Il est ressuscité !

N° 211 – Juillet 2020

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2019

VIII. Vatican II : progressisme, modernisme, gnose.

DES LETTRES À MES AMIS À L’AUTODAFÉ :
LA PROGRESSION DE LA DÉNONCIATION DE NOTRE PÈRE.

À l’été 1989, notre Père annonce pour thème de sa  prochaine conférence à la Mutualité : « La plus grave affaire de ma vie. » Et il explique : « L’affaire est d’autant plus grave que, connue de tous, personne ne devine de quoi il s’agit. » Eh bien, voici : « Ma vie est remplie du drame effrayant de mon insurrection, depuis quarante-cinq ans, contre mes maîtres. Et depuis vingt-cinq ans, contre le plus formidable des conciles, et depuis vingt ans, publiquement contre les papes Paul VI et Jean-Paul II que j’accuse d’hérésie, de schisme et de scandale. Entouré d’une poignée de frères et de sœurs, et d’une petite phalange de disciples et d’amis. C’est un fait unique en deux mille ans d’Église. C’est bien la plus grave affaire de ma vie... »

Nous allons retracer ce combat de notre Père contre le “ Nouvel Esprit ” à l’œuvre dans l’Église, avant, pendant et après le concile Vatican II sous l’angle de sa critique des Actes du Concile qui en sont l’incarnation et dans lesquels il a identifié l’infiltration de trois hérésies – le progressisme, le modernisme et la gnose – qui ont bouleversé notre sainte religion. À la suite du jeune abbé de Nantes des Lettres à mes Amis nous observerons d’abord la montée du progressisme antichrist à l’œuvre dans l’Église à la veille du Concile. Puis avec l’abbé de Nantes de la Ligue de Contre-Réforme, nous étudierons comment ce Concile moderniste a réformé l’Église et l’a réconciliée avec le progrès moderne. Enfin, nous suivrons le frère Georges de Jésus-Marie de Vatican II Autodafé, dans sa confrontation avec la gnose conciliaire du début des années 1980 jusqu’au soir de sa vie, dans le combat décisif d’Hauterive.

Son œuvre critique, il faut le dire en préalable, reste unique. Personne ne s’est confronté aux textes du Concile avec autant d’intelligence, de science et même d’ouverture que notre Père. Il est le seul à l’avoir compris, tant dans son esprit que dans ses Actes promulgués qui ont ruiné l’Église. Il est certainement le seul aussi à n’en avoir jamais été le complice, ni direct ni indirect, et à avoir combattu jusqu’au bout de sa vie le bon combat, nous entraînant à sa suite par-delà la mort. C’est bien la divine Providence qui a mis notre Père à part pour ce combat. Combat qui commence une certaine nuit de Noël 1943, en pleine guerre, dans la chapelle du séminaire d’Issy-les-Moulineaux.

LE PROGRESSISME, ANTICHRIST À L’ŒUVRE
DANS L’ÉGLISE À LA VEILLE DU CONCILE

Cette nuit-là, notre Père, jeune séminariste, fut l’objet d’une grâce particulière qu’il raconte dans le tome II de ses Mémoires et Récits : « À cet instant où pourrait chavirer mon esprit, j’aime l’ordre comme un bien divin, parce que dans l’incommensurable absurdité des hommes, déchaînée par la guerre et la défaite, c’est lui, l’ordre, plus encore que la vertu et bien plus que l’intelligence, qui sauve ce qui peut être sauvé. » C’est de cette nuit-là que date sa haine de la rébellion, sous toutes ses formes, et son amour de l’ordre, bien divin qu’il faut à tout prix préserver. Sans ordre, la société se dissout et les âmes se perdent. Cette nuit-là, le combat entre anarchie et ordre se situe entre la “ Résistance ” gaulliste et communiste et le pouvoir légitime du Maréchal Pétain, divine surprise accordée à la France, qui maintient le pays dans une paix fragile.

Cette grâce a commandé toute son existence et décidé de tout le combat qu’il aurait à mener contre la Révolution à l’œuvre en France, dans le monde entier et particulièrement dans l’Église.

En effet, dès l’année suivante, le parti de la Résistance l’emporte et prend possession de tout le pays. Et à la rentrée de 1944, le drapeau rouge flotte sur un séminaire qui semble acquis tout entier aux idéaux de la Libération. Comme il l’écrira plus tard, « la trahison des clercs date de 1944 ». Et dès ces années d’après-guerre, jeune prêtre et journaliste de talent, il n’hésite pas à dénoncer publiquement cette trahison. Installé comme curé de paroisse à Villemaur, il poursuit cette critique malgré les persécutions et commence en octobre 1959 une série de trente-deux Lettres à ses amis intitulée « Le Mystère de l’Église et l’Antichrist », parce que, écrit-il, « au bout de dix ans de recherche, je vois maintenant le mal dans sa profondeur ». Depuis 1944 en effet, il observe des changements alarmants dans la prédication, la liturgie, le catéchisme, l’activité apostolique, les manières de sentir et de juger... C’est une passion de la nouveauté, mais toujours dans le sens de la gauche. Ceux qui font alors l’actualité de l’Église de France, ce sont les prêtres ouvriers, l’Action catholique marxisante, les prêtres complices des terroristes algériens.

En 1959, dans la première Lettre de cette série, notre Père met un nom sur cette subversion à l’œuvre dans l’Église : c’est le PROGRESSISME, « hérésie nouvelle plus grave que les pires des temps passés, qui ne cesse d’entraîner de nouvelles âmes faute d’avoir été l’objet d’une claire définition et de condamnations absolues ». C’est ce travail qu’il va accomplir, prenant garde de bien distinguer le troupeau, foule de gens acquis au progressisme par désir d’être dans le mouvement, et les docteurs, « petite élite ecclésiastique lucide, nourrie d’une mystique nouvelle ». Ce sont eux qui sont les plus dangereux et que nous retrouverons en première ligne au Concile.

Pour expliquer simplement cette mystique nouvelle de l’après-guerre qui change la religion, notre Père a inventé la parabole des « trois clous d’or ». En effet, le christianisme a fixé le progrès de l’humanité en un grand drame comportant trois actes successifs.

Le premier acte, c’est le péché originel, la certitude de la chute originelle de l’humanité en Adam, devenue par sa faute l’esclave de Satan et malheureuse.

Le deuxième acte, c’est la Rédemption, certitude du rachat de l’humanité accompli sur la Croix par Jésus-Christ, Fils de Dieu fait homme comme nous.

Le troisième, c’est la certitude du Ciel rouvert à l’humanité rachetée par la grâce des sacrements de l’Église et du retour de Jésus à la fin des temps.

Tout le grand dessein de Dieu, tout le mouvement de notre foi est comme fixé et tenu bien haut, en plein surnaturel, par ces trois clous d’or : Péché d’Adam – Sacrifice du Calvaire – Retour de Jésus. Événements historiques, parfaitement objectifs, dogmes définis par l’Église. Et qui définissent un progrès, un sens de l’histoire unique et surnaturel : après la Déchéance du péché originel est venue la Délivrance opérée par le Christ Jésus crucifié, pour mériter la grâce du renouvellement de toutes choses dans la Vie éternelle. En ce sens, le christianisme croit au progrès.

