... Si nous voulons faire quelque chose pour la paix, n’ayons pas d’abord de l’Histoire une vue  progressive  selon laquelle la guerre serait bientôt bannie. Cette perspective utopique nous égare : la guerre est un fait, un fait subi, ressenti dans la chair de nos frères et qu’il nous faut endiguer, limiter par des moyens politiques, des moyens humains, de force et de diplomatie, par souci de charité ­supérieure. » (17 novembre 1949)

La paix est donc possible, paix chrétienne, « de compromis et d’attente », à condition que chacun accepte et remplisse sa vocation d’enfant de Dieu. Car « le Fils de Dieu, se faisant fils en ce monde, homme comme nous, nous a appris à aimer toute filiation de la terre, à considérer notre état originel comme une vocation au bonheur éternel... Chacun en son état, en sa condition naturelle, en son lieu providentiel, est frère de l’Enfant de Bethléem, Fils de Dieu, s’il sait trouver sa paix et sa joie dans ce peu qui lui a été donné, où brille la lumière de Noël. » (22 décembre 1950)

Ainsi la Chrétienté n’est pas une idéologie, une abstraction, mais une réalité concrète, écheveau de relations, héritage précieux à défendre et œuvre historique à poursuivre, à étendre, pour en communiquer les bienfaits séculaires à qui en manque cruellement :

« Que les jeunes Français connaissent la détresse profonde des peuples qui n’ont pas mille ans de tradition chrétienne et qui en attendent le bienfait de nous seuls. Ils apprendront que la civilisation n’a jamais connu l’égalité démocratique mais la tradition paternelle ; nos vieux peuples ont une paternité à exercer vis-à-vis des peuples neufs, et ce devoir est sacré, venu de Dieu qui fonde et développe son Église par des peuples choisis. » (4 janvier 1950)

C’était écrit en pleine guerre d’Indochine. Pour tout catholique français du moment, sauver l’Empire, c’était défendre la Chrétienté dans ses avant-postes d’Extrême-Orient, face au Vietminh et à son puissant allié, la Chine, qui venait de basculer dans le camp communiste.

POUR LE SALUT DE L’EMPIRE FRANÇAIS

« Nous ne voulions pas, écrira notre Père, pour le Cambodge, le Laos, la Cochinchine, l’Annam, le Tonkin, merveilleux jardin de France en Extrême-Orient, d’une indépendance qui l’enlèverait à notre grâce, à notre loi, à nos soins – sans les libérer hélas de l’emprise maçonnique laïcarde-socialiste – pour les livrer aux incursions séculaires de la Chine cruelle et au Communisme mondial. Maintenant les gens s’émeuvent de tant et de si horribles massacres [qui se sont chiffrés par des millions de morts, selon le Livre noir du communisme]. Dans leur grand amour de “ l’homme ”, ils font la quête pour envoyer un bateau croiser en mer de Chine recueillir les évadés en perdition de ces immenses camps de la mort et de la torture ! Il paraît que c’est aujourd’hui notre devoir “ humain ”. Notre devoir était de rester là-bas. Maintenant il est trop tard. Ou plutôt, pour le moment il est trop tôt. » (CRC no 137, janvier 1979, p. 11)

Entre 1949 et 1954, notre Père rappela ce devoir sacré de la France en charge d’Empire. Il n’est que de relire l’émouvant article intitulé “ Sur nos morts sans sépulture ”. C’était au moment où la gauche pacifiste et ses complices démocrates-chrétiens prenaient ouvertement fait et cause pour le Vietminh, manifestant contre ce qu’ils appelaient la “ sale guerre ”, sabotant le matériel dans les usines d’armement, crachant sur les cercueils de nos soldats tombés au champ d’honneur. Personne ne prendrait leur défense ? Si ! “ Un prêtre de France ” :

« Loin des fanfares d’un monde pourri, j’exalterai pour vous, petits enfants, la gloire des soldats dans l’Empire ; de ceux qui portèrent la paix, l’ordre, les bienfaits de la France et sa vérité évangélique. Je vous dirai que vous êtes les héritiers du Père de Foucauld si vous jurez, près des tombes paternelles, de servir ces peuples où nous avons planté le drapeau de la France, non pour de l’argent, mais pour l’honneur et pour donner de nos propres richesses. Et vous saurez que cela est vrai, vous n’aurez pas honte de votre pays, du peuple dont vous sortez ; aujourd’hui encore, il porte au monde une sagesse, une vérité que d’autres oublient trop vite. »

Au début de mai 1954, l’abbé de Nantes participait au pèlerinage des étudiants à Chartres, au moment même où le camp retranché de Dien-Bien-Phu était pris d’assaut par les Viets. Quelle ne fut pas son angoisse et sa colère en voyant que personne, parmi les instances officielles, n’osait ou ne voulait en parler ! « Il y avait trop d’allemands, fort hautains et nous n’étions plus en famille, racontera-t-il. Il y avait aussi trop de jécistes, avec leur insane communisme de fait, enrobé dans un tissu de fariboles mystiques écœurantes. Pour nous, jeunes nationalistes, c’étaient déjà les sanglantes persécutions des chrétiens dont nous prenions le deuil. »

L’année suivante, il rappela fermement les intentions qui doivent animer tout pèlerinage de Chrétienté : « Notre-Dame de France, bannissez de ce pays qui vous est confié, l’anarchie et la haine, rétablissez-y la justice, l’ordre et l’autorité d’un chef légitime. Conservez-lui son Empire, pour y continuer son œuvre de civilisation et d’évangélisation. Gardez la Chrétienté du communisme pervers et donnez-nous dans les périls de l’heure l’intégrité de la foi. »

En octobre 1956, notre Père commença à écrire ses Lettres à mes Amis. Dès la deuxième, il montrait quel intérêt passionné il prenait aux combats terrestres du Royaume de Dieu, au nom même de l’intégrité de sa foi : « L’effroyable sort de la Hongrie catholique est venu soudain réveiller le monde... Pour vous qui suivez avec angoisse les nouvelles des troubles et des guerres, sachez bien que rien d’humain ne les arrêtera parce qu’ils sont le salaire naturel de l’immense impiété des sociétés. Gardez cependant la sérénité intime que donne l’assurance de la victoire du Seigneur de Gloire. Il reviendra, au moment où tout paraîtra perdu, où les élus eux-mêmes pourraient être séduits. »

LA TRAHISON DU PROGRESSISME

La mission de notre Père allait être précisément de démasquer cette séduction de l’Ennemi, infiltré jusqu’au sein de l’Église et revêtu de la robe évangélique. Et commencer par affirmer que la Chrétienté n’est pas morte, qu’elle n’est pas non plus “ dépassée ” comme le prétendent de nouveaux apôtres qui se targuent d’être dans le sens du “ progrès ” et de “ ­l’histoire ” :

« Du Tonkin à la Hongrie, les fidèles l’ont mieux compris que les intellectuels enivrés d’idées révolutionnaires qui voulaient être des guides, et ils ont lutté jusqu’à la mort, pour leur patrie et pour le Christ [...]. Pour ma part, depuis 1944, je me désole de voir tant de chrétiens dériver de la vraie foi, séduits par l’apparente puissance des techniques et des politiques humaines sans Dieu. Il vaut mieux être éprouvé sévèrement par le divin Sauveur des hommes que de persévérer dans cet aveuglement. Croyez-moi, ce ne serait plus bon de vivre dans le confort sans âme que nous proposent les technocrates américains, encore moins dans l’apostasie systématique et l’insurmontable lavage de cerveau du matérialisme communiste. Plutôt l’épreuve, qui redonne à notre pays le sens de sa vocation chrétienne et ramène nos chefs et nos élites à la foi pure de la tradition catholique. Si nous dépassions les réalités visibles, nous verrions l’Église dans ce sinistre universel recevoir d’incroyables accroissements. Cela seul peut donner le courage de lutter à notre place, mourir en martyr s’il le faut ou, demain, aider à la renaissance de l’Église terrestre. » (Lettre no 2, octobre 1956)

En 1956 et 1957, c’est pour voler au secours de nos soldats en Algérie affrontés à la guerre révolutionnaire sous couvert d’Islam, que notre Père écrivit une suite d’articles remarquables dans L’ordre français, contre les faux moralistes qui sapaient les fondements de cet Ordre.

