Peut-on se fier à l’ancien Testament ?
5. Conquête de la Terre promise
et archéologie biblique
LA conquête de la Terre promise nous est racontée par le livre de Josué avec les épisodes suivants : Jéricho, l’assaut sur la Terre promise, la conquête des territoires de Transjordanie, l’installation à la périphérie de Canaan et enfin dans la partie occidentale du pays.
La conquête et la répartition du territoire sont l’image prophétique des victoires et de l’expansion de l’Église à venir. C’est ce que Dieu prépare d’avance en disposant des événements historiques par sa Providence, qui sont ensuite racontés par divine inspiration dans une histoire à la fois réelle et « prophétique ». C’est-à-dire : annonçant l’avenir beaucoup plus que racontant le passé.
On ne peut guère tirer du texte de dates précises pour les événements de la conquête. La chronologie adoptée pour l’Exode, les indications de l’histoire générale et de l’archéologie palestinienne invitent à les placer entre la fin du troisième millénaire et le début du deuxième millénaire.
JÉRICHO
Tout le monde officiel de l’archéologie et de l’exégèse bibliques tient aujourd’hui la Prise de Jéricho (par Josué) pour un mythe, parce qu’à la date traditionnellement avancée (treizième siècle avant Jésus-Christ) la ville était... entièrement détruite, et depuis longtemps ! Jean-Louis Huot (professeur à l’université Paris I) se croit donc autorisé à en conclure, dans un numéro spécial du Monde de la Bible consacré à Jéricho : « Il n’y a pas plus d’archéologie biblique que d’archéologie coranique. »
Pour ce qui est de l’archéologie coranique... il faudrait déjà obtenir la permission de fouiller La Mecque et Médine ! En revanche pour ce qui est de la Bible, nous avons découvert (voir les rubriques précédentes) que l’archéologie biblique est très riche, à condition de reculer de mille ans les dates traditionnelles. Appliquée à Jéricho, la confirmation de cette nouvelle datation est particulièrement éclatante.
Jéricho était détruite au treizième siècle ? C’est vrai, pour la raison qu’on peut lire dans le livre de Josué lui-même :
« On brûla la ville et tout ce qu’elle contenait » (Jos 6, 24),
La ville ne fut jamais rebâtie. C’est précisément pourquoi le rédacteur final du livre de Josué peut écrire : « Maudit soit l’homme qui se présentera pour rebâtir cette ville » (Jos 6, 26), comme si cette malédiction remontait aux origines. Le scribe inspiré qui a écrit cela avait sous les yeux une ville demeurée à l’état de ruines.
Un détail du récit offre une extraordinaire concordance avec les données de l’archéologie. Avant d’attaquer Jéricho, Josué y envoya deux espions. Ils furent reçus et cachés par une prostituée nommée Rahab, qui les aida ensuite à fuir.
« Rahab les fit descendre par la fenêtre au moyen d’une corde, car sa maison était contre le rempart, et elle-même logeait dans le rempart » (Jos 2, 15).
Emmanuel Anati explique : « Une habitation privée était attachée aux murs d’enceinte et avait une fenêtre donnant sur l’extérieur. [...] Quel tracé, parmi ceux qui ont été fouillés (et lequel, parmi les murs de Jéricho), pourrait répondre à cette description ? Il semble que, du point de vue archéologique, une description semblable peut exclusivement se rapporter à une conception de l’urbanisme et à un mur d’enceinte de l’époque de l’âge du Bronze ancien, c’est à dire du troisième millénaire avant Jésus-Christ. » (Anati p. 196)
AÏ
Les chapitres 1 à 12 du livre de Josué décrivent la conquête de la Terre promise comme foudroyante, avec l’anéantissement des peuples ennemis et le partage des terres entre les tribus. Mais cette « géographie idéale » parle plus d’une « théologie de la terre » que de son occupation réelle. (Alain Marchadour, La Terre, la Bible et l’Histoire, Bayard, 2006, p. 45)
Cependant, si l’auteur inspiré donne de l’emphase à son récit dans les premiers chapitres, l’archéologie vient en confirmer les événements principaux. Sur le site de Jéricho, nous l’avons vu, mais aussi sur celui d’Aï. En effet, après Jéricho, Josué entreprit la conquête de la région montagneuse. Pour y parvenir, il lui fallut prendre la forteresse d’Aï.