Mais le progressisme est une corruption du sens du “ progrès ” chrétien, car il détache ce drame surna­turel du Ciel pour le ramener sur terre. Il est en cela l’héritier des grandes théories antichrists de l’histoire : le judaïsme talmudique, l’islamisme et le communisme qui se sont tous inspirés du messianisme biblique pour reconstruire un drame de salut purement charnel et temporel. Toutes ces idéologies ont donc le culte du progrès, mais entendu comme le salut de leur race, de leur peuple, de leur classe...

Quant au progressiste chrétien, voici comment s’accomplit sa transposition des mystères de notre religion :

D’abord, il identifie le péché originel à l’oppression capitaliste et colonialiste. Toute oppression politique, économique ou sociale devient le mal absolu contre lequel la conscience chrétienne se dresse, au coude à coude avec tous les révolutionnaires. « C’est toute leur foi : Jésus = Lutte des classes. »

Ensuite, il naturalise et humanise les mystères de la vie de Notre-Seigneur. Par exemple, l’Incarnation est naturalisée par des crèches progressistes où la Sainte Vierge et saint Joseph sont attifés en SDF ou en migrants. Quant à la Croix, c’est le symbole du sacrifice des militants, des résistants qui donnent leur vie pour la libération, pour l’indépendance du peuple, pour le salut de l’humanité dans la paix universelle.

C’est là le principe même du progressisme et ce en quoi il est antichrist : « Il s’agit toujours d’une naturalisation, d’une défiguration sacrilège du surnaturel et du divin, accompagnée ou suivie d’une surnaturalisation, d’une sacralisation, non moins impie du naturel et de l’humain qui se trouvent indûment exaltés et transfigurés. »

Aussi, pour le progressiste, la vie éternelle du Ciel disparaît, au profit de cette cité terrestre pour laquelle nous devons tous travailler, et d’abord en collaborant avec ceux, d’où qu’ils viennent, qui veulent un monde plus humain, plus libre, plus fraternel. Telle est la vraie charité évangélique... Il n’a donc que mépris pour l’œuvre surnaturelle de l’Église séculaire. Pire, il n’a de cesse de la plier à ses rêves grandioses. Notre Père peut donc conclure en mars 1962 (Lettre à mes Amis no 105) : « Le progressisme, c’est la Révolution dans l’Église, c’est-à-dire la destruction systématique de ce qui est parce que cela est justement, parce que cela demeure étranger, inassimilable, dominateur, et s’oppose à la liberté et au rêve des individus. » La vision de Noël 1943 est maintenant une réalité dramatique au sein même de l’Église dans laquelle cohabitent deux religions ennemies, irréconciliables : « L’une (celle de notre Père) est la religion de Jésus-Christ Fils de Dieu, Sauveur des hommes, l’autre (progressiste) est la religion de l’homme et de sa liberté. » La réunion du plus grand Concile œcuménique de tous les temps à la fin de cette année 1962, marque la confrontation ouverte de ces deux religions. C’est à son étude critique et à une prise de position radicale en faveur de l’ordre contre le désordre que notre Père va désormais consacrer toute son énergie.

LE CONCILE VATICAN II, MODERNISTE, RÉFORME L’ÉGLISE
ET LA RÉCONCILIE AVEC LE PROGRÈS MODERNE

I. LA RÉFORME AD INTRA : VATICAN II, CONCILE PROTESTANT ET MODERNISTE.

Pour avoir une vue d’ensemble de la critique du concile Vatican II par notre Père, il suffit de se plonger dans les tomes 2, 3 et 4 des Lettres à mes Amis, contemporains du Concile. Tout l’argumentaire de notre Père est déjà en place et nous y reviendrons souvent. Néanmoins, nous reprendrons surtout aujourd’hui l’étude de 1971-1972 publiée dans le tome 4 de la Contre-Réforme catholique, qui est la mise en forme systématique et la conclusion des critiques du Concile entamées dans les Lettres à mes Amis. Après dix ans d’anarchie, notre Père s’emploie à montrer dans chacun des seize textes promulgués à quel point le Concile fut une révolution qui a changé la religion.

Dans cette étude, notre Père pose d’abord une distinction qui aide à comprendre l’œuvre réformatrice du Concile. Il faut distinguer, selon l’intention des réformateurs eux-mêmes, la réforme de l’Église ad intra, c’est-à-dire, en elle-même, dans sa foi, ses institutions, sa vie propre. Et la réforme de l’Église ad extra, dans ses relations avec les autres, dans son ouverture au monde et son insertion dans les réalités temporelles.

À propos de la réforme ad intra, dans son Discours de clôture, Paul VI résumait ainsi l’œuvre accomplie : « On dira que le Concile, plus que des vérités relatives à Dieu, s’est surtout occupé de l’Église, de sa nature, de sa structure... L’Église s’est recueillie dans l’intimité de sa substance spirituelle... pour retrouver en elle-même la Parole du Christ, vivante et opérante dans l’Esprit-Saint, pour scruter plus à fond le mystère. »

Hélas, la réalité est tout autre et notre Père, scrutant les intentions et analysant les documents, va montrer au contraire que sous prétexte de retrouver la « Parole du Christ », le Concile a introduit dans l’Église les hérésies luthérienne et moderniste.

L’INFILTRATION DE L’HÉRÉSIE MODERNISTE DANS L’ÉGLISE, DE LUTHER À VATICAN II.

Ainsi, notre Père nous a expliqué que l’erreur fondamentale du Concile, à partir de laquelle toute la subversion du catholicisme a été possible, est une erreur moderniste sur la Révélation. C’est en raison de cette erreur qu’il s’écrie « l’hérésie est au Concile » dans sa Lettre à mes Amis du 15 octobre 1964.

Le sens catholique de la Révélation.

Dans cette Lettre no 186, notre Père commence par rappeler ce qu’est la Révélation. Aux hommes, objets de sa Miséricorde, Dieu a révélé ses Mystères et toutes vérités nécessaires à leur salut, principalement par son Fils Jésus-Christ. Les Apôtres seuls ont légué, par inspiration personnelle, la plénitude de cette Révélation à l’Église sous forme orale, la Tradition, ou écrite, les Saintes Écritures. Leur ensemble constitue le dépôt de la foi. Nous avons accès à la connaissance de ces Mystères par l’enseignement de l’Église qui nous présente, interprète et explique infailliblement cette divine Révélation. L’Écriture et la Tradition sont donc les deux sources de notre foi, et l’enseignement de l’Église est le canal qui nous en communique la doctrine de manière vivante par la liturgie et par la catéchèse. Un certain nombre de vérités ont été précisées, définies, imposées de manière extraordinaire ou solennelle, à cause de leur importance ou de leur contestation par les hérétiques : ce sont les dogmes, qui sont comme l’armature inattaquable de la doctrine révélée. Ils sont donc inchangeables. On parle d’hérésie lorsque quelqu’un prétend tirer du dépôt de la foi des nouveautés contraires aux enseignements, traditions ou dogmes de l’Église. Il y en a eu beaucoup à travers les siècles, mais toutes n’ont pas eu la même importance.

La rupture protestante.