« Quand l’Armée française lutte contre une poignée de hors-la-loi qui tuent, violent, incendient et assassinent, il se trouve des intellectuels pour justifier moralement les brigands et nous apitoyer sur leur sort... Que, pour forcer la main et la conscience d’un peuple sensé, ennemi du désordre, mis en défiance par les atrocités du communisme international, on aille chercher sans cesse dans la morale chrétienne elle-même de quoi légitimer l’anarchie et la rébellion, voilà le crime odieux. »

Dans un deuxième article, intitulé “ Une communauté historique à sauver ”, – le titre disait tout –, il rappelait que l’Algérie française était une œuvre de plus de cinq générations déjà, que des liens étroits avaient été tissés entre les colons français et les indigènes, non pas des liens de maître à esclave, mais dans la plupart des cas de père à fils, les faisant vivre les uns avec les autres, les uns pour les autres. C’est cette communauté historique qu’il fallait défendre, parce qu’elle était en grand péril d’être perdue pour le Christ et l’Église ! Et pour cette œuvre de salut, ajoutait notre Père, « il y a place pour des moines-missionnaires dont l’esprit serait celui du Père de Foucauld, non le Père de Foucauld moderne, celui de Robert Barrat qui vient d’être emprisonné pour excitation à la désertion, mais le vrai Père de Foucauld, moine-soldat, catholique et français, martyr de cette double cause dans son fortin médiéval ».

UNE PAROISSE DE CHRÉTIENTÉ

Le 15 septembre 1958, au jour centenaire de la naissance de Charles de Foucauld, était fondée à Villemaur dont notre Père avait été nommé curé, la communauté des Petits frères du Sacré-Cœur, en pleine communion ecclésiale et en légitime espérance d’un sursaut national, au lendemain du 13 mai 1958, où l’on crut un instant que tout pouvait être sauvé en Algérie. Certes, notre Père consacrait toutes ses énergies à l’accomplissement de son humble ministère de curé de campagne, réalisant son attrait le plus profond, mais les combats de la Chrétienté restaient plus que jamais présents à son esprit. Comme on peut le constater en relisant les Lettres adressées à ses amis, chaque 1er janvier, véritables conférences d’actualités avant la lettre.

Celle du 1er janvier 1960 par exemple, « an I de l’expansion du communisme mondial, selon les déclarations de son chef [Nikita Khrouchtchev], année aussi de la révélation du dernier secret de Fatima ». Le communisme athée opérait des ravages épouvantables, mais, faisait remarquer notre Père, « c’est avant l’entrée du communisme que le sang coulera, et ce sera au sein même de la Chrétienté assiégée, dans les éclats de haine qui jaillissent de ses divisions. Je m’explique. L’impérialisme communiste, prolongeant et généralisant les doctrines de 1789, joue d’une idée pleine de séduction pour entraîner dans sa guerre les peuples paisibles, celle d’indépendance [...]. Si tous les chrétiens, tous les civilisés, voyaient ce mal avec les mêmes yeux et une vraie résolution, il est sûr qu’un coup d’arrêt serait rapidement porté, et sans grands frais à cette décomposition du monde et des grands empires chrétiens. » (Lettre no 63)

Le drame était que le mythe sanglant de l’indépendance et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes avait pénétré l’esprit des élites et des masses catholiques avec une telle puissance d’égarement, que la tentation était grande d’abandonner un combat perdu d’avance, mais non ! notre Père gardait l’espérance :

« Je n’attends plus que de l’Église même, réveillant ses enfants, le miracle sauveur. Sera-ce le troisième Secret de Fatima qui doit être dévoilé le 13 mai prochain ? Sera-ce le Concile ? Des apparitions ou quelque événement extraordinaire ? Tout cela est possible et le Ciel est assez près de la terre pour faire paraître à nos yeux éblouis l’aide nécessaire. Mais à mesure que se précipitent les événements, le miracle ne serait-il pas que, par dizaines, puis par milliers, depuis les plus lucides jusqu’au peuple tout entier, chacun se purifie dans la prière et l’étude de tout ferment d’hérésie, de discorde ou de lâcheté, puis coure à la défense de la Cité de Dieu assaillie de toutes parts... » (ibid.)

Notre Père avait entrepris cette œuvre de purification et de combat derrière le rempart de sa Chrétienté de Villemaur, et son petit troupeau écoutait bien la voix de son bon Pasteur. Mais bientôt en Algérie, c’était le drame de l’abandon, que vécut intensément l’abbé de Nantes depuis sa cure champenoise.

ISLAM OU CHRETIENTÉ

D’avril 1961 à mars 1962, les négociations engagées avec les rebelles par le gouvernement français, avec la bénédiction de Mgr Duval, archevêque d’Alger, se soldèrent par la victoire des pires, dans le sang des martyrs. Pour tirer la leçon de ce drame à l’intention des générations à venir, notre Père en analysa les causes profondes, dans cinq Lettres successives ( nos 112-116), écrites aux mois de juillet et d’août qui suivirent l’indépendance algérienne. Elles sont capitales pour qui veut comprendre le vrai sens de l’histoire :

« Le 1er juillet, en la fête du Précieux Sang de Notre-Seigneur, le Chrétien parjure a remis l’Algérie au Musulman assassin. Cette monstrueuse livraison est le fruit d’une étroite collaboration, savante de ruse et pleine de violence, du Pouvoir avec l’Ennemi dans la crucifixion de toute une communauté historique de nom français et d’âme chrétienne. C’est un fait sans précédent dans l’histoire de notre pays », accompli au prix d’une « énorme falsification de la Foi et de la Morale », dans le sang et les larmes des chrétiens persécutés, et d’une « ruine de l’Église », les mots y sont (Lettre no 113), comme le troisième secret de Fatima l’annonçait, mais sans être encore révélé.

Et notre Père achevait par cet appel pathétique : « Ô Sainte Église, recouvre ta liberté, penche-toi sur les corps suppliciés de tes enfants, défends leur cause comme la tienne propre. L’honneur de Dieu l’exige et ton Cœur maternel. Quant aux fous qui ont détruit la maison et vendu leurs frères, guéris-les par ta Sagesse, ô Mère ! »

Mais quand un membre éminent de cette Mère Église, Mgr Philippe, secrétaire de la Sacrée Congrégation des religieux, lui posa comme condition de la reconnaissance de notre Ordre le renoncement à sa défense de l’Algérie française, notre Père lui répondit :

« Éminence, la défense de mes frères assassinés est un devoir que m’impose la morale chrétienne en tout état de cause ; la reconnaissance de l’Ordre que je viens solliciter de votre part ne relève que du Bon Plaisir de Dieu. Si ce dessein est conforme à sa Volonté, il le réalisera à son heure. Mais je ne saurais payer cette reconnaissance officielle au prix d’une immoralité certaine, et pour moi gravement coupable. »

Il n’y a rien de plus poignant pour exprimer ce devoir de charité primordiale que la Lettre que notre Père écrivit à ses amis pour la fête du Christ-Roi 1962, tandis qu’en Algérie, nos harkis se faisaient torturer et massacrer, et que chez nous les rapatriés connaissaient misère et honte :

