Il est ressuscité !

N° 243 – Mai 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


En route vers Notre-Dame ! (6)

Notre-Dame de Chartres

« Le Seigneur point ne varie, quoi que l’on fasse et que l’on dise,
Toujours d’identique dessein se déroule l’ordre divin...
En Notre-Dame est tout honneur et grande est sa courtoisie. »
(Gauthier de Coincy, Les miracles de la Vierge, 1221)

LES cloches de la Résurrection ont rythmé nos deux  pèlerinages de la mi-avril, à Chartres et à Rocamadour, deux sanctuaires de pèlerinage nés « aux temps anciens de la Chrétienté », où Notre-Dame a daigné montrer qu’Elle avait élu chez nous son domaine, où notre peuple a appris à l’aimer et à lui manifester sa dévotion jubilante et suppliante.

C’est en mettant nos pas dans ceux des pèlerins de jadis, qu’ici et là nous nous sommes mis en marche, avec au cœur nos intentions de prière, mais ce qui les réunissait en une gerbe que nous déposâmes aux pieds de Notre-Dame, c’était notre volonté unanime et notre résolution de « réparation » des outrages qui blessent son Cœur Immaculé comme d’une couronne d’épines : couronne de lys et d’épines, dans ce doux pays de France qui fut pendant des siècles son Royaume de prédilection, et où Elle réside encore, mais abandonnée de ses enfants ; nous voulions tout simplement la consoler et faire revenir son merveilleux sourire sur ses lèvres « qui distillent le lait et le miel des plus éloquentes prières, des paroles les plus douces » (J’irai la voir un jour, Page mystique n° 91).

LA PRIÈRE SÉCULAIRE DE CHARTRES

En ce samedi de Quasimodo, il pleuvait et il faisait bien froid à l’extérieur de la petite église de Jouy, à l’image de la grande Église où la charité et la dévotion se sont refroidies.

Mais à l’intérieur, frère Bruno communiqua à tous la ferveur de sa dévotion, exhortant nos amis à tout offrir, prières et sacrifices, en esprit d’obéissance et de réparation, – c’est un beau “ Secret du Ciel ” pour notre temps –, chacun apporte ce qu’il peut, et la Très Sainte Vierge Marie, quand ils sont sincères et purs, accepte en souriant tous les hommages, des petits et des grands. Et bientôt nos familles s’ébranlaient en lançant leurs Ave à travers la campagne beauceronne, rejointes au fil des étapes par d’autres pèlerins. Au total, plus de 350 !

Le pèlerinage crc à Chartres, initié par notre ami Jean-Loup Perret dès 1969, et si souvent animé par notre Père, a toujours eu pour effet de fortifier notre foi catholique et monarchique, en remplissant de courage et de joie spirituels, de confiance en Notre-Dame Marie, l’âme des pèlerins. N’est-ce pas à Chartres que tout le symbolisme du lys fut attribué pour la première fois à la Sainte Vierge ? « Toutes les grandes lignes de l’histoire de France viennent en quelque sorte aboutir à ce temple », affirmait déjà le cardinal Pie, grand dévot de Notre-Dame de Chartres.

« L’évolution des événements mondiaux s’accélère, écrivait notre Père en 1975, et comme c’est actuel ! Notre avenir tient à un fil. Tâchez de votre côté de ne pas manquer ces réunions de prières, pour ensemble garder la foi, même s’il fallait affronter les persécutions ou les séductions de l’Ennemi de Dieu. Pour soutenir notre espérance et incliner le Ciel à la miséricorde et à la pitié. Pour réchauffer notre charité universelle et d’abord entre nous, en vue des temps où il nous faudra davantage nous aider et soutenir les uns les autres... »

C’est pourquoi nous allions à Chartres, qui « est une prière séculaire comme le Salve Regina » (Lettre à mes amis n° 37). La cathédrale, telle qu’elle se présente aujourd’hui à nos regards, a été construite d’un seul élan au treizième siècle, entre 1194 et 1260, par tout un peuple enthousiaste, pour réparer le désastre de l’incendie qui ravagea la “ vieille ” cathédrale du onzième siècle, dont la nef était couverte en charpente. En nous approchant, nous communions à la foi qui avait soulevé ces multitudes de paysans de la Beauce apportant aux ouvriers, artisans, architectes tout ce dont ils avaient besoin, entraînant de lourds véhicules chargés de pierres, de blé, de vin. C’est pour louer Jésus et Marie au très Saint-Sacrement de l’autel qu’ils élevèrent cette cathédrale et pour abriter la présence du Dieu fait homme qui, chaque jour, se fait notre nourriture eucharistique au Saint-Sacrifice de la messe, « présence de souveraine et mystérieuse beauté », comme l’écrit notre Père, inséparable de la présence de la Sainte Vierge, sa Mère.

En pénétrant dans l’immense vaisseau de la cathédrale de Chartres, nous éprouvâmes une nouvelle fois à quel point ce pèlerinage nous met en communion avec nos aïeux qui ont élevé cette merveille, exécuté ces sculptures et ces vitraux où ils voulaient que les gloires de la Vierge Marie soient célébrées. Tellement ils avaient la certitude que la Vierge et Celui qu’elle porte sur ses genoux étaient le centre de l’histoire humaine. « Les architectes donnèrent une psychologie, une âme à la maison de pierre, écrit le chanoine Coulombeau, et cette âme, ici, c’est Marie. Ils la mirent au centre de tout et partout, dans le verre et dans la pierre. » (Chartres, l’âme de la cathédrale, 1933)

Plus que les origines mystérieuses du culte marial à Chartres, qu’il est difficile de dater, c’est la traduction en images de ce culte millénaire qui fait notre prédilection pour cette cathédrale. Véritable traité de doctrine mariale, Chartres est le livre qui renferme le Secret de Marie qui l’identifie avec la Sagesse, confidente du Créateur. Elle contient comme dans un miroir les mystères de ses plus précieux privilèges : son Immaculée Conception, sa Virginité perpétuelle, – c’est elle, la Virgo paritura annoncée par Isaïe –, sa Maternité divine et universelle, sa Corédemption et sa Médiation de toutes grâces qui en découlent. Chartres est donc un lieu privilégié pour notre réparation des offenses faites à la Sainte Mère de Dieu.

Tous les saints de l’histoire de l’Église, les apôtres et les martyrs qui ont été représentés, soit en sculpture, soit en vitrail, ont témoigné par toute leur vie que deux amours s’étaient unis dans leurs cœurs, l’amour de Jésus, leur Sauveur, et l’amour de la Vierge Marie, sa divine Mère, l’Immaculée. Nous sommes les héritiers de cette « nuée de témoins », comme dit l’Épître aux Hébreux, qui ont traversé la vie, éclairés, illuminés, fortifiés par leur foi et ce double amour. C’est là « le riche passé d’où nous venons », comme l’écrivait notre Père, qui « donne sa forme à l’avenir que nous faisons ».

SOUS LE VOILE DE LA VIERGE

Tout ce « riche passé » est symbolisé à Chartres par le voile de la Vierge, ou “ sainte chemise ” dont la cathédrale est le reliquaire. Et « l’avenir que nous faisons », c’est le salut de toutes les âmes, rassemblées sous ce voile par la dévotion réparatrice.

Donnée par l’empereur de Byzance à Charlemagne qui en enrichit l’église de son palais d’Aix-la-Chapelle, cette relique insigne fut offerte en 876 par son petit-fils Charles le Chauve, qui désirait un héritier, au sanctuaire de Chartres, en raison de la dédicace de ce dernier à la Virgo paritura, la “ Vierge en enfantement ”. D’une longueur de cinq à six mètres, elle consiste en une pièce de soie, parfaitement unie, sans décoration. Elle devint pour la cité chartraine une protection, une défense, un gage de salut.

Elle n’était en effet que depuis quelques années dans la cathédrale lorsque Rollon, encore païen, vint en 911 assiéger la ville. Un chroniqueur du onzième siècle raconte que, pendant la bataille, l’évêque de Chartres apparut sur les murs, portant la relique comme un étendard. À cette vue, les Normands, saisis d’une terreur panique, rompirent leurs rangs et prirent la fuite. Devenu chrétien, Rollon s’empressa de faire un don à Notre-Dame de Chartres dont il avait éprouvé la puissance. On a conservé longtemps le parchemin de la donation, auquel était attaché, suivant la symbolique du droit barbare, un petit couteau retenu par un cordon de soie. L’acte avait une brièveté et une grandeur épique : « Moi, Rollon, duc de Normandie, je donne aux frères de l’église Notre-Dame de Chartres mon château de la Malmaison, que j’ai acquis avec mon épée et que, avec mon épée, je leur garantirai. Que ce couteau en soit témoin ! »

Le Voile de la Vierge
Il ne reste plus aujourd’hui que quelques fragments du saint Voile enfermés dans ce reliquaire-monstrance exécuté pour le millénaire de son arrivée à Chartres (876-1876) et conçu comme une “ Arche d’alliance ”.