Notre Père, à la suite de saint Pie X, considère la Réforme protestante comme la rupture essentielle dans l’histoire de l’Église, en même temps qu’une innovation diabolique dans l’histoire des hérésies. À la différence des hérésies antérieures, qui s’atta­quaient à quelque point du Credo, la nouveauté du protestantisme remettait en cause l’Autorité même qui nous l’enseigne. Certes, la réforme de Luther commença comme une hérésie classique, soutenant, sur la foi et les œuvres, la prédestination et la grâce, des doctrines aberrantes. La nouveauté, l’erreur furent bientôt dénoncées par Rome. Mais là est la rupture : les hérésiarques assurèrent leur position en portant le débat aux sources mêmes de la Révélation. Ils mirent l’Écriture Sainte en contradiction avec la Tradition et substituèrent à la Tradition infaillible de l’Église, les illuminations de la conscience individuelle. En un mot selon eux, l’Église a trahi le véritable Évangile, mais les protestants le retrouvent en lisant la Bible et en l’interprétant selon les lumières que le Saint-Esprit dispense prétendument en eux. C’est ce qu’on appelle le principe de la « sola scriptura », l’Écriture seule, lequel a fait dire à Boileau : « Tout protestant fut pape une Bible à la main. »

Le modernisme.

« Le premier pas dans l’anéantissement moderne de la Religion fut fait par le protestantisme, le deuxième par le modernisme », écrit saint Pie X dans son encyclique Pascendi Dominici Gregis qui condamne le modernisme en 1907. Cette hérésie nouvelle pousse à son comble l’hérésie protestante au nom de la raison moderne éclairée par Kant. Saint Pie X a dénoncé les deux faux principes de cette hérésie. D’abord le principe d’agnosticisme selon lequel on ne peut pas connaître Dieu avec sa raison, puisque Dieu est au-delà. « Tout ce qui est réel est rationnel ; tout ce qui est rationnel est réel », voilà la maxime des modernistes. Il n’y a donc pas de révélation possible : puisque ma raison me dit qu’un Dieu ne peut pas se faire homme, je rejette a priori l’Incarnation comme fait réel, historique.

Mais comment expliquer alors la religion, le fait religieux, incontestable dans toutes les sociétés ? Eh bien ! c’est la réponse à un besoin du divin qui habite le fond de la conscience de tout homme. Ce besoin suscite dans l’âme portée à la religion un sentiment particulier. Ce sentiment a ceci de propre qu’il vient de Dieu et qu’il nous unit en quelque sorte à Lui. Voilà la foi selon eux. C’est le principe d’immanence religieuse.

En clair, la foi n’est plus reçue de Jésus-Christ au baptême, elle fermente en nous sous une influence divine. L’illuminisme protestant est ainsi poussé à son comble ; le moderniste dépasse le stade des Écritures, qui ne sont que les élaborations des premières communautés chrétiennes pour exprimer leur expérience religieuse. L’homme, selon les modernistes, a accès directement à la Révélation, dans sa conscience où Dieu lui parle mystérieusement. Les Écritures Saintes, recueil d’expériences intimes, ne servent que de révélateur. Quant à la Tradition, aux dogmes, au culte, pour un moderniste comme Alfred Loisy, ce sont des inventions, des élaborations de l’Église, mais sous la pression d’un instinct divin qui fait toujours de la foi en Jésus-Christ la plus parfaite expression du sentiment religieux humain. Voilà tout le miracle de l’Église séculaire selon eux. Au lieu donc de prêcher à tous les siècles la même Parole de Dieu rapportée par les Apôtres, l’Église doit à tout âge renouveler ses formules et réinventer ses dogmes pour répondre aux aspirations et aux exigences de l’humanité nouvelle.

Le pire c’est qu’ « ils se targuent avec de telles insanités de renouveler l’Église » et de la sauver face à la critique rationaliste moderne, comme écrit saint Pie X qui fait suivre son encyclique de condamnations et de mises à l’Index. Hélas, certains ont rusé, joué sur les mots et sont restés dans l’Église, attendant leur heure. Tel Maurice Blondel avec son concept de « tradition vivante ». À leur contact, peu à peu, malgré les condamnations, une manière de conciliation apparente s’est développée dans l’Église. C’est le semi-modernisme. Il consiste à prétendre que, le fond des dogmes restant identique, leur forme peut changer avec la succession des époques et des cultures. En poussant encore un peu, certains vont jusqu’à prétendre qu’il est même nécessaire de changer l’expression des dogmes pour assurer la permanence de leur vérité profonde.

Ce semi-modernisme connut un regain de ferveur dans l’Église d’après-guerre. Malgré l’encyclique Humani Generis de Pie XII en 1950, nombreux étaient les clercs qui appelaient de leurs vœux un retour au « pur Évangile » au-delà des formules dogmatiques prétendument usées : « Les imposteurs modernes ont eu pour cri de ralliement le mot profané d’Évangile, accusant l’Église de l’avoir trahi, falsifié, profané. Nous l’avons tous dans l’oreille répété par mille bouches : l’Évangile, OUI ! L’Église, NON ! Je l’ai lu pour la première fois dans les cahiers de ce mouvement insensé qui, dans les années 1950, se nommait  Jeunesse de l’Église ”. De mille manières, c’était toujours la même révolte contre l’Église, sous prétexte de retrouver loin d’elle l’Évangile ; et ce que le Concile a ajouté à cette première imposture en est une seconde : ayant retrouvé le pur Évangile loin de l’Église et contre elle, nos pasteurs ont formulé le projet de la réformer pour la rendre conforme à leur idée retrouvée de l’Évangile ! Cet illuminisme et cette sarabande des illuminés contre l’institution catholique, c’est tout Luther et le luthéranisme. Luther revient, Luther est dépassé ! »

Cet illuminisme, nous le devons d’abord au pape Jean XXIII, dont le discours d’ouverture du Concile, le 11 octobre 1962, était nettement semi-moderniste. En particulier lorsqu’il affirmait qu’ « il faut que la doctrine chrétienne, certaine et immuable, qui doit être respectée fidèlement, soit approfondie et présentée de la façon qui correspond aux exigences de notre époque. En effet, autre est le dépôt lui-même de la foi, c’est-à-dire les vérités révélées dans notre vénérable doctrine, et autre est la forme sous laquelle ces vérités sont énoncées, en leur conservant toutefois le même sens et la même portée. » Sous prétexte de nouvelle pastorale, c’était un encouragement à la conciliation avec l’hérésie protestante et le modernisme.

D’autant plus que, fatale conjonction, dans ce même discours donnant les grandes orientations aux Pères conciliaires, le Pape annonçait que l’Église ne condamnerait plus les erreurs, au motif qu’elles « s’excluent les unes les autres » et qu’  « à peine nées, s’évanouissent comme neige au soleil ». Permettre de changer les formules de la foi tout en annonçant que l’Église ne condamnera plus personne, c’est fou. C’est pourtant ce principe qui va commander tout le déroulement du Concile que nous allons maintenant étudier :

LA CONSTITUTION DEI VERBUM, CHARTE DE L’ILLUMINISME CONCILIAIRE.

