Il est ressuscité !
N° 262 – Janvier 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
In memoriam
René Brunet
(1936-2024)
un modèle de droiture et de fidélité
NOTRE bon ami phalangiste, René Brunet (Pagan), a rendu sa belle âme à notre Très Chéri Père du Ciel, le dimanche 22 décembre à l’issue d’une douloureuse hospitalisation de deux mois où les rares instants de répit et de lucidité que lui laissait la maladie étaient tout occupés par la récitation de son chapelet, car le grand amour de sa vie avec sa chère épouse Lucile (Magan) fut la Sainte Vierge et la grande rencontre de celui qui le lui enseigna fut celle de l’abbé Georges de Nantes.
Sa messe de funérailles fut célébrée le 28 décembre en l’église de la Sainte-Trinité que lui et son épouse avaient assidûment fréquentée. Construite en 1959 aux confins de Lyon de surcroît dans un quartier populaire, cette église, moderne et vaste, avait connu dans les années soixante-dix à quatre-vingt-dix un rayonnement aussi prodigieux qu’inattendu grâce à son très entreprenant, très directif curé. Revenu d’un progressisme exacerbé, l’abbé Robert Largier assisté de deux vicaires et d’une “ petite armée ” de dames catéchistes, au cœur même d’un diocèse en pleine tourmente post-conciliaire, avait su pratiquer un traditionalisme non pas étroit mais « intelligent », non pas de chapelle, mais de paroisse et donc d’Église, tout en développant d’efficaces œuvres d’éducation de la jeunesse. Ainsi, l’abbé Largier témoigna-t-il d’une certaine bienveillance à l’égard de notre Père, mais il ne put... ou ne voulut... s’associer à son combat doctrinal et encore moins à son opposition à Jean-Paul II... à la différence de notre ami.
Issu d’une famille au sein de laquelle on aimait la France, René Brunet participa comme allant de soi, mais non moins courageusement avec son père Marcel et son frère Alain aux manifestations en faveur de la terre chrétienne française d’Algérie laissée sans défense qu’un général félon trahissait en la livrant aux couteaux des fellaghas musulmans et socialistes. Cela lui valut d’être arrêté et incarcéré au fort de Sainte-Foy-lès-Lyon au cours de l’année 1961. Et ce premier combat devait naturellement le conduire à un second, celui contre le nouveau catéchisme lorsqu’il accepta d’assister à une réunion publique en octobre 1968, salle Rameau, à Lyon. Ce sera l’occasion d’une rencontre providentielle et décisive d’un disciple avec son maître.
En effet, à la fin de l’année 1967, la Conférence des évêques de France publia un Fonds commun obligatoire présenté comme le plan directeur de tous les nouveaux catéchismes français. Notre Père organisa une véritable croisade dans toute la France pour dénoncer auprès du bon peuple catholique, trompé dans sa confiance, ce catéchisme qui allait gauchir la foi de leurs enfants. Et c’était salle comble à chaque réunion publique, en particulier à Lyon. René Brunet, entraîné par un ami, un ancien d’Algérie française qu’il avait connu en 1961 en détention, fut immédiatement conquis et se mit aussitôt au service de notre Père, comprenant la gravité de ce combat pour d’une part préserver la foi pure dans l’âme de ses trois enfants – Philippe, Laurence et Véronique – et d’autre part assurer un service utile de l’Église.
Et cela commença, pour notre ami, par la distribution de milliers de tracts aux entrées et sorties de messes, avec ses enfants et toute une équipe d’amis CRC lyonnais dévoués. C’était très méritant. Dans les années immédiates qui suivirent le Concile, les prêtres étaient particulièrement virulents à l’encontre de ceux qui s’opposaient ouvertement à leur projet de rêve d’une Église acceptant enfin de se réformer et de se mettre à l’écoute d’un monde dont, prétendument, elle aurait tant à recevoir... au lieu de le condamner ! C’est à cette occasion que sa jeune Laurence fut frappée par un prêtre qui voulait s’emparer de ses tracts, recevant ainsi de la “ main ” de l’Église le vigoureux engagement à suivre l’exemple de son père... et elle le fit !
C’est dans ces années que notre Père eut à mener de front non pas un, mais deux combats : contre le cancer réformiste, mais aussi contre le ténia intégriste, contre les tenants d’une contre-réforme radicale, trop radicale, qui entendaient profiter de l’œuvre déjà accomplie par notre Père pour faire mieux, pour le dépasser... et tomber infailliblement et inexorablement dans le schisme. D’où cette idée de notre Père de fonder une Ligue de Contre-Réforme catholique pour tenir cette ligne de crête difficile « ni schisme ni hérésie » et maintenir les traditionalistes dans une « sagesse surnaturelle ».