La relique précieuse fut enfermée dans une châsse en bois de cèdre, ornée de chérubins, que l’orfèvre Teudon, à la fin du dixième siècle, revêtit de plaques d’or et recouvrit d’un voile, comme l’antique arche d’alliance. Au cours de l’incendie de 1194, une partie de la ville fut détruite en même temps que la cathédrale, mais les habitants, oubliant leur détresse, ne songeaient qu’à la châsse de Notre-Dame : la relique avait-elle été consumée en même temps que le sanctuaire ? Voilà ce qu’on se demanda avec angoisse pendant trois jours, sans pouvoir approcher des ruines fumantes.

Le troisième jour, on vit sortir de la crypte où ils s’étaient réfugiés, des clercs portant la châsse sur leurs épaules. La joie fut immense, rien n’était perdu puisque la relique était sauvée ! L’évêque, les chanoines, les habitants apportèrent en offrande une partie de leur fortune et décidèrent sur-le-champ d’élever une nouvelle église, plus magnifique que l’ancienne. La cathédrale rejaillit alors plus belle des dons et des prières de toute la Chrétienté pour être l’écrin de la relique. La cité fut rebâtie tout autour.

Le “ Livre des miracles de Notre-Dame ”, écrit en latin et traduit en vers français par Jean Le Marchant, nous raconte cette nouvelle épopée : « Les multitudes se rassemblaient comme jadis, chargeaient les lourds véhicules de pierres, de blé, de vin, de tout ce qui pouvait être utile aux ouvriers, et traînaient ces écrasants fardeaux jusqu’à Chartres. Les gens de Pithiviers, le cou dans leur collier, étaient si épuisés en traversant la Beauce que ceux du Puisaye voulurent prendre leur place, mais ils refusèrent, ne voulant rien perdre, disaient-ils, des mérites de leur pèlerinage. »

Cependant, comme on n’avait aucune idée de ce que pouvait être la Tunique de la Vierge, qui était restée dans sa châsse, on imagina qu’elle avait la forme d’une robe courte à manches, et on l’appela “ la sainte Chemise ”.

Au quinzième siècle, les pèlerins qui se rendaient à Chartres attachaient à leur chapeau une enseigne de plomb sur laquelle une chemise était représentée. On faisait toucher à la châsse de minuscules chemises de métal que les hommes de guerre portaient sur eux comme une protection. Dans un duel, le gentilhomme qui avait sur la poitrine une chemisette de Chartres devait en prévenir loyalement son adversaire. Des chemises de toile, mises en contact avec la châsse, aidaient les femmes à supporter les douleurs de l’enfantement, et on ne manquait pas d’en envoyer aux reines de France.

Lorsqu’au dix-huitième siècle, une première fois en 1712, puis sous la Révolution, on ouvrit la châsse, on s’aperçut que la sainte Tunique ne ressemblait en aucune manière à une chemise. C’était une de ces pièces de soie dont se drapaient les femmes de l’Orient. Elle était enveloppée dans un autre tissu décoré de lions affrontés. Le savant abbé Barthélemy consulté répondit que le voile était d’origine syrienne et pouvait remonter au premier siècle de notre ère.

Le Voile de la Vierge

AVEC NOS ROIS ET NOS REINES

« Un vrai fils de France se reconnaît à sa dévotion pour Notre-Dame de Chartres », disait notre Père. On la rencontre à tous les tournants de notre histoire. Comme l’écrit joliment Ghéon : « Nos vieux évêques, nos vieux rois, nos vieux moines, tous les fondateurs, civilisateurs et pacificateurs de nos cités, le sceptre et les lis, la bure et la crosse, l’encerclent comme d’une ronde de prières, et la France se fait autour. » (Triomphe de Notre-Dame de Chartres, 1927) Et le dramaturge converti en composa un poème qui, par la simplicité de sa foi, vaut bien la “ Présentation de la Beauce à Notre-Dame ” de Charles Péguy :

C’est ainsi que la Vierge Mère
Eut son sanctuaire de choix
Au cœur même de notre terre,
Et du gentil peuple françois.

C’est ainsi que le pain des Anges
Dès l’origine fut pétri
De la farine sans mélange
Des blés que la Beauce mûrit.

Et pas un grain semé ne lève
Sans l’agrément et le secours
Des grâces de la Nouvelle Ève
En qui la Grâce tient sa cour.

Elle prend soin des corps, des âmes ;
Aussi nos aïeux beaucerons
En leur langage sans façon
La surnommèrent Notre Dame.

C’est à Chartres autant qu’au Puy-en-Velay et à Rocamadour, que Notre-Dame devint Reine de France, avant même que le pieux Louis XIII lui eût consacré son royaume et sa couronne. Henri Ier l’honora de dons magnifiques. Philippe Auguste s’y rendit en pèlerinage avec la reine Isabelle en 1187, avant l’incendie de la cathédrale, pour demander un héritier mâle : ce fut Louis VIII, le père de Saint Louis. Ce dernier, avec sa mère Blanche de Castille, offrit le vitrail de la glorification de la Vierge. Philippe VI de Valois, après la victoire de Cassel, se présenta au portail de la cathédrale armé de pied en cape sur son cheval de combat, et il voua arme et cheval à Notre-Dame... qui les lui rendit contre le prix de ses cadeaux versé aux chanoines. Ça, c’est tout le Moyen Âge !

Henri III s’y rendit dix-huit fois en pèlerinage, suppliant la Vierge de lui accorder un enfant de sa douce épouse, Louise de Vaudémont. Plusieurs fois à pied avec des courtisans, depuis Paris jusqu’à Chartres, avant de mourir martyr de la religion royale en août 1589, après avoir désigné Henri de Navarre pour héritier légitime. Sacré à Chartres parce que Reims était aux mains des ligueurs, Henri IV y revint à plusieurs reprises. De même Louis XIII, dès le début de son règne, le 18 août 1613.

Louis XIV, né en 1638, fut conduit à Chartres à l’âge de cinq ans, pour offrir son règne à venir à la Vierge Marie, à laquelle il devait sa naissance. Hélas ! Nous savons par Notre-Seigneur qui se plaignait auprès de Lucie du « retard » opposé par le Pape et la hiérarchie de l’Église à la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, qu’ils imitaient en cela la noire ingratitude de Louis XIV refusant de consacrer “ le Royaume des Lys ” au Sacré-Cœur. La révolution fut le châtiment de ce refus, terrible. Mais avec une suite émouvante, et qui fonde aujourd’hui notre espérance : Madame Élisabeth, sœur du roi Louis XVI et prisonnière avec lui aux Tuileries, fit en 1790 un vœu au Cœur Immaculé de Marie pour la conservation de la foi en France (cf. infra, p. 21).

Elle le fit prononcer par le roi Louis XVI et la reine Marie-Antoinette, ainsi qu’au dauphin et à Madame Royale, l’année suivante, le 10 février 1791. Le Roi qui avait encore une certaine liberté de circuler dans Paris, se rendit à Notre-Dame de Paris, avec toute sa famille, pour renouveler cette consécration de la France au Cœur Immaculé de Marie. En témoignage de cette double consécration, des orfèvres réalisèrent deux Cœurs, en or, représentant le Cœur de Jésus et le Cœur de Marie, qui pouvaient s’ouvrir et recevoir le nom de ceux qui avaient accompli cette consécration. Ces deux Cœurs ont été offerts à Notre-Dame de Chartres et sont encore conservés dans le trésor. Ils sont une anticipation du message de Notre-Dame à Fatima, de sa promesse qu’ « au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi », mais appliquée à la France par Madame Élisabeth, notre sainte princesse, témoin de la vérité, lys éclatant de la religion royale.

« LES AFFAIRES DU PAPE VONT MAL. »

Frère Bruno tint à nous rappeler la parole du cardinal Pie, archevêque de Poitiers, qui fut l’enfant, l’historien, le panégyriste et le pèlerin de Notre-Dame de Chartres. « C’est par Elle que me sont venus tous les biens », aimait-il à répéter. Étant encore vicaire général à Chartres, il écrivait en 1846 à son ami, le comte de l’Estoile, ces mots déjà cités, supra page 13, qui s’appliquent à la lettre au pape François :

« Les affaires du Pape vont mal... Je crois plus à sa Passion qu’à ses réformes pour le salut de l’Église et de la société. »

Notre frère nous fit alors prier pour notre pape François dont les « affaires vont mal » pour les mêmes raisons, les mêmes erreurs ; et peut-être la même vocation au martyre, promis à « l’Évêque vêtu de Blanc » du “ Secret ” de Notre-Dame de Fatima en qui repose toute notre espérance, en raison des visions de la petite sainte Jacinthe.