Notre Père se met au travail en commençant par l’étude de la constitution Dei Verbum sur les Sources de la Révélation. « Nous allons faire sauter la pierre angulaire de Vatican II, écrit-il. Celle-ci enlevée, tout le Christianisme Nouveau s’effondrera. »

Rien ne faisait plus horreur aux partisans de la réconciliation avec les protestants que le schéma traditionnel préparé par le cardinal Ottaviani, qui répétait la doctrine de toujours, à savoir que la Révélation a deux sources, l’Écriture et la Tradition. Pendant les six jours de débats acharnés autour de ce schéma, en novembre 1962, les évêques réformistes citèrent abondamment le discours d’ouverture de Jean XXIII et, après un vote très serré, ils reçurent du Pape lui-même l’appui nécessaire pour rejeter le schéma traditionnel. C’est la première défaite des traditionalistes devant les réformateurs qui sont en train de prendre en main le Concile. C’est la première d’une longue série... Les cardinaux italiens Siri et Ruffini crient au modernisme, mais ils sont bien isolés et l’enthousiasme des observateurs non catholiques et de leurs amis évêques couvre leurs cris. Le Père Rouquette exulte : « On peut considérer qu’avec ce vote du 20 novembre s’achève l’âge de la Contre-Réforme et qu’une ère nouvelle, aux conséquences imprévisibles, commence pour la Chrétienté. » (Études, janvier 1963, p. 104) Le nouveau texte sera préparé par le très progressiste cardinal Béa et une commission composée d’une majorité de partisans de la réforme. Répondant aux vœux du pape Jean XXIII, ils font de ce texte sur la Révélation la charte de l’illuminisme du Concile. Qu’est-ce à dire ? Notre Père l’explique dans son commentaire des premiers mots de la constitution :

§ 1 : « Religieusement à l’écoute de la Parole de Dieu et la proclamant avec assurance, le saint Concile obéit aux paroles de saint Jean qui dit :Nous vous annonçons la vie éternelle qui était auprès du Père et qui nous est apparue : ce que nous avons vu et entendu, nous vous l’annonçons, afin que vous soyez en communion avec nous ; quant à notre communion, elle est avec le Père et avec son Fils Jésus-Christ.” (1 Jn 1, 2-3) C’est pourquoi, suivant les traces des conciles de Trente et de Vatican I, il entend proposer la doctrine authentique sur la Révélation divine et sur sa transmission, afin qu’à la proclamation du salut le monde entier en entendant croie, en croyant espère, en espérant aime. »

Dans ce paragraphe, « inepte » selon le cardinal Ruffini, le Concile se prétend en contact direct avec la Parole de Dieu, à l’égal du Collège des Apôtres, témoins inspirés et immédiats du Christ lui-même. « En effet, saint Jean est cité là abusivement, car il avait en vérité vu, entendu, touché le Verbe de Vie et l’a raconté, assisté du Saint-Esprit. Mais ni Paul VI, ni Jean XXIII, ni les cardinaux, ni personne à Vatican II ni le Concile en sa totalité collégiale, n’ont vu, ni touché, ni entendu le Christ. »

C’est cela que notre Père a dénoncé sous le nom d’illuminisme conciliaire, c’est-à-dire cette prétention à un contact immédiat, nouveau, inconnu dans l’Église depuis les Apôtres, avec la Parole de Dieu ; et aussi cette revendication d’une illumination du Saint-Esprit pour transmettre cette Parole de Dieu aux hommes de notre temps par une nouvelle pastorale. Vous avez dit « inepte » ? C’est pourtant au nom de cette double imposture que le Concile va prétendre nous donner « la doctrine authentique sur la Révélation divine et sa transmission ».

Tout le problème porte sur le sens donné à la “ Parole de Dieu ” : les Pères ont refusé, en rejetant le schéma Ottaviani, de dire qu’il s’agissait de l’Écriture et de la Tradition fidèlement transmises par l’Église. Mais quel sens nouveau donnent-ils alors à cette Parole ?

Notre Père nous explique que la Parole de Dieu, pour les Pères conciliaires, c’est d’abord l’Écriture Sainte. Oui, mais l’Écriture Sainte lue à la manière protestante, dégagée de tout le poids de la Tradition de l’Église. C’est ainsi que Dei Verbum n’affirme plus que l’étendue de la Tradition de l’Église est plus vaste que celle de l’Écriture. Les Pères déclarent l’Écriture règle souveraine de la foi, mais omettent à dessein de dire que l’Église en est cependant la règle la plus prochaine. Les catholiques sont ainsi libérés du carcan des dogmes et de l’obéissance au magistère. C’est le principe luthérien de « sola scriptura » : l’Écriture seule et le fidèle seul devant l’Écriture, qui entre par là dans l’Église conciliaire, laquelle désirait avant tout plaire aux « frères séparés ».

Mais la Parole de Dieu, pour les Pères, c’est bien davantage que les seules Écritures Saintes. Il faut lire les “ signes des temps ”, à la suite du Père Congar ou du protestant Karl Barth, grands experts au Concile ; il faut considérer selon eux « la Parole de Dieu dans son acte premier, dans son jaillissement : Dieu qui parle. Or le Verbe de Dieu est “ Acte ”, “ Créateur ” : Dieu dit et les choses sont. Alors ? Eh, alors, la Parole de Dieu, c’est ce qui se fait, c’est la Vie, c’est l’Événement, c’est l’Histoire ! On la lit dans le journal chaque matin ; et dans son propre cœur ! La Parole de Dieu, c’est son dessein en œuvre aujourd’hui : elle est donc création du monde par la main des hommes, elle est donc rassemblement du Peuple de Dieu en communauté, elle est “ signe des temps ”, réussite et bonheur de l’homme. Dei Verbum ! Parole de Dieu ! Voilà la Parole de laquelle le Concile s’est déclaré religieusement à l’écoute ! Il n’y a pas de quoi s’étonner qu’il ait cru qu’il allait faire une Église nouvelle, et un Monde Nouveau, et une Nouvelle Ère de l’Histoire... Il s’imaginait entendre directo Dieu dire sa Parole et se voyait la prononçant pour notre temps. »

Mais la terrible conséquence survient lorsque l’illuminisme de l’article premier est étendu à tous les croyants. En effet, pourquoi l’Église conciliaire bénéficierait-elle seule de ce privilège de la connaissance intuitive de la Parole de Dieu ? Elle proclame donc que les fidèles sont un « peuple de Dieu » inspiré et conduit par la Parole, à l’égal du peuple hébreu de l’Ancien Testament et des communautés chrétiennes primitives. Déclaré envahi par l’Esprit, le Peuple de Dieu possède, selon Vatican II, un sens infaillible de la Parole avec mission de la réaliser dans la vie séculière. C’est tout le venin de la constitution Lumen Gentium sur le « Mystère de l’Église », véritable mise en pratique de Dei Verbum selon notre Père. Concrètement, chacun s’est mis à traduire la Parole de Dieu en paroles humaines. Luther est dépassé, écrit notre Père, car dans l’Église conciliaire, le fidèle laisse tomber même la Bible. À quoi bon, puisque tout homme est prophète par illumination intérieure ? Dès lors c’est l’émiettement de la foi : chaque croyant se fabrique son propre Credo.

Quant au Concile illuminé, il peut dès lors entreprendre sa réforme évangélique de l’Église à marche forcée. Plutôt que Corps mystique du Christ, elle est déclarée « lumière du monde », toute à lui, à son service. L’Église est définie, dans la Constitution Lumen Gentium, comme un « Mystère » qui consiste dans le « rassemblement par l’Esprit d’un peuple de Dieu », selon le projet protestant d’une Église spirituelle, invisible, sans hiérarchie ni frontières. C’est déjà aussi le projet moderniste d’identification de l’Église avec l’humanité tout entière. La hiérarchie que donne finalement le Concile à l’Église ne vient qu’après le rassemblement mystérieux de ce Peuple, pour le représenter et le servir.