« Seigneur Jésus, mon Roi, mon Maître, j’aurais aimé aujourd’hui chanter vos splendeurs éternelles, ou encore admirer en votre Épouse que je vois, le rayonnement de votre Gloire que je ne vois pas encore, que je verrai, c’est mon espérance ! un jour ! au Ciel ! Mais vous m’invitez avec insistance à travailler encore, en ce sinistre dimanche du Christ-Roi 1962, pour votre royauté terrestre et la proclamer, la défendre, avec les armes de lumière, contre ceux qui, même chrétiens, s’en font les ennemis ou les destructeurs inconscients. La contemplation religieuse, ce sera pour demain ou plus tard, après les prisons, après la mort, dans la béatitude de votre triomphe. Aujourd’hui, c’est l’œuvre de charité qui prévaut, de la charité politique [...]. Travailler à votre Royaume, n’est-ce pas tout à la fois vous glorifier, ô chère Tête, et soigner avec tendresse votre Corps souffrant, l’Église sainte, dans ses membres les plus humbles, les plus faibles ? car c’est toujours le petit peuple qui pâtit des erreurs et des crimes des grands. » (Lettre no 121, 28 octobre 1962)

Comment défendre cette Chrétienté souffrante ? Une fois encore, en faisant œuvre de vérité : « La Chrétienté ne tombe pas sous les coups des barbares à cause de leur puissance invincible. Rien n’est invincible aux nations bonnes chrétiennes comme aux individus armés de la vraie foi et de la prière. La Chrétienté est sans force parce qu’elle brave Dieu, renie pratiquement Jésus-Christ, pour se donner d’autres rois. »

Véritable homme de Dieu, notre Père fouaillait le cœur de son lecteur : « Qu’est donc ce roi préféré à Jésus-Christ ? attention ! ami lecteur, au tressaillement de ton cœur tu connaîtras si tu lui rends un culte. Ce roi, c’est toi. C’est l’Homme. C’est le  peuple souverain ”. Individuel ou collectif, c’est ce monstre d’une créature qui se prétend autonome et d’un chrétien qui se fait dictateur de son propre destin et de celui de ses frères, sans souci de rien d’autre que sa divine volonté ou son caprice royal. Le temple où s’exerce ce culte, c’est la politique, et nul n’a droit d’y entrer que pour adorer et servir la liberté. Les prêtres de ce culte, ce sont les philosophes et les politiciens, et leur religion a un nom, vénéré, c’est la démocratie. » (ibid.)

LE MASDU, RENIEMENT DE LA CHRETIENTÉ

L’Église tout entière, réunie en Concile (1962-1965), adopta ce nouveau culte et cette nouvelle religion, à l’encontre de toute morale traditionnelle et au détriment de ses institutions séculaires – nations, familles, écoles, hôpitaux –, conduisant ainsi ses propres enfants à l’apostasie, avant de les livrer au communisme et à l’islam. Nous étudierons dans un prochain article ce combat de notre Père contre la funeste réforme de l’Église entreprise par le concile Vatican II. Voyons-en ici les incidences temporelles.

« Un symbole frappe les imaginations : la tiare est à vendre », écrivait-il dans sa Lettre no 189, du 24 novembre 1964, dédiée « au lieutenant Xavier Pascal, mon ami, mort à Phu-Bing-Gia le 24 novembre 1950 pour la Patrie, dans les combats d’arrière-garde de la civilisation chrétienne trahie ».

Par ce geste, le Pape avait voulu abandonner son pouvoir de régence, de direction sur les choses politiques, celles-ci étant du ressort de l’homme individuel, du peuple souverain, du pouvoir laïc, sans que l’Église, au nom de la foi, ait à intervenir autoritairement en ces domaines. Privé de sa tiare, le Pape n’est plus « le vicaire de Jésus-Christ, chef d’une Chrétienté visible à laquelle il est lié par un réseau d’obligations et de services spirituels et temporels. Émancipé, le voilà maintenant témoin, parmi d’autres, bouddhistes ou musulmans, de Dieu et de l’Homme, ces deux absolus qu’il exalte en un symbole unique, le Christ. La nouvelle mystique n’est plus liée à Jésus-Christ, au dépôt de sa Vérité, aux sources de sa Grâce, à sa Loi incomparable, puisque voilà méprisée et reniée cette Chrétienté qui en était l’œuvre et le support. Les porteurs du Message évangélique se désolidarisent de sa projection temporelle, ils en condamnent les frontières, ils en nient la différence d’avec le reste du monde, à moins déjà de la trouver inférieure aux autres civilisations et cultures. Ils renient la France, l’Occident, pour rêver de l’Inde et de la Chine ! »

C’était le Masdu, parfaitement dénoncé dans la Lettre no 200 (25 mars 1965), qui substituait à la Chrétienté sacrale héritée du Moyen-Âge et des temps de la Contre-Réforme, une Chrétienté dite profane, – quelle contradiction dans les termes ! – plurireligieuse, laïque, prétendument évangélique et fraternelle, ouverte et réconciliée avec le monde moderne issu de 1789, afin de célébrer avec lui une gigantesque Fête de la Fédération, qui bazarde le capital de dix-neuf siècles de foi et de civilisation catholiques.

« Parmi les ruines des remparts de la Chrétienté et les sanctuaires désertés, une activité fébrile dresse le chapiteau du grand cirque œcuménique dénommé Masdu. La Religion, la vraie ! et les religions, toutes les sectes peu ou prou spiritualistes ou animistes, jusqu’aux idéologies athées et même matérialistes, sont convoquées dans le grand Mouvement d’Animation Spirituelle de la Démocratie Universelle. La salade des religions au service des constructeurs de la tour de Babel. » (Lettre no 240, 6 janvier 1967)

Dans son premier Livre d’accusation adressé en 1973 au pape Paul VI, notre Père dressera le bilan accablant de l’œuvre de ce pape réformateur, dix ans après son élection, sous le titre : « La Chrétienté trahie » (p. 76-84), qui montre par cent faits et discours comment et par qui elle a été trahie.

1o Un neutralisme de façade : « La Papauté nouvelle se refuse désormais à prendre parti dans les conflits de ce temps, elle ne reconnaît plus à personne le droit de revendiquer dans sa lutte le nom de chrétien et ne veut voir en aucun peuple ni État, même persécuteur, l’ennemi de Dieu contre lequel tous doivent s’unir en Croisade ». D’où la reddition aux Turcs de l’étendard de Lépante, symbole des victoires de la Chrétienté d’antan.

2o Un anticolonialisme virulent. Après l’Algérie, les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique noire, ce fut au tour de l’Angola, colonie portugaise, qui tenait bon encore, mais dont Paul VI n’hésitait pas à recevoir au Vatican trois chefs terroristes, assassins aux mains sanglantes, en désaveu direct aux présidents Salazar et Caetano. « Votre anticolonialisme rejoint celui de l’ONU, du grand capitalisme international, tout absorbé par son intérêt immédiat et mercantile, celui de l’impérialisme communiste, russe et chinois, celui de l’intelligentsia gauchiste. »

3o Un pro-communisme inconditionnel, avec la mise en œuvre de l’ostpolitik du secrétaire d’État, le cardinal Casaroli, l’étouffement des plaintes des cardinaux Mindzenty et Slipyi, et l’exaltation des Gardes rouges, chiens enragés de l’Asie : « Votre appel à la Chine, votre allégresse à l’annonce de la Révolution Culturelle, de ses saccages et de ses profanations, rappellent le Lamennais de la dernière période. »

POUR UNE NOUVELLE CHRETIENTÉ

En octobre de cette même année 1973, pour préparer la grande réunion à la Mutualité sur le thème du “ Sacré-Cœur de Jésus, salut du monde ”, l’abbé de Nantes communiquait à ses lecteurs son espérance invincible dans la Victoire finale de son Seigneur, par un tract intitulé : « Quand Jésus reviendra ».

« Vous gagnez la plus grande bataille de votre longue histoire. Tandis que votre Vicaire, vos cardinaux, vos évêques et la multitude de vos prêtres s’épuisent à la recherche d’un langage nouveau, d’un  dialogue fraternel  avec les athées, les gourous, les bonzes, les militants communistes et les terroristes chiliens, tout bonnement les âmes les plus loin de nous viennent chercher le pain de la vraie doctrine et le vin de la divine liturgie antique. Ah ! quelle séduction est la vôtre, ô mon Jésus. Que de flèches légères vous avez dans votre carquois pour ainsi blesser tous les cœurs !

