Peut-on se fier à l’ancien Testament ?
3. Exode et archéologie : de l’Égypte au Sinaï
LE livre de l’Exode raconte comment les Hébreux quittent l’Égypte sous la conduite de Moïse (Ex 1-15). Ayant traversé la “ mer des Roseaux ”, ils arrivent par étapes au Sinaï (Ex 15-18), montagne sainte où Dieu conclut une alliance avec son peuple (Ex 19-40).
L’archéologie et la géographie conjuguées permettent de reconstituer avec une certaine précision l’itinéraire des Hébreux, et de dater l’Exode de 2 300 ans avant Jésus-Christ. Nous suivons la reconstitution proposée par le Professeur Emmanuel Anati, Har Karkom donnant les preuves suffisantes pour être identifié au véritable Sinaï.
L’EXODE AU 23e SIÈCLE
S’ils sont historiques, les événements racontés dans le livre de l’Exode ont dû laisser des traces dans les textes égyptiens. Or, explique Anati, « un examen attentif de tous les textes sous le Nouvel Empire (1550-1200 av. J.-C.) ne décèle pas la moindre mention d’une fuite d’Asiatiques hors d’Égypte, ni de l’épisode de la “ mer Rouge ”. Une armée chargée de surveiller la frontière, qui laisse passer un groupe d’esclaves fugitifs [« six cents chefs de famille (elef), tous des hommes sans compter leurs familles » (Ex 13, 37)] » sans que rien n’en filtre nulle part ? Voilà pour le moins « un comportement très bizarre » !
Tout s’éclaire cependant si l’on consent à dater ces événements, non pas du treizième siècle avant Jésus-Christ, mais du vingt-troisième, « soit près de dix siècles avant les sources littéraires et épigraphiques sur lesquelles les spécialistes de la Bible ont toujours axé l’essentiel de leurs recherches », continue-t-il.
Pour cette période en effet, les contacts abondent. Par exemple, « sous Pépi Ier (2375-2350 av. J.-C. selon la datation qui nous parait la plus probable), les Égyptiens lancent un certain nombre d’expéditions punitives contre les Asiatiques. Un général du nom d’Ouni immortalise ses campagnes contre les “ habitants des sables ” (ou “ Ceux qui sont sur les sables ”) par un récit à la première personne, dans lequel il évoque des situations comparables à celles que décrit le Livre de l’Exode. » Quitte à les tourner à la gloire d’Ouni plutôt qu’à celle de Moïse et de son Dieu !
L’influence de ces événements historiques s’en ressent sur les mythologies païennes elles-mêmes, ajoute Anati : « Il convient de souligner que les rapprochements entre le Pentateuque et la littérature égyptienne ne sauraient se limiter à la période de Moïse. Il existe également plusieurs éléments analogues dans la période Mésopotamienne. »
L’OPPRESSION DES HÉBREUX
« Un nouveau roi vint au pouvoir en Égypte, qui n’avait pas connu Joseph. Il dit à son peuple : “ Voici que le peuple des Israélites est devenu plus nombreux et plus puissant que nous. Allons, prenons de sages mesures pour l’empêcher de s’accroître, sinon, en cas de guerre, il grossirait le nombre de nos adversaires. Il combattrait contre nous pour, ensuite, sortir du pays. ” » (Ex 1, 8-10)
On trouve un écho de cette préoccupation dans des textes égyptiens datant du règne de Pépi Ier (2332 - 2283 av. J.-C.), c’est-à-dire exactement à la bonne époque selon la nouvelle datation : « Dans la région du delta règnent l’instabilité et la violence, et les étrangers sont devenus les maîtres [...] » C’est une allusion claire à des étrangers qui en sont venus à posséder des terres. (d’après Emmanuel Anati, citant Esodo, tra mito e storia, 1997, p. 246)
LA VOCATION DE MOÏSE
« Ne pouvant le dissimuler plus longtemps, elle prit pour lui une corbeille de papyrus qu’elle enduisit de bitume et de poix, y plaça l’enfant et la déposa dans les roseaux sur la rive du Fleuve. » (Ex 2, 3)
Sargon, fondateur de la ville d’Akkad, en Mésopotamie, vers 2300 av. J.-C., s’attribue la même aventure : « Ma mère, la grande prêtresse, m’a conçu ; en secret, elle m’a mis au monde. Elle m’a déposé dans un panier de roseau, qu’elle recouvrit avec du bitume, elle en a scellé le couvercle. Elle m’a poussé dans la rivière, qui ne s’est pas élevée au-dessus de moi. La rivière m’a emporté et fait passer devant Akki, le porteur d’eau [...] Akki (m’a adopté) comme son fils (et) m’a élevé... » (cité par Anati, ibid., p. 248)
Qui a copié l’autre ? Selon la datation traditionnelle, c’est la Bible qui a copié la légende mésopotamienne, mille ans après. Mais tout change si nous adoptons la nouvelle datation !