Il s’ensuit une contestation fondamentale de l’Autorité : le laïcat est exalté, et le pouvoir sacerdotal déprécié au milieu de ce Peuple de prophètes, de prêtres, de rois... Le Pape est lui-même contesté par les évêques réunis en assemblées épiscopales : ce fut la bataille très serrée de la collégialité. La démocratie est par là introduite dans l’Église, y semant le désordre jusque dans le sanctuaire avec la rénovation du culte par la constitution Sacrosanctum Concilium. Sous prétexte de pastorale nouvelle et de participation des fidèles, une nouvelle finalité est instituée : le culte de l’homme, selon le projet moderniste d’une liturgie, comme « vécu conscient, célébré ». C’est-à-dire que la liturgie sera le moyen pour l’homme de s’exprimer lui-même à lui-même.

Le ferment de la révolution liturgique à venir est dans cette ouverture de l’Église à la démocratie, dans son gouvernement, sa hiérarchie, son culte. C’est le désordre qui l’emporte sur l’ordre.

Telle fut la réforme ad intra, de l’intérieur de l’Église selon l’Évangile nouveau présent à la conscience de l’homme moderne. « Toutefois, comme l’écrit notre Père, la matière même des choses sacrées, fixée solennellement et à maintes reprises par le Magistère au cours des siècles, s’opposait à une totale subversion et, dans ce domaine de la vie même de l’Église, la réforme s’est trouvée freinée, contrainte à des compromis. Il n’en va plus de même dans l’autre domaine, celui des relations de l’Église au monde... » Écoutons Paul VI nous décrire l’œuvre accomplie dans son discours de clôture du 7 décembre 1965 :

« L’Église du Concile, il est vrai, ne s’est pas contentée de réfléchir sur sa propre nature et sur les rapports qui l’unissent à Dieu : elle s’est aussi beaucoup occupée de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque : l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité... Jamais peut-être comme dans notre Concile, l’Église n’a éprouvé le besoin de connaître, d’approcher, de comprendre, de pénétrer, de servir, d’évangéliser la société qui l’entoure, de la saisir et pour ainsi dire de la poursuivre dans ses rapides et continuelles transformations... »

II. LA REFORME AD EXTRA : VATICAN II,
CONCILE PROGRESSISTE RÉVOLUTIONNAIRE.

VATICAN II, C’EST 1789 DANS L’ÉGLISE.

C’est la réforme ad extra de l’Église, c’est-à-dire son ouverture au monde suivant les revendications du progressisme d’après-guerre. Ici, le Concile n’est plus gêné par la Tradition et les dogmes embarrassants. En fait la matière est neuve, presque jamais traitée dans l’Église. Et pour cause ! L’Église avait toujours considéré, à la suite de son Sauveur, le monde comme étant sous l’emprise de son prince : Satan ! Pour cette raison, malgré l’action résolue de Paul VI et du parti progressiste, les combats furent acharnés.

Notre Père explique cette réforme ad extra comme une réconciliation avec la Révolution. C’est 1789 dans l’Église, en trois temps.

La première et la plus importante étape de son ouverture au monde, pour le Concile, fut de déclarer dans Dignitatis Humanæ le droit de l’homme à la liberté religieuse, au nom de la dignité humaine. Cette reconnaissance du droit de l’homme à la liberté absolue, aspiration première de la société moderne, fut le combat central de la révolution conciliaire. Fini de l’Autorité qui impose sa loi, son monopole. LIBERTÉ. Ensuite vient le Décret sur l’œcuménisme Unitatis Redintegratio. Fini de la supériorité et de l’unité de la seule véritable Église. Il faut admettre le pluralisme égalitaire de toutes les confessions chrétiennes. ÉGALITÉ. Restera à proclamer, par une déclaration de paix unilatérale avec les autres religions et le judaïsme même, la FRATERNITÉ universelle de Nostra Ætate.

Liberté, égalité, fraternité : nous reconnaissons là l’infernale trilogie moderne. Notre Père écrivait de la prétendue “ Libération ” de 1944 : « C’est cela une révolution. Le passé a cessé d’être, du moins tel qu’il a été. Renié ou tu par contrainte, falsifié et vite oublié, il est comme n’ayant jamais existé. Et les nouveaux maîtres construisent l’avenir avec les mensonges et les illusions du moment. » Au Concile, il se fait la même réflexion : l’Église des siècles, fondée par Jésus-Christ comme la seule institution capable de conduire les hommes au Ciel, a comme « cessé d’être ». En effet, hier encore la liberté religieuse était considérée comme un « délire », à la suite de tous les Papes. Quant à l’œcuménisme tel qu’il a été pratiqué au Concile, comme une réconciliation unilatérale et un éloge incroyable des schismatiques et des hérétiques, il était inconcevable sous Pie XII, dans une Église qui vivait encore du concile de Trente. Le décret Nostra Ætate était tout aussi inconcevable dans une Église qui hier prêchait la croisade contre l’islam, envoyait ses missionnaires aux quatre coins du monde et appelait les Juifs déicides à se convertir. « Hors de l’Église, point de salut », tel était encore hier le mot d’ordre et la sagesse suprême de l’Église. Voici qu’en 1965, la hiérarchie réunie en Concile prétend que cela n’existe plus, que « ce passé a cessé d’être ». Et au profit de quoi ? Comme la Révolution de 1789 avait abouti à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la révolution conciliaire aboutit à la Constitution Gaudium et Spes sur l’Église dans le monde de ce temps. C’est sur ce texte qui est le plus long et le plus ouvertement progressiste du Concile que nous devons maintenant nous arrêter, à l’école de notre Père qui l’a abondamment commenté dans Préparer Vatican III et surtout dans l’Autodafé, avec plus de 250 pages de critique littérale. Lire ce texte avec notre Père donne une haine absolue de la révolution conciliaire.

GAUDIUM ET SPES : LES TROIS DÉFIS DU MONDE MODERNE
ET LA RÉPONSE PROGRESSISTE DU CONCILE.

Avant la proclamation du nouvel humanisme de Vatican II, l’Église, à la suite du Christ, enseignait un humanisme chrétien qui apprenait à l’homme à passer per temporalia ad cælestia, par les choses temporelles en vue des biens éternels. C’était la grande maxime de la morale chrétienne traditionnelle pour laquelle les biens et toute la vie terrestres ne sont rien en eux-mêmes ou pour eux-mêmes. Le but est ailleurs. Pour le chrétien ce qui importe n’est pas de réussir et d’être pleinement heureux en ce monde, mais de tout faire pour plaire à Dieu afin d’aller au Ciel. Il y a dans cette fin surnaturelle unique du christianisme une contradiction évidente – que vous comprenez sûrement déjà – avec le monde moderne, celui fondé en 1789, qui proclame « Liberté, Égalité, Fraternité ou la Mort ».

L’ambition de Paul VI – le grand inspirateur de ce texte – est pourtant de se réconcilier avec ce monde-là par un humanisme intégral, c’est-à-dire l’exposition d’une nouvelle morale universelle, sorte de dénominateur commun de toutes les croyances et incroyances devant servir de base à l’avènement d’une société fraternelle. C’est aussi à l’occasion du vote de ce texte que les Pères rejetèrent un amendement mentionnant les persécutions subies par les chrétiens en régime communiste. Il n’était pas question de condamner, ni d’annoncer la tristesse et l’angoisse, mais la joie et l’espoir, à tout prix.

