Il est ressuscité !

N° 212 – Août 2020

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Correspondance

Jésus ! Marie ! Joseph !

J’ai reçu une réponse de Son Excellence, Monseigneur Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims :

Monsieur, Frère,

Votre lettre du 29 juin dernier m’est bien parvenue.

Vous vous dérobez à toute analyse de la doctrine eucharistique que vous promouvez. Il est du devoir des évêques d’avertir les fidèles des ambiguïtés qui s’y trouvent. Le don de l’Eucharistie est si grand qu’il mérite que nous y ajustions notre pensée. Déjà saint Irénée réagissait-il ainsi.

Permettez-moi, Monsieur, Frère, de vous assurer de ma prière,

+ Éric de Moulins-Beaufort,
Archevêque de Reims,
Président de la Conférence des évêques de France.

Excellence,

J’ai bien reçu votre lettre datée du 17 juillet 2020 et je vous en remercie.

Vous nous reprochez une dérobade dont nous ferions preuve dans cette affaire. Mais je crois que ce terme venu spontanément sous votre plume en dit plus sur vos sentiments à vous que sur les nôtres, puisqu’en définitive vous passez sous silence les deux points abordés dans ma lettre du 29 juin. Vous m’avez donc parfaitement compris. Du coup, permettez-moi de pousser mon “ avantage ”.

Dans le texte publié le 25 juin 2020 sur le site de la CEF que vous présidez, il est affirmé à propos de la théologie de l’eucharistie que nous « promouvons », après l’avoir reçue de l’abbé de Nantes, notre vénéré fondateur : « Il aurait dit aussi que le bruit de la fraction des hosties pendant l’Agnus Dei serait celui des côtes du Christ que casserait le prêtre ! Ces mots indignes contredisent les Écritures qui prennent soin d’indiquer que pas un de ses os ne fut brisé (cf. Jn 19, 36 ; Ps 34, 21 ; Ex 12, 46 ; Nb 9, 12), et ils confirment le dérèglement de cette piété. »

Notre Père n’a jamais dit ni écrit rien de tel. Il vous suffit de vous reporter au n° 116 d’avril 1977 de la Contre-Réforme Catholique auquel se réfère la note des évêques, et plus particuliè­rement au deuxième paragraphe de la page 11, colonne 1, où vous pouvez lire : « Jésus rompt le pain ; certains y ont vu un geste de sacrifice, symbolisant la mort brutale du Christ en croix. Mais saint Jean rapporte, à l’encontre, cette prescription de l’Écriture concernant l’agneau pascal, qu’il applique à Jésus comme une prophétie :  Aucun de ses os ne sera brisé  (19, 36). Par ailleurs, le mot rompu pour vous, en 1 Co 11, 24, est une variante du texte faiblement attestée. Reste que le Corps est donné, donné pour vous ; l’ambiguïté demeure. Dans le pain rompu, ne retrouvons-nous pas une réponse à la plainte des Lamentations de Jérémie (4, 4) :  Les petits enfants demandaient du pain mais il n’y avait personne pour le leur rompre  ? Ce pain rompu, c’est sa Parole, c’est la Présence nourrissante, bienfaisante, aimante, de Celui qui est Lui-même la Parole de Dieu. »

C’est dire, par cet exemple choisi parmi tant d’autres, que le rédacteur, anonyme, de cet avertissement ne s’est guère préoccupé de vérité, pas plus d’ailleurs des prétendus « dangers pour la foi et la vie spirituelle » que représenterait la doctrine de l’abbé de Nantes notamment sur l’Eucharistie. Non, son souci est ailleurs : celui d’étayer par une apparente étude doctrinale cette calomnie à l’encontre de notre bien-aimé Père « de comportements moraux inadmissibles de la part d’un prêtre » et ainsi jeter le discrédit sur toute son œuvre et éluder le véritable objet de notre différend et qui peut se résumer ainsi.

Au moment même de leur discussion, l’abbé de Nantes a critiqué les nouveautés doctrinales du concile Vatican II qui lui ont semblé clairement hérétiques notamment le droit social à la liberté religieuse. Et dès leur adoption, tel un bon fils vis-à-vis de son père, il s’est empressé de révéler au Souverain Pontife ses pénibles doutes allant même jusqu’à porter à l’encontre des papes Paul VI et Jean-Paul II trois livres d’accusation en hérésie, schisme et scandale. Mais tout en s’opposant publiquement et fermement à cet enseignement novateur, faillible et réformable, il a fait appel au Magistère extraordinaire pour que soient ramenées par l’Église, au nom de la Vérité de la foi, l’unité et la paix.

