Il est ressuscité !

N° 264 – Mars 2025

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2024 
La “ France de Marie 

1491-1638 
« Forte comme une armée rangée en bataille. »

L’APPEL DE NOTRE-DAME À LA CONVERSION DU PEUPLE CHRÉTIEN.

« C’est vous, ô Mère, courageuse ! qui descendez nous avertir des fléaux qui menacent notre monde en révolte. Au-devant de l’Orage, votre apparition avertit d’être sages ! Vous appelez fermement et tendrement vos enfants à la conversion nécessaire. » ( Lettre à mes amis no 179, 15 août 1964 )

Tel est bien le sens de l’apparition de Notre-Dame des Trois Épis en 1491, en terre d’Alsace, à la limite entre l’Europe latine et germanique.

Le 14 septembre 1491, près de Niedermorschwihr, la bienheureuse Vierge Marie apparaît à un pieux forgeron, Thierry Schoeré. Elle tient trois épis de blé dans la main droite et, de l’autre main, elle présente un glaçon. S’adressant au brave homme avec une douceur toute maternelle, la Vierge lui dit :

« Mon fils, les habitants de cette contrée ont, par leurs crimes sans nombre, attiré contre eux la colère de Dieu. Le glaçon que tu vois briller dans ma main gauche est le symbole de la grêle, de la disette, des maladies pestilentielles et autres châtiments, prêts à fondre sur eux. Toutefois mes prières ont retenu jusqu’ici le bras de mon Fils déjà levé pour punir. Si les coupables veulent s’amender et faire de dignes fruits de pénitence, Dieu leur pardonnera, et accordera à la terre la bénédiction et la fertilité. C’est ce que signifie cette tige de froment, que je tiens dans ma main droite.

« Et maintenant, lève-toi, va à Niedermorschwihr, et raconte aux habitants ce que tu viens de voir et d’entendre. Exhorte-les à quitter le péché. Qu’ils fassent des prières publiques et des processions. Qu’ils engagent les populations du voisinage à se convertir également : autrement les châtiments du Ciel ne se feront guère attendre. »

Ayant dit cela, Notre-Dame disparaît.

Le forgeron transmit le message, non sans peine, et les habitants obéirent. Alors la Vierge Marie tint ses promesses, et obtint à cette région la grâce de conserver la foi catholique au cours des guerres de religion qui, au siècle suivant, ravagèrent le pays.

Mais en venant en Alsace, c’est à toute la Chrétienté que la Vierge Marie adressait son appel à la pénitence.

RÉVEIL DE LA CHRÉTIENTÉ.

Après les grands malheurs de la fin du Moyen Âge, l’Occident chrétien se relève, plus florissant que jamais. Cette Renaissance, partie d’Italie, gagne progressivement toutes les vieilles nations catholiques. Hélas, la baisse de la ferveur religieuse et la dissolution des mœurs accompagnent bien souvent cette flambée d’humanisme. À Rome même, les Papes se laissent aller à la mode du temps, jusqu’à donner prise au scandale... sans toutefois qu’il faille outrer la dénonciation de leurs abus, comme le fait à cette époque le moine exalté Jérôme Savonarole. Les violentes critiques de l’intransigeant dominicain, contraires à la prudence chrétienne, prennent bientôt une tournure subversive, jetant la ville de Florence dans des troubles qui ne s’apaisèrent qu’avec son exécution. Pendant ce temps, malgré leur conduite personnelle quelquefois déplorable, tous les Papes, y compris Alexandre  VI Borgia, conservent leur bullaire intact. La conservation du dogme de la foi au milieu des désordres humains est une preuve de ce « miracle permanent » qu’est l’Église catholique, et du « caractère parfait, surnaturel et saint, de sa doctrine constante, de sa vie sacramentelle, de sa constitution visible et hiérarchique » ( CRC no 79, avril 1974, p. 11 ). L’Église est Sainte.

Néanmoins, le ton de la Vierge Marie est angoissé aux Trois Épis, parce que l’heure est grave ; une terrible menace approche, et les peuples chrétiens ne sont pas prêts à y faire face. Notre-Dame pense sans doute à ce Royaume de France qui lui est si cher, et à cette famille des Valois qui, Elle le voit bien, n’est pas à la hauteur de sa vocation. Grands princes de la Renaissance, ils veulent l’être, et ils le sont certainement... Mais princes très chrétiens, à l’imitation de leurs ancêtres capétiens ? Hélas, ils ne le sont pas. Pas encore...

« HEUREUSE FRANCE. »

Notre Père a parfaitement décrit, dans son Histoire Volontaire, la situation du Royaume à la fin du quinzième siècle : « Une foi, une loi, un roi ! Tous, au sortir de la guerre de Cent Ans, en félicitent la France à l’envi. Heureuse France qui jouit d’une parfaite unité de croyance, de mœurs et de gouvernement ! De fait, cette monarchie des Valois est de plus en plus riche, respectée et grandiose.»

Les historiens sont unanimes pour décrire l’enrichissement général de la société et la multiplication des fêtes et réjouissances, dans une frénésie de jouir où la morale chrétienne est loin de trouver son compte. N’est-ce pas ce que dit la Vierge des Trois Épis ? Néanmoins, il ne faudrait pas, là non plus, noircir exagérément le tableau, comme le feront – à dessein – les historiens protestants. Ce peuple français, dans sa meilleure part, aspire à une réforme des mœurs, à une purification de lui-même, des grands et du clergé.

Le bienheureux Alain de la Roche ( 1428-1475 ) fut l’un des grands entraîneurs de ce premier mouvement de conversion. Ce dominicain breton, docteur en théologie, avait soutenu sa thèse à l’université de Paris sur les mérites de l’Ave Maria. Devant la décadence de son ordre, il avait le pressentiment que seule la dévotion à la Vierge Marie, et spécialement la récitation du chapelet, pourrait faire revenir ses frères à l’esprit de saint Dominique. En 1470, une apparition de Notre-Dame le confirme dans cette intuition et il commence à prêcher, instituant partout des confréries du Rosaire dont les membres doivent réciter chaque jour le « psautier de Notre-Dame ». Aux siècles suivants, la récitation du Rosaire va devenir la dévotion la plus populaire du peuple chrétien, comme la plus puissante pour obtenir des faveurs du Ciel.

Toutefois, l’histoire de France, qui est maîtresse de vie, nous enseigne que dans le Royaume, rien de bon ne peut se faire durablement sans le Roi. Quand bien même le peuple aspirerait à se convertir, à pratiquer sa religion avec une ferveur renouvelée, si le Roi très chrétien ne donne pas d’encouragement à la vertu et ne prêche pas d’exemple, cette aspiration ne peut pas s’épanouir. Le Royaume est un « corps mystique », selon l’expression parfaite du légiste Jean de Terrevermeille ( 1370-1430 ), et si le chef manque à ses devoirs, c’est tout son peuple qu’il met en péril.

« ... Heureuse France, si riche et respectée... Encore faut-il que les Valois demeurent fidèles à l’Alliance divine, à ce  Messire Dieu premier servi  de sainte Jeanne d’Arc... Or nos Valois, trop vite passés de l’état de seigneurs étourdis et licencieux, aventureux en rébellions et en ambitions, à la sainte fonction royale, eurent souvent le tort de se servir eux-mêmes avant et plus que le Christ.» ( Histoire volontaire, p. 127-128 )

Notre Père formule contre eux deux griefs principaux. Tout d’abord, ce sont ces funestes guerres ­d’Italie dans lesquelles Charles  VIII engage le Royaume, imité par ses successeurs. Les prétextes politiques de ces expéditions sont douteux ; les vrais motifs sont d’ambition et de gloire terrestres. Et comme ces guerres ne sont pas de Dieu, elles s’achèvent toutes par de sanglants revers.

L’autre faute des Valois est moins avouable. Elle s’étale dangereusement, de règne en règne plus provocante. Leurs grandes amours légitimes s’accommodent d’amours défendues et celles-ci se multipliant s’abaissent et touchent à l’ignoble. La cour s’y habitue, s’en amuse, s’y précipite. Aussi la piété quitte la demeure des rois, et la raison politique elle-même se perd...

Le règne de François  Ier ( 1515-1547 ) porte à son paroxysme l’esprit de jouissance de ces Valois décidément trop légers. Or, c’est ce Roi qui va devoir faire face au raz-de-marée hérétique qui s’apprête à submerger la Chrétienté. Et, de toute évidence, il n’était pas prêt.

L’INSURRECTION PROTESTANTE CONTRE LA DÉVOTION MARIALE.

« Depuis les disciples de Nestorius jusqu’aux réformistes du deuxième Concile du Vatican, la zizanie est semée périodiquement dans la famille chrétienne à cause de Vous, ô Mère de Dieu. C’est une nécessité inéluctable et une malédiction pour les novateurs d’aller s’attaquer et se briser contre cette pierre d’achoppement de votre culte. Vous êtes bien un signe de contradiction, vous êtes l’occasion d’une révélation des cœurs. Qui aime l’Église aime la Vierge, qui aime la Vierge aime l’Église. Cette proposition réciproque est absolument vraie et fondamentale. » ( Lettre à mes amis no 179, 15 août 1964 )

Cette proposition se vérifie, a contrario, chez les deux grands hérésiarques du seizième siècle, le Saxon Martin Luther et le Français Jean Calvin. Leur haine inexpiable pour la Sainte Église romaine s’accompagne d’une détestation non moins implacable pour le culte de la Vierge Marie.

Le plus grand crime du roi François  Ier n’est pas d’avoir trahi la Chrétienté en s’alliant avec le Grand Turc pour abattre son rival Charles Quint ; ce n’est pas non plus de s’être abandonné aux plaisirs. Non, là où il est vraiment inexcusable, c’est d’avoir laissé l’hérésie se répandre dans le Royaume, manquant aux promesses jurées de son sacre. Comment n’a-t-il pas compris à quel point la menace était grave ? Il y a là un mystère d’aveuglement !

Au milieu des années 1520, Marguerite de Navarre, sœur du Roi, rassemble autour d’elle une cour humaniste que fréquentent des théologiens douteux et les plus mauvais esprits du Royaume, parmi lesquels Farel et Calvin, qui iront faire la révolution à Genève. Le Roi, qui se pique d’être large d’esprit, tolérant, humaniste, laisse faire...

Pourtant, dès cette époque, le Pape avait condamné fermement les nouveautés hérétiques de Luther. Et puis le Saint-Empire – ce n’est quand même pas si loin de Paris ! – était déjà à feu et à sang, surexcité par la prédication séditieuse de Luther et de ses émules. Prends garde à ta maison quand brûle le pignon de ton voisin ! Mais le Roi n’était pas mécontent de voir son adversaire Charles Quint en mauvaise posture, et il fit alliance contre lui avec des princes allemands passés à la Réforme.

Tout de même, son cœur de catholique aurait dû s’émouvoir devant les blasphèmes contre la Vierge Marie qui se multipliaient dans le Royaume, annonciateurs de l’orage qui s’en venait.

Le respect et l’amour des chrétiens du Moyen Âge pour la Mère de Dieu furent si ardents que Luther a d’abord hésité avant de rejeter totalement le culte marial, esquissant comme un mouvement de recul devant l’immensité du sacrilège. Pour ne pas s’aliéner d’emblée les masses chrétiennes, il décida de conserver certaines fêtes de la Sainte Vierge, tout en prévoyant de supprimer progressivement celles qui sont fondées sur la Tradition de l’Église... En revanche, il manifeste très vite son horreur des antiennes Salve Regina ou Regina Cæli qui exaltent la royauté de la Vierge Sainte. Cela revient, prétend-il contre toute la Tradition, à accorder à une créature ce qui ne peut revenir qu’à Dieu seul... Enfin, dans plusieurs écrits, peut-être rédigés en état d’ébriété comme il en avait l’usage, il révèle le fond de son cœur en s’attaquant ouvertement à Notre-Dame et en laissant libre cours à l’Esprit de blasphème dont il est habité.

Ses disciples et successeurs répéteront et développeront ces blasphèmes, en particulier Jean Calvin, qui s’y appliquera avec son esprit froid et systématique. Calvin refuse désormais de lui rendre aucun hommage, pas même son titre de Mère de Dieu, que le concile d’Éphèse lui avait triomphalement reconnu. Rapidement, les protestants en viennent à nier tous ses privilèges, sa Maternité divine, sa Virginité perpétuelle et a fortiori son Immaculée Conception... Enfin, luthériens comme calvinistes, fidèles à leurs hérésiarques, vont se mettre à briser ses saintes Images... Cela va être un saccage sans retenue, au moins égal à celui de la Révolution de 1789.

Le Journal d’un bourgeois de Paris raconte que, le 3 juin 1528, une statue de la Vierge à l’Enfant fut mutilée et décapitée par des luthériens en pleine capitale, rue des Rosiers, « à cause de quoy le peuple fust fort indigné de l’injure faicte à l’image et représentation de la belle Dame ». Le roi François  Ier parut lui aussi profondément affecté par ce sacrilège. Il organisa une solennelle expiation avec une grande procession dans Paris, au terme de laquelle il remplaça la statue brisée par une autre en argent. Mais cet outrage n’était pas le premier dans le Royaume, tant s’en faut, depuis 1517, et si le peuple de Paris se réjouissait de voir la dévotion du Roi, il applaudissait aussi en apprenant sa résolution de ne pas laisser le crime impuni. Un cantique populaire composé pour l’occasion contient ces rimes qui en disent long :

« Lorsque le chef fait son devoir,
les subjects y preignent l’exemple [...].
Notre bon roy a ainsi faict
Et s’est monstré très vertueux
Quant procession il a fait
À la royne des saincts cieux. »
( Journal d’un bourgeois de Paris sous François Ier, 10/18, p. 119 et p. 174-175 )

Hélas, il faut attendre 1534 et “ l’affaire des Placards ”, feuilles remplies de blasphèmes contre la Messe qui furent affichés dans tout Paris, pour que François  Ier réagisse enfin. Cependant, sa sévérité ne dure pas et quelques mois plus tard, il publie l’édit de tolérance de Coucy. La répression qui s’abat finalement sur les protestants français à partir des années 1540 jusqu’à la mort du Roi en 1547 arrive bien tard, l’hérésie a désormais pris racine dans le Royaume. Jean Calvin s’enfuit en 1536 à Genève, après avoir rendu une dernière visite à la Cour de Navarre, qui restera un havre de paix pour les protestants sous le règne de Jeanne d’Albret, la fille de Marguerite.

HENRI  II, LA RÉACTION MANQUÉE.

Après François  Ier, commence le règne d’Henri  II, qui aurait pu être un règne réparateur, car il a compris à quel point l’hérésie met en danger la Monarchie. Sous son égide, la réaction catholique se fait plus vigoureuse, comme le prouve l’affaire de Boulogne.

En 1544, le roi anglais schismatique Henri  VIII s’empare de la ville de Boulogne, sa soldatesque la met à sac et les Anglais emportent chez eux la statue miraculeuse, comme un vulgaire trophée de guerre. Dès son sacre, le 26 juillet 1547, Henri  II fait le vœu de reprendre la cité de Boulogne, pour la rendre à Notre-Dame, sa suzeraine ! puisque, depuis Louis  XI, les Rois de France sont ses vassaux. Il y parvient en 1550 et fait une solennelle réparation à Notre-Dame, puis lui offre un cœur d’or, perpétuant le pieux usage de son prédécesseur. Bientôt, de France et de l’étranger, les pèlerins accourent de nouveau, à tel point que le pape saint Pie  V érigera la ville de Boulogne en cité épiscopale.

En signant le traité de Cateau-Cambrésis, Henri  II se réconcilie enfin avec le Roi d’Espagne et amorce une sorte de renversement des alliances favorable à la lutte contre l’hérésie. Hélas, il meurt malencontreusement du coup de lance de Montgomery en 1559. Ce coup fatal remit en cause toute la politique extérieure et intérieure de la France et s’ensuivirent trente années de guerres de religion sous la régence de Catherine de Médicis qui, par goût du pouvoir et volonté de domination, manœuvra pour maintenir l’équilibre entre les forces protestantes et catholiques... C’est à cette « Serpente », comme disait notre Père, que nous devons ces huit guerres successives ( 1562-1587 ), horribles guerres civiles dont la plaie vive subsiste encore aujourd’hui.

Ah ! si la France a échappé à l’hérésie et à l’apostasie luthérienne et calviniste, c’est vraiment au bon Secours de Notre-Dame qu’elle le doit, car humainement, c’était perdu... Examinons les forces en présence. La Vierge Marie compte dans le Royaume un grand nombre de places fortes sûres, ces antiques cités mariales comme Chartres, Verdun ou Le Puy-en-Velay, sur les remparts desquelles, par Sa visible protection, se briseront tous les assauts protestants. Ces villes resteront fidèles à l’Église catholique et au Roi. Notre-Dame a aussi suscité, durant la première partie du siècle, de nouveaux bastions défensifs, en vue de faire barrage aux progrès de l’hérésie. Néanmoins, les plus solides bastions dont Elle dispose, ce ne sont pas des temples de pierre, ce sont des cœurs de chair. L’insurrection protestante va être en France la révélation de l’amour du peuple fidèle pour sa Reine. Voyons-en quelques exemples, en commençant par deux apparitions attestées.

DEUX NOUVEAUX BASTIONS DÉFENSIFS.

Vers 1515, en Bigorre, aux portes du Béarn, une belle Dame toute vêtue de blanc apparaît à Garaison à une pauvre bergère, Anglèze de Sagazan, qui paissait ses moutons dans la lande, et lui demande la construction d’une chapelle, « car j’ai choisi ce lieu, dit-elle, et j’y répandrai mes dons ». Pour convaincre le clergé réticent, elle donne un “ signe ” en changeant le pain noir de la panetière de la bergère et du coffre familial en beau pain blanc. Signe éclatant en cette année de cruelle disette !

Le pèlerinage se développa et la dévotion mariale va maintenir les populations de Bigorre, du Comminges et de Gascogne dans la foi catholique, à la différence du Béarn voisin, devenu un fief du protestantisme sous le joug des reines de Navarre. En 1586, un grand miracle se produisit après qu’un capitaine calviniste, envoyé pour ravager la région, eut jeté la statue de la Vierge de Garaison dans un ardent brasier. Deux heures plus tard, quand elle en fut retirée par les catholiques, elle était intacte. Quelques années plus tard, le sanctuaire de Garaison tint un grand rôle dans le retour du Béarn à la vraie foi, comme nous le dirons plus loin.

Notre-Dame de Garaison
La statue préservée des flammes en 1586.

Puis il y eut en 1519 les apparitions de la Sainte Vierge à Cotignac, au cœur de la Provence. La Vierge s’y adresse à un pauvre bûcheron, Jean de la Baume, avec une simplicité remarquable : « Je suis la Vierge Marie. Allez dire au clergé et aux consuls de Cotignac de venir ici me bâtir une chapelle sous le vocable de Notre-Dame-de-Grâces et qu’on y vienne en procession, afin de recevoir les dons que je veux y répandre. »

Cette intercession toute-puissante de Notre-Dame va à rebours de la théologie protestante... Elle est bien Médiatrice de la grâce et elle veut, nous dit-elle, nous la distribuer en abondance, pourvu que nous la demandions par la prière. Notre-Dame de Cotignac manifestera sa puissance en protégeant le pays de la peste à plusieurs reprises et surtout en le préservant de l’hérésie, par l’intermédiaire de son seigneur Jean de Pontevès, dévot du sanctuaire et farouche défenseur de la foi catholique. Lorsque Catherine de Médicis accorde en 1576 un édit de pacification très avantageux au parti huguenot qui vient d’être vaincu par les armes, le seigneur de Cotignac, tout en défendant de verser le sang des hérétiques, refuse d’appliquer l’édit. « Il est difficile, écrit un historien de Cotignac,  l’abbé Laure, de ne pas admettre que Pontevès avait puisé cette ardeur pour la défense de la cause catholique dans le sanctuaire même de Notre-Dame, le jour qu’il lui consacra ses premières armes. Et si notre contrée n’a pas le malheur d’être aujourd’hui infestée par l’hérésie, ne faut-il pas l’attribuer à cette guerre incessante du comte, qui ne permît jamais aux huguenots de s’établir dans la basse Provence ? » ( Il est ressuscité no 202, octobre 2019, p. 21 )

L’année suivante, en 1577, une Sainte Ligue catholique est fondée à Péronne, regroupant des nobles exaspérés des manœuvres de la Reine-mère en faveur des huguenots. Hélas, la famille de Guise qui en prend la tête, profitant de la colère justifiée du peuple, du bas clergé et de la noblesse, nourrit déjà l’ambition de s’emparer de la Couronne de France à son profit...

Il est vrai qu’après tant et tant de pilleries et d’innommables sacrilèges, la mesure était passée depuis longtemps. En dresser la liste est décourageant, écœurant... Attardons-nous quelques instants auprès de l’humble sanctuaire de Bétharram. Quelle importance pouvait avoir aux yeux des hérétiques ce modeste édifice, coincé entre torrent et rocher, à l’extrême limite du Béarn ?

Mais c’est que Jeanne d’Albret a parfaitement compris que pour faire basculer le peuple dans la Réforme, il faut tuer dans son cœur la dévotion à Marie. Elle confie donc au comte de Montgomery la besogne « d’extirper l’idolâtrie ». Il pénètre en Béarn en 1569 et sur sa route, il pille, tue et incendie les églises. « Ce n’était plus des combats, mais des tueries », dit l’historien Bordenave. Partout en France où des protestants exerçaient une certaine influence, il en fut de même... À Lestelle, où se trouve le sanctuaire de Bétharram, aucun habitant n’apostasie. En représailles, les troupes protestantes brûlent le village et détruisent la chapelle. Pendant trente années, la Sainte Messe ne sera plus célébrée dans le Béarn...

Malgré tout, les fidèles catholiques continuent de se réunir en secret dans les ruines de la chapelle, suppliant la Vierge Marie de mettre fin à pareille tyrannie.

D’innombrables villes et villages sont néanmoins préservés par la piété de leurs habitants et la protection du Ciel des ravages de la guerre et de l’apostasie.

Citons Pradelles, puisque le souvenir de notre Père s’attache à cette petite ville de Haute-Loire. On voit dans le chœur de l’antique sanctuaire de Notre-Dame de Pradelles un ex-voto peu banal, puisqu’il s’agit d’une peinture représentant l’attaque des protestants sur la cité, en 1588. Au premier plan, leur chef, le capitaine Chambaud, s’effondre, la tête brisée par une lourde pierre jetée par une habitante, Jeanne la Verdette, montée au-dessus de la porte de la ville. Voyant leur chef frappé à mort, les huguenots se dispersèrent et renoncèrent à s’emparer de Pradelles. Le bienfait d’une telle protection fut attribué à la Vierge Marie, dont une statue miraculeuse était honorée depuis 1512.

CONTRE-RÉFORME SPONTANÉE.

Le Père dominicain René Hedde, juge avec raison, dans son livre Marie Immaculée, rempart de la foi chrétienne ( 1924 ) que ce furent d’abord les sacrilèges contre la Sainte Vierge qui perdirent la cause du calvinisme en France. Tel était l’avis de notre Père, qui distinguait deux mouvements dans la Contre-Réforme catholique au seizième siècle. Il y eut d’abord une contre-réforme spontanée, une réaction d’indignation populaire, dont Jeanne la Verdette ou Jean de Pontevès sont d’humbles héros parmi une foule d’autres catholiques fidèles :

« Je pense que l’histoire de ce sentiment contre-­réformiste n’a encore jamais été écrite et que son analyse théologique n’a même jamais été tentée. Une phrase de Cristiani pourrait mettre sur la bonne piste : En France, on ne voulait pas du luthéranisme, parce qu’il brisait l’unité catholique, parce qu’il créait une lamentable confusion des doctrines et présentait de continuelles ‘ variations ’ – signe certain d’erreur – parce qu’il s’opposait au dogme établi et à des pratiques chères à la dévotion française, notamment le culte de l’Eucharistie et celui de la Vierge Marie. ” C’est ce sentiment-là qui témoignait, jusque dans le sang des martyrs, de la présence de l’Esprit-Saint dans son Église. » ( CRC no 4, janvier 1968, p. 8 )

Ex-voto dans le chœur de l’église Notre-Dame de Pradelles.

CONTRE-RÉFORME INSTITUTIONNELLE.

Toutefois, notre Père montrait que pareille réaction devait aller de pair avec une contre-réforme institutionnelle, dans l’Église et dans l’État, tant il est vrai que sans de bonnes institutions, toutes les initiatives, individuelles et même collectives, ne peuvent faire triompher durablement le bien. Profonde leçon !

À Rome, les Papes ont compris que l’heure était grave, surtout après le sac de la ville en 1527, qui parut aux yeux de tous le châtiment de leur dérive humaniste.

Au cours du concile de Trente, qui se déroule en plusieurs sessions de 1545 à 1563, les Pontifes romains anathématisent vigoureusement les hérésies protestantes et engagent la vraie réforme ecclésiastique, en insistant sur la formation du clergé dans des séminaires diocésains. Les canons tridentins, tant disciplinaires que doctrinaux, ont constitué la charte d’un renouveau ecclésiastique qui a porté des fruits pendant trois cents ans, jusqu’en 1962.

L’heure n’était pas encore venue de définir le dogme de l’Immaculée Conception, malgré la demande de certains Pères lors de la cinquième Session. Il n’en reste pas moins que la Vierge Marie préside au mouvement de reconquête de la Chrétienté.

Cela commence par la glorieuse victoire de Lépante en 1571, qui desserre enfin l’étau musulman qui étouffait l’Europe chrétienne depuis la chute de Constantinople en 1453. La flotte croisée, mobilisée par le saint pape Pie  V, envoie par le fond la flotte ottomane réputée invincible à l’entrée du golfe de Corinthe. D’autres victoires militaires, au siècle suivant, achèveront de rabattre les prétentions turques sur notre continent. À Lépante, comme plus tard à Vienne ( 1683 ), la victoire fut obtenue par l’intercession de Notre-Dame. En vrai fils de saint Dominique, saint Pie  V prit soin que chaque soldat de l’expédition fut muni d’un chapelet et pressé de le réciter, puis il engagea toute la Chrétienté à prier pour le succès des armes chrétiennes. Or, c’est un 7 octobre, premier dimanche du mois, jour de procession pour les confréries du Rosaire, que la victoire eut lieu. En reconnaissance, le Pape fixa au 7 octobre une fête solennelle de Notre-Dame de la Victoire et fit ajouter aux litanies de Lorette l’inscription Auxilium christianorum, ora pro nobis. Son successeur précisa que la fête serait célébrée en l’honneur de Notre-Dame du Très Saint Rosaire.

En Italie, saint Charles Borromée donne l’exemple d’un évêque selon le concile de Trente ; il sera bientôt imité en Savoie par saint François de Sales qui, après avoir ramené le Chablais à l’Église romaine ( 1594-1598 ), fut l’évêque modèle d’Annecy. En 1610, il fonde avec sainte Jeanne de Chantal l’ordre de la Visitation Sainte-Marie, appelé à jouer un si grand rôle dans notre Histoire de France. Sa spiritualité est vraiment le meilleur de la contre-réforme catholique, et il est bien dommage qu’il ait été si peu suivi. Quant à l’ordre des Jésuites, fondé en 1534 à Montmartre par saint Ignace de Loyola, c’est le fer de lance de la reconquête spirituelle, en particulier dans l’est de l’Europe où ses missionnaires et ses éducateurs ramènent des foules immenses à la Sainte Église. Parmi eux, l’un des plus ardents fut saint Pierre Canisius, l’apôtre de l’Allemagne, dont le cœur brûlait d’amour pour la Vierge Marie. L’Espagne, préservée du protestantisme par Philippe  II, connaît un extraordinaire renouveau religieux et mystique, en particulier au sein de l’ordre de la Vierge, le Carmel, réformé par sainte Thérèse d’Avila et saint Jean de la Croix. La sainteté refleurit partout...

LA FRANCE INFIDÈLE.

Et en France ? Hélas... Le Roi de France Charles  IX refusa d’aider saint Pie  V dans sa croisade et il n’y eut pas de marin français à Lépante. Pourquoi ? Parce que le Royaume était allié au Grand Turc depuis ­François  Ier, et parce que la guerre civile divisait le pays. Cette absence de la France aux grandes heures de la défense de la Chrétienté en dit long sur les immenses malheurs dans lesquels le Royaume était plongé... C’est devant un tel spectacle de désolation, en esprit de prière et de réparation pour les péchés d’hérésie qui se commettent en France, que sainte Thérèse d’Avila eut l’inspiration d’entreprendre sa réforme.

C’est au cours de ces années 1560-1570 que Catherine de Médicis déploya tout son perfide génie. C’est elle qui refusa de faire enregistrer les décrets du concile de Trente comme Lois du Royaume ; c’est elle qui refusa la Croisade ; c’est elle qui décida de l’inutile massacre de la Saint-Barthélemy ( 24 août 1572 ), tout en annulant le fruit des vraies victoires militaires catholiques... En un mot, c’est elle qui fit obstacle à la contre-réforme et à la contre-révolution en France, aux dépens de toute la Chrétienté.

HENRI  III, ROI SELON LE CŒUR DE DIEU.

Alors que le Royaume semble irrémédiablement voué à la division et à une ruine totale, Jésus-Christ se suscite un roi selon son Cœur, qui aura pour vocation d’être martyr, en digne descendant de Saint Louis : c’est Henri  III, le plus injustement calomnié de nos rois.

Élu roi de Pologne à son corps défendant, “ Monsieur ” comme on l’appelle, revient en France en 1574 à la mort de son frère Charles  IX. C’est un prince magnifique ! Beau, affable, intelligent, il révèle sa bravoure en remportant, à seulement dix-sept ans, deux éclatantes victoires à la tête de l’armée royale en 1569. Mais, cinq ans plus tard, à son retour en France, il découvre un royaume en ruines et livré aux luttes des partis. La tâche s’annonce très rude pour le nouveau Roi.

« Il y a deux, trois partis, sans compter celui du roi qui n’existe plus, et celui de la reine qui exaspère la haine des trois autres. Il y a l’Union protestante qui recommence sa guerre perpétuelle, il y a la Ligue catholique qui, depuis la Saint-Barthélemy, tient Henri de Guise pour meilleur défenseur de la foi et le veut pour roi, et le nouveau parti des Politiques où intrigue le duc d’Alençon, dernier frère du roi, qui veut la paix, mais la sienne, à ses avantages et caprices. La royauté non seulement a cessé d’être respectée, mais on a commencé à contester sa nécessité. » ( Histoire volontaire, p. 161 )

Passant par Milan, il reçoit avidement les conseils de saint Charles Borromée, qui lui fait don d’un grand crucifix, comme une annonce de sa vocation. Puis à Lyon, il retrouve celui qui a été son chapelain à Jarnac, le Père Edmond Auger, et lui demande de l’assister. Ce jésuite, qu’on a appelé le “ Canisius français ”, formé à Rome par saint Ignace lui-même, s’était fait remarquer par sa science, – il publia en 1563 le premier catéchisme en langue française du concile de Trente –, par son zèle dans la controverse antiprotestante et sa charité héroïque auprès des pestiférés. Aumônier des troupes royales, il avait écrit en 1568 un “ Pédagogue d’armes ”, traité dans lequel il faisait le portrait d’un souverain de contre-réforme. Henri  III aura bien besoin des conseils de ce saint prêtre, car la situation est plus désespérée encore qu’il ne le pensait. À la fin de 1574, avant même d’être sacré, sa première tentative de concilier les partis échoue et la guerre civile se rallume. Alors en Avignon, le roi révèle le fond de son cœur :

« On vit pour la première fois le roi défiler dans les rues de l’ancienne cité pontificale, pieds nus dans la boue, le sac de flagellant sur le dos. Spectacle troublant sur lequel la France porte un regard étonné et bientôt ironique... Pourtant, ne jette-t-elle pas une clarté sur son âme inquiète, la parole qu’Henri  III prononça alors, sous le porche de l’église :  Ils ne m’ont pas entendu, mais Dieu nous voit et nous écoute  ? » ( Histoire volontaire, p. 162 )

Le Roi est désormais convaincu que les malheurs du Royaume ont pour origine l’impiété et la dépravation morale de ses sujets, et qu’il lui revient de donner l’exemple de la pénitence.

Henri  III à la fin de son règne.
Le « Roi récréant » semble porter sur les traits de son visage tout le poids de son « secret ».

En venant se faire sacrer à Reims le dimanche 13 février 1575, Henri apporte comme présent pour le trésor de la cathédrale Notre-Dame une nef-reliquaire de sainte Ursule. Les inscriptions qui l’ornent sont éloquentes : « Henri III, roi des Gaules et de Pologne, suivant la coutume de ses ancêtres, le jour de son sacre, fit offrance à la Vierge, Mère de Dieu, de ce petit navire, à ce qu’il plaise à la puissance divine de conduire les affaires des Gaules agitées de tant de flots de sédition, au port de tranquilité. » Et plus bas, cet épigraphe qui en dit long sur l’âme du nouveau Roi : « Une relique de cette forme devait justement être offerte, puisque le navire de France a été jusqu’ici gardé entre les flots de sédition. Je suis arrivé au port par la conduite de la Vierge. » (Patrick Demouy, Le sacre du Roi, p. 266) Cela revient déjà à lui consacrer tout à la fois son règne, sa personne et son royaume.

Le surlendemain, il épouse dans la même cathédrale la pieuse et sage Louise de Vaudémont à laquelle il demeurera uni et fidèle jusqu’à la mort, nonobstant les rumeurs infâmes. Étrange Valois, il est vrai, que cet Henri  III qui multiplie les pèlerinages avec son épouse. Il se rend à Cléry, à Anet, et reprend dix-huit fois le chemin de Chartres, parfois à pied depuis Paris, pour obtenir la grâce d’avoir un fils. Hélas, ce sera en vain... Mais, on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à Notre-Dame ait été abandonné, aussi notre Mère du Ciel va exaucer la prière du roi Henri. Elle donnera un héritier à la Couronne de France... moyennant le prix du sacrifice.

Il faut dire que le Roi dépense sans compter pour s’attirer les bonnes grâces du Ciel. Tout au long de son règne, il multiplie les bonnes œuvres : riches présents pour les sanctuaires, fondations d’ordres religieux, de confréries, d’oratoires, etc. Certes, tous les Rois de France ont aimé prier avec les moines et ont été généreux dans leurs aumônes, mais Henri  III s’y adonne avec un zèle inaccoutumé. Il y a chez lui d’une part le souci angoissé du salut des âmes après tant d’années de guerres de religion, et d’autre part il y a la volonté de former au sein de la Cour une élite d’hommes ardemment catholiques et royalistes. Tel est le but de la fondation d’un nouvel ordre de chevalerie, l’Ordre du Saint-Esprit, en 1579 : « Rendre un culte particulier au Saint-Esprit et placer par là les problèmes qui déchiraient le royaume dans la main de Dieu, en fut le but essentiel. D’autre part le roi voulait, par des liens plus étroits de fidélité, attacher à lui la noblesse du royaume. L’ordre de Saint-Michel, jadis créé par Louis  XI, ne jouait plus ce rôle, étant déprécié. Très différente fut la fondation de la congrégation royale des pénitents blancs de l’Annonciation Notre-Dame ( 23 mars 1583 ). Elle répondit d’abord à une exigence spirituelle plus profonde de la part du roi que ses autres actes de piété. Elle eut aussi un but social [...]. Henri  III plaça plusieurs de ses fondations religieuses sous le patronage de Marie et il avait une dévotion particulière pour l’Immaculée Conception, qui n’était pas alors article de foi et qui était très controversée. » ( Jacqueline Boucher, La cour de Henri  III, p. 179 et 194 ) Étonnant Valois, vraiment... !

L’HONNEUR DES VALOIS.

La qualité majeure de ce roi, qui fait de lui certainement le plus grand des Valois, c’est l’intelligence qu’il eut de sa vocation de Roi de France.

Plus qu’aucun de ses frères, il a souffert de l’humiliation de la Majesté Royale, tenue pour rien au milieu de partis plus riches et plus puissants, et perdue de réputation auprès du pauvre peuple à cause de la politique machiavélique de sa mère. Mais il savait que l’heure d’agir et de restaurer la puissance monarchique n’était pas encore venue, surtout après l’indigne paix de Beaulieu qui lui est imposée par Catherine de Médicis en 1576. C’est ce traité qui avait tant scandalisé le seigneur de Pontevès, à juste titre : « Les protestants obtiennent la reconnaissance officielle de leur religion, la réhabilitation de Coligny et de tous leurs martyrs de la Saint-Barthélemy, enfin six places de sûreté. Première des humiliations qui jalonneront la route d’Henri  III jusqu’à ce qu’il lui soit permis de lever le masque, et c’est aussi la plus pénible. Plus tard, il s’habituera à ces camouflets et, du moins en apparence, il les subira avec flegme. Mais, en ce printemps de 1576, sa désillusion est affreuse. Quand il signe le document, il ne peut s’empêcher de verser des larmes et il fait, sous main,  serrer les cloches de Notre-Dame ”, afin qu’on ne parvienne pas à les mettre en branle. » ( Pierre Lafue, Henri  III et son secret, p. 140 )

Il fallait attendre. Alors, Henri  III résolut de donner le change et de jouer au « roi récréant », semblant aux yeux de tous s’absorber dans les plaisirs et la dévotion, lui qui avait été un si vaillant guerrier. En réalité, écrit son biographe Pierre Lafue, qui a percé son secret, « s’il consent à l’avilissement du pouvoir royal, c’est que ce renoncement simulé le protège plus efficacement que ne le ferait son arrogance. Mais il ne perd pas, pour cela, la rectitude de son jugement. En apparence indifférent et absent de la lice, il ne négligera jamais, en réalité, de surveiller le combat que se livreront les clans rivaux, et dont il attend l’issue pour sortir de son indolence. » ( Histoire volontaire, p. 167 ) D’ailleurs, son confesseur le Père Auger s’est porté garant, pour la postérité, de la vertu réelle de son pénitent, âme mystique, s’élevant par les humiliations et les renoncements jusqu’à une union intime avec Jésus-Christ crucifié, comme son saint ancêtre Louis  IX.

MARTYR DE LA RELIGION ROYALE.

Après la mort du duc d’Alençon, le dernier frère du Roi, en 1584, c’est son cousin Henri de Navarre, fils de Jeanne d’Albret et chef du parti protestant, qui devient l’héritier de la couronne. La succession s’annonce délicate, car il est interdit à un hérétique − qui ne saurait être sacré − de prétendre monter sur le trône de France. Mais, dans cette affaire, le Roi seul, par la vertu de son sacre, a les grâces d’état pour juger du bien commun du Royaume et dire la volonté de Dieu.

Henri de Guise, le ligueur, prétend quant à lui la succession ouverte et ne met plus de bornes à son ambition, inondant le Royaume de pamphlets diffamatoires contre le Roi. Pour l’instant, le Roi se tait.

« Après avoir beaucoup, beaucoup prié et imploré le Ciel, écrit notre Père, Henri le Catholique s’est résolu à reconnaître Henri de Navarre, son cousin, pour son légitime successeur et héritier de la sainte couronne de France. Il est entré en rapport avec lui et dans sa foi intrépide, il a exhorté suavement et véhémentement son ami d’enfance à se convertir à la religion catholique, la religion de ses pères. C’est pour cette obéissance à son serment de Reims, pour cette invincible et pure fidélité à la religion catholique et cette exacte soumission à la religion royale, qu’Henri de France est en butte aux haines et aux outrages, aux mépris et aux menaces de mort d’un peuple fanatisé. Et le duc de Guise est le roi de cette révolution. » ( Histoire volontaire, p. 171 )

Le 9 mai 1588, ce dernier entre dans Paris et défie ouvertement le Roi. Il va prendre le Louvre d’assaut lorsque, le 13 mai, le Roi rompt et s’enfuit seul de Paris au grand galop, les larmes aux yeux. « C’est grâce à cette retraite plus opportune que glorieuse que, différant en cela de celui de 1792, ce  Dix Août ” du seizième siècle s’est terminé sans avoir vu la chute de la monarchie. » ( Lafue, p. 237 )

Henri  III se réfugie à Chartres, cette ville où il est venu tant de fois supplier Notre-Dame et dont l’évêque Nicolas de Thou est son ami fidèle. Sûr de sa force, Guise accepte de le retrouver à Blois quelques mois plus tard, pour consommer sa déchéance par des États généraux. Il n’a pas compris qu’Henri  III, sous ses apparences de dilettante, n’a rien perdu de sa vaillance ni oublié les promesses de son sacre. C’est l’heure du Roi.

C’est au nom de la Religion royale qu’Henri  III opère son coup de majesté en faisant exécuter le duc de Guise par sa garde personnelle le 23 décembre 1588 et qu’il entreprend, aux côtés d’Henri de Navarre, la reconquête de leur Royaume déchaîné par la Ligue. Il y laissera la vie, frappé à mort par le couteau du moine fanatique, et d’ailleurs débauché, Jacques Clément.

Henri  III, dernier Valois, meurt en s’adressant à son successeur accouru à son chevet en ces termes : « C’est à vous à posséder le droit auquel j’ai travaillé pour vous conserver ce que Dieu vous a donné. C’est ce qui m’a mis en l’état où vous me voyez ; je ne m’en repens point, car la justice de laquelle j’ai toujours été le protecteur veut que vous succédiez après moi à ce royaume, dans lequel vous aurez beaucoup de traverses si vous ne vous résolvez pas à changer de religion. Je vous y exhorte, autant pour le salut de votre âme que pour l’avantage du bien que je vous souhaite. » ( Lafue p. 290 ) Les Capétiens n’avaient pas mieux parlé. Notre Père, profondément admiratif, a qualifié ce grand Roi de « martyr de la Religion royale ». Cette grâce immense, il l’a obtenue pour lui-même et pour le Royaume par sa dévotion à la Vierge Immaculée et au Christ crucifié. À sa prière, Notre-Dame a gardé le “ navire de la France ” des flots de la sédition.

Le fruit de ce sacrifice sera le relèvement politique et mystique du Royaume de France au cours des décennies suivantes.

LA RESTAURATION CATHOLIQUE SOUS LE SIGNE DE LA VIERGE MARIE.

Le printemps est d’autant plus beau et plus exubérant qu’il est tardif. Il en fut de même en France au début du dix-septième siècle où la restauration catholique, sous les règnes d’Henri  IV et de Louis  XIII fut l’un des plus beaux réveils spirituels de notre histoire, sous le signe de Notre-Dame.

Évoquons brièvement le règne d’Henri  IV, qui fut sacré à Chartres en 1594 après s’être sincèrement converti et avoir abjuré. Ne portait-il pas mystérieusement depuis son enfance le scapulaire de Notre-Dame ? Alors Paris ouvre ses portes à son roi légitime, et Henri se rend aussitôt à sa cathédrale, porté par son peuple délirant d’enthousiasme pour ce souverain par qui la paix arrive enfin. Néanmoins, il est vrai que la politique d’Henri  IV vis-à-vis du protestantisme reste modérée et qu’il laisse au parti protestant la possibilité de se reconstituer. Il sait pertinemment que l’édit de Nantes, signé en 1598, n’est qu’un compromis bancal et que la lutte devra reprendre tôt ou tard... Il n’en reste pas moins vrai que cette restauration du pouvoir royal va permettre l’efflorescence de la France mystique.

Plutôt que de faire une liste, difficilement exhaustive de tant de saints, d’œuvres et de congrégations, étudions la vie de l’un d’entre eux, qui fut incontestablement un enfant de Marie.

Il s’agit du Père Jean-Jacques Olier, qui incarne tout à la fois les grandes vertus et certaines limites de ce renouveau spirituel français.

Il est né en 1608 dans une famille de la bourgeoisie parisienne. Destiné au sacerdoce, il est doté d’un prieuré dès l’âge de onze ans et recevra bientôt deux autres abbayes ; c’était la faiblesse de l’Église d’alors... Il est d’un caractère sanguin, mais saint François de Sales rassure sa mère en lui annonçant qu’il servira grandement l’Église de France. À Lyon, la veille de sa mort en 1622, le saint évêque bénit la famille Olier et Jean-Jacques, qui a quatorze ans, en est profondément marqué. Il fait ses études chez les Jésuites, qui ont désormais une place centrale dans l’éducation de l’élite française, puis à la Sorbonne où la spiritualité de Pierre de Bérulle, fondateur de l’Oratoire et introducteur du Carmel réformé en France en 1604, est prégnante. Comme il est riche et éloquent, Olier se laisse aller aux mondanités, mais il n’a pas la conscience en paix. Frappé soudainement d’une maladie des yeux, il se rend en pèlerinage à Notre-Dame-de-Lorette en Italie où il obtient la guérison physique, mais surtout la grâce d’être touché au cœur « du saint amour de Marie » ( P. Pourrat, Vie de Monsieur Olier, p. 26 ).

La Sainte Vierge semble avoir une prédilection pour cette âme puisqu’à la même époque, en 1631, elle apparaît à la mère Agnès, du couvent dominicain de Langeac, en Auvergne, et lui dit : « Prie mon Fils pour l’abbé de Pébrac ». Pébrac, à huit kilomètres de Langeac, est une des abbayes que l’abbé Olier a en bénéfice. La bienheureuse Agnès de Langeac va prier et se mortifier plusieurs années durant pour cette âme qu’elle ne connaît pas, mais sur laquelle le Ciel a un dessein. Pour l’instant, Monsieur Olier revient transformé d’Italie et veut se dévouer entièrement aux œuvres d’Église. Il se met sous la direction de saint Vincent de Paul, qui en plus des œuvres de charité, innombrables à cette époque de grande misère, œuvre à la sanctification du clergé français et à la mission intérieure dans les campagnes. La mission intérieure sera une des grandes œuvres du renouveau français, tant il y a d’âmes ignorantes à instruire et de brebis égarées à ramener au bercail.

À cette époque, le bienheureux Alain de Solminihac ré-évangélise le Quercy et saint Jean-François Régis prêche dans le Vivarais jusqu’à mourir d’épuisement. À Mattaincourt, en Lorraine, Alix Le Clerc, sous l’inspiration de la Sainte Vierge et la direction de son curé, saint Pierre Fourrier, fonde en 1598 la Congrégation de Notre-Dame pour l’éducation des jeunes filles. Michel Le Nobletz sillonne la Bretagne, encouragé visiblement par Notre-Dame, et par sainte Anne qui apparaît en 1624 à Auray, etc.

Monsieur Olier, ordonné prêtre en 1633, sera lui aussi un grand missionnaire. Or, à la veille de partir pour une mission en Auvergne avec des compagnons de saint Vincent de Paul, il a deux visions consécutives d’une religieuse dominicaine portant un crucifix et un chapelet ; des larmes coulent de ses yeux. Elle dit à Monsieur Olier ces paroles mystérieuses qui le bouleversent : « Je pleure pour toi. »

Alors qu’il se trouve à Pébrac, en train de réformer son abbaye fort relâchée, le Père Olier passe à Langeac pour avoir un parloir avec une certaine mère Agnès, dont la réputation de sainteté est déjà très grande. Dès qu’il voit son visage, il s’écrie : « Ma Mère, je vous ai vue ailleurs ! » – « Cela est vrai, répondit-elle ; vous m’avez vue dans votre retraite à Saint-Lazare, parce que j’avais reçu l’ordre de la Sainte Vierge de prier pour votre conversion, Dieu vous ayant destiné à jeter les fondements des séminaires du royaume de France. » ( Poinsenet, La France religieuse du XVIIe siècle, p. 206 ) Immense tâche en perspective...

Au cours des six mois où il demeura encore à Pibrac, Monsieur Olier revint plusieurs fois faire parloir avec la bienheureuse Agnès. La sainte religieuse s’appliqua à former celui qu’elle appelait son « frère » suivant les enseignements qu’elle avait reçus de Notre-Seigneur et de Notre-Dame durant toute sa vie :

« Agnès de Langeac, à l’encontre des tendances de la mystique abstraite qui sévissaient en France, sut faire découvrir à Jean-Jacques Olier l’amour pour la Personne de Jésus qui est le fondement de l’oraison véritable, dans la ligne de Thérèse d’Avila. » ( Lantages, Vie de la bienheureuse Agnès de Langeac p. 255 ) Au moment de son départ, divinement avertie qu’elle ne le reverrait plus, elle lui donna le chapelet et le crucifix avec lesquels elle lui était apparue. Son œuvre était accomplie, elle lui avait prédit que Dieu se servirait de lui pour former un grand nombre d’ecclésiastiques, que la Très Sainte Vierge le chérirait toujours et qu’il aurait beaucoup de croix ; ce qui se réalisera. « Eh ! mon Dieu ! Que m’avez-vous fait ? s’exclame-t-elle. Vous m’avez donné un homme selon mon cœur et vous me l’avez ôté. Eh bien, mon Tout, que votre très sainte Volonté soit faite. » ( Lantages, p. 363 )

La formation du clergé était le grand souci du concile de Trente et de tous les saints de la contre-­réforme qui comprenaient que tant qu’il n’y aurait pas de séminaires, tous les efforts des missions se perdraient.

Or, l’Oratoire qui a pour vocation de fonder ces séminaires, ne cesse de différer. Ainsi, pendant dix ans, le Père Olier continue patiemment de se dévouer dans les missions, en Auvergne, en Bretagne et à Chartres où Notre-Dame le délivre d’une tentation de désespoir semblable à celle de saint François de Sales. Il joue aussi un rôle de premier plan dans l’évangélisation de la Nouvelle-France en fondant avec Monsieur de la Dauversière en 1640, la Société de Notre-Dame de Montréal qui achète l’île de Montréal pour y établir un hôtel-Dieu. On nomme la petite colonie Ville-Marie, tant il est vrai que la Vierge Marie en fut la providentielle initiatrice et auxiliatrice.

Néanmoins, après la mort du Père de Condren – qui n’avait rien entrepris pour fonder un séminaire – Monsieur Olier accepte la cure de Saint-Sulpice, et il réussit à convertir ce qui était alors l’une des plus grandes et des plus corrompues paroisses de la capitale. Il y crée un séminaire en 1642, en déclarant que Notre-Dame en est la véritable fondatrice.

Chez les Sulpiciens, la dévotion à la “ divine Marie ” sera toujours en grand honneur. Le 21 novembre 1651, en inaugurant la chapelle du séminaire, le Père Olier lance la belle tradition française du renouvellement des promesses cléricales le jour de la Présentation de la Vierge Marie au Temple. Œuvre admirable que ce séminaire de Saint-Sulpice, dans lequel notre Père a été formé, et qui a reconstitué un clergé qui fut le modèle des ecclésiastiques du monde entier.

Et pourtant, notre Père mettait un bémol à son admiration, car Monsieur Olier fut résolument disciple de Bérulle et de l’École Française. Or, pour combattre le protestantisme et ramener le peuple de France à la vraie foi, cette spiritualité était insuffisante. C’est saint François de Sales qui était l’homme selon le Cœur de Jésus et de Marie en ce début du dix-septième siècle. Hélas, Bérulle qui fut un « très grand spirituel », a été « imperméable à l’influence douce et suave de l’évêque de Genève, car il avait déjà choisi le pessimisme et le théocentrisme de la spiritualité traditionnelle latine » ( Retraite sur L’Amour de Dieu selon saint François de Sales, septembre 1977, conférence no 20 ).

Dans ses méditations, Bérulle considère longuement le néant de la créature et le Tout de Dieu ; pour lui, la Vierge Marie est d’abord la Servante de Dieu, la Religieuse de Dieu, qui nous donne le modèle de la vertu de religion. Mais d’amour, de cœur à Cœur, il est fort peu question. C’est beau, c’est grandiose, mais c’est froid...

L’autre voie, plus cordiale, qui se fraye tout de même un chemin dans cette renaissance catholique française est celle qui, sous l’influence de saint François de Sales, conduit à sainte Marguerite-Marie et par elle à la dévotion au Sacré-Cœur et au Cœur Immaculé de Marie. C’est la mystique des saints canonisés par l’Église, saint Vincent de Paul, sainte Louise de Marillac ou encore saint Jean-Eudes.

Dans le rayonnement de tant de sainteté, toute la France, en ce début de siècle, retrouve une fervente dévotion mariale, y compris l’homme le plus important du Royaume, ardent dévot de Notre-Dame depuis sa jeunesse, le roi Louis  XIII. Afin de comprendre quelle place éminente tient ce Roi dans notre orthodromie mariale, il faut retourner dans ces sanctuaires de Garaison et de Cotignac où Notre-Dame est apparue une centaine d’années auparavant, à la veille du raz-de-marée protestant.

LA RECONQUÊTE CATHOLIQUE DU BÉARN.

En 1604, Mgr Léonard de Trappes devient archevêque d’Auch et son assistant, le jeune Pierre Geoffroy devient providentiellement recteur du sanctuaire de Garaison. Frappé, dans l’ardeur de sa dévotion, par l’état déplorable du sanctuaire, il s’emploie de toutes ses forces à y restaurer le culte marial. Mais le cœur du chapelain, comme celui de son archevêque, se serre en considérant la grande pitié du Béarn voisin où, en dépit de l’édit de Nantes, le culte catholique est toujours proscrit par les autorités huguenotes. Alors, par deux pèlerinages en 1614 et 1616, qui furent deux grands actes de foi en la puissance de la Vierge Marie, Pierre Geoffroy et Mgr de Trappes, bravant les interdits protestants, se rendent en procession à Bétharram, y célèbrent la messe, y déposent une statue de Notre-Dame et y plantent une grande croix. Au mois de septembre 1616, cinq paysans voient la grande croix balayée par un violent coup de vent se redresser toute seule dans une auréole de lumière. Cette approbation divine donne le signal de la reconquête catholique, dont Louis  XIII va prendre la tête. Encouragé par Bérulle, ami de l’évêque de Lescar Jean de Salettes, le Roi descend en Béarn en 1619, obtient sa soumission et a l’immense joie d’y rétablir la célébration du Saint-Sacrifice. C’est le début d’une Croisade, qui va durer dix ans.

LA CROISADE DE LOUIS  XIII.

Notre Père considérait Louis  XIII comme le dernier de nos Rois à avoir eu l’intelligence mystique de sa vocation, celle d’un médiateur entre Dieu et son peuple, par la grâce du sacre. Louis  XIII, Roi Très Chrétien, ne pouvait supporter que le culte catholique soit empêché dans des régions entières de son Royaume, et il n’aura de cesse de rétablir le seul culte qui soit agréable à Dieu en toutes ses villes et provinces. N’a-t-il pas juré, lors de son sacre, de défendre la Sainte Église et d’exterminer les hérétiques ? Pour mener à bien cette difficile reconquête, le Roi va trouver un soutien sans faille en la personne du Père Joseph du Tremblay, figure éminente de notre orthodromie mariale.

Né en 1577 dans une famille de la noblesse de robe proche de la Cour, François le Clerc du Tremblay reçoit une éducation aristocratique dans les meilleures académies. Il est formé au métier des armes et se distingue sur le champ de bataille lors du siège d’Amiens contre les Espagnols, en 1597.

En février 1599, il répond enfin à l’appel de Dieu entendu dès son enfance et revêt la bure des capucins, ordre religieux austère qu’Henri  III avait favorisé de ses aumônes. Ordonné prêtre en 1604, il se distingue très vite par sa foi mystique et son zèle ardent pour la mission et la prédication contre la religion prétendue réformée. Il fréquente le célèbre salon de Madame Acarie, à Paris, où l’a introduit son ami d’enfance Pierre de Bérulle. Doté d’une intelligence vive et du don de discernement des esprits, il se voit bientôt confier d’importantes charges au sein de son Ordre. En tant que provincial de Touraine, il fonde en 1617 une communauté de religieuses, la congrégation des Filles du Calvaire. Bientôt, la communauté installée à Poitiers essaime à Angers, à Paris, Nantes et Morlaix, grâce au soutien de la Reine mère, Marie de Médicis.

En 1616, le Père Joseph joue un rôle déterminant dans la paix de Loudun, qui sauve la Religion royale, menacée par une coalition de grands aristocrates, catholiques et protestants, emmenée par le prince de Condé. Les insurgés, profitant de la faiblesse du jeune Roi, prétendaient déjà ! instaurer une Église nationale et une Monarchie parlementaire, sur le modèle anglais. Condé se présente en 1616 à Loudun, où se trouve la Cour, pour imposer au Roi trente articles schismatiques et parlementaires. Le Père Joseph, passant providentiellement par Loudun au cours d’une de ses tournées de prédication, est mis au courant de cette grave affaire. Il fait aussitôt le siège du prince de Condé, lui représentant l’énormité de la faute qu’il s’apprête à commettre contre l’Église et contre l’État. Sur les entrefaites, le prince tombe malade à mourir et, saisi de repentir, renonce à son funeste dessein. Il est bientôt miraculeusement guéri.

Hélas, le danger ne s’éloigne pas pour longtemps, et le Roi sait qu’il n’aura pas la paix tant qu’existera un parti huguenot doté d’une force politique et militaire, comme un État dans l’État. En homme réaliste, bien informé des affaires européennes, le Père Joseph, qui fait désormais partie de l’entourage du Roi, comprend qu’en 1620, le moment de la destruction définitive du parti protestant est venu. En effet, la soumission du Béarn l’année précédente, la réconciliation entre la Reine mère et son fils au mois d’août 1620 et, au mois de novembre, la victoire décisive de l’Empereur Ferdinand  II sur les protestants de Bohême à la Montagne-Blanche, lui montrent que le moment est très favorable.

Le Père Joseph a le sens de la Chrétienté, il sait que l’on ne saurait séparer le destin de la France de celui des autres nations catholiques. Il sait aussi que le Roi de France, en tant que fils aîné de l’Église, se doit de montrer l’exemple. Il explique ainsi au jeune Louis  XIII – il n’a que dix-huit ans ! – que « si Dieu a jusque-là permis la puissance des huguenots pour châtier les mauvais catholiques, il y a toute apparence et même assurance que le temps est venu de leur ruine ». Sur les conseils de ce “ parti dévot ”, le Roi se lance à la reconquête systématique des provinces où l’oppression des huguenots s’exerce encore, en violation des clauses de l’édit de Nantes. Les campagnes sont difficiles, mais victorieuses, grâce aux efforts et aux prières du Roi qui se tourne sans cesse vers Celle qui est la Reine des batailles de la Chrétienté :

« Mais, comme, par un excès de bonté, écrira le Roi en 1638, Dieu a daigné mettre en nostre cœur, dès nostre jeune âge une dévotion singulière envers la très glorieuse et très saincte Vierge, nous donnant des sentiments intérieurs de la prendre pour protectrice, et d’avoir recours à Elle en tous nos plus grands besoings, nous pouvons dire avecq vérité, que nous n’avons jamais imploré son assistance sans en avoir reçeu les effects. » ( René Laurentin, Le Vœu de Louis  XIII, p. 157 )

En 1627-1628, le Père Joseph s’illustre au siège de La Rochelle, faisant preuve de rares qualités de stratège. C’est lui qui convainc le Roi d’ordonner le blocus de la ville et de construire une digue pour interdire aux navires anglais l’entrée de la rade. Il soutient le moral de l’armée royale durant le long siège, faisant prêcher une mission aux soldats et distribuer 15 000 chapelets par les dominicains. Les Anglais, découragés par la digue, renoncent à défendre leurs coreligionnaires et s’en retournent dans leur pays. Le 28 octobre 1628, les Rochelais doivent capituler et le 1er novembre, Louis  XIII entre dans la ville en procession pour y rétablir enfin le culte catholique.

Avec La Rochelle, c’est la dernière grande place forte du parti huguenot qui tombe, à la consternation de toute l’Europe protestante ! Après la victoire sur le réduit des Cévennes l’année suivante, la reconquête du Royaume de France est achevée. L’unité française sort de cette Croisade considérablement renforcée, en dépit de la déplorable paix d’Alès négociée en 1629 par Richelieu, nouveau Machiavel, qui veut préserver le parti protestant de l’anéantissement.

Louis  XIII ayant promis à Notre-Dame d’Aubervilliers de lui consacrer un sanctuaire dans Paris s’il emportait La Rochelle, entreprend la construction de l’église Notre-Dame des Victoires, au plus près de son palais du Louvre. La première pierre de l’édifice porte cette dédicace triomphante : « Louis  XIII par la grâce de Dieu Roi Très Chrétien de France et de Navarre, vaincu nulle part, victorieux partout, au souvenir de tant de victoires qui lui sont venues du Ciel, spécialement de celle qui a terrassé l’hérésie, a érigé ce temple aux frères augustins.»

Au cours de ces années 1620, le Père Joseph engage aussi des démarches en vue d’unir les princes catholiques dans une Croisade contre les Ottomans. Il s’agit, bien sûr, de venir au secours des communautés chrétiennes qui gémissent sous le joug des musulmans ; mais dans l’esprit du Capucin, la Croisade serait surtout l’occasion de détourner les forces vives catholiques de leurs querelles intestines pour reforger l’unité de la Chrétienté. Une fois l’hérésie éliminée en France comme dans l’Empire, plutôt que de s’opposer vainement, le Bourbon et le Habsbourg devraient se tourner ensemble contre le péril turc, qui est encore loin d’être imaginaire... Hélas, la “ Milice chrétienne ” de l’Immaculée Conception, « pour la gloire de Jésus-Christ, la paix et la libération des chrétiens de l’oppression des Infidèles » qu’il fonde avec son ami le duc de Nevers, restera à l’état de projet, et il devra se contenter d’encourager les missions des capucins en Orient. C’est très regrettable.

En 1636, après plusieurs années de guerre couverte contre les Habsbourg d’Espagne et d’Autriche, la France est lancée par Richelieu dans la guerre ouverte. Mal équipées, mal entraînées, mal commandées, les armées françaises doivent faire front au Nord et à l’Est. Richelieu, qui poussait à la guerre, ne l’avait point préparée !

En cette heure véritablement dramatique, une des filles spirituelles du Père Joseph, la sœur Anne-Marie de Jésus-Crucifié, fait savoir les volontés du Ciel. Cette religieuse bretonne de la communauté parisienne des Filles du Calvaire est favorisée depuis le début de la guerre de révélations sur le cours des événements, qu’elle confie à son confesseur, le Père Joseph. Citons-en quelques extraits, tirés du livre de l’abbé Laurentin, p. 48-52.

VERS LA CONSÉCRATION DU ROYAUME.

Dans une vision de la mi-juillet, retranscrite par le secrétaire du Père Joseph, puis transmise au Roi, elle assiste « à des profanations des lieux saints, violements et pillages qui se commettaient vers La Capelle [qui vient d’être conquise par les Espagnols]. Il lui fut montré confusément que les ennemis avaient alors dessein d’attaquer quelques places aucunement proches de La Capelle et qu’ils n’étaient pas encore résolus et marchandaient. Puis, cette forme de Vierge [qui lui apparaissait ] poursuivit à dire vocalement : –  Faites savoir à Sieur Nicolo [ Richelieu] qu’il fasse avancer les troupes vers les ennemis, et que j’aideray puissamment à les chasser de la France ; et qu’il fallait que le Roy prit soin de faire son devoir envers Dieu [...]. » Lorsque le Royaume est envahi, la Reine de France prend les choses en main et combat pour lui !

Plus instructive encore est la vision du 16 juillet 1636 : « Il lui sembla voir le Fils de Dieu sur un grand trône. Entre autres, elle vit le Roi, Monsieur le Cardinal et autres de son conseil. Il lui sembla que Celui qui était dans le trône [ le Christ ], se leva et prit le Roi par la main, et le mena en divers lieux, parmi les combats qui se faisaient sous son autorité.» C’est en lieutenant de Jésus-Christ qui est vrai Roi de France, que Louis  XIII apparaît à la religieuse.

Mais l’extraordinaire vision continue, formant comme le préambule des demandes que fera le Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie en 1689.

C’est sur le cœur du Roi que Jésus-Christ veut régner sans partage, par Sa Mère : « Cette forme de Fils de Dieu dit à cette personne [sœur Anne-­Marie] : – Regarde comme je veux mettre ton Roy en la possession de trois choses par la force de mon bras qui le soutient : l’une est le bonheur de ses armes contre ses ennemys ; l’autre est la grâce que je lui ferai d’establir une bonne paix, en laquelle la foi et la vertu reluiront ; la troisième est quaprès la paix, il me fera honorer dans les pays étrangers par le pouvoir et l’autorité que je lui bailleray. Mais considère, ma fille, s’il est raisonnable que je sois servi et aimé de tout son cœur, après luy avoir fait tant de grâces, ayant la volonté de lui en faire encore tant de nouvelles [...]. Il faut que ton roy me promette qu’après la paix il fera, de tout son pouvoir, ce qui me sera agréable, et selon son devoir [...]. Je fais des grâces, et après on ne s’en souvient plus, quand j’ay garanty des périls. Quand cela est, je change mes grâces en punition, et je chastie les ingrats. Il faut que ton Roy ne soit pas de ce nombre.
Je l’ayme et l’aymerai, s’il me veut donner son cœur.
Pour cela, il faut qu’il m’ayme plus qu’il ne fait. Ce n’est pas assez de me craindre pour soi-mesme. Selon qu’il m’ouvrira son cœur, je lui donnerai le mouvement et la grâce de faire ces bonnes œuvres convenables à sa qualité. Il n’est pas né pour lui-mesme, mais pour Moi et son peuple [...]. »

L’abbé Laurentin reprend : «La voyante transmet ici un propos du Christ qui annonce ce qui deviendra le vœu de Louis  XIII: « Je veux aussy qu’il fasse honorer ma Mère en son royaume, en la manière que je lui feray connaître. Je rendray son royaume, par l’intercession de ma Mère, la plus heureuse patrie qui soit sous le ciel. »

Il ne faut pas séparer les demandes du Sacré-Cœur en 1689 de la consécration du Royaume à la Vierge Marie de 1638. C’est tout un : Jésus et Marie veulent régner sur la France en régnant sur le cœur du Roi. La grande merveille, c’est que Louis  XIII va se montrer fidèle aux grâces reçues.

LA VIERGE MARIE, VRAIE REINE DE FRANCE.

Au mois d’août 1636, la situation militaire se dégrade rapidement et le 7 août, les puissantes armées espagnoles emportent Corbie. Les troupes françaises, bousculées, reculent pour défendre la ligne de l’Oise, tandis que l’avant-garde espagnole pousse jusqu’à Pontoise, à trente kilomètres de Paris. Dans la capitale où manquent la poudre et les canons, c’est la panique, Richelieu est conspué et les Parisiens prennent la route de l’exode. Louis  XIII, en vrai père de son peuple reste à Paris et circule en voiture afin de rassurer ses sujets. Sœur Anne-Marie est alors malade à mourir.

Le Père Joseph, déconcerté, lui impose, comme preuve de la vérité du message, de demander à la Vierge Marie de prolonger ses jours jusqu’à son accomplissement. Corbie sera reprise, fait répondre la religieuse ( Laurentin, p. 52 ). Devant une telle fermeté, le Roi et son Ministre se ressaisissent et organisent un spectaculaire sursaut national, levant une armée de 40 000 hommes, repassant l’Oise et mettant le siège devant Corbie, qui capitule le 11 novembre. Le Roi confie à Richelieu : « Depuis la prise de Corbie, je me suis mis dans la dévotion beaucoup plus que devant, pour remercier Dieu des grâces que j’en ai reçues. »

Le Vœu de Louis  XIII.
( Philippe de Champaigne, musée de Caen.)

Sur les encouragements du Père Joseph, le Roi fait en privé le vœu de consacrer son Royaume à la Très Sainte Vierge, probablement à la fin de l’année 1636. En effet, dès 1637, l’ambassadeur de Suède à Paris, le protestant hollandais Grotius, l’écrit au chancelier Oxenstiern : « Pour commencer : quelque chose d’amusant, mais qui, je le crains, pourra avoir des conséquences sérieuses. Au début de cette année, le Roi a consacré et sa personne et son royaume à la Sainte Vierge. Il n’hésite pas à rapporter à ce vœu tous les succès remportés dans les dernières campagnes. Non content de vouloir ériger en l’honneur de la Vierge, dans l’église cathédrale de cette ville, un autel qui coûtera 40 000 livres, il a résolu de donner plus d’éclat à la solennité de l’Assomption. Il adresse, dans cette vue, des lettres patentes au Parlement [...]. » ( Laurentin, p. 36 )

Au mois de novembre de la même année, la Vierge Marie apparaît au frère Fiacre, du couvent des Augustins de Notre-Dame des Victoires. Elle porte un enfant dans ses bras, mais retient le religieux de l’adorer : « Ce n’est pas mon Fils. C’est l’enfant que Dieu veut donner à la France. » ( Laurentin, p. 56 )

Elle lui demande, pour obtenir du Ciel l’héritier tant attendu, d’accomplir trois neuvaines : à Notre-Dame des Victoires, à Notre-Dame de Paris et... à Notre-Dame de grâces de Cotignac. Le religieux s’exécute avec l’accord de ses supérieurs et de la reine Anne d’Autriche, et les trois neuvaines s’achèvent le 5 décembre. Neuf mois plus tard naîtra un petit Louis, qu’on appellera à juste titre “ Dieudonné ”.

Avant même la royale naissance, sûr que la Sainte Vierge lui a accordé une postérité mâle, Louis  XIII accomplit son Vœu. Le 10 février 1638, il fait enregistrer par le Parlement l’édit de Saint-­Germain qui rend officielle la « Déclaration du Roy par laquelle Sa Majesté déclare qu’elle a pris la très Saincte et très glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de son royaume ». Voici les lignes les plus importantes de ce texte immortel :

« Louis, par la grace de Dieu, Roy de France et de Navarre. À tous ceux qui ces presentes lettres verront, Salut [...]. À ces causes, nous avons déclaré et déclarons que, prenant la très saincte et très glorieuse Vierge pour protectrice spéciale de nostre Royaume, Nous luy consacrons particulièrement nostre Personne, nostre Estat, nostre Couronne, et nos Sujects, la suppliant de nous vouloir inspirer une si saincte conduite, et défendre avec tant de soin ce Royaume contre l’effort de tous ses ennemis, que soit qu’il souffre le fléau de la guerre, ou jouysse de la douceur de la paix, que nous demandons à Dieu de tout nostre cœur, il ne sorte point des voyes de la grâce qui conduisent à celles de la gloire.»

Le Roi a décidé qu’il serait fait mémoire de cet Acte chaque année dans tout le Royaume, en la fête de l’Assomption.

Le 15 août 1638, il se trouve sur le front, aussi c’est à Abbeville, en Picardie, dans une région dévastée par les combats, qu’il prononce son acte de consécration au cours d’une cérémonie solennelle. L’enthousiasme du clergé et des fidèles français à imiter leur souverain manifeste bien la portée de ce « vœu immortel » de la monarchie, selon les mots du Roi lui-même.

Par cette consécration de 1638, Louis  XIII met en forme officiellement, légalement, les termes de l’Alliance qui s’est nouée, au cours du millénaire et demi écoulé, entre la Vierge Marie et son peuple de prédilection. C’est un sommet de notre histoire de France.

Le mois prochain, si Dieu le veut, frère François nous présentera les fruits et les suites de cette consécration qui est toujours le gage du salut de notre pays, car la Vierge est fidèle, Elle, et Elle est puissante comme une armée rangée en bataille !

frère Louis-Gonzague de la Bambina.