« Déjà le monde attend la grande résurrection de l’Église. Déjà, dans l’écroulement de cette fausse civilisation moderne, d’Est en Ouest, l’exubérance jeune d’un nouveau Moyen-Âge catholique se prépare, aux portes des Indes, dans les masses russes et chinoises. Le continent noir tressaille et l’Amérique entière s’apprête à louer le Christ-Roi, d’une même voix en une seule langue. Le monde abandonné a faim de Vous. Oh ! non, je ne suis pas inquiet pour Vous, divin Crucifié, Ressuscité du Troisième Jour. Je suis si peu inquiet que j’envisage et je prépare déjà mon esprit, mon cœur et mes bras pour la fête messianique, demain ! Les veilles de fêtes sont laborieuses et pénitentes. Il faut se purifier pour revêtir à l’aurore les ornements sacrés et la robe nuptiale. Il faut pétrir le pain de la fête et tirer le vin le meilleur. Non, je ne rêve pas ni ne travaille pas pour rien quand je prépare, tirées de trésors enfouis, oubliés, des œuvres nouvelles pour le rassasiement des néophytes de demain... »

L’année suivante, en octobre 1974, notre Père annonçait : « Pour une nouvelle Chrétienté, sous le signe de Fatima ». Publiée dans la CRC no 87, cette conférence comprend deux parties :

« Ce qui doit mourir », ce qui est pourri, en haine à Dieu, voué au châtiment, à savoir la démocratie libérale ou totalitaire, pouvoir temporel séparé de Dieu, inspiré et soutenu par Satan, ainsi que la religion de l’homme, utopie d’une Église fascinée par le Tentateur, la Démocratie et son acolyte religieux, le Masdu, ces deux pouvoirs, spirituel et temporel, étant figurés par les deux Bêtes de l’Apocalypse, suscitées par le Dragon et que combat le Cavalier blanc, « parti en vainqueur et pour vaincre » (Ap 6, 2).

Seconde partie, « ce qui revivra », étant encore sain et saint, viable et protégé, béni de Dieu, appelé à survivre, c’est la religion de Dieu, la civilisation chrétienne, la foi en Dieu et la proclamation de son règne sur toute chair, la foi au Christ et la reconnaissance de sa Royauté publique et privée. « Partout où il y a un homme et une femme qui s’aiment il y a résurgence de la famille réelle, partout où il y a une usine, une exploitation rurale, une barque de pêche, il y a l’espoir d’une communauté professionnelle que fonde et noue un intérêt commun, partout où existe une nation subsiste un ordre politique viable, et partout où se rassemblent des chrétiens l’Église catholique survit ou peut revivre. » (CRC no 87, p. 8)

Un grand travail missionnaire, colonisateur, civilisateur attend demain nos peuples catholiques, en suite d’une très nécessaire contre-réforme et contre-révolution. « Et puis, à travers les guerres, les famines, les persécutions, les grands ébranlements de ces temps apocalyptiques, reconstruire cette Chrétienté ancienne et la changer en une Nouvelle Chrétienté, si belle, si vraie et si sage, si puissante enfin qu’elle conquière le monde. Car, la force de l’Église c’est l’Amour ! Par ce glaive elle chassera le démon de la terre, le pied virginal de Marie lui écrasera la tête, et tous chanteront l’Amour Miséricordieux du Christ-Roi ! » (p. 11)

Cette nouvelle Chrétienté “ mariale ”, déjà restaurée au Portugal après 1917, comme un signe donné aux nations chrétiennes par Notre-Dame du Rosaire, « terrible comme une armée rangée en bataille, douce comme l’aurore d’un printemps éternel », avait fait échec aux plans de la franc-maçonnerie antichrétienne. C’était, de la part de notre Père, un bel acte de foi de rappeler cela publiquement, car à Lisbonne, six mois auparavant, le président Caetano, successeur de Salazar, avait été renversé par une junte militaire rebelle. Si l’ennemi campait désormais en Terre de Sainte-­Marie, c’est en France et là seulement, en raison de notre tradition séculaire, que pouvait s’élaborer la doctrine d’un nationalisme intégralement catholique.

LA DOCTRINE DU NATIONALISME CATHOLIQUE

« Je ne peux plus écrire, tant j’ai le cœur serré. Le Viet-Nam, le Portugal, deux pays de Chrétienté que dévore vivants le Communisme, c’est trop affreux. Ce sont deux pans du monde civilisé, du monde libre, de l’Église qui s’effondrent... et chez nous tout est complice. La lecture de La Croix écœure. J’ai envie de me taire et de pleurer. Mais non ! Le combat continue. Plus que jamais, la CRC doit à tout prix savoir pour prévoir afin de pourvoir ... et demeurer dans la communion des martyrs », écrivait l’abbé de Nantes dans l’éditorial de la CRC no 91, d’avril 1975.

Cette doctrine, il l’exposa magistralement lors de la grande réunion à la Mutualité de Paris, le 22 novembre suivant, comme un appel lancé conjointement aux “ nationaux ” et aux “ catholiques ” : « Il s’agit pour tous d’admettre l’existence d’une droite catholique dans le combat national et de reconnaître le service incomparable et nécessaire que rendra demain au pays un nationalisme catholique éclairé, ardent, massif, immense force latente dans les couches profondes du peuple français. La Nation, l’Église sont le mur et l’avant-mur de la civilisation. Elles doivent se défendre ensemble, où elles périront du même coup. » (CRC no 98, p. 1)

Et c’est au cours de cette mémorable réunion publique qu’il rappela les luttes de nos Pères, pour exhorter nos amis à ne pas en avoir honte ou chercher “ ailleurs ” des exemples à suivre.

« Je ne rougis pas des Vendéens face à l’horreur des colonnes infernales. Je ne rougis pas des émigrés mais des Constituants et des Conventionnels, stupides et sanguinaires. Je ne rougis pas de la Droite légitimiste et sociale, mais bien plutôt de la bourgeoisie voltairienne et libérale, qui pressurait la classe ouvrière sans pitié ni honte. Je suis fier de l’Armée et du clergé qui combattirent le parti ­dreyfusard, machine de guerre judéo-maçonnique montée pour la ruine de la France. J’applaudis les Camelots du roi s’opposant aux Inventaires, imposant à la République le culte national de Jeanne d’Arc. J’admire immensément les soldats paysans de 1914-1918, la plus héroïque des guerres, et je regrette leur défaite électorale de 1924. Je méprise le Cartel des Gauches de Herriot et le Front Populaire de Blum, les grands responsables de la défaite de 1940. Je remercie Franco, la Phalange, les carlistes pour leur Croisade libératrice. J’estime et j’aime le maréchal Pétain et sa Révolution nationale, magnifique sursaut, essor de la jeunesse française. Je hais l’Épuration sanglante de 1944, et tous ses complices. Je suis fier de nos paras et de nos légionnaires, combattants de la Chrétienté dans les rizières et les djebels, soldats de l’Empire français, poignardés dans le dos par nos intellectuels et nos curés de gauche, jusques et y compris les plus purs de l’OAS, dernier carré de la fidélité nationale... »

« Ceux qui n’y étaient pas doivent savoir qu’à chaque verset de cette litanie sacrée, d’immenses applaudissements saluèrent les héros et les justes que j’évoquais, hachant mon discours. »

(CRC no 100, décembre 1975, p. 9)