Nous trouvons un autre récit parallèle à l’histoire de la fuite de Moïse (Ex 2, 15), dans la littérature égyptienne cette fois, au vingtième siècle avant Jésus-Christ : un récit populaire met là aussi en scène un haut fonctionnaire du nom de Sinouhé, qui doit fuir son pays natal et, comme Moïse, s’exiler...
« Moïse faisait paître le petit bétail de Jéthro, son beau-père, prêtre de Madiân ; il l’emmena par-delà le désert et parvint à la montagne de Dieu, l’Horeb. » (Ex 3, 1)
L’événement capital de la théophanie du Buisson ardent eut lieu « à la montagne de Dieu : l’Horeb », nous dit le texte. Les exégètes ont longtemps pensé que ce nom de “ montagne de Dieu ” lui était donné par anticipation. D’après eux il se serait agi d’une montagne ordinaire, devenue ensuite seulement “ montagne de Dieu ” parce que Dieu y avait conclu son alliance avec son peuple.
Erreur ! Emmanuel Anati a découvert avec son équipe que l’Horeb (ou Sinaï, soit : Har Karkom) avait été dans le passé un grand centre de culte et de pèlerinage, constituant ainsi une véritable montagne sacrée pour le peuple du désert.
En 1992, la mise au jour d’un “ sanctuaire ” paléolithique, âgé d’environ quarante mille ans, prouve que « sa fonction de culte est loin d’être simplement limitée à l’âge du Bronze ; elle est attestée par une succession d’événements et de traditions plurimillénaires, faisant de cette montagne l’un des plus anciens sanctuaires connus, [et même l’] un des premiers témoignages de religiosité humaine. » (Les mystères du mont Sinaï, p. 10-11).
Jéthro, prêtre madianite, fit connaître à son gendre Moïse cette montagne de l’Horeb, qui était déjà sacrée pour les Madianites.
« L’Ange de Yahweh se manifesta à lui dans une flamme de feu, du milieu d’un buisson. Moïse regarda : le buisson était embrasé mais le buisson ne se consumait pas. » (Ex 3, 2)
Les botanistes de l’équipe d’Emmanuel Anati ont inventorié la végétation d’Har Karkom. Il arrive que l’on rencontre, éparpillés ici et là, des buissons rtam plus nombreux dans les ravinements rocheux de la bordure du plateau. Une certaine espèce, qui rappelle notre genêt à balais, atteint deux mètres de haut.
« Je serai avec toi, et voici le signe auquel tu reconnaîtras que ta mission vient de moi... Lorsque tu auras mené le peuple hors d’Égypte, vous rendrez un culte à Dieu sur cette montagne. » (Ex 3, 12)
Sur le chemin qui le conduisait en Égypte, Moïse s’arrêta une nouvelle fois à “ la montagne de Dieu ” où il retrouva Aaron, venu à sa rencontre sur l’ordre de Dieu (Ex 4, 27). La montagne était donc située sur la route que Moïse devait emprunter, à la limite du territoire madianite de la tribu de Jéthro en direction de l’Égypte. Har Karkom répond à ces exigences.
LES PLAIES D’ÉGYPTE
Parmi les nombreuses gravures rupestres qui décorent la « montagne de Dieu », l’une d’elles représente une houlette auprès d’un serpent qui lui ressemble. D’après les idéogrammes sur la gauche, c’est l’illustration graphique du bâton d’Aaron se changeant en serpent (Ex 7, 8-12), instrument des prodiges par lesquels Moïse fit sortir son peuple d’Égypte. (...)
« Au milieu de la nuit, Yahweh frappa tous les premiers-nés dans le pays d’Égypte : le premier-né de Pharaon, qui devait s’asseoir sur son trône, aussi bien que le premier-né du captif dans sa prison, et tous les premiers-nés du bétail. » (Ex 12, 29)
William G. Dever, professeur d’archéologie et d’anthropologie du Proche-Orient à l’université d’Arizona, explique que plusieurs des « plaies » correspondent à des maux auxquels les Égyptiens étaient habitués ; de périodiques infestations de grenouilles, de chauve-souris, de mouches et de sauterelles (plaies 2, 3, 4 et 8), des épizooties décimant les troupeaux (plaie 5) ne sont pas rares dans ces régions, aujourd’hui comme dans l’antiquité. De graves perturbations météorologiques avec inondations subites, tempêtes de grêle, nuées obscures (plaies 7 et 9), caractérisent aussi le dur climat de la Méditerranée orientale. Quant aux ulcères (plaie 6), elles peuvent être rapprochées d’une infection connue et soignée sous le nom de leishmaniose sous-cutanée, provoquée par un parasite transmis par la mouche des sables.