Ce texte de 100 pages se divise en deux grandes parties. La première partie est intitulée « L’Église et la vocation humaine. » Elle est consacrée aux fins dernières de l’homme. Elle commence en affirmant que l’Église « se reconnaît réellement et intimement solidaire du genre humain et de son histoire ». Notre Père résume ainsi l’essence de cet incroyable préambule : « La pensée se laisse saisir malgré l’équivoque. L’Église de Vatican II prétend que l’œuvre du Christ et de son Esprit consiste à faire réussir l’humanité sur terre, indépendamment de toute religion, une humanité déjà divine en elle-même et dans ses fins. Incroyable mais vrai. De cette humanité divine, l’Église se fait la servante, pleine de respect et d’amour. » Une fois ce grand dessein éclairé, notre Père explique que Gaudium et Spes entend répondre au triple défi que lance le monde moderne à l’Église. C’est au paragraphe 11-3 que se trouvent ces trois questions : « Que pense l’Église de l’homme ? Quelles orientations semblent devoir être proposées pour l’édification de la société contemporaine ? Quelle signification dernière donner à l’activité de l’homme dans l’univers ? » Hélas, la réponse du Concile est progressiste et révolutionnaire.

« Que pense l’Église de l’homme ? » C’est le premier chapitre intitulé : « De la dignité de la personne humaine » qui y répond. « Croyants et incroyants sont généralement d’accord sur ce point : tout sur terre doit être ordonné à l’homme comme à son centre et à son sommet. » Réponse « impie et satanique », écrit notre Père. Après avoir affirmé que le péché originel n’est qu’un accident d’ores et déjà réparé, les Pères vantent sans retenue le corps, l’intelligence, l’esprit, la conscience et la liberté de l’homme.

Certes, l’idole doit mourir. Mais les Pères la réconfortent en lui promettant, de la part de Dieu, l’immortalité bienheureuse. Pour tous, sans condition, c’est déjà fait, acquis, par la mort et la résurrection du Christ. Même pour les athées ? Que va dire Gaudium et Spes à cet homme moderne si grand que l’athéisme est sa grande tentation ? Que va-t-il dire au communisme persécuteur, à cette humanité « qui pousse le désir d’autonomie humaine à un point tel qu’il fait obstacle à toute dépendance à l’égard de Dieu » selon ses propres termes ? Oh ! bien sûr Vatican II réprouve, mais écrit notre Père, « tout l’effort de ce Concile tend à excuser, comprendre, estimer, respecter, aimer les athées, et au besoin faire retomber sur les chrétiens la responsabilité de l’athéisme des autres [...]. Pire encore, Gaudium et Spes va montrer à l’homme qui s’adore lui-même et veut réaliser pleinement sa propre libération, que Dieu est d’accord avec lui et qu’il est résolu à l’aider. Ce sont les fameux paragraphes 19 à 21 et surtout 22 dans lesquels le Concile laisse croire que tous les hommes sont d’ores et déjà divinisés par le Christ. » Comme en écho, Paul VI s’écriera le 7 décembre 1965 : « Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. » Ce que pense le Concile de l’homme ? Il en fait un dieu.

« Quelles orientations semblent devoir être proposées pour l’édification de la société contemporaine ? » La réponse est un inconciliable mélange d’individualisme forcené et de collectivisme. Pour le Concile, la société doit être au service de chaque personne humaine comme d’un absolu ; et, en même temps, tous les hommes sont déclarés frères, et l’avènement d’une humanité fraternelle est présentée comme une nécessité et un devoir à la portée de notre effort commun, tout naturel. Dans la société contemporaine que le Concile appelle de ses vœux, chacun peut et doit s’épanouir pleinement sans renoncement, sans sacrifice au sein d’une humanité unie. Quant à la notion de bien commun, elle est complètement absente de ces grandes visions utopiques de tolérance universelle.

« Quelle signification dernière donner à l’activité de l’homme dans l’univers ? » « À cet homme, sûr de sa puissance, enfiévré de Progrès, que proposera l’Église comme un dessein de Dieu ? » commente notre Père. Ce sera la construction de la Cité terrestre identifiée à l’avènement du Royaume de Dieu annoncé dans l’Évangile. C’est ainsi que Gaudium et Spes se livre à une exaltation démesurée du travail des hommes et de tout le progrès matériel qui en résulte : « En effet, pour les croyants une chose est certaine : ce gigantesque effort par lequel les hommes, tout au long des siècles, s’acharnent à améliorer leurs conditions de vie, correspond au dessein de Dieu. »

Et la suite est effarante : « Loin d’opposer les conquêtes du génie et du courage de l’homme à la puissance de Dieu et de considérer la créature raisonnable comme une sorte de rivale du Créateur, les chrétiens sont au contraire persuadés que les victoires du genre humain sont un signe de la grandeur divine et une conséquence de son dessein ineffable. »

Cette divinisation du progrès humain qui imprègne tout Gaudium et Spes est un dévoiement de l’humanisme chrétien qui, à la suite de Notre-Seigneur, enseigne que le progrès matériel n’est qu’un surcroît accordé par Jésus à ceux qui recherchent son Royaume en toute vérité.

L’incarnation de ce rêve conciliaire est le sujet de toute la seconde partie intitulée « De quelques problèmes plus urgents ». C’est une nouvelle morale chrétienne que notre Père dénonce comme une antimorale, un affaissement de la loi morale jugée impossible à porter par l’homme moderne. Vatican II se croit obligé en tant que « solidaire du genre humain » de capituler honteusement devant les revendications du Monde moderne. Notre Père commente : « Les hommes demandent “ du pain et des jeux ” ? Cela n’est pas nouveau. Ce qui est nouveau, c’est que l’Église écoute ces vociférations de la plèbe et y reconnaisse de hautes aspirations, une vocation, un dessein de Dieu qu’il faut contenter ! »

Alors concrètement ? La morale de la famille tourne à l’exaltation des valeurs de la sexualité déliée de la procréation. La morale de la culture tourne à l’exaltation de l’individu et à l’exaspération de ses revendications intellectuelles. La morale sociale tourne au socialisme et à l’égalitarisme. En encourageant la grande idée du « développement » des peuples, l’Église semble mettre toute sa confiance dans le progrès économique et l’essor de la production de biens matériels pour assurer l’épanouissement de tous les hommes et de l’homme tout entier. La morale politique rêve de démocratie universelle évidemment, elle rêve d’édifier « un monde qui soit vraiment plus humain pour tous et en tout lieu [...]. Alors, le message de l’Évangile, rejoignant les aspirations et l’idéal le plus élevé de l’humanité, s’illuminera de nos jours d’une clarté nouvelle, lui qui proclame bienheureux les artisans de la paix, ‘‘car ils seront appelés fils de Dieu’’. » (Gaudium et Spes, no 78).

La conclusion de notre Père en 1972 nous montre bien son souci de comprendre à fond le Concile : « Vatican II a été hanté par la juste préoccupation de bien agencer bout à bout, dans le prolongement l’un de l’autre, l’en-deçà et l’au-delà de la mort, la vie du monde humain terrestre et la vie du monde céleste divin. Mais son erreur a été, ce faisant, d’aligner le ciel sur la terre, le divin sur l’humain, le spirituel sur le charnel et somme toute, de dévaluer le surnaturel en le ramenant à n’être que la perfection remarquable et l’épanouissement de la nature humaine. Et c’est précisément l’œuvre inverse, le reniement de celle du Christ, qui durant sa vie terrestre, transposa les “ joies et espoirs ” tout charnels des Juifs au plan supérieur des réalités spirituelles. » Voilà bien le progressisme du Concile démasqué : c’est un reniement du surnaturel associé à une exaltation sacrilège du naturel.