En 1976, nouvelle réunion, nouveau rendez-vous du nationalisme catholique, sur le thème : “ Authenticité française ”. « Il s’agit de comprendre d’abord tout ce qui se passe dans le monde à la lumière de notre Christ bien-aimé, qui est Roi des rois et Seigneur des seigneurs et qui régnera, nous en avons la ferme conviction puisée dans les Saintes Écritures depuis Isaïe jusqu’à l’Apocalypse, sur tous les peuples de l’univers, d’un pôle à l’autre, parce qu’il est le plus fort. De vous dire cela, j’ai le cœur bondissant. Et vous, de l’entendre dire, de l’applaudir de toute l’ardeur de votre foi, de votre espérance ferme et de votre charité pour vos frères, dans un monde suicidaire, vous retrouvez ensemble le sens de notre existence, de notre vocation de chrétiens qui est d’aider, de participer au salut de l’humanité et non d’assister, muets d’horreur et impuissants, à sa chute... » (CRC no 111, novembre 1976, p. 1)

Pour condenser cette doctrine de vérité et de salut, notre Père présentait “ les cent cinquante points de l’authenticité française ”, première version des 150 Points qu’il plaçait sous le patronage du Père Charles de Foucauld, « dont le sang est une semence de nouvelles chrétientés ». Ce saint est nôtre, car il sut allier le service et l’amour passionné de Jésus au dévouement pour la France, dans une claire et ardente vision de toutes les exigences du salut commun :

« Ce que l’Ermite du Hoggar nous a légué en sorte de testament spirituel et temporel, c’est l’amour retrouvé du vieil ordre séculaire avec lequel il nous faut renouer par-delà les aberrations du monde moderne et ses principes révolutionnaires. Non seulement pour notre sécurité, notre paix, notre bonheur, mais pour étendre cet incomparable bienfait à nos frères, musulmans et païens de nos colonies, et jusqu’aux plus déshérités et des abandonnés des infidèles. Que si nous renions notre propre héritage, comment pourrions-nous apporter le Christ au monde ? Telle est la gageure où s’est follement jetée l’Église en notre temps, mais sans autre résultat que la ruine de l’ordre politique séculaire français, porteur de civilisation humaine universelle, entraînant bientôt sa propre ruine. Jamais arrière ! Foucauld nous appelle au combat, mais sa nouvelle vocation de  frère universel  nous en donne le sens et la mesure : c’est un combat chrétien, une Croisade pour que tous les peuples entrent dans le bienheureux héritage de l’Amour de Jésus. » (CRC no 112, décembre 1976, p. 22)

Enfin, en 1977, l’abbé de Nantes n’hésita pas à confronter cette doctrine traditionnelle, catholique et nationale, à l’émergence d’un nouveau courant non conformiste et agressif, celui des “ Nouveaux Philosophes ”, enfants de Mai 68 mais aussi de la révélation faite en 1974 par Soljenitsyne de l’horreur des goulags soviétiques. André Glucksmann dans “ Les Maîtres penseurs ”, Bernard-Henri Lévy, dans “ La barbarie à visage humain ”, parus l’un et l’autre en 1977, manifestaient une telle volonté de s’affranchir de l’oppression intellectuelle des idéologies en vogue, le « Savoir du Pouvoir », comme ils disaient, en même temps qu’une telle nostalgie de la Chrétienté sacrale, eh oui ! que notre Père saisit la balle au bond et voulut leur tendre la main. D’où le thème de la grande réunion de novembre à la Mutualité : “ Goulag ou Chrétienté. Réponse aux nouveaux philosophes ”, dont il fit un numéro spécial, à relire aujourd’hui ! et qu’il concluait par ces mots : « Il n’est de salut en face du Goulag que dans la réconciliation de tous, comme jadis, en doulce France, pays de Chrétienté. » (CRC no 124, décembre 1977, p. 24)

Oui, mais à condition que l’Église ne prêche pas un « autre Évangile » (Gal 1, 6) !

LES DROITS DE L’HOMME, ANTICHRÉTIENTÉ

Jean-Paul II, élu le 16 octobre 1978, se présenta d’emblée comme le successeur et le disciple de Paul VI, se faisant fort de répandre son “ nouvel humanisme ” et de réconcilier l’Église avec le monde moderne athée, sur la base d’une défense commune des Droits de l’homme. « Le chemin de l’Église, c’est l’homme », disait-il. Et « le respect de ses droits inaliénables est la base de tout ».

Conséquences pratiques : dans tous ses voyages, le Pape des Droits de l’Homme réveilla l’esprit de résistance et de libération, dans son pays natal la Pologne puis dans le monde entier. Tout combat libérateur, toute subversion lui étaient fraternels. C’est ainsi que, de conserve avec les organisations maçonniques internationales, le Pape prit la défense de “ l’Homme ” contre les dictatures de sécurité nationale, contre les régimes antidémocratiques, antiparlementaires et donc anticommunistes, tels le président Marcos aux Philippines ou le général Pinochet au Chili.

Notre Père a montré en maintes occasions, mais peut-être jamais d’une manière plus claire, plus incisive que dans les CRC no 137 et no 141 (janvier et avril 1979), à quel point cette prétendue défense de l’Homme était une « mascarade pour un massacre », un principe vicieux, un reniement de la foi et de la morale chrétiennes, et que la Déclaration des Droits de l’homme de 1948, dont on fêtait le trentième anniversaire, est « l’anti-Chrétienté par excellence ».

« Tous nos crimes, depuis 1789, tous nos mensonges, toutes nos perfidies, nous les avons voulu commettre et, loin de nous en repentir, nous les revendiquons hautement, au nom des droits de l’homme. » Le droit à la Liberté religieuse, proclamé au Concile, est le plus corrosif de ces droits, « un crime politique » avant d’être « un attentat contre la vraie religion ».

En revanche, le Syllabus est la Charte du “ bien vivre ” en Chrétienté, charte d’amour de Dieu et du prochain, dans la confiance et la soumission à la Volonté de Dieu et de ses représentants, permettant à chacun de progresser en toutes sortes de vertus humaines, de repousser les barbares et d’attirer les peuples par la supériorité de nos institutions et de notre foi. Contre lui se concentre toute la haine intellectuelle de notre génération perverse, mais « c’est le secret, sûr et certain, vérifié par les siècles, inébranlé par la critique, garanti par Dieu et par son infaillible Église, de la bonne vie sur terre, dans la justice et dans la paix, en vue de l’obtention du salut éternel ».

Au contraire, la Déclaration des Droits de l’homme est, dans ses principes comme dans son application, un masque de la haine de Dieu et du prochain, sans charité, d’un égoïsme illimité, inhumain, incapable d’instaurer un ordre, une paix sociale, un droit civil juste et pacifique : « Les Droits de l’homme excluent quelque autorité ou droit de qui que ce soit sur l’homme, l’individu humain. Ce ne sont que des droits de l’individu contre tout être qui pourrait ou voudrait les menacer, les limiter, les suspendre. Dès lors, par le jeu automatique de cette Charte des Nations unies, l’homme revendique tout pour lui contre Dieu, contre les autorités qui prétendent le gouverner, contre les communautés dont il est membre, contre les autres hommes, tous ces autres qui le gênent, qui lui portent ombrage  injustement ”. Ainsi toutes les relations d’origine, d’autorité, de service sont désacralisées, démystifiées, prétendues oppressives et aliénantes, dissoutes. Il ne subsistera à ce nouveau 14 Juillet, à cette Nuit du 4 Août, que des relations de coalition, horizontales, contre les autorités à abattre, celles de l’État aujourd’hui, oui ! et tout pareillement celles de l’Église demain. » (CRC no 137, janvier 1979, p. 12)