Puisque Notre-Seigneur disait à sœur Lucie qu’  « il ne sera jamais trop tard pour recourir à Jésus et à Marie », nous prierons chaque jour pour le Saint-Père et avec lui, en disant : « Je vous aime, ô Marie, pleine de grâce, le Seigneur est avec Vous, Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et Jésus, le fruit béni de vos entrailles, veut établir dans le monde la dévotion à votre Cœur Immaculé. Son Sacré-Cœur offensé, votre Cœur Immaculé couronné d’épines, et le péril de l’enfer qui menace tant d’âmes, me pressent d’embrasser cette dévotion. C’est pourquoi, au nom de la consécration prononcée par le pape François, en la fête de l’Annonciation, 25 mars 2022, et pour lui faire porter ses fruits de grâce et de miséricorde, je me consacre de nouveau et rien que pour aujourd’hui, à votre Cœur Immaculé, avec tout ce que je suis et tout ce que je possède. »

BEAUTÉ ET DIVINE SAGESSE

À l’homélie de la messe célébrée dans le chœur restauré de la cathédrale, frère Bruno fit remarquer à quel point « cette cathédrale est une Bible en images. Elle exprime toute la beauté et la sagesse de la Révélation, avec ses dix mille personnages peints sur verre ou sculptés dans la pierre, tous figurants et acteurs du grand dessein de Dieu. La maison de Notre-Dame était aussi peuplée que la ville de Chartres.

VŒU DE MADAME ÉLISABETH

Ô Vierge sainte ! Vous avez  toujours si spécialement protégé la France... Tant de monuments nous attestent combien elle vous a toujours été chère ! Et à présent qu’elle est malheureuse, et plus malheureuse que jamais, elle semble vous être devenue étrangère ! Il est vrai qu’elle est bien coupable. Mais tant d’autres fois elle le fut et vous lui obtîntes son pardon !

« D’où vient donc qu’aujourd’hui vous ne parlez plus en sa faveur ? Car si vous disiez seulement à votre divin Fils : “ Ils sont accablés de maux ”, bientôt nous cesserions de l’être...

« Qu’attendez-vous donc, ô Vierge Sainte ? Qu’attendez-vous pour faire changer notre malheureux sort ?

« Ah ! Dieu veut peut-être qu’il soit renouvelé par nous, le vœu que fit un de nos rois pour Vous consacrer la France... Eh bien, ô Marie, ô très sainte Mère de Jésus-Christ ! Nous Vous la vouons, nous Vous la consacrons de nouveau ! Si cet acte particulier pouvait être le prélude d’un renouvellement plus solennel et public.

« Ou plutôt : si elle pouvait retentir depuis le trône jusqu’aux extrémités du Royaume, cette parole qui lui a attiré tant de bénédictions.

« Vierge sainte, nous nous vouons tous à Vous, mais le désir que nous en avons ne peut-il pas y suppléer ?...

« Mais les liens sacrés qui nous unissent à tous les habitants de ce Royaume comme à nos frères, mais la charité qui étend nos vues et dilate nos cœurs pour les comprendre tous dans notre offrande, ne peut-elle pas la leur rendre commune avec nous ? Ne peut-elle pas donner à une consécration particulière le mérite et l’efficacité d’une consécration générale ?...

« Nous vous en prions, ô Vierge sainte ! Nous vous en conjurons ! Nous l’espérons, et dans cette confiance, nous vous offrons notre Roi, notre Reine et sa famille, nous vous offrons nos princes.

« Nous vous offrons nos armées et ceux qui les commandent, nous vous offrons nos magistrats ; nous vous offrons toutes les conditions et tous les états ; nous vous offrons surtout ceux qui sont chargés du maintien de la Religion et des mœurs.

« Enfin, nous vous rendons la France tout entière. Reprenez, ô Vierge sainte, vos premiers droits sur elle ; rendez-lui la Foi, rendez-lui votre ancienne protection, rendez-lui la paix. Rendez-lui, rendez-lui Jésus-Christ qu’elle semble avoir perdu.

« Enfin, que ce royaume de nouveau adopté par Vous, redevienne tout entier le royaume de Jésus-Christ... Ainsi soit-il. »

« C’est ici, à Chartres, qu’est née la cathédrale du treizième siècle, Speculum majus, “ le grand spectacle ”, selon le titre de l’ouvrage de Vincent de Beauvais, le savant ami de Saint Louis, “ miroir ” de la Création, de l’Incarnation du Verbe et de la Rédemption, où trône, au commencement, au centre et à la fin, la Vierge Notre-Dame, Mère de Dieu, toujours Vierge, Médiatrice de toute Grâce, et toute Miséricorde.

Notre-Dame de Chartres« Aux voussures extérieures du portail du porche nord, sont sculptés les six jours de la Création. Le Créateur est représenté sous les traits de Jésus-Christ. C’est lui, le Verbe de Dieu, par qui tout a été fait, qui façonne l’homme à son image, après avoir créé le ciel et la terre, et la circulation des eaux, et le jour et la nuit. Il est “ la beauté de la vie qui déborde du sein de Dieu dans le sein de la Vierge Marie pour y prendre chair. Il éclaire et dévoile toutes les figures. Le reste du monde et de l’histoire est comme un trésor infini de paraboles dont il a la clef, ou plutôt dont il est lui-même le terme ultime, la vérité offerte aux regards. ” (CRC n° 123, p. 10)

« Cette beauté du Verbe fait chair, objet de contemplation, se fait, par la puissance de sa “ grâce ”, objet d’imitation : la vertu fleurit au treizième siècle et s’épanouit en fruits de sainteté. Jésus-Christ, là encore, est au centre des travaux par lesquels l’homme fait son salut, au fil des jours ; par ses trente ans de vie cachée, laborieuse, il offre le modèle à imiter, “ Modèle unique ” ; et il donne, chaque jour qui passe, jusqu’à la fin des temps, sa grâce par les sacrements de son Corps et de son Sang.

« Aux archivoltes du porche nord, les travaux et les jours sont représentés avec les douze signes du zodiaque, figurant les douze mois de l’année, disposés de façon à rappeler la marche du soleil : les signes des mois s’élèvent avec le soleil, de janvier à juin, et redescendent avec lui de juin à décembre. Mais la suite des mois rappelle d’autres mystères que le seul cycle des travaux ! Encore faut-il, pour les pénétrer, ces mystères, comprendre que “ la Révélation chrétienne demeure en vérité la seule grammaire, la clef, le fonds de toute beauté et bonté du monde ” (CRC n° 126, p. 7), et donc, de l’œuvre des artistes du Moyen Âge qui en est le miroir.

« Ainsi la baie centrale de ce porche nord où sont sculptés les travaux et les jours, présente dix statues de patriarches et de prophètes, depuis Melchisédech jusqu’à Jean-Baptiste, et une onzième statue représente saint Pierre. C’est un résumé de l’histoire du monde partagée en trois âges : celui de la Circoncision, celui de la Loi et des prophètes ; et le temps de l’Église, qui est le dernier, est représenté par saint Pierre. Au commencement Melchisédech, et à la fin saint Pierre, portent l’un et l’autre le calice du Précieux Sang, prix de notre rédemption. Entre les deux, sont les préparations de ce Saint ­Sacrifice : Abraham et Isaac, Moïse et le serpent d’airain, Samuel et l’agneau du sacrifice. Ce calice mystérieux traverse donc toute l’histoire du monde. Et c’est pour cette présence de mystérieuse et de souveraine beauté que s’élèvent toutes nos cathédrales, présence d’un Dieu fait homme qui, chaque jour, se fait le pain et le vin de l’Eucharistie de Jésus-Marie.

« Le treizième siècle est le siècle de la dévotion à la Sainte Eucharistie et à la Sainte Vierge inséparablement. Le portail nord, dit du “ triomphe de la Vierge ” en est la preuve et la merveilleuse illustration. Réunissant la salutation de la Vierge par l’ange Gabriel au jour de l’Annonciation (Luc 1, 28) et celle d’Élisabeth au jour de la Visitation (Luc 1, 42), il compose l’Ave Maria, que nous traduisons : Je vous aime, ô Marie.

Notre-Dame de la Belle verrière
Notre-Dame de la Belle verrière, dont « l’œuvre unique », disait le jésuite poète anglais Hopkins, est « de laisser s’épandre à travers elle toute la Gloire de Dieu ».