Mais pour qu’une Ligue porte du fruit, il fallait obéir. « Je dois vous demander, écrivit notre Père à l’attention de tous ceux qui voulaient en faire partie, pour le bien et la cohésion, pour la force et la continuité de l’œuvre, de “ m’obéir malgré mon indignité ”, selon la parole du Père de Foucauld dans la règle des Petits frères du Sacré-Cœur. » Voilà des paroles qui furent bien nécessaires... pour certains... et que René Brunet appliquera à la lettre à partir de 1975, année charnière dans sa vie et pas seulement parce qu’il dut reprendre l’affaire de son père, une entreprise de fabrication de vêtements en cuir qui périclitait et qu’il fallut relancer entièrement.
En effet, à Lyon, un chef de cercle, il y en eut bien un, au demeurant fort brave, mais il était républicain et donc peu enclin à une docilité exemplaire. Il y eut du “ tirage ” avec notre Père qui dut se résoudre à se défaire de ses services, mais encore fallut-il lui trouver un remplaçant à la hauteur. Et ce fut René Brunet. Notre Père n’eut jamais à regretter son choix sur celui qui sera son représentant à Lyon. Notre ami fut alors pour le combat de contre-réforme d’un dévouement exemplaire, mais surtout d’une fidélité et d’une docilité sans faille pour superviser le fonctionnement des trois cercles qui se tenaient à Lyon, l’écoute des conférences, relayer les consignes du Père, organiser sur place les actions, les pèlerinages, les récollections, les voyages en car avec le cercle de Saint-Étienne à l’occasion des “ grandes Mutu ”, etc. À partir de 1976, il organisa tous les ans un petit rassemblement pour la fête de sainte Jeanne d’Arc, place Puvis de Chavannes à Lyon où se trouve une statue de la grande sainte de France, jusqu’à ce que notre Père en organise un à Paris et auquel il participait évidemment. Bref, René Brunet était le disciple sur lequel le Père, les frères et les amis de Lyon savaient pouvoir compter.
À peine nommé chef de cercle, grande action de distribution du numéro 100 de décembre 1975 de la Contre-Réforme catholique, un numéro spécial publié sous le titre Pour un nationalisme catholique retranscrivant la grande conférence publique prononcée le 22 novembre à Paris par notre Père à l’attention de tous les catholiques pour leur expliquer la manière avec laquelle toute action politique doit être menée à la lumière de notre foi catholique. René Brunet écoutera cette conférence avec une grande confiance et un intérêt passionné pour l’Église et pour la France et se mettra en quatre pour distribuer ce numéro spécial, à en juger aux quelques lignes griffonnées à la hâte à l’Épiphanie 1976 par notre Père mais témoignant de sa très grande satisfaction : « Mon cher ami, rien ne pouvait me faire plus plaisir que votre petit mot enthousiaste sur la vente du no 100 ! J’en parlerai dans la CRC prochaine. » Et notre Père d’écrire dans la Ligue de février 1976 : « Le numéro 100 a un grand succès, bien au-delà du cercle habituel. Je vous conseille de le vendre à la criée aux portes des églises, 1 franc. Nos amis de Lyon m’écrivent ce matin que ça marche très bien. Jeunes et vieux réunis, et que c’est “ sublime ”. Va pour sublime ! » (La Contre-Réforme catholique no 102, février 1976, p. 15) Un an plus tard : « Très bon Noël en famille et merci d’être notre base solide CRC à Lyon. Tenez bien votre petit monde !! » En en mars 1977, notre Père pouvait à nouveau écrire dans la Ligue : « Le lendemain, 31 janvier, je faisais une réunion inattendue à Lyon pour les habitués de nos cercles ; parfait accord entre nous, et plein d’affiches dans Lyon... aux bons endroits (...). Mardi 8, je redescends, d’où nous partons avec un groupe d’amis pour Annecy » pour une confrontation mémorable pour laquelle cette “ base solide ” à Lyon, c’est-à-dire, René Brunet, a su jouer pleinement son rôle.