Notre Père rappelait que René-Samuel Cassin fut l’instigateur et le rédacteur de la fameuse Déclaration : « Cet obscur prof’ de droit saisit la chance de sa vie en suivant le général de Gaulle à Londres en 1940. Devenu le conseiller juridique du général félon, il décréta que le gouvernement du maréchal Pétain était illégal, en déduisit que ses actes, lois et décisions n’avaient aucune valeur légale, que les ministres, fonctionnaires, diplomates, cadres de l’armée qui les appliquaient étaient tous coupables d’intelligences avec l’ennemi, de crime de haute trahison. Postulat qui servit de base à l’épuration qui suivit la libération. C’est ainsi que l’auteur du plus beau texte écrit de main d’homme pour la défense de l’homme ” (dixit Etchegaray) est, par hommes de main interposés, tueurs partisans ou juges rouges, le responsable en droit des deux cent mille assassinats légaux de ladite Libération. Accessoirement, ce monsieur était aussi l’un des propriétaires et vieux rédacteurs d’Ici-Paris, journal porno où il ne dédaignait pas d’écrire... Il y a, entre cette ignoble vie et  l’un des plus beaux textes écrits de main d’homme ”, une connivence, une suite logique, d’une logique maçonnique... C’est ainsi que l’ONU, garante des droits de l’homme, prépare à grands frais, en tous les points chauds du monde, le plus grand massacre de l’histoire, toutes forces, toutes autorités tutélaires ayant été follement contestées, affaiblies, détruites. » (ibid., p. 14)

UNE SAGESSE POLITIQUE TOTALE

Pour contrer les effets néfastes de pareille idéologie, machine de guerre contre toute autorité politique et religieuse créatrice d’ordre, et de la morale solipsiste qui en découle, pour sortir aussi du dilemme primaire dans lequel s’est enferrée la “ science politique ” actuelle : démocratie ou dictature ? il était urgent d’opposer une science et une sagesse politiques “ totales ”. Ce que fit notre Père d’abord en rédigeant les 150 Points de la Phalange, qui est peut-être le plus beau service de la Chrétienté qu’il ait rendu : « Je suis catholique. Je suis royaliste. Bientôt, le communisme ayant officiellement changé de nom et de masque, sans pour autant cesser de ravager la terre, je pourrai déployer mon drapeau rouge, orné du seul cœur d’or surmonté de sa croix et me proclamer tranquillement communiste ! Ces trois honneurs, ces trois bonheurs n’en faisant qu’un. » Démonstration qu’il poursuivit dans ses cours de Politique totale, à la mutualité, en 1983-1984, dans la ligne du Syllabus et du maurrassisme initiateur. « C’est servir qui est le premier dans les cœurs », disait Maurras. Certes, dans les cœurs bien nés et bien éduqués, mais pour les autres ?

Sa métaphysique relationnelle apporte à cette question cruciale ses lumières décisives, aux antipodes du substantialisme aristotélicien et de son dernier avatar, le personnalisme de Karol Wojtyla, où l’individu est roi, dieu même ! s’autocréant, s’autoaccomplissant et, seulement par accident de naissance ou malencontre, citoyen d’une nation, membre d’un corps social toujours oppressif, gênant sa liberté et offusquant sa gloire. Cette nouvelle métaphysique, qui constitue un génial approfondissement du thomisme (cf. l’article de frère Guy de la Miséricorde, dans Il est ressuscité no 203, novembre 2019), définit la personne par ses relations, à commencer par sa naissance et par sa création antérieure, et elle lui connaît pour idéal, vocation, devoir et même “ volupté ”, de s’accomplir dans la connaissance, l’amour et le service des autres, proches ou moins proches, jusqu’aux limites de la famille humaine et à Dieu. Quoi de plus rassasiant ! Et surtout quel remède aux maux du temps présent !

À l’échelle de la nation, cela engendre une alliance durable entre le chef légitime et le corps social dont il est la tête : « Le jour où le chef cesse de considérer son peuple comme sa chose, son bien propre, sa proie à lui, à sa famille et à ses favoris... Ce jour même, le peuple cesse de se sentir dominé, livré à l’arbitraire, comme un objet de jouissance ou d’échange. Alors l’un et l’autre, le Roi et le royaume venant à la rencontre l’un de l’autre, font alliance et amour ; ils se donnent, lui comme chef et seigneur, à elle comme épouse fidèle et corps. Ce jour-là le mysticisme politique est né dans une nation accomplie. » (CRC no 195, p. 10)

C’est ici que notre Père enrichit la doctrine du nationalisme catholique héritée de ses Pères, « en inventoriant tous les trésors qui ont embelli, transfiguré la réalité politique dans l’esprit et le cœur de nos Français aux plus beaux temps de leur histoire, si nous voulons la sauver de l’absurde, de l’immonde désordre où la voici plongée ». Cet inventaire émaille son propre “ Discours sur la France ”, prononcé à Paris cette même année 1983 et publié dans la CRC no 198, de mars 1984, dont ses cours d’Histoire volontaire de sainte et douce France seront entre 1988 et 1996 le développement.

Comment donc contrebattre, anéantir les nuées sanglantes de Démocratie, Droits de l’Homme, Liberté des peuples, et préparer la restauration de la Chrétienté universelle de nos espérances ? « En revenant aux dogmes de notre foi catholique qui règlent aussi notre vie politique, et en exaltant le mysticisme politique de notre monarchie très chrétienne, ce nationalisme sacral où tout ce qui est de notre nature et de notre civilisation est pénétré de vertu chrétienne et rayonne de la divine Beauté. » Comprendre le désordre du monde et crier son espérance serait cependant bien peu si on ne pouvait en certaines occasions s’engager, « prendre parti hardiment » disait le Maréchal. Plusieurs fois, notre Père jugea de son devoir et de la vocation de la Phalange de descendre dans l’arène.

DANS L’ARÈNE POLITIQUE

En 1985, pour garder la Phalange des pièges tendus à la droite française, autour du « problème de l’immigration », il accordait un entretien à la Lettre de la Communion phalangiste, pour expliquer avec une sagesse consommée qu’il s’agit d’une « affaire d’État » au plus loin de tout racisme (publié dans la CRC no 243, mai 1988).

En ce même mois de mai 1988, au terme de deux années de gouvernement de droite, dirigé par M. Jacques Chirac, l’enjeu des élections présidentielles était considérable : soit le retour à droite se confirmait, soit il était inversé. Dans son angoisse pour le salut et la survie de la France, – et de la Nouvelle-Calédonie, pour qu’elle demeure française ! – « dans l’aventure démocratique où elle se trouve jetée une fois encore, exposée au caprice d’un peuple prétendument souverain, esclave en réalité de pouvoirs occultes conjurés à sa perte », l’abbé de Nantes préconisa le vote Chirac, à l’encontre de “ la politique du pire ”, prônée par Jean-Marie Le Pen, à savoir le vote Mitterrand ou le vote blanc.

« Si nous ne sommes pas adonnés par vocation à la vie recluse en Dieu, écrivait-il le 13 avril, et si notre service du Roi ne s’oppose pas absolument à toute participation aux élections, nous devons, nous semble-t-il, en ce péril extrême, pour notre infime part voter utilement, et si nous avons quelque autorité ou influence spirituelle, par lesquelles l’impie et l’absurde système démocratique peut être corrigé et amendé, user de tout notre pouvoir pour aider la multitude à faire le choix le meilleur, ou le moins mauvais, pour la survie immédiate et le redressement à venir de la Nation sainte, notre patrie, la France. »  (CRC no 242, avril 1988, p. 1)

Plus que la défaite de Chirac, causée par la trahison de Le Pen, ces élections d’avril-mai 1988 marquèrent la défaite de ceux qui ne s’occupaient que de la France, de son bien commun, immédiat et lointain, par loyalisme nationaliste. « Profitons de la leçon en vue d’un meilleur service de la France, écrivait notre Père sans se décourager, si l’occasion s’en présente, ainsi ou autrement. Qu’il soit bien entendu que nous ne sommes pas des politiciens, que nous ne sommes achetés par personne, ni les féaux de personne. Nous abhorrons la démocratie, plus que jamais ! son impiété, son absurdité manifestes, et nous aspirons à la délivrance céleste de la France, du joug judéo-maçonnique qui la tient captive par ce régime de mal et de mort, pour la voir rendue à son divin Roi et à sa douce Reine, Jésus et Marie, dont elle est la terre de prédilection. » (Lettre à la Phalange no 20)

La même pensée l’habitait en janvier 1991, lorsqu’il invita les phalangistes, qualifiés de “ nationaux catholiques ” dans la presse, à soutenir l’effort de notre armée engagée (follement) dans la Guerre du Golfe. « Toutes craintes et hésitations basculèrent dans l’oubli, du jour où la guerre fut engagée. Impossible d’imaginer de critiquer, de déserter, de trahir... Comme Français, nous nous savions obligés en conscience d’obéir au pouvoir établi, car toute autorité vient de Dieu ”. Comme catholiques, notre charité nous faisait voler à l’aide de nos soldats, connus et inconnus, par la prière, par la pénitence, par l’effort de propagande patriotique et d’union nationale en vue d’un engagement commun, plein d’ardeur et soutenu, derrière eux, avec eux. » (CRC no 270, janvier 1991) Cette chronique de la Troisième Guerre mondiale vaut d’être relue aujourd’hui. Notre Père y parle en sage et en prophète.