« Telle est la source des vertus dont la cathédrale est aussi le “ miroir ”, et que nous voyons d’abord émaner de la personne de Jésus-Christ et de ses Apôtres, des martyrs et des confesseurs sculptés au portail méridional où la lumière est plus ardente. Après l’âge des figures, voici maintenant le temps des accomplissements. Autour du Christ adossé au trumeau de la baie centrale, les Apôtres ressemblent aux patriarches et aux prophètes du porche nord, le voile de tristesse en moins. Ils respirent la certitude que donne la foi : ces physionomies sont d’une beauté qui exprime la noblesse de l’âme et la sérénité de l’esprit : “ C’est à Chartres que les Apôtres apparaissent pour la première fois avec cette beauté morale, écrit Émile Mâle ; façonnés par la parole de leur Maître, ils lui ressemblent. 

« Le pèlerin qui entre, enveloppé par l’ombre qui règne sous les voûtes, passe du bruit et de l’agitation du monde au silence et au recueillement. Sous ses pieds, il découvre le labyrinthe dessiné sur le pavé, appelé “ chemin de Jérusalem ” : un pavement en méandres, fait de marbres de différentes couleurs, pierres et carreaux posés sur une couche uniforme de sable et assemblés par du mortier. Ce chemin figure le parcours d’une vie aboutissant à la Jérusalem céleste, dont la ville de Jérusalem reconquise par les Croisés est la figure.

« Pour éprouver, physiquement, quelque chose de cet élan vers le Ciel, raison de vivre du pèlerin, but de tous ses travaux, il suffit de lever les yeux sur le simple triforium qui décore la nudité du mur et donne l’échelle du monument, car les colonnettes étant à taille humaine, font sentir l’élévation de la voûte : suspendue à 37 mètres sur 16, 40 de large. Prouesse permise par la croisée d’ogives qui reporte sur les piliers tout le poids de la voûte. Le maître de Chartres comprit le premier que la croisée d’ogives et de l’arc-boutant, en annulant la poussée des voûtes, rendait le mur presque inutile. Il eut l’audace d’ouvrir la travée entière, au-dessus du triforium, en la perçant d’une double fenêtre surmontée d’une rose.

« Ainsi le haut du mur, ouvert sur le ciel, verse-t-il la lumière sur la nef. Cette lumière envahit aussi l’intelligence, car les rayons du soleil sont tamisés et colorés par des vitraux historiés, et la vraie lumière parvient au pèlerin par ce grand livre d’images à travers la vie des saints et des scènes bibliques représentées sur les vitraux. Et cette lumière, c’est toujours Jésus, Notre-Seigneur, et la Vierge Notre-Dame, sa divine Mère et les saints et saintes qui les ont imités. Par exemple, Julien l’Hospitalier, dont un vitrail de la première petite chapelle rayonnante, côté nord, raconte l’histoire dramatique : Julien tua père et mère par mégarde et, toute sa vie durant, fit pénitence, accompagné et soutenu par sa femme.

« Le Moyen Âge a beaucoup aimé cette histoire pathétique, pour une raison qui nous parle par son dénouement, fruit de la dévotion réparatrice : une nuit, le Christ vint en personne chercher ses serviteurs, et les anges emportèrent au Ciel l’âme de saint Julien et celle de sa femme. “ Les charpentiers qui offrirent le vitrail, écrit Émile Mâle, apprenaient, en le déchiffrant, qu’il ne faut jamais désespérer, et que la pénitence rend à l’âme son innocence baptismale. 

« Toute l’âme du Moyen Âge est là. Et l’âme des pèlerins que nous sommes, voués à consoler le Cœur Immaculé de Marie par notre dévotion, réparatrice de tant d’outrages et de laideurs qui ont conduit les âmes à l’apostasie, en redonnant aux jeunes générations le goût de ce qui est beau, et de ce qui est vrai, par la contemplation du Cœur Immaculé de Marie.

« Ô doux visage de notre Mère du Ciel, soyez exaltée d’un pôle du monde à l’autre, et par vos saintes Images, conquérez tous les cœurs ! ” »

C’est à Chartres qu’un jour, notre Père expliqua que notre grand Dieu ne change pas dans son dessein.

LA FRANCE NÉCESSAIRE À DIEU

« Le Bon Dieu doit s’occuper de la France par nécessité. Sommes-nous nécessaires à Dieu ? J’ose dire que oui ! Je ne dis pas que nous soyons nécessaires à Dieu à cause de nos vertus, à cause de nos capacités ni individuelles ni même nationales, Dieu n’a besoin de personne.

« Mais voyez bien comme nous sommes nécessaires à Dieu : c’est en vertu de cette orthodromie dont je vous ai parlé si souvent. Dieu a des desseins, Dieu est un Maître de Sagesse et tout ce qu’Il fait sur terre, Il le fait en vue d’un bien qui n’est pas dans l’instant, mais qui court à travers les siècles. Déjà dans l’Ancien Testament, mais dans la nouvelle Alliance, c’est la même chose, Dieu construit son Royaume. Un constructeur, un architecte pose les pierres de taille les unes sur les autres jusqu’au faîte de l’édifice. Quand il est dans les hauteurs, ce n’est pas le moment d’oublier les pierres de taille qui sont à la naissance de l’édifice. Il faut que tout tienne ensemble : le passé, le présent et l’avenir.

« Dans cette cathédrale, je vous fais remarquer ceci : depuis des siècles, Dieu a suscité des âmes pleines de dévotion pour la Vierge, des mouvements populaires très étendus, grâce auxquels s’est élevée cette cathédrale, grâce auxquels elle a été peuplée de statues, d’admirables vitraux. Je vous disais que dix mille personnages sont représentés là.

« Tout cela récapitule un passé, le garde sous nos yeux et sous les yeux de tous ces touristes qui viennent depuis le Japon visiter cette cathédrale, prendre des photos. Si nous-mêmes nous ne sommes pas utiles à Dieu, cette cathédrale est nécessaire à Dieu. Quand, demain, ces nations du tiers monde, ces nations du quart monde, ces nations éloignées qui sont encore dans le paganisme, seront attirées par la lumière du Christ et de la Vierge Marie, qu’auront-elles chez elles ? Aucun témoin du passé. Qu’auront-elles pour les instruire de l’histoire de Moïse, d’Abraham, de David ? Qu’auront-elles pour leur parler des grands saints et des martyrs des temps anciens ? Ils n’auront rien d’autre que ce qui leur arrivera d’Europe, ce vieux foyer de la Chrétienté. Les Japonais qui passent regardent partout et, plus qu’ils ne regardent, ils prennent des photos. Rentrés chez eux, ces photos, ils les projetteront sur des écrans.

« C’est ainsi que cette cathédrale est encore aujourd’hui un foyer d’instruction religieuse, un foyer d’apostolat chrétien, un foyer de dévotion à la Vierge Marie, un foyer d’instruction sur ce qu’est la Foi, l’Espérance, la Charité catholiques, sur ce qu’est la pureté catholique. Alors, je pense que le Bon Dieu doit être très enclin à conserver en France toutes ces cathédrales, tous ces documents du passé et très enclin à nous bénir de venir les animer de nos chants et de nos prières parce que, quand on parle d’apostolat – et Dieu sait si on en parle aujourd’hui –, il faut bien penser que ce sont les siècles passés qui sont le grand capital sur lequel se fonde cet apostolat.

« Alors, cette cathédrale de Chartres, j’ai le ferme espoir que, à travers tous les dangers de notre époque, Dieu la maintiendra non seulement intacte dans ses pierres, dans ses flèches qui n’ont jamais bougé, mais encore intacte dans le peuple qui vient l’habiter, qui vient chanter sa foi, qui vient chanter son amour de la Vierge Marie. Il faut que nous soyons un petit chaînon de cette grande tradition, que nous revenions en pèlerinage avec nos familles ou individuellement, dans nos périls, comme Péguy, pour toujours faire confiance à la Vierge Marie, sachant que ce flot ininterrompu de pèlerins continue la foi et mérite la bénédiction de Dieu.

« À la fin de ce pèlerinage, en disant notre chapelet des mystères douloureux, nous demanderons pardon, nous ferons réparation pour tant d’injures, de blasphèmes, tant d’impiété qui se conjuguent contre le culte de la Vierge et de son divin Fils. Et à l’intérieur de nous-mêmes, nous ferons contrition, parce que nous n’en faisons pas assez pour la Vierge et pour Jésus. Nous promettrons de faire davantage et ainsi, nous recevrons pour nous-mêmes, pour nos familles, pour notre pays que nous aimons tant, pour la sainte Église afin qu’elle retrouve sa beauté et qu’elle conquière l’univers, nous recevrons la bénédiction de la Vierge Marie et de Notre-Seigneur. » (13 juin 1987)

NOTRE-DAME DE ROCAMADOUR, 
LE ROC DE LA FIDÉLITÉ CATHOLIQUE

Quelle joie quand on m’a dit : « Nous allons à Rocamadour ! » Rien que le nom est un enchantement pour l’oreille, comme un chant de troubadour en l’honneur de la Dame de toute courtoisie et toute douceur, qui nous attendait dans sa sainte Cité ; ou plus mystique encore, comme il est dit de la Bien-­aimée du Cantique des cantiques : « Ma colombe cachée au creux des rochers, en des retraites escarpées, montre-moi ton visage. » (Ct 2, 14) C’est vers Elle aussi qu’ont convergé durant des siècles, à travers étendues sauvages et contrées hostiles, tant de pèlerins en quête de grâce et de miséricorde, dont le Cœur de notre Reine est le trône.