PIRE ENCORE, LE CONCILE VATICAN II ÉTAIT GNOSTIQUE

Comme annoncé par notre Père, en 1978, à la mort de Paul VI dans l’indifférence générale, c’est bien à un constat d’échec qu’aboutit l’Église conciliaire. Son Masdu, vague utopie, n’a abouti à rien qu’à un immense ébranlement préparatoire de l’Église. Aucun fruit de sainteté ni même de simple vertu chrétienne n’est sorti de toutes ces flatteries inconsistantes. Au contraire, les hérésies pullulent, tandis que les « Trente Glorieuses », dans lesquelles les Pères conciliaires voyaient l’avènement d’un monde nouveau, s’achèvent dans la débâcle économique, la décadence morale et la menace soviétique.

Les Pères conciliaires, par leur orgueil démesuré, se sont rendus responsables d’une « formidable erreur historique » que notre Père caractérise ainsi : « Ce fut avant tout une erreur socio-politique, une erreur de prospective, prenant pour le monde à venir un monde d’illusions en pleine décomposition... Ils se sont trompés dans leurs prophéties de bonheur. Ils ont cru, eux qui se prétendent habités par l’Esprit, aux signes trompeurs de la prospérité matérielle occidentale d’après-guerre et, par une invraisemblable méconnaissance de leur rôle de pasteurs, ils ont certifié que le progrès socio-culturel irait de pair, à l’infini.  Joie et Espérance ”, “ Progrès des Peuples ”, “ Paix sur la terre  sont leurs visions. C’est le contraire qui devrait leur crever les yeux. La vision d’un Progrès humain inconditionné et illimité est destructrice de tout ordre naturel, de toute autorité politique, mais nécessairement aussi de toute loi morale et de toute foi religieuse. Accepter pour  signes des temps  ce prétendu Progrès moderne (qui allie boum des affaires et surboum de l’immoralité), pour un Concile, c’était clore l’ère chrétienne. Toute l’explication de la décadence accélérée de l’Église catholique depuis dix ans est là. »

Non, il n’y avait pas de monde nouveau en train d’émerger, les Pères conciliaires se sont trompés sur toute la ligne, et, en 1978, la civilisation comme l’Église sont en train de sombrer par leur faute.

Devant un tel échec, les cardinaux semblent se ressaisir un instant et élisent Albino Luciani. Malheureusement, après son assassinat, ils retournent à leur vomissement et élisent le jeune et fort Karol Wojtyla, archevêque de Cracovie, pour continuer l’œuvre de Paul VI et mettre en pratique son culte de l’homme proclamé à Vatican II. À peine élu, le nouveau Pape dit clairement dans son discours aux cardinaux que son travail sera de mettre en application ce que le Concile énonce, afin de « rendre explicite ce qui y est dit implicitement ». Propos mystérieux dont notre Père va peu à peu prendre la mesure... Mais, déjà, il commentait : « C’est Napoléon se faisant empereur pour consolider les acquis de la Révolution... » Le combat contre le Concile doit donc continuer, plus résolu que jamais face à ce dialecticien de génie qu’est Jean-Paul II. Notre Père va suivre avec une minutieuse attention et de grandes angoisses ce pontificat de vingt-cinq années et, seul dans l’Église, comprendre comment le Pape va structurer le modernisme et le progressisme introduits au Concile en une gnose.

Notre Père a identifié très rapidement en Karol Wojtyla un moderniste de la pire espèce. Nourri d’esprit germanique, les maîtres de sa jeunesse sont ésotériques, tel Steiner, et surtout philosophes idéalistes allemands, comme Schiller à qui il consacra sa thèse, Marx, Feuerbach, Kant, Hegel. Il ne les a jamais reniés, au contraire c’est tout ce fond hérétique qu’il va introduire dans l’Église. Car le travail acharné de toute sa vie, dans la droite ligne des modernistes du siècle précédent, sera la réconciliation de l’humanisme moderne, athée, avec le christianisme séculaire. Par ailleurs, la définition de la foi qu’il donne à André Frossard dans ses entretiens publiés sous le titre N’ayez pas peur en 1982 est typiquement moderniste : « La foi ne contraint pas l’intelligence, elle ne l’assujettit pas à un système de “ vérités toutes faites ”... La foi est beaucoup plus que cela : c’est une réponse intérieure à la Parole de Dieu dans la sphère de la pensée et de la volonté de l’être humain ; donc elle implique une intervention particulière de Dieu. » (Liber II, p. 58) Avec une telle définition de la foi, toutes les interprétations personnelles et les falsifications les plus sacrilèges de l’Écriture selon la conscience moderne sont donc permises, puisque Dieu parle directement au cœur.

Notre Père a aussi identifié le Pape comme un progressiste révolutionnaire, œuvrant pour la révolution mondiale au nom des droits de l’homme. C’est une interrogation récurrente de ses conférences d’actualités dans les années 1980 : “ Où est-ce que le Pape s’est rendu pour prêcher la révolution ce mois-ci ? Quels révolutionnaires a-t-il encouragés ? Quel dictateur a-t-il contribué à faire tomber ? ” En effet, puisque pour lui la personne humaine possède une dignité transcendante, il faut qu’elle puisse s’épanouir pleinement, en toute liberté. Et si quelque chose s’oppose à cette liberté, si une aliénation demeure, la révolution est légitime. Tel est l’Évangile progressiste que le Pape part prêcher dans le monde entier.

Mais contrairement à l’utopie vague de Paul VI, chez Jean-Paul II toutes ces grandes aspirations du progressisme sont structurées en un système nouveau qu’il présente d’encyclique en encyclique, renouvelant toute la doctrine catholique en ce que notre Père appelle une gnose. La gnose, mot qui signifie « connaissance » en grec, désigne une hérésie des premiers siècles de l’Église dont il est déjà question dans les Actes des Apôtres et les épîtres de saint Paul. Elle consiste en une connaissance ésotérique des mystères de notre foi chrétienne. C’est-à-dire que la gnose retrouve et réemploie les richesses bibliques, symboles, récits, miracles, paraboles, et prétend en révéler le sens caché, les profondeurs secrètes. Dans les premiers siècles, les gnostiques prétendaient y parvenir en mêlant au christianisme des mythes et des concepts philosophiques païens pour obtenir une connaissance plus totale de l’univers. Avec Jean-Paul II, la gnose prend une nouvelle dimension, comme notre Père l’a compris à la fin des années 1980. Pour comprendre à notre tour, prenons un article particulièrement significatif de l’encyclique Mulieris Dignitatem parue en 1988 :

« Marie est  le nouveau commencement  de la dignité et de la vocation de la femme, de toutes les femmes et de chacune d’entre elles. La clé pour comprendre cela peut se trouver dans les paroles placées par l’évangéliste sur les lèvres de Marie après l’Annonciation, lors de sa visite à Élisabeth :  Il a fait pour moi de grandes choses. ” (Lc 1, 49) Ces paroles concernent évidemment la conception de son Fils, qui est le Fils du Très-Haut ” (Lc 1, 32), le saint de Dieu ; mais en même temps [et voici la juxtaposition, l’ajout de la gnose nouvelle, antichrist, à la révélation ancienne], elles peuvent signifier aussi la découverte du caractère féminin de son humanité... En Marie, Ève redécouvre la véritable dignité de la femme, de l’humanité féminine. »

L’encyclique continue en affirmant qu’il faut dès lors donner à la femme les moyens de s’affirmer comme personne dans une égalité absolue avec l’homme. Et elle se termine sur un hymne délirant à la Femme « matrice de tous les biens humains et divins ». La Vierge Marie est donc certes la Mère de Dieu, mais elle est surtout pour le Pape la révélatrice de la dignité de la vocation de la femme et ses perfections sont attribuées à toutes les femmes, sans distinction... Dans cette juxtaposition, qui est un horrible blasphème, nous retrouvons le modernisme pour la falsification des Écritures et le doute jeté sur l’historicité des paroles du Magnificat ; le progressisme pour l’exaltation de la dignité transcendante de toutes les femmes et de son nécessaire accomplissement en ce monde ; le tout harmonieusement imbriqué, fondu dans la religion catholique de toujours.