Le Père Yves Congar, grand penseur de la prétendue nécessaire réforme permanente de l’Église et à ce titre père des Pères du concile Vatican II, venait de publier un livre La crise dans l’Église et Mgr Lefebvre dans lequel il présentait comme insoutenable le fait « de refuser comme entachés d’erreur un Concile œcuménique et des réformes sérieusement mûris, approuvés par l’autorité suprême, et reçus et appliqués dans l’ensemble de la catholicité ». Et notre Père de lui proposer, par une lettre ouverte, de se rendre tous les deux à Rome demander au Pape un jugement solennel définitif sur le point focal de leur différend doctrinal duquel découle deux religions qui s’affrontent au sein de la même Église. La liberté religieuse telle que présentée par la déclaration Dignitatis humanæ, est-elle fondée, comme le prétendait le Père Congar, « dans la dignité même de la personne humaine, telle que l’ont fait connaître la parole de Dieu et la raison elle-même », ou bien constitue-t-elle, comme le proclame notre Père « avec l’Église de tous les siècles, conformément à la révélation divine et à l’enseignement continuel et universel du Magistère infaillible » une doctrine clairement hérétique ! Le Père Congar se déroba, mais notre Père le pourchassa de sa plume – le bulletin de la Contre-Réforme catholique était alors tiré à 38 000 exemplaires – et finalement de sa parole même à Annecy où il lui imposa une controverse publique.
Dans une salle tout acquise au conférencier, notre Père fut seul pour l’interpeller avec compétence, courtoisie... mais avec la fermeté nécessaire pour rompre de force un faux unanimisme... L’interpellé s’est vu sommé d’admettre publiquement, et il le fit, qu’au concile Vatican II pas un seul dogme n’a été défini avec la même solennité que celui de l’infaillibilité pontificale. Et en présence de Mgr Panafieu, alors évêque auxiliaire d’Annecy, l’intéressé s’est vu publiquement reprocher de majorer mensongèrement l’autorité des déclarations et de quantité de textes secondaires de Vatican II et ainsi d’avoir empoisonné les bons fidèles catholiques. « Nous qui ne sommes pas des retardataires, mais qui sommes des gens fidèles aux principes de notre foi, vous nous avez enfermés dans un ghetto, et aujourd’hui vous nous excluez de l’Église, vous n’en avez pas le droit ! » Et notre Père de l’avertir de sa responsabilité personnelle devant Dieu dans l’autodémolition de l’Église s’il était confirmé que cette réforme engagée au Concile et dont il ne pouvait en nier la paternité n’était pas du Saint-Esprit.
Mais notre Père a pu s’imposer grâce au soutien efficace de René Brunet qui, après avoir reçu mission d’agir, sut tenir tout son monde à Lyon pour l’emmener à Annecy, lui transmettre les consignes, organiser la distribution de tracts, de numéros de la CRC à l’entrée de la salle de conférence, disposer chacun dans la salle... bref pour que tout se passe dans le bon ordre, pour entourer, soutenir notre Père de telle manière que la controverse, la confrontation franche ne tourne pas à l’affrontement tout en montrant que la Contre-Réforme existe, qu’elle est un mouvement légitime, bien résolu, au milieu de l’Église. Comme il l’écrira des années plus tard, modestement, à l’une de ses petites-filles : « Je n’ai jamais eu d’état d’âme. J’étais l’élève qui appliquait les consignes du maître, du chef ! Il était facile d’obéir à un tel chef d’une telle trempe, intelligent et humain, censé et réaliste, prudent et audacieux. » Et en récompense d’une telle fidélité, notre Père écrira à notre ami dans une lettre non datée : « Tout ce que vous dites me plaît, me va. Lyon marche très bien, mieux que partout ! Qu’on se le dise ! Et donc venez nombreux au Congrès. À bientôt donc. Je vous embrasse de tout mon cœur. Votre Père Georges de Jésus. »
Et cette fidélité se renouvellera dans les joies, mais aussi dans les peines, à chaque épreuve que devait traverser la CRC et qui, inévitablement, semait le doute dans les rangs, parmi les amis : le schisme de Mgr Lefebvre en 1976 consommé en 1988 avec la consécration de quatre évêques sans mandat pontifical ; l’appel au jugement de Dieu à propos de la pensée, de la religion du cardinal Lustiger, « parangon indiscutable de la réforme actuelle de l’Église » dans sa lettre et dans son esprit ; l’élection présidentielle de 1988 et cette folle aventure du vote Le Pen poursuivie par certains – et ils furent nombreux ! – en pleine désobéissance... et cette dissidence au sein même des communautés en 1989 qui faillit tout emporter... Autant d’occasions de doutes, de tentations d’abandonner le seul et utile combat dogmatique et canonique contre la réforme conciliaire et pontificale pour rejoindre les autres mouvements traditionalistes, schismatiques, ralliés, libéraux, modérés, charismatiques « qui évitent cette défense de la foi tout à fait première et seule absolument catholique, hors de laquelle il n’y a pas de salut, sinon pour les gens sans intelligence ». Les défections, les abandons à Lyon, hélas, ne manquèrent pas. Certaines furent même cruelles.
Mais René Brunet demeura fidèle à son poste, fidèle à son acte d’allégeance qu’il prononça en 1984 et qu’il réitéra lors du Congrès de 1988.