« TOUS, ELLE LES EXAUCE. »

Sa médiation de toutes grâces brille d’un éclat incomparable à Rocamadour, comme en témoigne le “ Livre des Miracles de Sainte Marie à Rocamadour ”, composé au douzième siècle (1172) par un moine de Rocamadour qui, en restant anonyme, voulut se faire le héraut des miséricordes de sa Dame. Selon ses propres mots, son recueil est « comme un bouquet des miracles de la Vierge Marie, [composé] pour l’amour et la gloire de Celle dont je célèbre les innombrables merveilles ». Il respire l’émouvante simplicité et l’exquise délicatesse qui unissait le peuple chrétien à sa Reine, l’invincible confiance que nos pères plaçaient en Elle, et les miracles de bonté par lesquels Notre-Dame répondait à leurs prières.

Nous lûmes l’avant-propos de ce recueil dans la chapelle de la maison-mère des Filles du Calvaire, fondées à Gramat par le bienheureux Pierre Bonhomme (1803-1861), curé légitimiste, ardent missionnaire et grand pèlerin de Rocamadour. Cette plongée dans la mystique mariale du Moyen Âge suffit à nous mettre en marche :

Rocamadour« Tous ceux qui, d’un cœur plein de foi, sans aucune ombre de doute, ont frappé avec instance à la porte de la Mère de miséricorde et de pitié, tous, dis-je, ont été sauvés, échappant aux dangers de la mer et de la terre, s’évadant des cachots, recouvrant la santé. Tous Elle les écoute et les exauce ; tous, Elle les guérit ; tous Elle les secourt. Le Fils divin ne refuse rien de ce que sa Mère désire obtenir.

« Or, Elle a choisi, Elle a préféré entre tant d’autres, l’église de Rocamadour, en plein pays de Quercy. Ô merveille extraordinaire et qu’on ne saurait trop admirer ! Lorsqu’on considère l’aspect sauvage du lieu et l’étrangeté de son site, comment ne pas s’étonner en constatant qu’une telle puissance l’a irradiée d’une si grande lumière ? La Vierge compatissante, l’Étoile de la mer opère là selon sa volonté et les prières des suppliants. Elle guérit ceux qu’Elle veut, Elle les emplit de tout bien et les enrichit de sciences. Mais que dis-je ? Ceux qu’Elle veut ! Est-ce qu’Elle ne veut pas les sauver tous ? Pourquoi paraît-Elle dure pour celui-ci, douce pour celui-là ?

« Dure, Elle ne l’est que pour les orgueilleux, la douce Vierge qui tourne sans cesse ses yeux si doux vers les pécheurs non encore convertis. Elle regarde avec amour ceux qui lui sont dévots, Elle accueille ceux qui s’humilient, parce que son Fils donne la grâce aux humbles. Qu’ils accourent donc à la source de miséricorde, ceux qui portent des âmes blessées ; qu’ils accourent pour obtenir le pardon de leurs fautes. Qu’ils viennent aussi ceux qui ont le corps malade. La Vierge guérit les cœurs brisés et les corps souffrants... »

La dévotion au Cœur Immaculé de Marie, que le Ciel veut voir aujourd’hui partout répandue dans le monde, est en parfaite consonance avec cette piété ardente et jubilante du Moyen Âge. Il suffit de se rappeler la parole de Notre-Seigneur à sœur Lucie :

« Je désire très ardemment la propagation du culte et de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, parce que ce Cœur est l’aimant qui attire les âmes à moi, le foyer qui irradie sur la terre les rayons de ma lumière et de mon amour, la source intarissable qui fait jaillir sur la terre l’eau vive de ma miséricorde. » (cf. frère François, Fatima, salut du monde, p. 258)

« À L’HEURE DU PLUS GRAND DANGER »

Après une bonne marche de deux lieues et demie à travers le plateau du Causse, – on se serait cru au Portugal, au milieu des chênes verts, avec de petits murets de pierres sèches... – nous arrivâmes enfin au pied de la Cité sainte. Un spectacle grandiose nous attendait, d’une beauté toute clunisienne, dont saint Odon disait qu’elle est un pressentiment du Ciel : au flanc de la falaise, sur une base de rochers, se dresse l’église, entourée de son mur d’enceinte et de ses chapelles. Son architecture gothique robuste, ses formes épurées s’accordent parfaitement au roc gigantesque qui la domine. Le castel, avec ses défenses, fut construit un peu plus tard sur la hauteur. Au pied de l’ensemble, s’étend le village et, au fond de la vallée encaissée, coule un ruisseau, l’Alzou.

Frère Michel-Marie nous avait retracé à mi-parcours l’histoire de cette “ Terre des merveilles ”, qui fut pendant un temps le quatrième pèlerinage de la Chrétienté, après Jérusalem, Rome et Saint-Jacques-de-Compostelle. Depuis l’oratoire primitif, qui remonterait sans doute aux premiers temps de l’évangélisation du Quercy, jusqu’au conflit entre les deux abbayes de Marcilhac et Saint-Martin de Tulle, qui se termina à l’avantage de cette dernière, et dont le prieur, Géraud d’Escorailles, fit beaucoup pour l’essor du pèlerinage... De la découverte du corps parfaitement conservé de saint Amadour, « serviteur de la Bienheureuse Vierge Marie » jusqu’à l’efflorescence inouïe des miracles, témoignant d’une volonté manifeste de la Vierge Marie d’être honorée en ces lieux inhospitaliers au possible...

Au treizième siècle, la gloire de la Vierge noire de Rocamadour rayonna jusqu’aux avant-postes de la Chrétienté. Il y avait au « moutier Rochemadour » un religieux sacristain, auquel la Bienheureuse Vierge apparut trois samedis de suite, tenant en main un étendard ployé et lui ordonnant de l’apporter de sa part au roi d’Espagne, Alphonse VIII, qui allait combattre le calife Muhammad an-Nasîr, afin de le déployer « à l’heure du plus grand danger », était-il précisé. C’est le 16 juillet 1212, entre Tolède et Grenade, sur le plateau de Las Navas de Tolosa, que l’armée des Croisés rencontra l’armée musulmane, trois fois supérieure en nombre.

L’avant-garde d’Alphonse VIII fut rapidement décimée par les flèches musulmanes et la seconde ligne partait déjà en déroute. Dans cette extrémité, le roi fit déployer la bannière de Notre-Dame de Rocamadour aux yeux de tous, ses guerriers fléchirent alors le genou et la saluèrent avec un indicible enthousiasme. Cet étendard portait l’image de la Bienheureuse Vierge Marie tenant son enfant entre ses bras et, à ses pieds, les armes du roi de Castille. Entraînés par leurs chefs, les soldats repartirent au combat et enfoncèrent le centre de l’armée ennemie. Décontenancés, les musulmans s’enfuirent en désordre et furent massacrés jusqu’à la tombée de la nuit. Cette grande victoire marqua un tournant décisif dans la Reconquista et, en action de grâces, le Pape institua en Espagne la fête du Triomphe de la Croix.

Quelques années plus tard, Simon de Montfort et ses chevaliers vinrent hiverner à Rocamadour et confier le succès de leurs armes à la Sainte Vierge. L’année suivante, en septembre 1213, ils remportaient une victoire inespérée sur les Albigeois à La Muret. Saint Dominique de Guzman et saint Antoine de Padoue vinrent eux aussi prier dans la chapelle miraculeuse et confier à la Mère de Dieu la victoire de la foi catholique et l’extirpation de l’hérésie cathare.

En 1231, les nobles du Quercy faisaient le serment de toujours combattre fermement cette hérésie et, en 1244, Saint Louis lui-même, accompagné de sa mère Blanche de Castille, fille d’Alphonse VIII, venait rendre grâces à la Vierge de Rocamadour d’avoir préservé l’unité religieuse et politique du royaume ; Montségur, le dernier repaire des cathares, venait de tomber. Pour ces raisons, on appela le sanctuaire du Quercy le bastion de l’Église fidèle aux portes du Midi, ou encore le “ Roc de la fidélité catholique ” !

