9 JUIN 2024

La parenté de Jésus

SA mère et ses frères étaient descendus à Capharnaüm et se tenaient à l’entrée de la maison où il enseignait. Ils le demandaient, dans une attitude semblable à celle du fils aîné de la parabole de l’enfant prodigue, pleins d’étonnement et prêts à le réprimander de se livrer ainsi à la foule : « Les siens, l’ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car on disait : il a perdu le sens ».

Jésus ne se lève pas pour aller à eux mais, posant son regard sur ceux qui se pressaient autour de lui, il répond à celui qui l’informait : « Voici ma mère et mes frères. Car quiconque écoute la parole de Dieu et la met en pratique, c’est lui qui est mon frère, ma sœur et ma mère ! » Ainsi Jésus rompt avec sa famille terrestre et nous adopte tous de plein cœur par ces simples et douces paroles !

Celui qui devait bientôt exiger de ses disciples qu’ils laissent tout pour le suivre, père, mère, épouse, enfants, celui-là devait nous en donner d’abord l’exemple : « Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aura trouvé son bonheur le perdra et qui l’aura perdu à cause de moi le retrouvera. Qui ne prend pas sa croix et ne vient pas à ma suite n’est pas digne de moi ».

Que Jésus ait ainsi laissé les cousins et les voisins de Nazareth, incrédules, venus là pour le ramener au village comme un égaré, nous le comprenons encore, mais sa Mère était du nombre ! Elle se tenait dehors avec les siens qui le demandaient, et lui n’a pas bougé. C’est un grand mystère que les rapports de ces deux âmes.

Nous devinons entre elles le secret d’un commun renoncement, car nul fils ne quitte sa mère sans un déchirement de leurs cœurs. Quand elle est emmenée par sa parenté à Capharnaüm chercher Jésus, la Vierge ne songe pas à réprimander son fils, elle ne demande rien pour elle... Celle que l’Ange a saluée comme pleine de grâces, celle que sa cousine a chantée comme bénie entre toutes les femmes parce qu’elle avait cru à la parole de son Seigneur, celle-là avait trop confiance en son enfant pour le reprendre en rien ni le solliciter pour elle-même ! Simplement l’un et l’autre ont souffert dans leur cœur de chair, de n’être rapprochés que pour se renoncer une nouvelle fois.

La séparation de Jésus d’avec sa Mère n’est pas pour autant un désaccord. Il est impensable qu’elle signifie la moindre réticence, la moindre humiliation imposée par un tel Fils à une telle Mère ! Loin de là... En nous dissuadant d’envier sa Mère et ses frères pour nous faire découvrir cette autre parenté de la grâce qu’il est venu instaurer avec l’humanité, Jésus ne souligne-t-il pas pour son Église le vrai sens et le secret de la maternité divine de Marie ? Renversant nos conceptions, ne nous apprend-il pas l’ordre providentiel où la créature sanctifiée est appelée de son plein gré et par sa docilité attentive à entrer elle-même dans l’intimité de Dieu ?

Marie a écouté la parole de Dieu et l’a gardée en son cœur jusqu’au jour où il lui a été donné pour cela de former encore de sa chair et de nourrir de son propre sein cette Parole Incarnée. « La volonté de mon Père est que vous portiez du fruit, en abondance », disait Jésus et la Vierge demeure à jamais l’incomparable exemple de cette fécondité. Elle a été d’abord la servante du Verbe en esprit, l’incarnation n’a été que la manifestation dans la chair de cette fidélité du cœur.

Sa fidélité intérieure a valu à sa chair virginale son fruit de gloire. C’est la sainteté de l’âme et la docilité aimante de l’esprit qui l’ont attiré où il est descendu. Toi donc, ne convoite plus le sort des autres mais rivalise avec eux de docilité et d’amour, si tu crois à la parole qui t’est annoncée, tu partageras avec celle-ci que tu honores les mêmes grâces et les mêmes privilèges...

« Ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent », ce disant, l’enfant grandi à Nazareth devait faire retour sur cette maison bénie, sur ces deux créatures d’exception, qui ne cherchaient pas leur plaisir, ni ne calculaient leur intérêt mais faisaient toutes choses dans le pur mouvement d’une obéissance filiale. Marie et Joseph, ce double exemplaire de la perfection dont la pureté de cœur était si grande que la venue puis la croissance et l’éducation même du fils de Dieu étaient le fruit de leur vie quotidienne !

Peut-être saurez-vous prolonger vous-mêmes cette méditation pour y trouver d’inépuisables trésors de joie et de lumière. Vous découvrirez cette pesanteur surnaturelle de la vie quotidienne accomplie comme une volonté pure de Dieu et, entendant la parole de Jésus, vous penserez qu’il y a encore une place pour vous à Nazareth, qu’il y a pour nous encore une possibilité d’imiter Joseph et Marie, d’entendre et de mettre en pratique la volonté divine et d’être accueillis dans la Sainte Famille comme un nouveau frère, ou une sœur...

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Lettre à mes Amis n° 14 – Mai 1957