Et vingt ans plus tard, cette fidélité, cette alacrité aura gardé toute sa fraîcheur et sa ferveur.
Dans une lettre datée du 21 juillet 2019 envoyée du Val d’Aoste auquel il était si attaché, notre ami écrira son enthousiasme pour les réponses données aux questions insidieuses posées, sous peine de sanction canonique, par un Mgr Pontier finissant un mandat de président des évêques de France et voulant prendre en défaut notre frère Bruno sur l’autorité du concile Vatican II et sur l’autorité magistérielle des Souverains Pontifes. Sans doute espérait-il trouver sous la plume de notre frère les éléments constitutifs du délit de schisme. « Cher frère Bruno, chers frères et sœurs, Magistral ! Trois fois magistral ! Je dois vous avouer que j’ai dévoré d’un seul trait cette CRC no 200 de juillet, enfin presque, car j’ai dû faire un peu de sieste ! pour reposer mes neurones... tant ce roman est captivant ! Tout en lisant, je souriais en pensant à ces évêques français, et à leurs mines déconfites, quand ils auront réalisé que les trois “ Libers ” de notre Père pourraient ressortir des tiroirs du Saint-Office ! Je jubilais en constatant que votre dossier est un résumé explosif du travail prodigieux de notre Père. Mais que vaut ce cardinal préfet du Saint-Office ? Va-t-il oser aller fouiller dans les archives “ interdites ” ? Prions pour que cela advienne (...). »
Et fidèle aussi à cette grande patience dont notre ami sut faire preuve durant près de cinquante ans pour supporter cette grande, longue et douloureuse épreuve de la maladie et, mieux encore, bien dans l’esprit d’une vocation telle que l’a définie sœur Lucie de Fatima dans une lettre du 2 mai 1979 : « Les maladies que le Seigneur choisit pour nos derniers jours sur terre viennent se substituer au petit nombre des pénitences et sacrifices que nous choisissons de lui offrir. Maintenant, c’est Lui qui choisit, et il nous envoie les sacrifices qu’il veut de nous et ceux-là nous coûtent beaucoup plus. Ainsi, quand nous n’avons pas l’air de faire pénitence, c’est alors que nous nous immolons le plus pour le Seigneur dans une acceptation d’entière donation de nous-mêmes par amour. Nous sommes dans le mois de Marie. C’est Elle qui nous aidera jusqu’à la fin. »
René Brunet a mis en pratique ces paroles comme son fils Philippe l’a bien expliqué lors des funérailles de son père : « L’exemple de Papa nous enseigne qu’ “ on ne va pas au Ciel dans un lit de plume ”, comme dit saint Thomas More. En effet, outre son engagement au service de l’Église et de la France, il a encore mené un rude combat contre la maladie : pendant plus d’un demi-siècle, il a dû faire face à la lente et douloureuse dégradation de sa santé, allant d’opérations en traitements lourds. Soutenu, par la présence et les soins attentifs de sa fidèle et valeureuse Lucile, dont l’abnégation n’a jamais faibli. Il a parcouru les étapes d’un long chemin de croix consenti, son chapelet à la main, jusqu’à son dernier jour, sous le regard de Notre-Dame de Fatima qu’il avait au pied de son lit d’hôpital. Comme les petits voyants de Fatima à qui la Sainte Vierge demanda lors de son apparition du 13 mai 1917 : “ Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’Il voudra vous envoyer, en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé, et de supplication pour la conversion des pécheurs ? ” Il a répondu : oui. »
Et notre jeune frère Alexis, dans le sillage de notre frère Jean-Évangéliste, faisant écho à son oncle Philippe au moment de porter en terre, dans l’attente de sa résurrection, la dépouille de son grand-père, de répondre – au moins de désir... – au nom de tous ses grands frères, sœur et cousins : « Si nous avons la Foi, c’est grâce à Pagan. C’est le meilleur héritage qu’il nous a laissé. S’il l’a gardée toute sa vie, c’était parce que c’était une Foi ardente, réfléchie et solide. À l’école de l’abbé de Nantes, Pagan était “ à fond ” dans tous les domaines : en philo, en Histoire, sur l’actualité... Tous les mois il lisait la CRC et l’annotait.
« Dès lors, Pagan dans tous les aspects de sa vie est devenu un fidèle chrétien : fidèle à Magan, fidèle à son devoir d’état dans l’entreprise qu’il dirigeait, fidèle à la récitation quotidienne de son chapelet, pardonnant aux offenses mais ferme dans ses convictions, patient dans les souffrances de sa longue maladie, patient envers tous ses petits-enfants... pas toujours faciles... Il a choisi la voie étroite de la vertu... Pagan nous voulons te suivre ! »
frère Pierre-Julien de la Divine Marie.