« Tu traiteras Aï et son roi comme tu as traité Jéricho et son roi. » (Jos 8, 2)
« Josué incendia Aï et il en fit pour toujours une ruine, un lieu désolé jusqu’aujourd’hui. » (Jos 8, 28)
Le site d’ “ Aï ” a été étudié par plusieurs missions archéologiques entre 1928 et 1972. Ces recherches ont permis de constater que la ville avait connu deux épisodes de destruction : l’un vers 2720 av. J.-C., et l’autre précisément au vingt-troisième siècle avant Jésus-Christ.
Le premier de ces désastres a été causé par un tremblement de terre. La ville fut aussitôt reconstruite, ainsi que son enceinte. La seconde catastrophe est survenue à la suite d’une violente destruction due à des assaillants, qui a provoqué l’abandon de cette ville florissante vers 2200 av. J.-C. Sa destruction est donc presque contemporaine de celle de Jéricho. Un autre détail du texte sacré vient confirmer l’époque de la destruction :
Yahweh dit alors à Josué : “ Tends vers Aï le javelot qui est dans ta main, car c’est dans ta main que je vais la livrer. ” » (Jos 8, 16-18).
Le javelot est précisément l’arme de guerre par excellence de l’âge du Bronze ancien. Dans l’âge du Bronze récent, un chef aurait tenu en main l’épée, la hache ou l’arc et les flèches, et probablement aurait-il aussi conduit un bige de guerre (char antique à deux roues, attelé de deux chevaux).
LA PÉRIODE DES JUGES
AÏ est demeurée en ruine pendant près d’un millénaire, puis les Hébreux l’ont colonisée au début de l’âge du Fer (1200 av. J.-C.). Ce fait est très important à relever pour la chronologie des événements de l’Histoire Sainte, car il établit qu’il a fallu mille ans pour transformer les Hébreux nomades et razzieurs en paysans “ colonisateurs ”, selon le Dessein divin expliqué d’ailleurs dans le livre de la Sagesse (Sg 12, 3-10).
L’archéologie et le livre des Juges le confirment : les populations cananéennes, enfermées dans leurs villes, survécurent à la conquête de la région entreprise par Josué. D’ailleurs, une lecture attentive du livre de Josué le révèle en toutes lettres :
« Or, Josué était devenu vieux, avancé en âge. Le Seigneur lui dit : “ Te voilà vieux, avancé en âge, et pourtant il reste à prendre possession d’un très grand pays ”. » (Jos 13, 1).
Le livre de Josué est suivi dans la Bible par celui des Juges. Comment cela se traduit-il chronologiquement parlant ?
« Israël habita à Heshbon et dans les villes qui en dépendent, à Yazèr et dans ses dépendances, ainsi que dans toutes les villes qui sont sur les rives du Jourdain, durant trois cents ans » (Jg 11, 26).
Ce passage, note Anati, « doit être entendu comme un témoignage des événements survenus à l’époque de Josué et comme une référence à la période qui sépare Josué de l’époque des Juges. » (p. 226)
Dans ce livre des Juges se répète plusieurs fois le même scénario suivant : les Israélites, infidèles à Yahweh, sont livrés à des oppresseurs ; les Israélites implorent alors Yahweh, qui leur envoie un sauveur : le “ Juge ”. Mais une fois la libération achevée et après une période de paix, les infidélités reprennent... et la série recommence ! Six « grands Juges » (d’Otniel à Samson) se succèderont ainsi.