Mentionnons encore le premier jubilé que connut Rocamadour, en 1428. Il fut accordé par le pape Martin V à la demande du dauphin Charles, héritier légitime du saint Royaume des Lys et digne fils de Saint Louis, qui se trouvait dans une situation désespérée, sans armée, ni finances, ni alliances. La bulle d’indiction eut un retentissement considérable, et des dizaines de milliers de pèlerins affluèrent dès la fête de Pâques 1428. Moins d’un an plus tard, à la mi-carême 1429, « vint vers le roi de France notre Seigneur, une pucelle qui se dit envoyée au roi par le Dieu du Ciel pour chasser les Anglais du Royaume de France », notaient dans leur registre les consuls de Cahors, aussitôt avertis de l’Événement.

Désormais, les “ Grands pardons ” seront célébrés à Rocamadour à des occurrences rarissimes : lorsque la Nativité de saint Jean-Baptiste coïncide avec le jeudi de la Fête-Dieu, Pâques tombant alors le 25 avril. Le dernier fut célébré en 1943, le prochain le sera en 2083, si Dieu le veut !

« ELLE VIT ICI, ELLE Y RÈGNE. »

Le soir de notre arrivée, après nous être installés et restaurés au camp de toiles, nous eûmes l’autorisation du recteur de redescendre au sanctuaire, ouvert spécialement pour nous, en une priante procession aux flambeaux, bonne occasion de rappeler l’exemple et quelques paroles enflammées du Père Marie-Antoine de Lavaur qui anima, dans la seconde moitié du dix-neuvième siècle, de nombreux pèlerinages à Rocamadour. « Marie, ma si bonne Mère, m’a accordé l’ineffable consolation de venir dans ses principaux sanctuaires, non seulement comme son pèlerin, mais aussi comme son apôtre, et d’y ranimer son culte. »

Le 9 septembre 1859, il écrivait à sa famille :

« Me voici seul sur le rocher miraculeux. Quand on a vu Rocamadour et ses pèlerins et sa Vierge, quand on a assisté à ces magnificences, à ces miracles de la simplicité, de l’amour, de la foi, on ne peut plus désirer que le ciel. Il suffit de dire que Marie, qui est leur Reine, a établi visiblement ici sa demeure, qu’elle vit ici et qu’elle y règne. Il faut voir venir dans ce sanctuaire suspendu à la montagne comme sont suspendus les nids d’hirondelles, pleurant, chantant, pleurant et montant en se traînant sur leurs genoux, vingt mille, trente mille pèlerins, comme je viens de les voir, de les entendre pendant ces huit jours, et nuit et jour.

« Dans la nuit, l’église devient comme une demeure céleste. Les pèlerins y veillent et y chantent, et quand le sommeil ferme un instant leurs paupières, ils s’appuient et dorment près de l’autel. J’en ai vu une nuit onze cents dans l’église, et deux ou trois mille sur les escaliers, autour des portes. Il me semble que c’est un rêve, surtout aujourd’hui où je me retrouve presque seul sur ce rocher, contre lequel sont venus se presser dans un même élan ces hommes et ces femmes semblables à de grandes vagues continues. Plus de quinze mille ont communié ce matin dans cette chapelle sainte. »

C’est lui qui initia à Rocamadour, avant d’en généraliser l’usage à Lourdes, la procession aux flambeaux. Il décrivait les cierges de procession, comme « des épées enflammées, toujours victorieuses, puisque la lumière que répandent ces cierges au milieu des ténèbres sont le symbole de la foi qui illumine toutes choses, et que dans la foi est la victoire sur le monde et sur l’enfer. La flamme du cierge qui s’élève toujours vers les Cieux, est le symbole de l’espérance, fille de la foi et qui ne trompe jamais. En éclairant et en élevant sa flamme vers le Ciel, le cierge brûle, et cette chaleur brûlante est le symbole de la charité, de l’amour divin. Mais en brûlant, le cierge se consume. C’est le dernier et magnifique symbole de la pénitence, laquelle est de l’essence de tout pèlerinage. »

MIRACLES DE PITIÉ ET DE COURTOISIE

Durant notre veillée mariale dans la chapelle miraculeuse, nous racontâmes plusieurs miracles opérés par la Vierge de Rocamadour. Comme celui “ du Cierge et du Ménestrel ”, rapporté par Gauthier de Coincy, qui s’y déroula devant plusieurs centaines de témoins :

Notre-Dame Sainte Marie,
Qui fontaine est de courtoisie
Canal et source de douceur,
Du ménestrel son serviteur
Entend la voix, car sans attendre
Sur la vielle elle fait descendre
Comme il appert à tous les yeux
Un cierge grand et merveilleux...

Notre-Dame de RocamadourOn peut encore voir, suspendue à la voûte de la chapelle de la Vierge, une cloche en fer forgé modelée au marteau. Miraculeuse, elle a plusieurs fois sonné d’elle-même sans que personne lui donnât le moindre mouvement, – elle n’a d’ailleurs ni corde ni chaîne –, et cela s’est produit lorsque, sur mer, des marins en danger appelaient à leur aide Notre-Dame de Rocamadour. Les récits de sauvetages en mer dus à son intercession sont innombrables, jusqu’à très récemment, comme nous l’affirma le recteur, qui y croit. Sœur Lucie de Fatima aurait fait sans peine l’application :

« Il me semble que telles sont aussi les intentions du Cœur Immaculé de Marie : faire briller devant les âmes encore ce rayon de lumière, leur monter encore ce port du salut, toujours prêt à accueillir tous les naufragés de ce monde. »

Une plaque fixée au mur rappelle un autre miracle effectué en faveur de Jacques Cartier. Lors de son deuxième voyage en Amérique du Nord en 1535-1536, l’idée de coloniser le Canada naquit dans l’esprit du pieux malouin. Cependant, la froide réalité mit à rude épreuve ses projets. Vingt-cinq de ses hommes périrent de scorbut, dix seulement demeuraient valides. « Le capitaine, voyant la pitié et la maladie, fit mettre son équipage en prières et oraison, et fit porter une image et souvenir de la Vierge Marie contre un arbre, à travers les neiges et les glaces. Et il ordonna que, le dimanche suivant, l’on dirait en ce lieu la messe... Et la messe célébrée devant l’image, le capitaine fit vœu de pèlerinage à Rocamadour, si Dieu lui donnait la grâce de retourner en France. »

Il fut exaucé. Les jours suivants, des Indiens lui montrèrent un remède : la tisane d’Anneda, infusion d’écorce de cèdre blanc riche en vitamines C. Ce remède sauva l’expédition. Jacques Cartier n’oublia jamais cette grâce, qu’il reconnut être « un vrai et évident miracle ». Nos communautés du Canada feront bientôt pèlerinage au sanctuaire québécois dédié à Notre-Dame de Rocamadour. Dans son article de février 2013, frère Michel fait état d’autres miracles étonnants (Il est ressuscité n° 125, p. 13-30).

DE DEGRÉ EN DEGRÉ

RocamadourLe lendemain dimanche, nous partîmes en procession de “ l’hospitalet ”, où étaient autrefois soignés les pèlerins pauvres, jusqu’au sanctuaire, en suivant la “ Voie sainte ”. C’est en chantant « Reine de France, de votre Cœur nous viendra le secours », que nous entrâmes dans le village médiéval, encore désert à cette heure matinale, et montâmes les degrés du Grand escalier, « à genoux et en prières », comme nous y avait exhortés l’excellent recteur qui ne manque pas une occasion pour rappeler que Rocamadour est d’abord un lieu de pèlerinage avant d’être un lieu de tourisme, même “ spirituel ”. Lui-même le fait tous les vendredis, en égrenant son Rosaire.

L’abbé Armand-Benjamin Caillau, restaurateur du pèlerinage au dix-neuvième siècle, y exhortait déjà ses fidèles : « Marie, du haut de l’élévation où elle est placée, invite ses enfants à quitter la terre pour s’élever avec elle sur les hauteurs de la perfection chrétienne. Mais comment franchir l’intervalle escarpé qui nous sépare de cette glorieuse Maîtresse ? Comment trouver le courage et la force de vaincre les difficultés d’une marche si rude et si pénible ? Elle nous l’apprend avec le langage de ses exemples rendus sensibles par la disposition même des lieux que le dévot pèlerin va parcourir, et par la manière dont il doit accomplir sa course. Deux cents degrés s’élèvent devant lui, et ces degrés sont l’image des degrés mystiques qui conduisent l’âme à la sainteté. Le pieux voyageur ne les monte qu’à genoux et en prières, et cette pratique [propre à Rocamadour, mais qui rappelle le chemin de pénitence de Fatima] est le modèle des moyens à prendre pour arriver au sommet de ces collines éternelles où réside le Dieu des vertus (cf. Ps 83, 6-8). »

Ici, en l’occurrence, la Reine des vertus, c’est Notre-Dame Marie, selon la parole de saint Paul choisie comme introït de la messe du Cœur Immaculé de Marie : « Approchons-nous avec confiance du trône de la grâce, afin d’obtenir miséricorde et de trouver grâce, pour être secourus en temps opportun. » (He 4, 16) Tous, petits et grands, s’y appliquèrent avec un sérieux et une ferveur, qui durent réjouir les anges et les saints pèlerins du temps jadis.

