Peut-on se fier à l’ancien Testament ?

1. Les travaux d’Emmanuel Anati 
et la chronologie longue de l’Ancien Testament

LE site archéologique de Har Karkom permet non seulement de situer, mais de dater le récit biblique de l’Exode. Il s’ensuit une modification chronologique d’environ 1000 ans par rapport à ce qui était traditionnellement admis. Cette nouvelle chronologie permet d’insérer tous les événements bibliques antérieurs et postérieurs à l’Exode (d’Abraham à David) dans la trame de l’histoire, telle que l’archéologie permet de la reconstituer. À tel point que cette datation ainsi modifiée paraît maintenant un acquis incontournable de l’Histoire sainte.

QUI EST EMMANUEL ANATI ?

Emmanuel Anati
Emmanuel Anati

Rien ne prédisposait cet archéologue italien, spécialiste de la préhistoire, à s’intéresser à la Bible. Il y a été conduit par vingt ans de fouilles sur plus de mille deux cents sites méthodiquement inventoriés par son équipe de chercheurs. Or le site d’Har Karkom, dont il dirigeait la prospection, présentait bien des mystères ; ce mont rocheux avait été jadis, à n’en pas douter, un lieu très religieux entre 4000 et 2000 av. J.-C. Au cours de leurs investigations, l’équipe d’Anati, amenée à ouvrir le Livre de l’Exode, s’est retrouvée face à une incroyable correspondance entre ce qui y était écrit et ce qu’ils avaient observé sur le terrain. Une conformité scientifique suffisante pour l’identifier au véritable Mont Sinaï !

Carte de l’ExodeHar Karkom, la « montagne de safran », culmine à 847 mètres d’altitude. Elle se situe à près de deux cents kilomètres au nord du Djebel Musa (où se trouve le monastère Sainte-Catherine), traditionnellement considéré comme le Sinaï. Or, si le Djebel Musa n’a fourni en réalité aucune preuve de culte antérieur à l’époque byzantine, Har Karkom présente en revanche toutes les caractéristiques nécessaires à son identification avec la Montagne de Dieu dont il est question dans le livre de l’Exode. Cette montagne domine une région connue en hébreu sous le nom de Midbar Paran, c’est-à-dire “ désert de Paran ”, qui répond très exactement au texte que nous lisons dans le livre de l’Exode : (Ex 3, 1). (Pour plus de détails sur le site archéologique d’Har Karkom, voir les sections Exode et archéologie biblique, de l’Égypte au Sinaï et Exode et archéologie biblique, du Sinaï à Cadès-Barné)

Après cette première découverte, l’équipe de chercheurs a continué son enquête sur le terrain, Bible en main, pour finalement réussir à reconstituer tout le parcours de l’Exode. L’hypothèse de travail d’Anati est que les textes se rapportent à des lieux géographiques précis, connus de ceux qui ont rédigé ces récits traditionnels. Pour l’archéologue, les 300 gisements d’objets étudiés à Har Karkom indiquent indéniablement qu’un peuple en migration a bien séjourné sur ces mêmes sites. De là à croire comme vraies toutes les interventions divines racontées dans les Saintes Écritures, Anati affirme que cela quitte son domaine de compétences. Ah, vraiment ? Dans ce cas nous devrons émettre plus loin quelques réserves, quand nous le verrons soudain se déclarer « compétent » pour expliquer certains miracles racontés dans l’Exode... simplement par les seuls phénomènes naturels !

Les conclusions tirées par Anati de son étonnante découverte sont trop peu pour nous. Mais elles en constituent déjà trop pour les exégètes modernistes, qui dénient a priori et catégoriquement tout fondement historique au récit de la Bible. C’est pour cette raison que les travaux d’Anati restent encore aujourd’hui très peu connus, entourés par un silence entendu dans le monde de la science biblique.

LA CHRONOLOGIE LONGUE DE L’ANCIEN TESTAMENT

La découverte révolutionnaire d’Anati permet non seulement la localisation du Sinaï, mais conduit aussi, suite à l’identification de l’âge des objets recensés, à une modification de la chronologie conventionnelle de l’Ancien Testament, et donc à une nouvelle datation de l’Exode, comme suit :

(2750 av. J.-C.) : Alliance avec les patriarches fondateurs du peuple d’Israël : Abraham, Isaac et Jacob.