L’occasion se représenta en 1992, lors du referendum sur le traité de Maastricht, qui bradait la souveraineté française. L’abbé de Nantes n’hésita pas à braver les foudres républicaines en titrant le numéro spécial de juin-juillet de la Contre-Réforme qui était consacré à son analyse : « Le traité de Maastricht, Sedan diplomatique : Mitterrand après de Gaulle en Haute Cour ! » et en invitant nos phalangistes à un “ non ” franc : « Que votre non soit non ! une nouvelle fois comme il a dû, ou aurait dû être, le 18 juin 1940 à l’appel sinistre du Rebelle, du félon Charles de Gaulle, restaurateur de la République contre la France, et depuis à toutes les trahisons, répressions, subversions, guerres civiles, décolonisations, déchristianisations de la France catholique mise à l’encan. Comme aussi a dû, ou aurait dû être votre non à l’appel des Papes et du Concile à la Réforme de l’Église, à sa républicanisation, à sa laïcisation et à la cascade d’hérésies, de schismes et de scandales qui s’en sont suivis. Seul est parfaitement intègre et saint, ce non décidé à toute révolution et le oui au Christ vrai Seigneur et Sauveur de l’Église, vrai Roi de France aussi et de toutes nos patries et frairies bien-aimées. »  (Lettre à la Phalange no 39, 6 juillet 1992)

Malgré le matraquage du “ pays légal ” soutenu par les médias aux ordres, malgré la victoire à l’arrachée de l’Anti-France, le “ non ” du pays réel n’avait cessé de progresser, ce qui faisait écrire à notre Père : « Pour la première fois, nous sentions que tout ce que nous disions et voulions était l’expression d’un nationalisme catholique français que l’opinion du pays réel est disposée à faire sien. Nous ne sommes plus contre tous, obstinés mais incompris. Nous sommes avec la France qui ne veut pas mourir et les Français déjà durement atteints par la gabegie républicaine, ou menacés pour le proche avenir de rejoindre la masse grossissant de jour en jour des chômeurs, des retraités, des nouveaux pauvres, des oubliés de la République et des victimes de l’Europe... Nous sommes heureux de marcher avec notre peuple français, et catholique, réveillé de sa torpeur, inquiet de son avenir. Nous travaillons pour lui, non pour nous. Nos solutions et nos vœux, nos prières aussi, sont pour son salut, son redressement économique et monétaire, mais oui ! et plus généreusement pour son relèvement physique et moral, pour sa renaissance spirituelle, son retour ardent au Christ qui est vrai Roi de France, à la Vierge Marie, sa bonne Mère et sa Reine. »  (Lettre à la Phalange no 41, 17 novembre 1992)

Pour garant et modèle de cet engagement temporel, qualifié de temporalisme par ses adversaires, l’abbé de Nantes pouvait invoquer l’éminente figure de Mgr Freppel, le courageux évêque ­d’Angers qui n’hésita pas à « entrer en politique » au nom de la Religion, pour la défense des intérêts de l’Église menacés par les vrais républicains, en se faisant élire député du Finistère catholique et en siégeant à la Chambre dix années durant. Notre frère Pascal a commencé à raconter cette lutte inexpiable dans le tome III de sa biographie, sous le titre : « Dieu ne nous demande pas de vaincre mais de combattre. » (1880-1886)

LE PROJET D’UN « MOUVEMENT FREPPEL »

Notre Père voulut même s’effacer devant le maître de la Contre-Révolution catholique au dix-­neuvième siècle, en lançant l’idée d’un “ Mouvement Freppel ” : « Si jamais, disait-il, doit paraître en France, parmi le peuple catholique, une Croisade de Chrétienté  qui veuille aboutir à la restauration de l’ordre catholique, royal, communautaire millénaire, et vaincre la Révolution par la seule force de la grâce divine, de la foi et de la charité des âmes les plus généreuses, elle devra se mettre à l’école de Mgr Freppel, Alsacien fidèle à la France tout autant qu’à son Alsace natale, et docteur incomparable, maître ès sciences humaines et divines, génie politique autant qu’ecclésiastique. » (CRC no 318, décembre 1995, p. 15-19)

Il l’annonça à la grande mutualité du 12 novembre 1995, « Pour la France en péril, un chef catholique ! » et... pour l’Algérie, qui était alors à feu et à sang, tiraillée entre FLN et FIS. « Il faudra que nous allions jusqu’au bout de la débâcle pour comprendre que les institutions républicaines sont absolument incapables de nous sortir des trente et cent problèmes urgents qui nous prennent à la gorge... Il y aura certainement des catastrophes épouvantables et dans ces catastrophes, l’aide de Dieu, de la Sainte Vierge, des saints. » Mais dès maintenant, il faut préparer le redressement, la résurrection de notre Patrie, et pour cela, constituer une sorte de « bureau d’études et de conseil », non pour faire de la politique politicienne, électoraliste, mais pour juger de l’évolution des choses d’une manière concrète et réaliste, comme le pratiquait déjà “ Amicus ” cinquante ans auparavant, et Mgr Freppel en son temps.

D’abord préparer, par une ardente croisade eucharistique et mariale, le “ pèlerinage Jean-Paul Ier ” du 13 octobre 1996, pour au retour, nous enrôler dans cette deuxième Croisade : « Renonçant à la politique des hommes, à tout orgueil, toute indiscipline, toute rébellion laïque, démocratique, anarchiste, nous entrerons dans notre propos de pèlerinage à Fatima, en faisant nôtre la politique de Dieu, qui est catholicisme, monarchisme sacral, et fidélité à nos familles, à nos communautés, à nos traditions dans l’Amour qui surpasse toute connaissance et tout bien. »

Notre Père analysa le jour de la fête de Jeanne d’Arc, 12 mai 1996, le détournement que fit en son temps le Maître de l’Action française de la grande tradition des Blancs du Midi, qui unissaient, comme les Vendéens, leur religion, leur fidélité dynastique et leur dévouement social. Frère Bruno l’a montré dans son dernier article : la haine de Jésus-Christ, enfouie dans le cœur de Charles Maurras, a conduit l’Action française à une politique naturaliste, païenne (Le Secret de Maurras, Il est ressuscité no 209, p. 3-11). Cette œuvre ne pouvait aboutir, car Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. »

Et notre Père d’évoquer la sainte de la Patrie : « C’est la leçon saisissante de la vraie Jeanne d’Arc qui m’a donné le courage de rompre une fidélité de toujours avec la pensée de Maurras, agnostique ”, et avec un combat d’Action française d’où la foi en Jésus-Christ était exclue au prétexte d’un nécessaire compromis nationaliste et d’un Politique d’abord qu’aura abominé Jeanne d’Arc jusque dans la pensée des conseillers du roi et de Charles VII lui-même. Tout cela reste à mettre en œuvre sous la bannière de JÉSUS-MARIE ”, Roi et Reine de France. »  (CRC no 322, p. 4) Mais alors, pourquoi un “ Mouvement Freppel ” ? Parce que l’évêque d’Angers dénonçait déjà « l’erreur capitale de notre temps : la séparation de l’ordre religieux d’avec l’ordre civil, politique et social. Si l’indifférentisme religieux est un crime, l’indifférentisme politique est une faute et un non-sens. »

En 1997, après son exil, notre Père est revenu sur cette œuvre à entreprendre, un jour, quand Dieu voudra : « Puisque la Sainte Vierge nous a fait savoir à Fatima que ce n’était pas la fin du monde, il nous faut cesser de pleurer et de nous lamenter sur les crimes du monde pour comprendre dans toutes ses dimensions la catas­trophe dont nous sommes les témoins, pour l’interpréter à la lumière de notre foi, dans l’espérance que nous rece­vons de Notre-Dame, et ainsi reconstituer un système du monde traditionnel capable de restructurer notre société humaine actuelle, avec l’aide de Dieu.