Cependant, ajoute Dever, la dernière plaie (la mort de tous les premiers-nés égyptiens de sexe masculin) ne peut s’expliquer scientifiquement : « Aucune épidémie connue ne saurait se montrer aussi sélective. » (Aux origines d’Israël. Quand la Bible dit vrai, Bayard, 2005, p. 25) Cette dernière plaie montre que derrière toutes les autres, c’était bien Dieu qui intervenait et dirigeait contre les Égyptiens ces catastrophes naturelles.
LE PASSAGE DE LA MER
« “ Dis aux enfants d’Israël de revenir sur leurs pas et de camper devant Pi-Hahirot, entre Migdol et la mer, face à Baal-Cephôn. ” Vous camperez vis-à-vis de ce lieu, dit Yahweh, au bord de la mer. Pharaon se dira : Voici les enfants d’Israël qui errent de-ci de-là dans le pays, le désert s’est refermé sur eux. » (Ex 14, 1-3)
Les noms de lieux définissent avec précision un lieu de campement et un itinéraire.
« Pi-Hahirot » (1) se rapporte à un déversoir, situé sur la côte et donnant vers la mer. Quoique l’exégèse traditionnelle s’entête à indiquer un itinéraire dirigé vers le sud de la péninsule (en direction du monastère Sainte-Catherine), ce nom de Pi-Hahirot suggère une autre direction. Il s’agit non de la mer Rouge, mais de la mer Méditerranée.
« Migdol » correspond à un poste de contrôle où se trouvait une des garnisons égyptiennes contrôlant la route longeant la côte nord. Une multitude en fuite n’aurait pu l’emprunter sans être à la fois repérée et stoppée. C’est pourquoi Dieu ne fait pas prendre à son peuple cette route-là.
« Baal-Cephôn » (2) se situait sur la lagune qui borde la Méditerranée. Cette lagune est un bras ancien du grand delta du Nil, où les joncs, les roseaux et les arbustes des marais abondent : d’où le nom de “ mer des Roseaux ”.
Poursuivis par Pharaon, les Hébreux s’engagèrent donc sur la piste tracée le long du cordon littoral, qui aujourd’hui encore a l’air d’un gué au milieu de la mer. Il s’agit en fait d’une longue et étroite bande de terre, faite d’une suite de dunes et de roches. Les jeeps modernes s’y enlisent ! Ce qui aide bien à imaginer les Égyptiens qui s’y embourbèrent :
« Yahweh enraya les roues de leurs chars, qui n’avançaient plus qu’à grand-peine. » (Ex 14, 25)
En certains points, la bande de terre du littoral s’enfonce un peu sous l’eau. Quelques endroits sont réputés dangereux par suite de la présence de sables mouvants.
Les eaux refluèrent et recouvrirent les chars et les cavaliers de toute l’armée de Pharaon, qui avaient pénétré derrière eux dans la mer. Il n’en resta pas un seul. Les Israélites, eux, marchèrent à pied sec au milieu de la mer, et les eaux leur formèrent une muraille à droite et à gauche. (Ex 14, 28-29)
Il ne s’agit pas, comme on a pu le croire, de la “ mer Rouge ”. D’abord, parce que l’expression biblique se traduit « mer des Roseaux » et que la mer Rouge, au sud de Suez, ne laisse pousser ni joncs ni roseaux. Ensuite, le récit ne parle pas de hauts-fonds de mer, mais d’une chaussée sèche, ininterrompue, flanquée à droite et à gauche par la mer, que les Hébreux parcoururent à pied sec.
L’armée de Pharaon fut donc réduite à l’impuissance par les conditions du terrain, tandis que la tribu, à pied, chargée de ses biens, menant des troupeaux, comptant dans ses rangs des vieillards, des femmes et des enfants, distançait ses poursuivants.
Certes, Anati en vient à faire l’économie d’une intervention divine. Ainsi quand il est question de la nuée ténébreuse qui empêche Égyptiens et Hébreux de se rencontrer, il croit pouvoir interpréter : « Cela semble signifier que les Hébreux connaissaient la route, alors que les Égyptiens erraient dans le noir. » Mais le texte dit tout autre chose ! De même pour le terme de cette poursuite ; force est d’avouer que l’armée égyptienne n’a pas été anéantie par une cause naturelle :
« Yahweh dit à Moïse : “ Étends ta main sur la mer, que les eaux refluent sur les Égyptiens, sur leurs chars et sur leurs cavaliers ”. » (Ex 14, 26)
Nous nous représentons très bien ce raz de marée : il n’y a qu’à penser à un tsunami. Avec cette différence : ici il n’y a pas d’explication naturelle, pas de tremblement de terre, mais seulement la main de Moïse étendue sur la mer, et le regard de Yahweh sur les Égyptiens, semant la confusion dans leur armée.