(2250 av. J.-C.) : Alliance avec le peuple d’Israël, sorti d’Égypte cinq cents ans plus tard, sous la conduite de Moïse.

(1000 av. J.-C.) : Alliance avec David, le roi d’Israël ancêtre du Messie, qui paraîtra 1000 ans plus tard.

     Cette nouvelle chronologie (appelée « chronologie longue ») basée sur des données archéologiques diffère donc de celle communément admise par un décalage de 1000 ans pour les événements se référant à Abraham et à Moïse. La chronologie traditionnelle, dite « chronologie courte » se basait sur l’interprétation du verset suivant du livre de l’Exode :

« On imposa donc à Israël des chefs de corvée pour lui rendre la vie dure par les travaux qu’ils exigeraient. C’est ainsi qu’il bâtit pour Pharaon les villes entrepôts de Pitom et de Ramsès. » (Ex 1, 11)

Ramsès, capitale de l’Égypte au nord du delta, prit ce nom sous le règne de Ramsès II. La ville ayant été rebaptisée sous le nom de Ramsès après 1300 av. J.-C., l’interprétation conventionnelle situait l’Exode postérieurement à cette date. Or les archéologues n’ont trouvé aucun vestige de cette époque sur les sites décrits comme traversés par les Hébreux dans l’Ancien Testament ! Alors, qu’en est-il exactement ?

Anati, lui aussi, est catégorique : aucun des sites enregistrés à Har Karkom ne peut être daté entre 1950 et 1000 avant Jésus-Christ. Puisqu’il en va de même de tous les sites fouillés dans l’aire désertique au sud du Croissant fertile, dans le Négeb et l’ensemble de la péninsule du Sinaï, l’émission « La Bible dévoilée » conclut donc en déniant toute historicité à ces textes sacrés. Un exemple ? Le site de Cadès-Barné, résidence des Hébreux pendant trente-huit ans, qui s’avère ne révéler aucun vestige du treizième siècle...

Ces données archéologiques amènent logiquement à une remise en question de la chronologie traditionnelle qui repose, nous l’avons vu, seulement sur une hypothèse d’exégètes. En fait, la mention des villes de Pitom et de Ramsès nous renseigne sur la période à laquelle le texte a été rédigé, mais non pas sur la date de l’histoire qu’il rapporte. Anati fait justement remarquer : « C’est comme si l’on disait que Sainte-Catherine présente des sites d’habitat paléolithiques ; cela n’implique pas pour autant que la localité était appelée Sainte-Catherine au paléolithique. » (Emmanuel Anati, Les mystères du mont Sinaï. Har Karkom, Bayard, 2000, p. 188-189)

La conclusion s’imposera d’elle-même au fur et à mesure que nous détaillerons chaque résultat de ses fouilles : le site archéologique d’Har Karkom nous démontre que l’Exode n’a pas eu lieu... au treizième siècle, mais mille ans auparavant.

Cette nouvelle chronologie nous sort par ailleurs d’une impasse que créait la chronologie “ courte ” traditionnelle, car elle opérait ce qu’Anati appelle une « concentration dans le temps ». En effet, comment pouvait-t-on concevoir le déroulement de tous les événements fondateurs du peuple élu en moins de trois siècles ? Il suffit de les énumérer : la transformation de la condition des Hébreux réduits à l’état d’esclaves dans le delta du Nil, la fuite de Moïse en Madian, son retour en Égypte, l’Exode, le séjour au Sinaï et à Cadès-Barné, la période de nomadisme ou d’errance dans le désert, la conquête de Canaan, et surtout : le temps des Juges...

Si l’on y réfléchit bien, cette dernière phase, au cours de laquelle des nomades se sont transformés en une nation d’agriculteurs raffinés (et dont le Livre de Ruth nous offre le tableau), a dû se dérouler très lentement. (...)

Extraits de Peut-on se fier à l’Ancien Testament ? Réponse aux émissions d’Arte : La Bible dévoilée (2).
L’Exode, naissance miraculeuse du Peuple élu,
Il est ressuscité ! n° 46, mai 2006, p. 1-20. audio-vidéo : B 57 : Histoire sainte, Histoire vraie, Pentecôte 2007, 4 h 30