Dans les autres nombreuses et interminables encycliques du Pape, tout est à l’avenant. Comme le dit notre Père dans l’Autodafé, le Pape joue au mécano avec notre sainte religion. Il démonte pièce par pièce la construction catholique et réutilise ces mêmes pièces en des assemblages nouveaux pour édifier la Cathédrale, le Credo, l’Église de ses rêves, au prix de quelques manipulations et de l’exclusion d’un bon nombre de résidus inutilisables, qu’il fait disparaître à la poubelle pour que rien ne témoigne des défauts de reconstruction. Le Pape a ainsi gommé toutes les aspérités de la doctrine catholique : la Croix, le combat contre l’enfer et le péché, la nécessité des sacrements... Tout ce qui peut fâcher un athée a disparu.

Dans son Livre d’Accusation contre le CEC en 1993, notre Père dénonce en des termes très simples le fin fond de cette gnose : « Ce que votre Catéchisme accorde à l’homme, à tout homme, à toute femme également, indistinctement, à chacun de nous, pauvres pécheurs, c’est à Jésus et à Marie seuls que le Père l’a voulu donner. » Ou encore dans l’Autodafé : « C’est bien simple, pour exalter l’homme, on chipe à Jésus ses attributs divins. » C’est cela la gnose wojtylienne.

Mais peut-être vous demandez-vous sur quoi s’appuie le Pape pour fonder ce culte de l’homme ? Eh bien sur le concile Vatican II, qu’il avait promis en 1978 de rendre « explicite ».

Notre Père a remarqué l’importance de Gaudium et Spes dans les encycliques du Pape. Celui-ci y fait sans cesse référence, avec une prédilection pour les paragraphes 12 à 22 du premier chapitre « De la dignité de la personne humaine » dont nous venons de parler. Le jeune Wojtyla en est en fait le principal auteur. Les numéros 19 à 21 que nous avons évoqués et qui font l’éloge de l’athéisme sont directement de lui. Mais tout le fondement de sa gnose se résume dans le paragraphe 22 sous le titre : « Le Christ, homme nouveau », « Parce qu’en Lui [le Christ], la nature humaine a été assumée, non absorbée, par le fait même, cette nature a été élevée en nous aussi à une dignité sans égale. Car, par son Incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme. »

« Y a plus d’problème », dit notre Père. Le problème du salut est réglé par l’Incarnation. Plus d’enfer, plus de purgatoire, plus de morale, plus rien. Et il n’y a même plus besoin d’une Rédemption par la Croix de Jésus, ni de réparation par nos pénitences et nos pauvres mérites. Désormais, nous sommes tous au Christ comme des frères siamois, indétachables de Lui, quelle que soit notre moralité. Facile maintenant de parler de tout homme comme d’un « autre Christ », de faire ainsi de tous des objets de respect, de culte, d’adoration. Quant à Jésus de Nazareth, ayant ainsi tout donné d’un seul coup, il disparaît, au profit de son masque dépersonnalisé de « Christ », répandu en tous, adoré en tous. Le divin est vidé de sa substance au profit de l’humain qui est paré d’une dignité divine. Le surnaturel est rabaissé, Jésus n’est que le révélateur de notre propre royauté, et notre nature humaine est divinisée, puisque tous nous sommes unis à Dieu, dès maintenant, quel que soit l’état de notre âme.

La boucle est bouclée. Notre religion n’est plus un Credo mais une gnose. Et cette gnose, c’est la naturalisation du surnaturel et la surnaturalisation du naturel que notre Père avait distinguées dès l’après-guerre comme la doctrine de l’Antichrist. C’est le culte de l’homme qui se fait Dieu.

À la suite de cette découverte effrayante de la gnose wojtylienne, et dans les conditions dramatiques de la persécution de la hiérarchie, notre Père relit les Actes du Concile à Hauterive en 1996 et y retrouve, plus explicite que jamais, toute cette manœuvre qui a changé la religion. Au terme de ces mois terribles, sa dénonciation acquiert avec l’Autodafé sa forme définitive dans une cohérence parfaite.

Il renouvelle son cri de 1964, de 1972, 1973, 1983, 1993 et de toute sa vie : l’hérésie moderniste, progressiste, gnostique est au Concile ! Et nous entraînant à sa suite dans la plus grave affaire de sa vie, il écrit : « Ce qui m’ennuie, c’est que vous allez penser que le Concile s’est tout entier mobilisé dans le marketing du monde moderne. Si vous le croyez, vous n’aurez certes pas tort, mais ce sera pour vous l’occasion de bien des croix, et la grande épreuve de votre, de notre vie. Si c’est pour vaincre en cette épreuve que nous avons été créés, dans la Volonté de bon plaisir de notre très chéri Père céleste, redisons les paroles de notre très chérie Mère céleste : “ Fiat ! fiat nobis secundum Verbum tuum ! ” » (Autodafé, p. 454)

Et ce « Fiat » lui a alors été demandé une dernière fois, décisive, au cours de cette ultime confrontation avec les Actes du Concile, ainsi qu’il l’a raconté en janvier 1997 :

« Mes critiques de jadis me revenaient, mais tant et si gravement renforcées que, de jour en jour, m’apparaissait comme un devoir pour le salut des âmes, pour la sainteté indéfectible de l’Église, mais encore pour la Vérité de Dieu, et ne serait-ce que pour le seul honneur et crédit de l’intelligence humaine et chrétienne, que ces textes soient révisés, corrigés, et pour la plupart, j’ose le dire... pour l’ensemble, rétractés par les mêmes Pères qui les ont promulgués, ou leurs successeurs, tant ils sont humainement aberrants et dogmatiquement hérétiques, subversifs, à en crier. La cause de la ruine de l’Église est là, sous mon scalpel, qu’il faut éradiquer.

« Mon secours était d’interrompre cette étude pour revenir à la chapelle, et demander à notre Père Céleste comment il était possible que tous aient participé à ce vent de folie, même un Albino Luciani, le futur Jean-Paul Ier... et par quelle aberration ou “ désorientation diabolique ”, tous encore aujourd’hui et jusqu’à ces saints moines que je côtoyais, adhéraient à ce néo-christianisme, cette gnose moderniste déjà condamnée par saint Pie X et par toute la tradition millénaire ? C’est alors que, marchant le long de la rivière proche, me frôla comme un vertige l’idée, la tentation d’un suicide qui résoudrait l’insoluble problème ignacien du “ quid agendum ? ” Que dois-je faire maintenant !

« La réponse était : prier, travailler sans relâche, puis publier cette critique littérale, sans aucun autre souci que de la Vérité, en un livre au titre flambant comme d’un pamphlet : “ Vatican II, l’Autodafé ”... et laisser l’Église à son devoir, le mien étant à ce dernier essai, achevé. »

frère Louis-Gonzague de la Bambina.