LA TRAVERSÉE DU DÉSERT
Emmanuel Anati a réussi à retrouver l’itinéraire des Hébreux. Nous ne donnons ici qu’un exemple, celui de Mara (3) :
« Ils parvinrent à Mara dont ils ne purent boire l’eau, tant elle était amère : d’où le nom de Mara donné à ce lieu. Le peuple murmura contre Moïse en disant : “ Qu’allons-nous boire ? ” Moïse cria vers Yahweh, et Yahweh lui montra un morceau de bois. Moïse le jeta dans l’eau, et l’eau devint douce. C’est là qu’il leur fixa un statut et un droit ; c’est là qu’il les mit à l’épreuve. » (Ex 15, 23-25)
Ce site (El-Mura aujourd’hui) est une oasis de verdure au milieu de la morne étendue des dunes. Les rares puits y donnent une eau saumâtre, imbuvable. Mais la végétation abondante laisse voir que les racines des plantes atteignent une nappe souterraine d’eau douce. Il suffit de lire le texte ci-dessus pour reconnaître l’endroit !
Un autre épisode bien connu est celui de la manne :
« Le soir, des cailles montèrent et couvrirent le camp, et au matin, il y avait une couche de rosée tout autour du camp. Cette couche de rosée évaporée, apparut sur la surface du désert quelque chose de menu, de granuleux, de fin comme du givre sur le sol. Lorsque les Israélites virent cela, ils se dirent l’un à l’autre : “ Qu’est cela ? [man hû’ ] ” Car ils ne savaient pas ce que c’était. Moïse leur dit : “ Cela, c’est le pain que Yahweh vous a donné à manger. ” » (Ex 16, 11-15)
De nos jours, les cailles se posent par milliers à la saison de leurs migrations dans le nord du Sinaï. « Par un jour de mai de 1984, raconte Emmanuel Anati, il m’a été donné d’assister à une pluie comparable d’oiseaux migrateurs sur Har Karkom. Ils tombaient par groupes entiers, épuisés par la fatigue et la terrible chaleur. » (La montagne de Dieu, p. 157) Quant aux tamaris à manne (tamaris mannifera) qui poussent dans le lit des oueds, Anati explique qu’ils se couvrent de fleurs jaunes, aux pétales charnus et très comestibles, que les bédouins appellent « manne ». Le vent les arrache souvent en grandes quantités.
Afin de compléter cette explication possible du prodige avancée par l’archéologue, ajoutons qu’on chercherait cependant en vain une cause naturelle à cet apport de vivres quotidien tombant exactement sur le lieu de campement des Hébreux, et en quantité suffisante pour tous les nourrir !
À combien s’élevait le nombre des Hébreux ? Des données archéologiques fournies par Anati et son équipe apportent un élément de réponse à un passage de l’émission « La Bible dévoilée » où on faisait des gorges chaudes sur l’effectif des Hébreux fuyant l’Égypte : « Le récit biblique évoque six cent mille hommes en armes, ce qui représenterait sans doute deux millions d’âmes au total. Peut-on imaginer deux millions de personnes quittant un pays aussi grand que l’Égypte, qui comptait seulement trois millions et demi d’habitants ? Cela aurait provoqué un effondrement économique et social dont l’Empire ne se serait jamais relevé. »
En réalité, si nous nous reportons au texte hébreu, il se traduit ainsi : « Les enfants d’Israël partirent de Ramsès vers Sukkot, au nombre de six cents elef de pied – tous des hommes – sans compter leurs familles. » (Ex 12, 37) Or elef, en hébreu, signifie « mille »... mais aussi « chefs » ! Soit : six cents chefs de famille. Ce qui correspond bien, en termes d’effectif, aux « cinq cent quatre-vingt-trois habitations » dont les archéologues ont pu reconstituer le plan à partir des « vestiges de structures » qui se trouvent... au pied d’Har Karkom. Mais ce n’est pas tout. Au pied de cette montagne, les archéologues ont mis à jour d’autres indices. (...)
Extraits de Peut-on se fier à l’Ancien Testament ? Réponse aux émissions d’Arte : La Bible dévoilée (2).
L’Exode, naissance miraculeuse du Peuple élu
Il est ressuscité ! n° 46, mai 2006, p. 1-20. audio-vidéo : B 57 : Histoire sainte, Histoire vraie, Pentecôte 2007, 4 h 30