LES “ SEPT ÉGLISES ” DE ROCAMADOUR

Après la messe dominicale, nous visitâmes le vénérable sanctuaire, guidés par le recteur lui-même, qui nous passionna deux heures durant et tint en haleine les enfants eux-mêmes. Sept chapelles protégées par un mur d’enceinte forment une couronne autour de la Vierge : trois d’entre elles sont dédiées à saint Joachim et sainte Anne, à saint Blaise, et à saint Jean-Baptiste, en face la crypte est dédiée à saint Amadour. Celle-ci est surmontée de la basilique Saint-Sauveur, qui servait aux moines pour y chanter l’office divin. À gauche, un peu surélevée, la chapelle miraculeuse de Notre-Dame et, surplombant l’ensemble du sanctuaire, l’oratoire Saint-Michel, chevalier servant de l’Immaculée et défenseur de la Sainte Église.

La chapelle miraculeuse n’est plus le vénérable oratoire élevé par les mains de saint Amadour. Un bloc, détaché de l’immense roc qui le domine, a écrasé dans sa chute l’humble oratoire. En 1479, l’évêque de Tulle reconstruisit et agrandit l’oratoire, qui subit un incendie allumé en 1562 par les huguenots. Les chanoines qui s’occupaient alors du sanctuaire, restaurèrent la chapelle comme ils purent, mais la Révolution la laissa dans un état de grand délabrement. Elle fut admirablement restaurée au dix-neuvième siècle, en son état actuel.

Combien émus devaient être les pèlerins qui entraient dans l’oratoire de « la glorieuse et immortelle Vierge de Rocamadour » ! Les ex-voto, avant qu’ils fussent détruits par l’impiété, couvraient les murs et refluaient jusqu’au-dehors, offerts à la Mère de Dieu par les rois, les princes et les fidèles de toute condition. Ces objets étaient les signes des innombrables grâces demandées et obtenues par la miséricordieuse Bienfaitrice de Rocamadour.

GRAND PARDON ET GRAND RETOUR

Le dernier Grand Pardon eut donc lieu en 1943. Quelle providence ! Jamais depuis 1428, l’heure n’avait été aussi pressante. Le parallèle entre les deux jubilés est frappant.

Mgr Chevrier, l’évêque de Cahors d’alors, avait exhorté ses diocésains dans sa lettre pastorale du 8 mai 1943, à comprendre la nécessaire conversion des cœurs pour toucher le Cœur de Dieu par la Sainte Vierge : « Les hommes d’armes bataillent, mais c’est Dieu qui donne la victoire, disait sainte Jeanne d’Arc dont nous célébrons la fête aujourd’hui. Une prière immense doit jaillir de tous les cœurs chrétiens par le Cœur Immaculé de Marie pour lui présenter, avec notre patrie blessée, toute notre confiance... Et si elle peut voir en nous un amour sincère, elle nous fera connaître encore une fois le Sien. »

Malgré les difficultés d’organisation qu’on imagine, le jubilé fut suivi et vécu avec la plus grande ferveur, du 15 mai au 1er novembre 1943. Chaque jour arrivaient à Rocamadour des groupes, des ligues, des associations, des paroisses entières, des familles, des isolés. Mgr Cros, supérieur du pèlerinage, qui avait assisté à quarante-six retraites annuelles, – il avait donc participé au grand pardon de 1899 –, pouvait dire que, « depuis 47 ans, on n’avait jamais autant ni si bien prié à Rocamadour ». Les 216 marches de l’escalier « ne font plus peur à personne, et sans aucun respect humain, on les gravit à genoux ».

Une autre coïncidence providentielle vint augmenter la solennité et la ferveur du Pardon : la statue de Notre-Dame de Boulogne effectuant son “ Grand Retour ” passa à Rocamadour le dimanche 18 juillet, et gravit, portée à dos d’hommes, le grand escalier. La jonction historique entre les deux antiques pèlerinages nationaux en cet instant précis, vaut d’être notée.

De fait, en cette année 1943, sous l’autorité tutélaire du Maréchal, Notre-Dame manifestait sa sollicitude pour son pauvre royaume, appelant les cœurs de ses sujets à la vraie conversion, à la réparation, à la consécration à son Cœur Immaculé. Et les foules répondaient dans une grande ferveur... On peut dire que ce fut la dernière manifestation de l’esprit de Chrétienté, visant au Règne de Jésus et de Marie en France et dans le monde. Mgr Chevrier concluait en effet le Grand Pardon par ces mots : « Elle a répondu, elle répondra encore à nos demandes. Elle a son heure pour faire éclater sa puissance et encore aujourd’hui, nous lui faisons toute confiance pour la réalisation de nos plus chers espoirs et de la grande grâce si ardemment sollicitée de la paix du monde et du salut de notre patrie [...]. Nous n’avons pas d’autres demandes à formuler, pas d’autres desseins à exprimer : que par Marie, arrive le règne du Christ ! »

Or, moins d’un an plus tard, la révolution triomphait en France, dans la nation et dans l’Église. Le maréchal Pétain était ignominieusement condamné le 15 août 1945, fête de l’Assomption de Notre-Dame ! les meilleurs serviteurs de la France étaient épurés, le maudit régime des partis revenait en force, et l’état de notre patrie devenait pire qu’auparavant. Qu’avait-il manqué à la prière des pèlerins, que Notre-Dame ne put exaucer comme Elle l’avait fait en 1428 ?

VERS UNE NOUVELLE CHRÉTIENTÉ

En attendant de revenir sur cette question cruciale, nous pouvons faire nôtre la prière que notre Père adressait à Notre-Dame de Chartres en 1955 : « Notre-Dame de France, bannissez de ce Pays qui vous est confié, l’anarchie et la haine, rétablissez-y la justice, l’ordre et l’autorité d’un chef légitime. Redonnez-lui son Empire, pour y reprendre son œuvre de civilisation et d’évangélisation. Gardez la Chrétienté du communisme pervers et donnez-nous dans les périls de l’heure l’intégrité de la foi. »

RocamadourÀ partir de 1943-44, c’est Fatima et son message qui commande tout. C’est la clef de l’orthodromie, c’est-à-dire du dessein de Dieu sur notre histoire. « Et qu’est-ce que Fatima nous enseigne ? Que tout doit passer par le Cœur Immaculé de Marie, que Dieu ne veut rien de ce qui ne passe pas par le Cœur Immaculé de Marie. Non seulement Fatima doit écraser les hérésies, mais Fatima doit être la force déterminante du redressement de la Chrétienté. Redressement qui se fera à partir du surnaturel, mais qui aura sa répercussion dans l’ordre politique. Ce sera une nouvelle Chrétienté. » (Josselin, 1981) Cela sera, parce que Dieu ne change pas. Pour le moment, c’est la dévotion réparatrice qui est à l’ordre du jour.

Car le Ciel, expliquait notre Père le 15 août 1982, « entend partager le travail avec la terre dans ces temps difficiles. À nous de prier et de demander pardon, et je ne dis pas même d’expier, de nous livrer à de rudes pénitences dont notre lâcheté est incapable ; simplement de nous prosterner avec confusion pour nous et pour nos frères, et de demander pardon ! C’est-à-dire de reconnaître la sainteté, la majesté, l’autorité de notre Roi et de notre Reine à tous, leur bonté infinie et leur miséricorde, puis de confesser que le monde est ingrat, injurieux, provocant dans son impiété, sa révolte et dans ses autres péchés. Et alors nous interposer entre le monde et Dieu pour implorer le pardon. Et cela suffira. Le reste, le Cœur Immaculé de Marie le fera.

« C’est un dessein mystérieux, c’est une volonté de notre Père céleste et de son Fils Jésus-Christ pour notre siècle. Ce Cœur Immaculé, ce Cœur maternel et royal fera des signes et des prodiges et tous les enfants prodigues que nous désespérons de sauver, de ramener, de convertir, elle les touchera et sans effort apparent, sans lenteur ni retard, elle les retournera en masse vers Jésus et vers le Père. Haec dies quam fecit Dominus.

« “ Ô mon ami, nous marchons, savons-nous où nous allons ? ” Oui, nous nous savons où nous allons, où va le monde, à travers la grande apostasie prédite par les Écritures. Il va vers le triomphe universel du Cœur Sacré de Jésus par le ministère éclatant et magnifique, mais aussi doux et gracieux, du Cœur Immaculé de Marie. Amen, Deo gratias ! Alléluia, alléluia, alléluia ! »

Le point d’orgue de notre pèlerinage fut la remise de la sportelle ou insigne de pèlerinage. Nous la garderons précieusement, la considérant comme un nouveau “ signe ” de notre consécration au Cœur Immaculé de Marie, dont nos pèlerinages de dévotion réparatrice ne sont que la mise en œuvre (à suivre).