Curieusement, le rédacteur de l’avertissement évoque à peine ces raisons de fond de notre différend, sauf lorsqu’il nous fait reproche de souvent nous référer à cette phrase du pape Paul VI : « Nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme ! » prononcée le 7 décembre 1965, dans la basilique Saint-Pierre, lors du discours de clôture du concile Vatican II. Il est exact que nous mentionnons régulièrement cette parole inouïe, bien réfléchie, jamais prononcée par aucun Pape, ni avant ni même après Paul VI. Mais habituellement, nous prenons soin de citer tout le passage dans lequel elle est contenue, afin de mieux réaliser le nouveau culte que le Souverain Pontife osa proclamer dans l’aula conciliaire en présence de tous les Pères :

« L’Église du Concile, il est vrai, s’est beaucoup occupé de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque, l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité. L’humanisme laïque et profane enfin est apparu dans sa terrible stature et a, en un sens, défié le Concile. La religion du Dieu qui s’est fait homme s’est rencontrée avec la religion (car c’en est une) de l’homme qui se fait Dieu.

« Qu’est-il arrivé ? un choc, une lutte, un anathème ? cela pouvait arriver ; mais cela n’a pas eu lieu. La vieille histoire du Samaritain a été le modèle de la spiritualité du Concile. Une sympathie sans bornes l’a envahi tout entier. La découverte des besoins humains – et ils sont d’autant plus grands que le fils de la terre (sic !) se fait plus grand – a absorbé l’attention de ce synode.

« Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. »

L’auteur de l’avertissement fait remarquer que « ces mots ont été prononcés depuis la basilique Saint-Pierre, du berceau de la foi chrétienne, lieu symboliquement parmi les plus chargés au monde de signification religieuse, à la fin du concile œcuménique ayant été célébré par le plus grand nombre d’évêques de toute l’histoire de l’Église. Ces mots s’adressaient, depuis ce lieu précis, au monde des années 1960, marqué par l’humanisme athée en plein essor. » Et il en conclut : « Épingler ce bout de phrase pour faire comme s’il signifiait un reniement de l’unique culte rendu au Père par le Christ dans l’Esprit qui caractérise la célébration chrétienne, n’est-ce pas faire preuve d’une mauvaise foi certaine ? »

Mais alors, comment faut-il interpréter, comment faut-il comprendre ce discours de Paul VI, pourtant d’immenses conséquences et de drames dans l’Église, aujourd’hui donné comme lecture pour l’office des lectures par un décret du 25 janvier 2019 de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, autrement que comme un « reniement de l’unique culte rendu au Père par le Christ dans l’Esprit qui caractérise la célébration chrétienne » ? Pas de réponse ! Le rédacteur de l’avertissement ne donne aucune réponse !

Or c’est cette réponse que l’abbé de Nantes et nous à sa suite demandons depuis l’année 1965 à nos légitimes pasteurs ainsi que nous l’avons exposé plus en détail dans le mémoire du 13 juin 2019 que nous avons été requis de rédiger à la demande de Monseigneur Georges Pontier. Je vous en remets une copie pour être certain que vous ayez à votre disposition un exemplaire de ce document. Et c’est pour ne pas nous détourner et vous détourner de cette question essentielle du culte de l’homme se substituant au culte de Dieu et qui est la seule et vraie raison de notre différend, que nous nous interdisons de répondre aux insinuations de basse police que contient l’avertissement et au prétendu examen doctrinal de l’œuvre théologique de notre Père et qui pourtant pourrait porter remède et de façon si aimable à tant de maux que connaît l’Église. C’est notre manière à nous de la servir. Même à la dernière place, ce service fait toute notre joie et celle de nos familles qui veulent nous rester fidèles pour garder la foi... en l’Église.

Voilà Excellence ce que je voulais ajouter à ma lettre du 29 juin dernier après avoir pris connaissance de la vôtre. N’ayant pas reçu de votre part de réponse franche et loyale, je me vois dans l’obligation de réitérer mon avertissement à savoir que si vous persistez à maintenir sous votre responsabilité la publication sur le site de la CEF de l’avertissement à l’encontre de notre famille spirituelle, bien que destiné aux seuls évêques de l’Église de France, vous en répondrez devant notre Très Chéri Père du Ciel qui est aussi notre Juge. De grâce, ayez pitié de votre âme !

Je vous prie, Excellence, d’agréer l’expression de mon religieux dévouement,

frère Bruno de Jésus-Marie.
Supérieur général de l’Ordre des Petits frères et des Petites sœurs du Sacré-Cœur.