Or le corps de ce livre est semé d’indications chronologiques qui, si on les additionne strictement (en supposant qu’il n’y a eu aucun intervalle possible entre chaque juge), donnent un total minimum de quatre cent dix ans pour cette période... Ce qui est déjà trop aux yeux de l’exégèse traditionnelle : comment ne considèrerait-elle pas en effet ce chiffre comme aberrant, étant donné qu’elle fixe l’entrée des Israélites en Canaan à la fin du... treizième siècle avant Jésus-Christ seulement !? Puisque le règne de David (qui met fin à la période des Juges) remonte à l’an 1000, ce chiffre de 410 ans devrait être, selon elle, divisé de moitié. D’où sa perplexité apparemment insoluble.
D’autant plus que l’on a retrouvé mention de la présence des hébreux en Canaan avant le treizième siècle ! Les quelques 3700 tablettes d’argile d’El Amarna contiennent en effet des lettres adressées au puissant roi d’Égypte Akhenaton par les princes et les gouverneurs locaux des cités vassales en Asie (où se situe Canaan). Ces “ archives ” reflètent une situation très instable, du fait notamment de groupes de nomades, « gens sans terre » dont certains sont appelés (par transcription phonétique) Habiru ou Apiru, et qui ne sont autres que... les Hébreux ! Or Akhénaton gouverna au quatorzième siècle avant Jésus-Christ. Quant à la première mention de ces Habiru, elle remonte, elle, à la fin du... vingt et unième siècle avant Jésus-Christ !
Ainsi ce chiffre minimum de quatre cent dix ans est une confirmation de la “ chronologie longue ”. Nous aboutissons donc, au final, à trois cents ans d’installation sur les rives du Jourdain, plus au moins quatre cent dix ans de “ Juges ”, pour un total de 710 ans. C’est presque le compte. Et le reste ? Faut-il augmenter le chiffre de quatre cent dix en considérant, avec l’exégèse traditionnelle, que les chiffres avancés par la chronologie du livre des Juges (tournant autour du chiffre 40, durée d’une génération, ou de son multiple 80, ou de sa moitié 20) sont artificiels ? En tout cas, les appendices qui achèvent le Livre suggèrent une piste plus plausible :
« En ce temps-là il n’y avait pas de roi en Israël ; et chacun faisait ce qui lui plaisait » (Jg 17, 6 ; 18, 1 ; 19, 1 ; 21, 25).
Cette mention fréquente de périodes à durée indéterminée où les juges n’apparaissent pas, même lors des grandes assemblées de chefs (Jg 20, 1-11), à quelles étapes du Livre renvoie-t-elle ? Vraisemblablement à cette situation très instable rapportée plus haut au quatorzième siècle avant Jésus-Christ, après Samson et avant Samuel ; ou encore à des intervalles possibles entre la mission de chaque Juge : pourquoi pas ? Nous ne sommes plus coincés par les présupposés ardus que la chronologie traditionnelle s’impose à marche forcée. Point besoin par conséquent d’omettre des données archéologiques ni de « tordre » le texte ou de comprimer les chiffres : la chronologie longue, plus plausible et conforme aux faits, empêche tous ces procédés... artificiels, ou du moins hasardeux !
Entre Josué et David, mille ans furent sans doute bien nécessaires aux Hébreux pour achever la conquête réelle du Pays ; mille ans d’une “ colonisation ” lente, difficile, incertaine et tragique, au cours de laquelle les Hébreux firent maintes fois l’expérience de leur impuissance à devenir un peuple saint et un modèle pour les autres nations.
Durant cette longue période quelque peu tourmentée s’est faite chez les Hébreux une lente mais réelle évolution vers une perfection de civilisation, telle que l’illustre le petit livre de Ruth, du nom de cette Moabite entrée dans le peuple de Dieu par attachement à sa belle-mère Noémi, et qui sera l’aïeule du roi David !
Extraits de Peut-on se fier à l’Ancien Testament ? Réponse aux émissions d’Arte : La Bible dévoilée (2).
L’Exode, naissance miraculeuse du Peuple élu
Il est ressuscité ! n° 46, mai 2006, p. 1-20. audio-vidéo : B 57 : Histoire sainte, Histoire vraie, Pentecôte 2007, 4 h 30