Frère Thomas de Notre-Dame
du Perpétuel Secours et du Divin Cœur.

MONSTRA TE ESSE MATREM

Anticipant sur la suite de notre chronique de pèlerinages, voici la belle homélie qu’un prêtre ami de Belgique adressa le samedi 29 avril à nos pèlerins au cours de la messe célébrée dans le sanctuaire de Hanswijk, près de Malines :

FRÈRES et sœurs dans le Seigneur et dans sa Mère bien-aimée, Marie,

Nous sommes ici dans un lieu vénérable pour rendre grâce à Dieu, pour rencontrer son Fils Jésus-Christ en cette Sainte Messe et pour honorer sa Mère bien-aimée. Nous avons confiance en sa puissante intercession. En ce lieu, Notre-Dame est vénérée depuis mille ans. L’importante procession existe depuis 750 ans cette année. La semaine prochaine, notre Sainte Mère sera portée par les rues de cette belle ville. Monstra te esse Matrem est son titre honorifique. Montrez-nous que vous êtes Mère ! C’est un verset du magnifique hymne marial Ave maris Stella.

Dans la première lecture, nous avons entendu ces beaux versets du livre de la Sagesse : « Je suis la Mère du bel amour, de la piété, de la connaissance et de la sainte espérance. En moi est toute la grâce de la vie et de la vérité, en moi toute l’espérance de la vie et de la vertu. Venez à moi, vous qui me désirez, et rassasiez-vous de mes fruits. » Plus que jamais, notre Mère veut se montrer à nous.

En bas de la belle chaire de 1746, nous voyons le premier couple Adam et Ève après la chute. Yahweh, Dieu, parle à Adam. Il montre d’une main le serpent rampant et de l’autre le médaillon sur la cuve où la Vierge est représentée avec son Fils. Dans le Christ et dans Marie sont promis le pardon et la rédemption.

Monstra te esse Matrem. Comme Marie aime et chérit constamment son Fils, nous devons, nous aussi, aimer Jésus. Comme Marie est restée fidèle, même aux heures les plus sombres de la souffrance et de la violence brutale du Vendredi saint, nous aussi, nous devons rester fidèles aux heures de l’épreuve et ne pas fuir Jésus souffrant et mourant. Seule sa Mère, seul saint Jean sont restés. En restant sous la croix, elle a accepté la dernière demande de son Fils de devenir aussi Mère des disciples et d’être pour nous le premier exemple de ce qu’est la vie d’un chrétien : servir dans l’Amour, fidèles et obéissants à Dieu. Elle est ainsi la Mère de tous les fils et de toutes les filles qui sont renés par le sacrement du baptême, qui sont morts au péché pour ressusciter dans la vie éternelle.

Sous la croix, elle est devenue la tendre Mater Ecclesiæ, la Mère de l’Église, que le Christ a engendrée sur la croix en lui communiquant l’Esprit. Puis, à son tour, en la personne de l’apôtre bien-aimé, Jean, le Christ choisit tous les chrétiens comme serviteurs de Son amour pour sa Mère. Il confie sa propre Mère au disciple, afin que nous puissions accueillir Marie avec une tendresse filiale, comme modèle et exemple dans notre vie.

Nous ne devons pas seulement recevoir l’amour de Marie, mais nous avons aussi la vocation d’aimer, avec le Christ, sa mère, comme un enfant. La maternité spirituelle de Marie doit aussi porter du fruit dans notre vie : nous ne devons pas être égoïstes en recevant seulement les fruits de son amour, mais nous devons l’aimer par-dessus tout, comme Jésus l’a fait.

La première fois que Marie montre sa Maternité, c’est lors de l’Annonciation. En donnant son fiat à Dieu, elle a non seulement consenti à la conception virginale du Christ, mais aussi à sa participation à sa mission salvatrice. Comme il a reçu d’elle son corps humain, elle a reçu de lui, dans un lien filial, son corps mystique. En recevant sa parole dans son Cœur Immaculé, elle a été jugée digne de l’accueillir dans son sein virginal et, en donnant naissance au Créateur, elle a nourri le germe de l’Église. Notre réponse reconnaissante est d’entrer dans le sein de Marie, d’entendre les battements de son Cœur contemplatif, d’être nourris par sa foi et de grandir de plus en plus dans l’union avec le Christ, notre chef. Ô Mère obéissante, apprenez-nous à être plus obéissants à la Parole de votre Fils !

La deuxième fois, c’est aux noces de Cana, où elle a exercé toute sa sollicitude maternelle en tant que mère spirituelle des mariés (image du Christ et de l’Église). Marie intervient au secours du jeune couple. Elle a montré comment sa maternité spirituelle est liée et totalement dépendante de la mission salvatrice de son Fils. Comme en témoigne la préface de la messe votive de Notre-Dame de Cana : charitablement soucieuse pour l’époux et son épouse, Elle se tourne vers son Fils pour lui demander son aide et dit aux serviteurs de faire ce qu’il ordonne. L’eau se transforme en vin, les invités se réjouissent, tandis que le Christ préfigure les noces qu’il offre chaque jour à son Épouse, l’Église. Ô Marie, ardente Médiatrice, obtenez-nous les grâces dont nous avons besoin.

La troisième fois, Marie se montre comme une Mère qui reste fidèle jusqu’au Golgotha. C’est Jésus lui-même qui lui dit : « Femme, voici ton fils », puis à Jean : « Voici ta mère. » Voici la Mère fidèle qui ne fuit pas à l’heure de la détresse et de la mort. Debout au pied de la croix, elle reçut le testament de l’amour divin et adopta pour fils et filles tous ceux qui sont nés à la vie céleste par la mort du Christ.

La lecture de l’Évangile se termine par le verset suivant : « Dès lors, le disciple la recueillit chez lui. » Ce désir doit être le nôtre. Surtout en cette heure de la Sainte Eucharistie. Le Christ veut s’incarner dans notre vie, comme il est né corporellement dans le sein de Marie. Avec l’eau et le sang qui ont coulé du Cœur sacré du Christ sur la croix, en signe de la totalité de son immolation rédemptrice. Avec son Corps donné pour nous, Dieu établit cette merveilleuse communion entre le Rédempteur et les rachetés, qui doit être toujours alimentée et où Marie accomplit sa Mission maternelle.

La quatrième fois, Marie est présente à la Pentecôte, lorsque tous les membres de l’Église se sont rassemblés autour d’elle et se désaltéraient à sa foi, à sa prière, à sa docilité à l’Esprit-Saint, à ses souvenirs des scènes de la vie d’enfance de Jésus. Elle aida les premiers chrétiens à former de plus en plus une famille. Elle aida les apôtres à prier dans l’attente de la venue de l’Esprit-Saint, et c’est ainsi qu’elle est notre mère priante. Notre réponse reconnaissante est d’entrer constamment à son école, à la laisser nous aider à connaître le Christ, à apprendre d’elle comment correspondre à l’Esprit-Saint, comment accroître notre communion mutuelle, à la fois en étant enfant de Dieu et enfant de Marie.

Le cinquième et dernier moment est celui de son Assomption et de son couronnement au ciel. C’est là qu’elle poursuit son intercession et son amour maternels. Si déjà sainte Thérèse voulut passer son ciel à faire du bien sur la terre, combien plus l’amour maternel de Marie a-t-il voulu en faire autant ! Sa Royauté est de servir par ses prières. Je pense à ce qui fut révélé à sainte Catherine Labouré, à savoir que les mains de Marie portent des anneaux, des anneaux d’or rayonnant des grâces qu’elle a demandées et qui sont reçues par nous, et des anneaux ternes pour les grâces qu’elle a obtenues mais qui ne sont pas reçues. Elle veut notre coopération pour que, par ces grâces, nous puissions un jour la rencontrer dans une étreinte éternelle.

Marie, en tant que Mère de l’Église, a puisé sa vie de son lien eucharistique avec son Fils et, ensuite lorsqu’elle reçut Jésus dans les messes de saint Jean et des premiers apôtres. Elle est le modèle de la manière dont nous sommes appelés à Le recevoir. On trouve la maternité de Marie à Bethléem, à Nazareth et au Golgotha.

En ce premier soir de notre pèlerinage de réparation, faisons une fervente communion réparatrice pour consoler le Cœur Immaculé de Marie des nombreux outrages qui sont faits à sa Maternité divine et virginale.

Je Vous aime, ô Marie... Monstra te esse Matrem. Alleluia, Amen.