« Ce n’est pas absolument impossible, à condition de prendre le contre-pied de deux principes absurdes et impies : à savoir, de tourner le dos à la mondialisation donnée comme la base de toute résolution des problèmes humains actuels ; et de fermer notre religion catholique à tous les appels et aspirations des autres groupes humains, de leurs cultures, valeurs et religions. C’est la folie d’apostasie et d’idolâtrie qui doit être dénoncée et ex­pulsée de nos communautés encore subsistantes, afin de retrouver à leur échelle et dans leur autonomie politique et religieuse restaurée, les lois divines et humaines millé­naires qui leur permettent de vivre dans la foi catholique et dans l’ordre politique de notre civilisation retrouvée.

« À l’échelle de nos familles, à celle de notre Phalange, en espérance à l’échelle plus vaste et encore défendable, de notre France, et de nos restes de Chrétienté... dans le désintérêt et le rejet des structures mondiales et anti­christs qui étouffent le monde. Tel sera le grand œuvre d’un ordre temporel à mettre en chantier à mesure que la Sainte Vierge redonnera au monde, sous l’égide de son Cœur Immaculé, un temps de paix, et à l’Église un Magistère capable de soutenir pareille Contre-Révolution de toutes les forces de sa doctrine et de ses sacrements. Que voilà de grandes choses, à préparer bien pe­titement et modestement, au Nom du Seigneur Jésus et de sa Sainte Mère, sans autre appui que surnaturel, et sans jamais rire de la petitesse des moyens humains, quand on espère en la puissance des secours divins promis. » (août 1997)

On ne fait rien de bon, surtout en France, sans la foi catholique, ni sans tenir compte des dispositions de l’Église, et quand l’Église est démocratique, œcuménique et mondialiste, il n’y a plus qu’à prier pour que le Pape se convertisse. Là est la question capitale, que notre Père élucida en 1999, « l’année sainte du Sacré-Cœur ».

LA LEÇON DE PORTO ET DE FATIMA

Pour le centenaire de la consécration du monde au Sacré-Cœur, il voulut se rendre avec les communautés en “ Terre de Sainte-Marie ”. Ce fut une visite de grâce « aux deux Maries, messagères et victimes, humbles servantes des divins Cœurs de Jésus et de Marie », mère Marie du Divin Cœur à Porto et sœur Lucie du Cœur Immaculé de Marie à Coïmbre.

« Ici et là, deux vierges très pures et sanctifiées à l’extrême sont à vénérer ; la première a fini de vivre son Calvaire, et son message est bien parvenu au pape Léon XIII, et pourtant les promesses divines n’ont pas répondu aux supplications de la sainte et, comme nous le verrons, par un obstacle tout infernal. Il n’y a qu’à y aller pour voir que cette consécration est mort-née, pour le plus grand déplaisir du Sacré-Cœur, malgré saint Pie X. Quant à la seconde de ces vierges, sœur Marie-Lucie du Cœur Immaculé, si elle achève sa course nonagénaire sur cette terre d’exil, à Coïmbre, c’est pour témoigner jusqu’au bout de la vérité de son message qui, lui, n’a été honoré que des lèvres et sans observation ni considération des Volontés divines, exprimées maintes fois tant par Jésus lui-même que par sa Mère ! » (8 décembre 1998)

Ce sont deux maux étranges, la “ léontreizine ” pour le premier des messages du Ciel, le “ culte de l’homme ” pour le second, qui font obstacle aux desseins de miséricorde des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie sur notre monde, empêchant la restauration de la Chrétienté voulue par le Ciel, provoquant le déchaînement des forces de Satan. Notre Père s’attela, en préparant notre pèlerinage, à faire toute la vérité sur ces deux vies qui contiennent de grands secrets, tour à tour lumineux et douloureux. Et voici sa conclusion :

« Pressé de renouer le fil d’or et d’argent de l’Orthodromie catholique, celle qui aboutit aux promesses inconditionnelles de Notre-Seigneur à Porto, en 1899, et à celles de l’Immaculée Vierge Marie à Fatima, en 1917, je veux, rompant avec toute prudence mondaine, vous démontrer qu’entre le Christ et son Vicaire sur terre, il existe un  bras de fer ”, une épreuve de force, oui ! sur le  défi  déjà ancien que voici : le Pape, il y a cent ans, s’est réservé en souverain absolu le domaine de sa politique et le jeu passionnant, enivrant, de sa diplomatie personnelle, et depuis, il en refuse la propriété et la conduite à Jésus-Christ et à sa Sainte Mère, faisant ainsi obstacle aux desseins de grâce et de miséricorde qu’en leur Très Unique Cœur aimant et compatissant, ceux-ci ont conçu sur l’ordre de leur Père Céleste, à la louange de sa Gloire et pour la conversion des pauvres pécheurs.

« Il faudra bien enfin que l’un des deux partis l’emporte, car tant d’âmes se perdent dans l’intervalle, par suite de cette infidélité monstrueuse, et bien fol est Celui qui croit toucher au but en cette fin de siècle et fin de sa propre vie, dont nous savons que l’Heure approche. Serait-ce lui, serait-ce plutôt son successeur qu’en une vision prophétique, la petite Jacinthe a vu, insulté et persécuté, agenouillé devant une table, la tête dans les mains, et pleurant  ? » (CRC no 356, mai 1999, p. 5)

Nous en sommes encore là aujourd’hui : à quand les larmes du Pape, pour la conversion du monde, le salut des âmes et la restauration de la Chrétienté ?

Petit fait significatif : le jour même où nous étions à Fatima, nous préparant à la veillée qui commémorait l’apparition du 13 juin 1917, un raid de parachutistes russes investissait l’aérodrome de Pristina au Kosovo, prenant de vitesse les forces de l’Otan, « avec un sens diplomatique magnifique, écrira notre Père, comme des vengeurs de l’opprimé [serbe], sauveurs des faibles, vainqueurs pacifiques devenus maître du champ de bataille pour suspendre les projets criminels des âmes perfides [américains] ». Après dix ans de gabegie et de décomposition, c’était le premier acte de redressement de la Russie, devenant le seul rempart de l’Occident chrétien contre l’islam. Prodigieux renversement des alliances ! Le 9 août 1999, Vladimir Poutine accédait au poste de Premier ministre et, l’année suivante, en mars 2000, il était élu président de la Fédération de Russie. On sait la suite. L’abbé de Nantes avait prévenu, dès 1982, que la Russie donnerait la première le signal de la contre-révolution : « La Russie convertie évangélisera le monde. » (CRC no 114, décembre 1982)

Notre Père a donc mené son combat jusqu’à la fin, en bon et fidèle serviteur qu’à son retour le Maître a trouvé veillant sur la dentelle du rempart de la Cité Sainte. Docteur mystique de la foi catholique, il sera reconnu demain comme un authentique Défenseur de la Chrétienté et ses leçons données en exemple.

frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours.