Il est ressuscité !

N° 264 – Mars 2025

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Une encyclique sans destinataire 

La lettre encyclique Dilexit nos 
du Saint-Père François sur l’amour humain et divin du Cœur de Jésus-Christ (4)

NOUS avons vu, il y a deux mois, comment  dans le début de la quatrième partie de son encyclique, le pape François s’est attaché à montrer les premières touches de ce qui deviendra la dévotion au Sacré-Cœur, et cela dès l’Ancien Testament (Il est ressuscité n° 262, janvier 2025, p. 26 à 32).

Dieu aime son peuple. Malheureusement, et le Pape ne le dit pas, le peuple de Dieu est infidèle, c’est congénital... depuis Adam et Ève. Aussi, pour le ramener à Lui, car Yahweh l’aime d’un amour jaloux, Yahweh châtie et console tour à tour, annonçant par ses prophètes un avenir merveilleux au Retour d’Israël à son Dieu.

Enfin survient l’avènement du Messie, de Jésus venu nous racheter du péché originel (absent de l’encyclique) pour répandre sur toute l’humanité la miséricorde de Dieu par le Sang et l’eau versés de son Sacré-Cœur au jour du Sacrifice de la Croix, moyennant au moins de « regarder Celui qu’ils ont transpercé » (Za 12, 10).

Pour le pape François qui fait abstraction du péché des hommes qui “ attriste ” tellement Dieu comme disait le petit François de Fatima, tout semble irénique. Et la miséricorde est nécessairement gratuite pour tout homme. C’est ce Nouvel Évangile qu’il voudrait laisser à l’humanité dont il constate pourtant l’état déplorable. Mais il espère par là donner la paix au monde, dans une volonté de mettre en avant une spiritualité de la miséricorde de tous pour tous, en définitive de promouvoir “ le cœur ”... de qui ? Le sien à lui !

Mais voici maintenant le temps de l’Église « en sortie ». En suivant les progrès de la compréhension du Sacré-Cœur au travers de la vie et de l’enseignement de tant de saints au cours des siècles, le Pape va-t-il entrer dans le dessein du Sacré-Cœur de Jésus ?

IV. L’AMOUR QUI DONNE À BOIRE
( Nos 92 à 163, suite)

RÉSONANCE DE LA PAROLE DANS L’HISTOIRE.

Sous ce titre, le pape François passe maintenant à l’histoire de l’Église, qu’il préfère nommer « histoire de la foi chrétienne » ( n° 102).

C’est une expression réprouvée par saint Pie X dans l’encyclique Pascendi, parce qu’elle opère une distinction entre l’histoire réelle, et l’histoire « intérieure », partant condamnable pour modernisme. « En effet, sur les données fournies par l’historien, le critique fait deux parts dans les documents. Ce qui résiste à la triple élimination dont nous avons parlé [selon les modernistes : pas d’interventions divines dans les choses humaines ; élimination des ajouts et enjolivements de la foi aux événements ; et enfin renvoie au domaine de la foi de tout ce qui n’est pas jugé dans la logique des faits (événements surprenants, incroyables)] relève de l’histoire réelle, le reste relève de l’histoire de la foi ou histoire intérieure. Car les modernistes distinguent soigneusement cette double histoire. Et ce qui est à noter, c’est que l’histoire de la foi, ils l’opposent à l’histoire réelle, précisément en tant que réelle ; d’où il suit que des deux Christs que Nous avons mentionnés, l’un est réel, l’autre, celui de la foi, n’a jamais existé dans la réalité ; l’un a vécu en un point du temps et de l’espace, l’autre n’a jamais vécu ailleurs que dans les pieuses méditations du croyant. Tel, par exemple, le Christ que nous offre l’Évangile de saint Jean qui n’est, d’un bout à l’autre, qu’une pure contemplation. » (Pascendi n° 41)

Nous voilà prévenus : la dévotion au Sacré-Cœur restera, et même doit rester, du domaine de la foi. Surtout pas d’emprise sur le réel.

Le Pape commence par évoquer les Pères de l’Église, qui ont contemplé le côté transpercé du Christ comme source de l’eau vivifiante du Saint-­Esprit, « force des martyrs » ( n° 102). Et aussi source de la vie des baptisés, « nous, les croyants qui sommes renés de l’Esprit, nous venons de cette grotte du rocher : Nous avons été extraits du sein du Christ ” (saint Justin). » ( n° 102)

Et le Pape précise : « Mais l’Esprit que nous recevons ne nous éloigne pas du Seigneur ressuscité, au contraire il nous remplit de Lui, car en buvant l’Esprit, nous buvons le Christ lui-même :  Bois le Christ car Il est le rocher d’où l’eau a coulé, bois le Christ car Il est la source de la vie ; bois le Christ car Il est le fleuve dont le jaillissement réjouit la cité de Dieu ; bois le Christ car Il est la paix ; bois le Christ car de son sein coulent des fleuves d’eau vive ”. (Saint Ambroise) » ( n° 102)

Voilà qui est bien catholique : du côté transpercé du Christ jaillit l’eau de la grâce de l’Esprit, plénitude de Jésus-Christ, source, vie et force du fidèle... mais antérieurement de l’Église qui est le canal de cette source ? Le Pape ne semble pas y penser ; la grâce viendrait donc ordinairement directement du Sacré-Cœur... plutôt arrangeant dans le contexte de la synodalité !

Et qu’est devenu le Précieux-Sang dont saint Jean a témoigné du jaillissement du Sacré-Cœur au coup de lance du soldat romain, en même temps que de l’eau ? C’est que le Pape a coupé la citation de saint Ambroise précisément au moment où ce grand docteur de l’Église allait l’évoquer : « ... bois le Christ car de son sein coulent des fleuves d’eau vive ; bois le Christ, afin de boire le Sang par lequel tu as été racheté » (saint Ambroise, Patrologie latine, Migne, t. 14, col. 984). Ainsi le Pape a évité de mentionner le Sang du Sacrifice, le prix de notre rédemption, pour ne garder que l’Eau de la Grâce, mais les deux ne peuvent se dissocier.

LA TRAHISON DE JUDAS

Homélie de saint Augustin en sa cathédrale d’Hippone.

«EN vérité, en vérité, je vous  dis qu’un de vous me trahira... » (Jn 13, 21)

Dans le chapitre de l’Évangile dont on vient de vous faire lecture, avant que je vous en donne l’explication, je dois surtout m’attacher à vous parler du traître disciple que le Seigneur a suffisamment désigné en lui présentant un morceau de pain trempé. Je vous ai déjà expliqué comment, au moment de le faire connaître, Jésus s’est troublé dans son esprit ; mais il est une autre chose que je ne vous ai point dite, et que le Seigneur a daigné nous figurer par ce trouble de son esprit, c’est qu’il faut supporter jusqu’à la moisson les faux frères et l’ivraie au milieu du bon grain ; c’est-à-dire que lorsque la nécessité force l’Église de séparer, avant la moisson, ces faux frères de son sein, ce ne doit jamais être sans un grand sentiment de trouble.

C’est ce trouble de ses saints, dont les hérétiques et les schismatiques sont cause, que le Sauveur a voulu prédire et figurer par avance dans sa personne, lorsqu’au moment où le traitre Judas allait sortir et se séparer ouvertement du bon grain auquel il était mêlé, et au milieu duquel on l’avait toléré si longtemps, il fut troublé non dans sa chair, mais dans son esprit. Car en présence de ces scandales, le trouble des hommes vraiment spirituels ne vient pas d’un sentiment répréhensible, mais de la charité, qui leur fait craindre qu’en arrachant l’ivraie on ne déracine en même temps le bon grain [...].

« Jésus fut donc troublé dans son esprit, et il dit ouvertement : “ En vérité, en vérité, je vous dis qu’un de vous me trahira. Les Apôtres se regardaient les uns les autres, ne sachant de qui il parlait ». Ils aimaient tendrement leur Maître, mais leur faiblesse naturelle ne laissait pas de leur inspirer des soupçons les uns à l’égard des autres. Chacun d’eux connaissait le fond de son âme, mais la conscience de leur frère leur était cachée, et cette certitude personnelle n’empêchait pas qu’ils demeurassent inconnus pour les autres, comme les autres étaient inconnus pour eux.

« Mais l’un d’eux, que Jésus aimait, reposait sur le sein de Jésus. » L’Évangéliste explique un peu plus loin ce que signifient ces paroles : « sur le sein de Jésus », c’est à dire sur la poitrine de Jésus. C’est Jean, l’auteur de cet évangile, nous est expliqué plus loin ; car il y est dit : « sur la poitrine de Jésus ». C’était Jean, c’était celui-là même dont nous expliquons l’Évangile, ainsi qu’il le déclare plus bas.

En effet, c’est la coutume des écrivains sacrés, lorsqu’ils racontent un fait où il est question d’eux-mêmes, de parler d’eux comme d’une tierce personne, et de se mêler au récit plutôt comme le narrateur des faits qui se sont passés, que comme l’apologiste de leur propre conduite [...]. Si donc l’évangéliste ne dit pas ici : Je reposais sur le sein de Jésus, mais : « L’un des disciples qui reposait sur le sein de Jésus », il suit en cela l’usage des écrivains sacrés, et il n’y a rien là qui doive nous étonner. Car, en quoi souffre la vérité du récit, lorsque les choses sont dites telles qu’elles se sont passées, et qu’en même temps l’écrivain échappe au danger de la vanité ? En effet, cette circonstance que raconte saint Jean était pour lui des plus glorieuses.

Mais que signifient ces paroles : « Le disciple que Jésus aimait » ? Est-ce que Jésus n’aimait pas les autres disciples, dont l’évangéliste a dit lui-même plus haut : « Il les a aimés jusqu’à la fin » ? Notre-Seigneur n’a-t-il pas dit lui-même : « Personne ne peut témoigner un plus grand amour qu’en donnant sa vie pour ses amis » ? Et qui pourrait énumérer tous les témoignages des divines Écritures, où nous voyons si clairement exprimé l’amour de Jésus, non seulement pour saint Jean et pour ses autres disciples qui étaient alors avec lui, mais pour tous ceux qui devaient être ses membres dans la suite des temps et pour toute son Église ? Il y a donc ici quelque vérité cachée qui a pour objet le sein sur lequel se reposait celui qui nous rapporte cette circonstance. Le sein est en effet comme la figure d’un mystère caché. Mais nous trouverons ailleurs une occasion plus favorable de parler de ce sujet, et le Seigneur nous fera la grâce de le traiter de façon à vous satisfaire.

« Simon Pierre lui fit donc signe et lui demanda ». Remarquez ici cette manière de s’exprimer sans parler, et par un simple signe [...]. Or que veut demander Pierre par ce signe ? La suite nous l’apprend : « Quel est celui dont il parle ? » Voilà ce que Pierre demande par ce signe, parce qu’il fait cette demande non par le son de la voix, mais par le mouvement du corps.

« Ce disciple donc s’étant penché sur le sein de Jésus » sur ce sein qui était le sanctuaire de la sagesse, « lui dit : Seigneur, qui est-ce ? Jésus lui répondit : Celui à qui je donnerai un morceau de pain trempé. Et, ayant trempé du pain, il le donna à Judas Iscariote, fils de Simon. Et après qu’il eut pris ce pain, Satan entra en lui ». Le traître est enfin clairement désigné, les abîmes des ténèbres sont mis à découvert. Judas a reçu une chose excellente, mais il l’a reçue pour sa perte, parce qu’il était mauvais, et qu’il a reçu cette chose excellente dans des dispositions coupables. Mais il y a beaucoup de choses à dire sur ce pain trempé et donné à ce fourbe, et sur ce qui s’ensuit : et il nous faut pour cela plus de temps que celui qui nous reste à la fin de ce discours.

Saint Augustin (traité 61 sur l’Évangile de saint Jean).

Le Pape enchaîne avec saint Augustin, docteur de la grâce, dont il dit qu’il « ouvre la voie à la dévotion au Sacré-Cœur en tant que lieu de rencontre personnelle avec le Seigneur. Pour lui, la poitrine du Christ n’est pas seulement la source de la grâce et des sacrements, mais elle la personnalise en la présentant comme symbole de l’union intime avec Lui, comme lieu de la rencontre d’amour. Là se trouve l’origine de la sagesse la plus précieuse qui consiste à Le connaître. Augustin écrit en effet que Jean, le bien-aimé, lorsqu’il pencha la tête sur la poitrine de Jésus, s’approcha du lieu secret de la sagesse. » ( n° 103)

Et le Pape ajoute, sans doute pour se dédouaner de n’en pas dire plus : « Il ne s’agit pas de la simple contemplation intellectuelle d’une vérité théologique. » ( n° 103) Pour sûr que saint Augustin, dans le sermon que le Pape met en référence est concret puisqu’il s’adresse à ses gens d’Hippone pour leur expliquer les entours de la trahison de Juda. Le Pape ne pouvait pas en parler sans renoncer à son quiétisme où tous sont sauvés, sans péché, avec une miséricorde gratuite, car saint Augustin établit un contraste saisissant entre le maudit et le disciple bien-aimé, dans son style très direct et vivant (cf. encart page précédente).

Après avoir vu le Sacré-Cœur comme source de la grâce puis comme le lieu de la rencontre avec le Seigneur, voici maintenant une nouvelle étape annoncée par le Pape : Saint Bernard comprend le côté transpercé de Jésus comme « une révélation et un don de l’amour de son Cœur. À travers la blessure, le grand mystère de l’amour et de la miséricorde devient accessible et nous pouvons le faire nôtre » : “ Je prends avec confiance ce qui me manque dans les entrailles du Seigneur, car elles débordent de miséricorde et ne manquent pas d’ouverture par où jaillir. Ils lui ont percé les mains et les pieds, et ils lui ont perforé le côté. À travers ces fissures, je peux boire le miel du rocher et l’huile de la pierre la plus dure, autrement dit goûter et voir comme est bon le Seigneur [...]. Le fer a transpercé son âme, et son cœur s’est fait proche : il n’est plus incapable de comprendre mes faiblesses. Les blessures ouvertes dans son corps nous révèlent le secret de son cœur, elles nous font contempler le grand mystère de la compassion ” (Saint Bernard, Commentaire du Cantique des cantiques). » ( n° 104)

C’est avec cette contemplation mystique de la passion et de la compassion que saint Bernard a transformé les monastères cisterciens en “ école de l’amour de Dieu ”. Cela n’empêchait pas, tout au contraire, ces moines d’être d’ardents défenseurs de la Vérité, comme cet ami et biographe de saint Bernard, le cistercien Guillaume de Saint-Thierry, qui a dénoncé Abélard et provoqué la controverse du concile de Sens où saint Bernard convainquit d’hérésie le grand Abélard (cela le Pape ne le dit pas !) : « Guillaume de Saint-Thierry nous invite à entrer dans le Cœur de Jésus nous nourrissant à son sein. » Le Pape aime à citer ce Guillaume de Saint-Thierry, à cause de son traité De natura et dignitas amoris, mais visiblement sans vouloir comprendre que pour lui, comme pour saint Bernard dans son De diligendo Deo, il s’agit de réapprendre à aimer Dieu, ce que nous ne savons plus depuis le drame du péché originel qui a tout abîmé en nous. Alors, mais seulement dans ce contexte, elle est véridique cette parole de Guillaume que le pape François cite :

« Seigneur, où conduis-tu ceux que tu embrasses et serres dans tes bras, sinon à ton cœur ? Ton cœur, Jésus, est la douce manne de ta divinité (cf. He 9, 4) que tu conserves en toi dans le vase d’or de ton âme qui dépasse toute connaissance. Heureux ceux qui y sont portés par ton étreinte. Heureux ceux qui, plongés dans ces profondeurs, ont été cachés par Toi dans le secret de ton cœur. » ( n° 105)

Après le courant mystique cistercien, le pape François enchaîne avec les franciscains, et tout particulièrement saint Bonaventure qui « réunit les deux lignes spirituelles autour du Cœur du Christ. Tout en le présentant comme la source des sacrements et de la grâce, il propose que cette contemplation devienne une relation d’amitié, une rencontre personnelle d’amour. » ( n° 106)

« 107. D’un côté, il nous aide à reconnaître la beauté de la grâce et des sacrements qui jaillissent de cette source de vie qu’est le côté blessé du Seigneur :  Afin que, du côté du Christ endormi sur la Croix, l’Église soit formée et que s’accomplisse l’Écriture qui dit : Ils verront Celui qu’ils ont transpercé, il fut accordé, par une disposition divine, qu’un des soldats ouvrit de sa lance ce côté sacré et le perfora entièrement, au point de faire couler le sang et l’eau en répandant le prix de notre salut qui, depuis la source – le secret de son cœur –, donnerait à profusion leur puissance aux sacrements de l’Église pour conférer la vie de la grâce, et serait désormais, pour ceux qui vivraient dans le Christ, une coupe [puisée à] la source vive qui jaillit pour la vie éternelle (saint Bonaventure). »

C’est donc bien l’Église, maîtresse de vie qui distribue les sacrements dont la source est le côté transpercé de Notre-Seigneur Jésus-Christ, d’où ont jailli du Sang et de l’eau. Cet appel à saint Bonaventure redresse beaucoup de cette encyclique.

Et le Pape ajoute au n° 108 :

« Il nous invite ensuite à faire un pas de plus afin que l’accès à la grâce ne devienne pas une chose magique, ni une sorte d’émanation néo-platonicienne, mais une relation directe avec le Christ en demeurant dans son cœur. En effet, celui qui boit est un ami du Christ, un cœur qui aime : “ Lève-toi donc, âme amie du Christ et sois la colombe qui fait son nid dans le mur d’une grotte, sois le moineau qui a trouvé une maison et ne cesse de la garder, sois la tourterelle qui cache les petits de son chaste amour dans cette ouverture sacrée ” (saint Bonaventure). »

LA DIFFUSION DE LA DÉVOTION AU CŒUR DU CHRIST.

Le pape François remarque très justement :

« Le côté blessé, où réside l’amour du Christ et d’où jaillit la vie de la grâce a, peu à peu, pris la forme du cœur, surtout dans la vie monastique. » ( n° 109) L’article de frère Joseph-Sarto (cf. Il est ressuscité n° 263, février 2025, p. 5 à 17) montre bien qu’en définitive, depuis les temps immémoriaux de la Chrétienté, toutes les dévotions ont eu pour origine les monastères.

Mais pour autant, ces prémices de la dévotion au Sacré-Cœur « ne peuvent être extrapolées des formes médiévales et encore moins des formes bibliques dans lesquelles nous pouvons entrevoir des germes de ce culte. » Il y a donc eu “ du nouveau ” pour que la dévotion au Sacré-Cœur apparaisse telle que nous la connaissons aujourd’hui ? Oui, et ce sont d’abord « diverses expériences spirituelles » ( n° 109).

« 110. Plusieurs saintes femmes ont raconté des expériences de rencontre avec le Christ, caractérisées par le repos dans le Cœur du Seigneur, source de vie et de paix intérieure. » Le Pape en énumère plusieurs : « C’est le cas de sainte Lutgarde, de sainte Mechtilde de Hackeborn, de sainte Angèle de Foligno, de Julienne de Norwich, entre autres. »

Puis il s’attarde sur une révélation de sainte Gertrude de Helfta, parce qu’elle a raconté « un moment de prière au cours duquel elle posa sa tête sur le Cœur du Christ et entendit ses battements. » C’est une véritable vision (cf. encart), d’où suivit un dialogue avec l’apôtre saint Jean dont le Pape donne comme une conclusion de sainte Gertrude (modernisme oblige), une réponse de saint Jean lui-même à la question de la sainte moniale cistercienne : « Gertrude conclut que la douce éloquence de ces battements est réservée aux temps actuels, afin qu’en les écoutant, le monde, déjà vieilli et engourdi dans son amour envers Dieu, puisse retrouver sa ferveur ”. »

POURQUOI JÉSUS A-T-IL ATTENDU SI LONGTEMPS ?

Sermon de frère Georges de Jésus-Marie (extraits, 4 juin 1989).

JÉSUS avait fait entendre  le battement de son Cœur à saint Jean et puis Il lui avait fait voir ce jet de Sang et d’Eau de son Cœur qui annonçait tant de grâces sur l’humanité et d’une manière si touchante ; puis les siècles ont passé et il a fallu attendre mille sept cents ans pour que Jésus montre son Cœur à sainte Marguerite-Marie et que cette dévotion se répande dans le monde. Pourquoi avoir attendu tant de temps ?

Au Moyen Âge, une sainte tout à fait extraordinaire, sainte Gertrude, avait déjà eu connaissance du mystère de ce divin Cœur, dans une suite de visions inénarrables et de conversations absolument intimes avec Jésus ; elle avait expliqué toutes les richesses de ce Cœur.

Dans l’une de ces visions, elle raconte comment elle a parlé à saint Jean qui avait écouté les battements du Cœur de Jésus, elle lui avait demandé pourquoi avoir attendu si longtemps ? Je n’ose vous dire dans quelle position étaient saint Jean et sainte Gertrude ; il faut toute l’audace des saints pour d’abord connaître de telles privautés, de telles intimités avec Notre-Seigneur et de plus pour oser le raconter comme cela pour les siècles.

Saint Jean était contre le Cœur de Jésus quand cette sainte est entrée dans cette vision, il écoutait le Cœur de Jésus battre. Jésus plaça sainte Gertrude de l’autre côté, là où était la plaie de son Cœur.

Voilà saint Jean et sainte Gertrude dans cette extase prodigieuse qui parlent et discutent l’un avec l’autre. Elle dit : « Mais enfin pourquoi avoir attendu tant de temps pour que le Seigneur révèle de telles choses au monde ? »

Saint Jean lui a expliqué que, dans les premiers temps de l’Église, la proximité de l’Incarnation et de tous ses mystères était telle que les chrétiens vivaient par ces souvenirs de l’Évangile d’une manière assez enflammée, assez enthousiaste pour qu’il ne soit pas nécessaire de leur livrer les derniers secrets, tandis que viendrait un temps où, la charité du monde s’étant refroidie, il faudrait de nouvelles révélations, de nouvelles visions et de nouvelles apparitions pour que le Seigneur puisse réchauffer le Cœur de l’Église ainsi glacé, et ainsi révéler les ultimes secrets qui vaudraient au monde une conversion générale.

C’est une première réponse que saint Jean a donnée à sainte Gertrude et nous sommes bien contents de savoir qu’au dix-septième siècle, la charité de beaucoup s’étant refroidie par les désordres de l’humanisme, par le retour au paganisme antique et par les théologies sans âme et sans cœur du protestantisme, ce fut une bouffée d’ardeur d’amour tout au long de ce siècle principalement pour le Cœur de Jésus et le Cœur de la Vierge Marie...

Et le Pape se demande : « Pourrions-nous y voir une affirmation pour notre époque, un appel à reconnaître combien ce monde est devenu  vieux  et a besoin de percevoir le message toujours nouveau de l’amour du Christ ? » Sans doute... mais qu’est-ce qu’un monde “ vieux ” pour le pape François... qui vient du Nouveau Monde ? Et pourquoi le Pape a-t-il retourné la proposition ? En effet, saint Jean parle de l’ « amour envers Dieu » qui s’est refroidi, et ici le Pape, de l’ « amour du Christ » comme d’un « message à percevoir » pour le monde. Ce n’est pas la même chose, et c’est très significatif de la tendance quiétiste du pape François à ne pas prendre en considération l’infidélité des hommes, qu’il remplace par la fidélité certaine de Dieu, miséricordieux pour tous.

Le pape François achève par cette remarque : « Sainte Gertrude et sainte Mechtilde ont été considérées comme les confidentes les plus intimes du Sacré-Cœur ”. » Ces deux saintes religieuses cisterciennes ravissaient le cœur de notre Père par les grâces indicibles de tendresse et d’amour que le Sacré-Cœur leur avait accordées.

Mais notre Père remarquait une manière de Jésus qui ne se perçoit pas facilement au travers de l’encyclique, et c’est pourtant l’essentiel :

« L’amour ne se prouve pas par des caresses et des baisers, l’amour se prouve par le sacrifice de la vie, par le don de soi, par le cœur éclaté. Et il suscite un amour aussi profond, c’est l’amour de celle qui se brise pour ainsi dire elle-même pour répandre tout son parfum sur la Face de celui qu’elle aime. Ainsi l’amour du Père est satisfait par le sacrifice de son Fils. Ce n’est pas tellement la colère et la justice de Dieu qui sont satisfaites, c’est l’amour du Père pour le Fils car le Fils lui manifeste le plus grand amour qu’il est possible à un Fils de Dieu fait homme, il donne son Sang, il donne toute sa vie par obéissance à son Père et pour celle que Dieu lui a donnée pour épouse, l’humanité pécheresse personnifiée par Marie-Madeleine, c’est le secret de son Cœur.

« Lorsque Jésus se révélera à sainte Mechtilde, à sainte Gertrude, à sainte Marguerite-Marie et à tous les autres, lorsqu’il révélera son Cœur, et son Cœur souffrant toutes les amertumes qu’il a souffertes dans son agonie, Jésus n’inventera pas quelque chose de nouveau, ce ne sera pas une révélation nouvelle par rapport à l’Évangile, cette révélation se trouve déjà au centre de l’Évangile. Jésus attendait que le monde ait besoin de cette Révélation pour porter l’attention de son Église au point focal de tout le mystère de l’Évangile. On se rappellera à ce moment-là qu’il avait annoncé qu’il était venu pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude, et que, en répandant son Sang dans la coupe de bénédiction, il le fait boire à ses Apôtres en leur disant que c’est le Sang de la Nouvelle et Éternelle Alliance, du Testament par lequel l’humanité est rassemblée autour de lui et ainsi réconciliée avec Dieu par son Sang, c’est-à-dire par son sacrifice très amer, très pénible, mortel.

« La conclusion, donnée à sainte Gertrude, sainte Mechtilde, sainte Marguerite-Marie et les autres : on ne peut pas aimer Jésus sans aller à sa suite. On ne peut pas prendre un chemin différent et c’est au fond le sens du vase d’albâtre brisé : Marie-Madeleine ne peut pas vivre quand Jésus meurt. Par derrière Marie-Madeleine, une que la pudeur des Apôtres laisse dans le secret : la Vierge Marie ne peut pas être à une autre place, au moment où Jésus meurt sur la Croix, qu’au pied de la Croix, unissant sa compassion à la Passion du Christ. Tels sont les mystères d’agonie, de charité du Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie et du Cœur très aimant de Marie-Madeleine et de tous les saints. » (Frère Georges de Jésus-Marie, L’Évangile selon saint Marc, retraite de l’automne 1986)

Le Pape évoque en passant : « Les chartreux, encouragés surtout par Ludolphe de Saxe, ont trouvé dans la dévotion au Sacré-Cœur un moyen de remplir d’affection et de proximité leur relation avec Jésus-Christ. Celui qui entre par la blessure de son cœur est enflammé d’affection. » ( n° 111)

Puis encore : « Sainte Catherine de Sienne écrivait qu’on ne peut être témoin des souffrances endurées par le Seigneur, mais le Cœur ouvert du Christ nous offre la possibilité d’une rencontre réelle et personnelle avec beaucoup d’amour :  J’ai voulu que vous voyiez le secret de mon cœur, en vous le montrant ouvert afin que vous voyiez que je vous aimais plus que ne pouvait le montrer la souffrance finie ”. » ( n° 111)

Pourquoi le Saint-Père a-t-il encore coupé la citation de sainte Catherine de Sienne juste au moment où cette grande mystique amante du Précieux Sang allait l’évoquer ? « Le sang et l’eau qui coulèrent de mon cœur figuraient le saint baptême de l’eau, que vous recevez par la vertu du Sang. »

Ah, si sainte Catherine de Sienne avait la permission d’aller tancer le Saint-Père comme elle l’a si souvent fait de son vivant pour l’implorer de ne pas mépriser le Sang de notre Sauveur :

« Au Nom de Jésus crucifié et de la douce Marie, Très saint et très doux Père dans le Christ Jésus, votre indigne et misérable petite fille Catherine, la servante et l’esclave des serviteurs de Dieu, écrit à Votre Sainteté, dans son Précieux Sang, avec le désir que j’ai depuis longtemps de vous voir un portier ferme et sans aucune crainte. Vous êtes le portier du cellier de Dieu, c’est-à-dire le gardien du Sang de son Fils unique, dont vous tenez la place sur terre. Car personne ne peut avoir le Sang du Christ, si ce n’est de vos mains. Vous paissez et nourrissez les chrétiens fidèles ; vous êtes la mère qui nous allaite sur le sein de la charité divine, parce que vous ne nous donnez jamais le Sang sans le feu, ni le feu sans le Sang, car le Sang a été répandu avec le feu de l’amour. Ô notre seigneur et maître, je dis que, depuis bien longtemps, je désire vous voir un homme courageux et sans crainte, à l’exemple du doux et tendre Verbe, qui a couru avec courage à la mort ignominieuse de la très sainte Croix pour accomplir la volonté du Père et notre salut. Le doux Verbe nous apporta la paix, parce qu’il fut le médiateur entre Dieu et nous.

« Ce doux et tendre Verbe ne se laissa pas arrêter par notre ingratitude, par les injures, les mépris et les affronts, mais il courut à la mort honteuse de la Croix, parce qu’il était passionné pour notre salut, et que nous ne pouvions obtenir la paix que par ce moyen. Ô très saint Père, je vous conjure par l’amour de Jésus crucifié de suivre ses traces [...]. Imitez le Christ, dont vous êtes le Vicaire souffrez les peines, les opprobres, les tourments, les mépris, et portez la croix du saint désir. Je parle du désir de l’honneur de Dieu et du salut de vos enfants. Oui, ayez-en faim, et, avec le regard de votre intelligence, élevez-vous sur la croix du saint désir. » (Sainte Catherine de Sienne, Lettre à Grégoire XI, 270)

Le pape François poursuit l’histoire de la dévotion en remarquant : « La dévotion au Cœur du Christ a progressivement dépassé la vie monastique et a rempli la spiritualité de saints maîtres, prédicateurs et fondateurs de congrégations religieuses qui l’ont répandue dans les régions les plus reculées de la terre. »

« L’initiative de saint Jean Eudes est particulièrement intéressante.  Après avoir mené avec ses missionnaires, à Rennes, une mission très fervente, il réussit à faire approuver par l’évêque de ce diocèse la célébration de la fête du Cœur adorable de Notre-­Seigneur Jésus-Christ. C’était la première fois que cette fête était officiellement autorisée dans l’Église. Par la suite, les évêques de Coutances, d’Évreux, de Bayeux, de Lisieux et de Rouen autorisèrent la même fête pour leurs diocèses respectifs entre 1670 et 1671 ”. » ( n° 113) Et c’est tout. Cette citation assez quelconque et dépourvue d’enthousiasme a été placée ici certainement à cause de son auteur. Il s’agit du Père Rafael Garcia Herreros (1909-1992), eudiste, « qui s’est distingué en Colombie par ses paroles et ses actions en faveur d’une nation juste, équitable et pacifique, fondée sur sa rencontre personnelle avec Jésus-Christ, révélateur de Dieu et donateur de son Esprit. » (site internet officiel de la béatification) Pionnier de la nouvelle évangélisation notamment par sa présence quotidienne à la télévision depuis 1955 où il a créé une émission très populaire d’une minute, “ La minute de Dieu ”, « à travers laquelle, pendant trente-huit ans, il a parlé de Dieu, de l’homme et du pays » (ibid.). Infatigable apôtre des pauvres pour lesquels il fonde un quartier du même nom que son émission à Bogota avec les dons affluants, épris de justice sociale, engagé dans le développement intégral de la personne humaine et des communautés marginalisées, négociateur entre l’État colombien et les cartels de la drogue, versé dans l’œcuménisme avec les protestants, promoteur du renouveau charismatique dont il fait partie, etc., son procès de béatification est en phase romaine depuis 2018. Certainement un modèle de ce que le pape François veut prêcher par son encyclique. Mais ce n’est plus tout à fait saint Jean Eudes !

Notre Père nous a aussi décrit saint Jean Eudes comme « un cœur avant d’être un cerveau et puis comme on dirait maintenant, c’est un homme de terrain ! Ou disons l’ancien vocabulaire, l’ancien vocable : c’est un apôtre ! C’est un apôtre plus qu’un théoricien, plus qu’un mystique renfermé dans sa solitude pour penser à Dieu. Il se jette dans l’action et il s’y jette pour ressusciter les morts : il a en vue, d’abord, le salut des hommes, le salut des âmes qui se perdent. Lui et plus tard Grignion de Montfort auront l’impression du feu de l’enfer et ils auront envie d’aller secouer un clergé un peu trop bien organisé, un peu trop renfermé dans son contentement spirituel, en criant : Au feu, au feu ! Les âmes se brûlent et là vous êtes à étudier votre théologie au lieu d’aller prêcher avec nous les pauvres peuples, les âmes qui se perdent [...].

« Dès l’abord, nous trouvons chez lui un cœur tout ardent. C’est le prophète du Cœur, dira une de ses biographes Oda Schneider. Prophète du Cœur, c’est le Cœur. Il a d’abord un cœur et qui est tout entraîné au culte, à la dévotion de la Vierge Marie. » (Frère Georges de Jésus-Marie, Le Saint Cœur de Jésus et Marie, retraite de Josselin 26-27 juin 1982)

C’est bien le propos du Pape de nous rapprocher du cœur, mais quelle différence ! Chez saint Jean Eudes, c’est le salut des âmes... par le culte du Cœur de Marie, du Cœur très unique de Jésus et Marie qu’il a tant prêché au cours des missions qui seront le tout de sa vie :

« Les missions, il en a prêché plus de cent. Cent dix, selon l’un de ses biographes, en quarante-cinq ans ; pour ainsi dire, il n’arrêtait pas de prêcher ses missions qui furent un événement dans toute la Normandie, un événement considérable. Puis, il prêchera d’ailleurs même à la cour de Louis XIV, à Versailles, à Saint-Germain. Et il prêchera à Paris et chaque fois, il a le charisme de la mission, il rassemble des foules innombrables dans ces temps où on n’avait pas de haut-parleur. Quand on songe qu’il rassemblait dans d’immenses prairies 10 000, 15 000 personnes à Valognes. En 1643, il ira jusqu’à 30 000 personnes et ce ne sont pas des chiffres gonflés. Et il parlera avec un enthousiasme conquérant au point que des prêtres seront sollicités, des environs, de venir pour confesser et ce pauvre peuple passera ainsi des jours et des jours à attendre que des prêtres soient là pour les confesser. Trente, cinquante, soixante prêtres passeront leur journée à confesser pendant que saint Jean Eudes prêche [...]. Et c’est comme un nouveau départ, c’est la conversion par cette prédication instante, le peuple est invité à craindre l’enfer, se repentir du péché, prendre une horreur du péché et se confesser, communier et s’engager dorénavant dans une vie toute nouvelle en renouvelant les promesses du baptême ! » (ibid.)

Et voici le secret d’une telle réussite :

« Saint Jean Eudes avait vraiment le charisme de l’apostolat populaire et au lieu d’écrire des livres – il le fera, mais il le fera comme en fin de carrière pour expliquer des choses déjà passées dans la vie quotidienne de ceux qui l’auront suivi –, il a été l’initiateur de la liturgie du Sacré-Cœur et du Cœur de Marie. Il faisait prier, il apprenait des prières, des prières en forme de litanies qu’il faisait répéter lors de ses missions et ainsi, il éveillait les cœurs. Non seulement l’esprit était touché par les grandes vérités chrétiennes, mais tout de suite il était préoccupé de faire vivre les gens dans cette atmosphère de dévotion.

« Et c’est ainsi qu’il aura l’idée, de faire une fête du Cœur de Marie [...]. Nous savons le secret de saint Jean Eudes, à quel point il se sentait lié à la Vierge par ses liens très surnaturels et très extraordinaires, liens de mariage mystique pour ainsi dire, nous comprenons que lorsqu’il s’est attaché au Cœur de Marie, cela a été avec une passion, avec une ardeur à nulle autre pareille.

« C’est vers 1641 vraisemblablement, dès la fondation de son refuge de Notre-Dame de Charité qu’il a cette inspiration du ciel, d’avoir une dévotion pour le Cœur de Marie. C’est un organe physique, c’est ce Cœur physique de Marie. C’était vraiment la première fois qu’on avait une sorte de localisation des richesses spirituelles les plus intimes de la Vierge Marie. Au lieu de l’honorer dans sa personnalité totale, on l’honorait dans ce Cœur, cet organe qui bat et qui bat selon l’ardeur des sentiments, avec beaucoup plus de fébrilité dans les moments de grand amour, eh bien, c’est ce Cœur physique de Marie que saint Jean Eudes se sent invité par le ciel à honorer d’un culte spécial. Il fait une messe, il invente une messe : introït, oraison, épître, évangile et, comme c’était permis dans ce temps-là, il fait agréer sa messe par un évêque, l’évêque d’Autun.

« Et en 1648, pour la première fois, on célèbre la fête du Cœur de Marie le 8 février, parce que c’est un mois où il n’y a pas trop de fêtes, on peut fêter l’octave, pendant huit jours, se réjouir et on chante le Cœur de Marie.

« Alors, il est extraordinairement satisfait de cette dévotion qui va d’ailleurs se répandre énormément. Paray-le-Monial est du diocèse d’Autun. Les visitandines de Paray-le-Monial qui sont créées depuis peu de temps célèbreront cette fête et elle va se répandre très vite dans la France, malgré de très, très sévères oppositions de certains docteurs de Sorbonne, de certains théologiens reprochant ce qu’on appellera avec ironie : le “ cordicolisme ”, le culte du Cœur. On considérera que le Cœur est un organe comme n’importe quel autre organe du corps et qu’on ne va pas commencer ce culte bizarre de vénérer n’importe quel organe du corps de la Vierge Marie ou de Jésus. Erreur profonde ! L’Église se déclarera finalement favorable à la nouvelle dévotion de saint Jean Eudes et les papes canoniseront saint Jean Eudes. Pie X le déclara Bienheureux en disant qu’il est l’auteur du culte liturgique des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, que personne ne pourra lui ôter cet honneur. Et le déclara le Père, le Docteur et l’Apôtre du culte liturgique de ces Cœurs Sacrés. » (ibid.)

Ainsi concluait notre Père :

« Nous entrons dans la dévotion, mais une dévotion ardemment amoureuse et qui réchauffera le dix-septième siècle, ce qui sera bien nécessaire après le caractère desséchant de l’hérésie calviniste et avant et pendant l’autre dessèchement du jansénisme. Et le jansénisme considérera saint Jean Eudes comme son principal ennemi. » (ibid.)

Saint Jean Eudes ne s’arrêta pas là, car explique-t-il, le Cœur de Marie et le Cœur de Jésus sont intimement mêlés : « Ne savez-vous pas que c’est Jésus qui a fait le Cœur de Marie tel qu’il est et qui a voulu en faire une fontaine de lumière, de consolation et toutes sortes de grâces pour tous ceux qui auront recours dans leurs nécessités ? Ne savez-vous pas que non seulement, Jésus est résident et demeurant continuellement dans le Cœur de Marie, le Cœur de son Cœur et l’âme de son âme, mais qu’il est lui-même le Cœur de Marie, le Cœur de son Cœur et l’âme de son âme et qu’ainsi venir au Cœur de Marie, c’est venir à Jésus ? Honorer le Cœur de Marie, c’est honorer Jésus. Invoquer le Cœur de Marie, c’est invoquer Jésus. » (Saint Jean Eudes, Le Cœur admirable 2, 5)

C’est ainsi que l’amour du Cœur de Marie conduisit saint Jean Eudes vers 1660 à la composition d’un office qu’il achèvera vers 1669-1670, pour célébrer le Sacré-Cœur de Jésus. Il le prêcha, aux petits comme aux grands, car il voulait non seulement le culte liturgique, mais encore public et avec toutes ses implications sociales. Saint Jean Eudes obtiendra de nombreuses approbations épiscopales comme le pape François l’a expliqué, pour cet office dès avril 1670.

Parmi ces évêques, Mgr de La Vieuville, évêque de Rennes, qui permit la célébration solennelle de cet office, le 31 août 1670, dans la chapelle du séminaire eudiste de cette ville, fondé peu de temps auparavant. La chapelle fut trop petite pour contenir la foule de Rennais qui s’y précipita pour honorer le Sacré-Cœur de Jésus.

Puis en juillet 1672, saint Jean Eudes adressa une lettre circulaire aux prêtres de la Congrégation de Jésus et Marie, dans le but de les enjoindre à célébrer dorénavant cet office du Sacré-Cœur chaque année. Cette lettre traduit l’enthousiasme extraordinaire de notre saint : « La divine Providence, qui conduit toutes choses avec une merveilleuse sagesse, a voulu faire marcher la fête du Cœur de la Mère avant la fête du Cœur du Fils, pour préparer les voies dans les cœurs des fidèles à la vénération de ce Cœur adorable, et pour les disposer à obtenir du Ciel la grâce de cette seconde fête, par la grande dévotion avec laquelle ils ont célébré la première. Car, encore que celle-ci ait été combattue d’abord par l’esprit du monde, qui ne manque jamais de s’opposer à ce qui procède de l’Esprit de Dieu, [...] il y a lieu d’espérer qu’elle se célébrera un jour très solennellement par tout l’univers.

« Quel cœur plus adorable, plus admirable et plus aimable que le Cœur de cet Homme-Dieu qui s’appelle Jésus ? Quel honneur mérite ce Cœur divin qui a toujours rendu et rendra éternellement à Dieu plus de gloire et d’amour, en chaque moment, que tous les cœurs des hommes et des Anges ne lui en pourront rendre en toute l’éternité ? Quel zèle devons-nous avoir pour honorer ce Cœur auguste qui est la source de notre salut, qui est l’origine de toutes les félicités du ciel et de la terre, qui est une fournaise immense d’amour vers nous, et qui ne songe, nuit et jour, qu’à nous faire une infinité de biens. Et qui enfin est crevé de douleur, pour nous en la croix. » (Saint Jean Eudes, Lettre circulaire du 29 juillet 1672)

Ainsi, saint Jean Eudes prépare directement les voies aux révélations de Paray-le-Monial. L’année suivante, en décembre 1673, Notre-Seigneur commençait à se révéler à sainte Marguerite-Marie, et lui demandera en 1675, précisément l’instauration de la fête liturgique de son Sacré-Cœur.

SAINT FRANÇOIS DE SALES.

Le Pape poursuit son exposé de l’histoire de la dévotion, et ouvre un chapitre sur saint François de Sales. C’est un peu fâcheux qu’il ait placé saint Jean Eudes avant, car ce dernier dépend beaucoup de la spiritualité de saint François de Sales, que le Pape va maintenant exposer... mais à la manière dont Fénelon s’en est servi pour se justifier en face de Bossuet. C’est-à-dire en tirant dans le sens de son quiétisme des citations de saint François de Sales dont il voulait se couvrir de l’autorité.

Ainsi : « On peut voir dans la pensée de ce saint Docteur comment, face à une morale rigoriste et à une religiosité de simple observance, le Cœur du Christ se présente comme un appel à la pleine confiance en l’action mystérieuse de sa grâce. Il l’exprime ainsi dans une proposition à la Baronne de Chantal : “ Il m’est bien d’avis que nous ne demeurerons plus en nous-mêmes [...] nous nous logerons pour jamais dans le côté percé du Sauveur ; car, sans lui, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire. ” (lettre à la baronne de Chantal, 24 avril 1610) » ( n° 114)

Le Pape ne donne pas d’explications sur ce billet de saint François de Sales, écrit à la veille de la fondation de la Visitation le 6 juin 1610. C’est dommage, car il va manquer une dimension à son exposé de la dévotion au Sacré-Cœur selon le docteur de l’Amour.

Notre Père remarquait : « Depuis longtemps, saint François de Sales faisait allusion à la dévotion au Cœur de Jésus et à sa manière, d’une manière tout à fait vivante et palpitante, selon la grande tradition, déjà initiée par sainte Mechtilde et d’autres saintes, sainte Gertrude, au Moyen Âge : le Cœur de Jésus considéré comme un abri pour les âmes, comme un temple où il faisait bon s’abriter. » (Frère Georges de Jésus-Marie, Saint François de Sales et son extraordinaire vocation, retraite de l’automne 1995)

Ici, au beau milieu des tracas divers et variés de l’imminence de la fondation de la Visitation, saint François de Sales dit à la baronne de Chantal, que l’important n’est pas qu’elle arrive à Annecy, mais oui bien que lui et elle se logeront dans le Sacré-Cœur de Jésus, pour y faire son œuvre : « Il m’est bien d’avis que nous ne demeurons plus en nous-mêmes, et que, de cœur, d’intention, de confiance, nous nous logerons pour jamais dans le côté percé du Sauveur ; car sans lui, non seulement nous ne pouvons, mais quand nous pourrions, nous ne voudrions rien faire. Tout en lui, tout par lui, tout avec lui, tout pour lui, tout lui. » (lettre à la baronne de Chantal, 24 avril 1610)

« Voilà donc cette spiritualité du Sacré-Cœur de Jésus qui prend une place considérable d’année en année dans leur relation, dans leurs écrits et dans leur enthousiasme fervent dans le service de Dieu. » (retraite de l’automne 1995)

Le Pape poursuit : « Pour lui, la dévotion est loin de devenir une forme de superstition ou une objectivation indue de la grâce ; elle est une invitation à la relation personnelle où chaque personne se sent unique devant le Christ, prise en compte dans sa réalité irremplaçable, pensée par le Christ et valorisée de manière directe et exclusive [...]. Le nom propre écrit dans le Cœur du Christ est la manière dont Saint François de Sales veut symboliser jusqu’à quel point l’amour du Christ pour chacun n’est pas générique ni abstrait, mais personnel, où le croyant se sent valorisé et reconnu pour lui-même. »

Que ce retour sur soi est affreux ! au plus loin de la pensée de saint François de Sales que le Pape cite pourtant ici, écrivant à sa fille chérie aux jours de la fête de l’Ascension 1612 : « Que ce Ciel est beau maintenant que le Sauveur y sert de soleil, et la poitrine d’icelui d’une source d’amour de laquelle les bienheureux boivent à souhait ! Chacun se va regarder là-dedans et y voit son nom écrit d’un caractère d’amour que le seul amour peut lire, et que le seul amour a gravé. Dieu, ma chère fille, les nôtres n’y seront-ils pas ? Si seront sans doute ; car bien que notre cœur n’a pas l’amour, il y a néanmoins le désir de l’amour. » ( n° 115 citant la lettre du 31 mai 1612) Le Pape interrompt ici, mais saint François de Sales poursuivait : « Car bien que notre cœur n’a pas l’amour, il y a néanmoins le désir de l’amour et le commencement de l’amour. Et le sacré Nom de Jésus n’est-il pas écrit en nos cœurs ? Il m’est avis que rien ne le saurait effacer. Il faut donc espérer que le nôtre sera écrit réciproquement en celui de Dieu. Quel contentement quand nous verrons ces divins caractères marqués de notre bonheur éternel ! » (lettre à Mme de Chantal du 31 mai 1612)

Le Pape continue dans sa ligne, de considération et de valorisation de l’homme par le Sacré-Cœur : « Il [saint François de Sales] considère cette expérience comme fondamentale pour une vie spirituelle qui place cette conviction parmi les grandes vérités de la foi » ( n° 116), avec pour appui une lettre de saint François de Sale, de 1618, à une autre de ses filles, la sœur Marie-Aimée de Blonay, alors maîtresse des Novices à Lyon : « Oui, ma très chère fille, Il pense en vous ; et non seulement en vous, mais au moindre cheveu de votre tête : c’est un article de foi et n’en faut nullement douter. » ( n° 116, citant la lettre du 18 février 1618)

Et saint François de Sales, dans la suite de cette même lettre répond au Pape (qui ne l’a pas cité !), avec son charme habituel : « Et que Dieu vous regarde avec amour, vous n’avez nul sujet d’en douter ; car il voit amoureusement les plus horribles pécheurs du monde, pour peu de vrai désir qu’ils aient de se convertir. Et dites-moi, ma très chère fille, n’avez-vous pas intention d’être à Dieu ? Ne voudriez-vous pas le servir fidèlement ? Et qui vous donne ce désir et cette intention, sinon lui-même en son regard amoureux ? D’examiner si votre cœur lui plaît, il ne le faut pas faire ; mais oui bien, si son Cœur vous plaît : et si vous regardez son Cœur, il sera impossible qu’il ne vous plaise ; car c’est un Cœur si doux, si suave, si condescendant, si amoureux des chétives créatures, pourvu qu’elles reconnussent leur misère ; si gracieux envers les misérables, si bon envers les pénitents ! et qui n’aimerait ce cœur royal paternellement maternel envers-nous ? » (lettre à sœur Marie-Aimée de Blonay, du 16 février 1618)

Le Pape en arrive au point crucial : « La conséquence est que le croyant devient capable de s’abandonner complètement dans le Cœur du Christ où il trouve repos, consolation et force. » ( n° 116) Nous frôlons le quiétisme ? Avec les seuls extraits donnés par le pape François, ça y ressemblerait beaucoup. Mais les citations de saint François de Sales apportées ici encore par le Pape sont magnifiques et dévoilent plutôt quelque peu le secret de la vocation de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal que notre Père a si bien mise en lumière :

« Ô Dieu ! Quel bonheur d’être ainsi entre les bras et les mamelles du Sauveur [...]. Demeurez ainsi, chère fille ; et comme un autre petit saint Jean, tandis que les autres mangent à la table du Sauveur diverses viandes, reposez et penchez par une toute simple confiance votre tête, votre âme, votre esprit sur la poitrine amoureuse de ce cher Seigneur. » ( n° 116 citant la lettre à la baronne de Chantal, fin novembre 1609)

Et encore : « J’espère que vous serez dans la caverne de la tourterelle et au côté percé de notre cher Sauveur [...]. Que ce Seigneur est bon, ma chère fille, que son cœur est aimable ! Demeurons là en ce saint domicile. » ( n° 116 citant la lettre à la baronne de Chantal, vers le 25 février 1610)

Tout cela est fort aimable et admirable. Ce qu’il faut comprendre, c’est un “ secret ” que le Pape n’ose pas dire, s’il le comprend, ce qui n’est pas certain, c’est que ce “ saint domicile ”, le Cœur de Jésus, est le lieu où saint François de Sales retrouve sainte Jeanne de Chantal. C’est le lieu de leur union spirituelle voulue par Dieu, en vue d’une œuvre qu’ils ont à entreprendre tous les deux, la fondation de la Visitation, et qui ne sera pas de tout repos ! pour la gloire du Sacré-Cœur précisément.

Voici des extraits plus larges de cette lettre, que le Pape vient de citer, qui éclairent la pensée de notre saint :

« Je ne sais où vous serez ce Carême selon le corps ; selon l’esprit, je crois que vous serez dans la caverne de la tourterelle, et au côté percé de notre cher Sauveur : je veux bien m’essayer d’y être souvent avec vous ; Dieu par sa souveraine bonté nous en face la grâce ! Hier je vous vis, ce me semble, que, voyant le côté de Notre-Seigneur ouvert, vous vouliez prendre son cœur pour le mettre dans le vôtre, comme un Roi dans un petit royaume ; et, bien que le sien soit plus grand que le vôtre, si est-ce qu’il le raccourcirait pour s’y accommoder. Que ce Seigneur est bon, ma très chère Fille ! que son Cœur est aimable ! Demeurons là en ce saint domicile ; que ce Cœur vive toujours dans nos cœurs, que ce Sang bouillonne toujours dans les veines de nos âmes [...].

« Mon Dieu, ma très chère fille, que je sens tendrement et ardemment le bien et le lien sacré de notre sainte unité ! J’ai fait un sermon ce matin tout de flammes, car je l’ai bien connu ; il le vous faut dire à vous. Mon Dieu, que je vous souhaite de bénédiction ! Mais vous ne sauriez pas croire comme je suis pressé à l’autel de vous recommander plus que jamais à Notre-Seigneur... » (lettre à sainte Jeanne de Chantal, vers le 25 février 1610)

Il est très visible ici que saint François de Sales ne vise pas un repos en Dieu. Mais au contraire, cette amitié très singulière pour sainte Jeanne de Chantal de par la volonté de Dieu, décuple son courage, son apostolat pour “ sa diocèse ”.

« Cette rencontre, lors du carême de 1604 à Dijon, et cette union voulue par Dieu, sous les yeux même de Dieu, saint François et sainte Jeanne-Françoise vont y trouver le point de départ d’une nouvelle vie. Elle va changer la vie, l’être profond, l’apostolat de notre saint, de l’ordre même de Dieu.

« On peut le dire, après plus de quatre cents ans, la signification de son existence et sa place dans le dessein divin, dans l’orthodromie de l’Église, catholique, romaine, vient de là.

« C’est-à-dire que c’est cet événement-là qui a mis saint François de Sales sur orbite, comme on dit maintenant, qui l’a placé dans le monde de la multitude des myriades des saints et des anges, à sa place à lui, déclaré docteur de l’Église par Pie IX, pour nous enseigner quelque chose de particulier.

« Cette nouveauté consistait dans une sorte d’épanchement mystérieux, miraculeux de l’Amour même de Dieu dans le cœur de saint François de Sales, afin que découlant de ce cœur, ce torrent d’amour passe dans le cœur de sainte Jeanne de Chantal et par elle à d’autres. Je ne dis pas forcément par elle, par son apostolat personnel à elle, mais par sa médiation, je ne trouve pas d’autre mot, par sa coopération à la grâce reçue par saint François, et de saint François à elle.

« Pour vous dire mon avis, je pense que cette amitié-là fait de saint François, comme avait jugé saint Vincent de Paul, la singulière image de Jésus-Christ lui-même. Ce n’est pas rien... » (Frère Georges de Jésus-Marie, Saint François de Sales et son extraordinaire vocation, retraite de l’automne 1995)

Très loin de la pensée de cette orthodromie, le Pape poursuit cependant son idée de quiétude en Dieu, mais qui n’est pas grand-chose en regard de la sainteté de saint François de Sales, en remarquant cependant très justement : « Mais, fidèle à son enseignement sur la sanctification dans la vie ordinaire, il propose que cela soit vécu au milieu des activités, des tâches et des devoirs quotidiens : “ Vous me demandez comment les âmes qui sont attirées en l’oraison à cette sainte simplicité et ce parfait abandonnement à Dieu se doivent conduire en toutes leurs actions ? Je réponds que, non seulement en l’oraison, mais en la conduite de toute leur vie, elles doivent marcher invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute leur âme, leurs actions et leurs succès au bon plaisir de Dieu, par un amour de parfaite et très absolue confiance, se délaissant à la merci et au soin de l’amour éternel que la divine Providence a pour elles. ” » ( n° 117 citant le 12e entretien de saint François de Sales avec les sœurs visitandines)

Voilà, le but du Pape est atteint : absolue confiance, abandon. C’est bien vrai que saint François de Sales prône cette confiance, ce repos dans le Sacré-Cœur. Mais pour sûr que c’est après avoir fait son gros possible ! Saint François, si doux et humble, n’est pas un quiétiste, et l’extrait cité par le Saint-Père ici est en réalité pris au milieu de tant de considérations très pratiques de saint François de Sales sur l’humilité et la simplicité des bonnes religieuses, toujours aussi savoureux, par exemple : « Alors, nous serons toutes détrempées en douceur et suavité envers nos Sœurs et les autres prochains, car nous verrons ces âmes-là dans la poitrine du Sauveur. Hélas ! qui regarde le prochain hors de là, il court fortune de ne l’aimer ni purement, ni constamment, ni également ; mais là, qui ne l’aimerait, qui ne le supporterait, qui ne souffrirait ses imperfections, qui le trouverait de mauvaise grâce, qui le trouverait ennuyeux ? » (12e entretien de saint François de Sales avec les sœurs visitandines)

Enfin, le Pape conclut ce chapitre salésien : « Pour toutes ces raisons, lorsqu’il s’agit de penser à un symbole qui puisse résumer sa proposition de vie spirituelle [sic !], il conclut : J’ai pensé, ma chère Mère, si vous en êtes d’accord, qu’il nous faut prendre pour armes un unique cœur percé de deux flèches enfermé dans une couronne d’épines ” ». ( n° 118)

Le Pape a interrompu ici la description de saint François de Sales. Mais notre Père a expliqué ce merveilleux billet du 10 juin 1611 (cf. encart ci-après).

LE TRÈS UNIQUE CŒUR DE SAINT FRANÇOIS 
DE SALES ET SAINTE JEANNE DE CHANTAL

VOILÀ donc cette spiritualité  du Sacré-Cœur de Jésus qui prend une place considérable d’année en année dans les relations de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal, dans leurs écrits et dans leur enthousiasme fervent dans le service de Dieu.

Or, voici que dans la nuit du 9 au 10 juin 1611 – il avait écrit peu avant : « Notre petite congrégation est un ouvrage du Cœur de Jésus et Marie » –, il reçoit l’inspiration de donner des armoiries à la Visitation, fondée depuis un an. Il écrit le matin même à Mère de Chantal :

« Bonjour, ma très chère Fille, un accommodement qu’il faut faire ce matin entre deux de nos pasteurs de Gex, me prive de la consolation d’aller voir mes plus chères brebis, et de les repaître moi-même du Pain de vie. »

Il y a un différend entre deux des curés des paroisses de Gex où il les a établis, qui sont de son domaine, il est évêque d’Annecy. Il faut qu’il mette la paix entre ces deux hommes. Il ne peut pas venir dire la messe à la Visitation.

« Voilà M. Rolland qui va suppléer à mon défaut ; toutefois il n’est pas assez bon messager pour vous porter la pensée que Dieu m’a donnée cette nuit... »

Plutôt que de dire à M. Rolland : allez leur dire ce que j’ai vu cette nuit, il fait un billet dont il sera porteur. Tout cela est charmant !

« ... que notre maison de la Visitation est, par sa grâce, assez noble et assez considérable pour avoir ses armes, son blason, sa devise et son cri d’armes [comme toute maison de grande noblesse] ; j’ai donc pensé, ma chère Mère, si vous en êtes d’accord, qu’il nous faut prendre pour armes un unique cœur percé de deux flèches, enfermé dans une couronne d’épines, ce pauvre cœur servant dans l’enclavure à une croix qui le surmontera, et sera gravé des sacrés noms de Jésus et de Marie. »

Cet unique cœur, vous le savez maintenant par l’ensemble des lettres que nous avons étudiées ensemble, c’est cet unique cœur de ces deux personnes que Dieu veut unir tellement intimement, non pas de corps, de chair, d’instinct, mais par grâce, en esprit, pour qu’elles ne fassent plus qu’un seul et même cœur. C’est saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal. De cet unique cœur doivent découler des torrents de grâce et de miséricorde.

Ils sont fidèles à ce secret qui est en eux, ce secret qu’il ne fallait pas dire dans l’époque pour ne pas étonner les gens et que maintenant l’Église proclame très ouvertement comme étant le secret d’un docteur de l’Église, saint François de Sales est docteur de l’Église, désigné pour tel par le pape Pie IX, et sainte Jeanne de Chantal est une des plus grandes saintes de notre histoire.

Donc, il faut bien comprendre ces choses à peine croyables : qu’il vit comme « un unique cœur percé de deux flèches », et les deux flèches, ici, indiscutablement, ce sont les deux grands sacrifices qu’ils ont faits, chacun pour son compte. Elle, en s’enfermant dans ce monastère de la Visitation et lui en supportant beaucoup d’épreuves de sa vie d’évêque.

« ... ce pauvre cœur servant dans l’enclavure [à la jonction de ses deux parties] à une croix qui le surmontera, et sera gravé des sacrés noms de Jésus et Marie [c’est la croix dans la vie]. Ma Fille, je vous dirai à notre première vue [quand nous nous retrouverons] mille petites pensées qui me sont venues à ce sujet : car vraiment notre petite congrégation est un ouvrage du cœur de Jésus et Marie [il dit du cœur de Jésus et Marie] ; le Sauveur mourant nous a enfantés par l’ouverture de son sacré cœur. Il est donc bien juste que notre cœur [notre unique cœur] demeure par une soigneuse mortification toujours environné de la couronne d’épines qui demeura sur la tête de notre chef, tandis que l’amour le tient attaché sur le trône de ses mortelles douleurs. »

Tout cela est une allégorie représentant les différents aspects de leur vie mystique.

« Bonjour encore, ma Fille, j’aperçois entrer nos plaideurs [ce sont les deux curés qui veulent discuter !] qui viennent interrompre la paix de mes pensées. »

Interprétation DE CETTE VISION.

C’était le 10 juin 1611 et l’historien note que c’était un vendredi. Ce vendredi était le lendemain de l’octave de la Fête-Dieu. Cela ne vous dit rien ? Il se trouve que Jésus désignera, soixante ans plus tard, ce jour pour être la fête de son Sacré-Cœur à sainte Marguerite-Marie.

Il y a là quelque chose de tout à fait remarquable, c’est lorsque sainte Marguerite-Marie recevra ses visions, il se trouve qu’elle verra dans ses visions, en 1688, une figuration analogue à ce que saint François de Sales avait vu dans ce songe de 1611.

Or, si j’ai fait ce rapprochement entre la vision, ou le rêve de saint François de 1611, et la vision de 1688 de sainte Marguerite-Marie, c’est pour une raison surprenante :

J’ai là sous les yeux, l’image, qui sur les conseils, les indications de sainte Marguerite-Marie, a été faite à la Visitation de Paray-le-Monial ; l’image représentant le Cœur de Jésus, répondant donc à ses indications à Lui. Il a montré cette image de son Cœur et il a demandé à la sainte qu’elle en fasse faire une reproduction et que cette reproduction reçoive les hommages de la communauté des visitandines de Paray-le-­Monial, ce à quoi on mit beaucoup d’obstacles, et qu’elle devienne l’objet d’une célébration liturgique du Sacré-Cœur de Jésus, dans l’octave du dimanche de la Fête-Dieu.

Ce Sacré-Cœur, dessiné à la plume par sainte Marguerite-Marie, en 1685, curieusement, répond, point pour point, au songe de saint François de Sales. De deux choses l’une : ou bien la sainte connaissait cette lettre de saint François de Sales – c’est rarement croyable, mais c’est possible tout de même –, et c’est en s’inspirant de ce que saint François avait vu et avait commandé à sa Philothée, à sa fille spirituelle de mettre dans son cœur, c’est selon ces indications de saint François de Sales que sainte Marguerite-Marie aurait dessiné ce Cœur. Il est surmonté d’une Croix, il est frappé de deux lances ou de deux poinçons, il est entouré d’une couronne d’épines, il est surmonté des noms de Jésus et Marie, et de Joseph. Donc, il y a une ressemblance entre les deux choses.

Mais – et c’est là ma conclusion –, quand saint François de Sales a eu cette vision, ce cœur, cet unique cœur, percé de deux flèches, enfermé dans une couronne d’épines ; ce pauvre cœur servant dans l’enclavure à une croix qu’il surmontera et sera gravé des sacrés noms de Jésus et Marie, c’est, dans le secret de saint François et de sainte Jeanne-Françoise de Chantal, leur propre cœur. C’est la présentation de ce cœur unique que Dieu a voulu constituer de leurs deux cœurs, de telle manière que dans certaines représentations, on marque bien ces deux côtés du cœur qui sont comme séparés et ces deux parties constituent, à elles deux, un seul cœur.

Donc, entre cet homme très saint et cette femme très sainte, il y a une union spirituelle par laquelle ils ne font plus qu’un seul cœur tout à l’honneur du Cœur de Jésus.

Soixante ans plus tard, le Cœur de Jésus demande que cette même image soit reproduite, mais pour désigner son propre Cœur, afin probablement, que tout l’amour qui a existé entre sainte Jeanne de Chantal et saint François de Sales, amour qui s’est répandu dans une correspondance qui est tout à fait admirable et sanctionnée par l’Église qui les a canonisés l’un et l’autre, nous montre à quel point l’amour fraternel qui nous rassemble, l’amour de l’époux pour l’épouse, l’amour du prochain pour le prochain, cet amour-là est pour ainsi dire, constitutif de l’Amour de Jésus dans son Sacré-Cœur et, passant de l’Amour de Jésus dans son Sacré-Cœur à l’amour du prochain, nous ayons le sentiment que c’est le même torrent d’Amour de Dieu qui se répand de Jésus et Marie jusqu’en nous, et de telle manière que nous soyons, d’une part, très portés à aimer notre prochain, même le plus déjeté, même le plus disgracié, même le plus hostile, le plus pauvre, que nous soyons portés à l’aimer parce qu’il est déjà dans le Cœur de Jésus, tout renfermé, comme nous le voyons sur ces images.

Mais d’autre part, ce prochain, dans la mesure où il nous est extrêmement aimable, comme saint François de Sales et sainte Jeanne de Chantal l’ont été pour nous pendant toute cette semaine, avec une admiration, un enthousiasme, une ferveur ! que cet amour du prochain, tout à fait naturel et surnaturel, nous conduise à aimer Jésus et Marie de la même manière.

Comprenons que cet amour qui va d’eux jusqu’à nous remonte à sa source, en Dieu.

Voilà, mes bien chers frères, comment, il me semble, nous pouvons parler de la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus en sachant que ce Cœur même renferme le même mystère, que le Cœur de Jésus et le Cœur de Marie Immaculée n’en font qu’un et qu’il est bon que nous ayons la dévotion du Cœur unique, très unique, comme dit saint Jean-Eudes : le Cœur très unique de Jésus et de Marie et que pour nous représenter ce que peut être l’Amour de ce Jésus et de cette Vierge Marie, qui ne font qu’un seul et même Cœur, nous ayons cette image de l’amour mutuel de saint François de Sales, tellement pur, tellement angélique, et de Jeanne-Françoise de Chantal et que cela nous apprenne à nous les uns et les autres, à ne plus faire qu’un même cœur.

(Conclusion de la retraite de l’automne 1995, Saint François de Sales et son extraordinaire vocation, par frère Georges de Jésus-Marie.)

Le pape François est resté sur le seuil de ce secret de l’Unique Cœur de Jésus et Marie.

Mais pour nous, Petits frères du Sacré-Cœur, l’exposé qu’il a fait jusqu’ici de la dévotion au Sacré-Cœur dans l’ « histoire de la foi chrétienne », ces citations abondantes des saints bien sélectionnés, nous ont été l’occasion d’apprendre de notre Père le dessein du Sacré-Cœur, de le méditer à son école. C’est le tout de notre religion en définitive.

Le Pape, lui, choisit, coupe, retranche finalement une partie du mystère. Il semble ne lui rester qu’un vague sentiment idéal de repos en Dieu qui nous offrirait sa miséricorde... mais dénuée d’objet, puisque la réalité du péché est effacée, tout comme celle du Précieux Sang rédempteur.

Mais qu’est-ce alors que cette religion fortement teintée de quiétisme en regard de la participation active au dessein de Passion et de Compassion du Cœur de Jésus et Marie qui ont précisément voulu se rendre plus accessible spécialement en nos temps modernes, ceux de la grande apostasie ?

Ah ! « il faut beaucoup prier pour le Saint-Père ! » (à suivre).

frère Sébastien du Cœur de Marie Immaculée.