L'encyclique Populorum progressio

Paul VI

A PRÈS l’encyclique Ecclesiam suam, la charte du pontificat de Paul VI, prônant non point un modernisme doctrinal, mais un réformisme juridique audacieux et l’annonce d’un progressisme politique et social démesuré (...), l’encyclique Populorum Progressio, de Pâques 1967, désigne le deuxième objectif de cette grande réforme humaniste et évangélique : le Développement. (...)

Cette encyclique, comme d’autres grands gestes politico-religieux de Jean-Baptiste Montini, revêt l’apparence d’un acte du Magistère apostolique romain, mais cette apparence est trompeuse. (...) Totalement ignorante, et pour cause ! des Autorités de la Tradition, elle repose essentiellement sur les théories d’auteurs vivants dont elle cite les ouvrages et qui tous appartiennent à ces écoles françaises de sociologie et de théologie frappées par Pie XII. C’est l’indication d’une rupture, c’est la consécration d’une rébellion. (...)

I. UNE ANALYSE MARXISTE-LÉNINISTE DE LA SITUATION MONDIALE

La faim qui accable, dit-on, les deux tiers de l’humanité, malgré la prospérité de l’Occident, forme la trame voyante de l’Encyclique, mais sa chaîne moins visible est la lutte des classes étendue au monde entier. « Les peuples de la faim interpellent aujourd’hui de façon dramatique les peuples de l’opulence. L’Église tressaille devant ce cri d’angoisse et appelle chacun à répondre avec amour à l’appel de son frère » (Populorum progressio : P. P. 3). (...)

1. UN SERMON DE CHARITÉ QUI PREND LES ALLURES D’UN ULTIMATUM.

Le ton de cette encyclique n’a en effet rien d’évangélique. Jésus pouvait clamer son « Malheur aux riches » parce qu’il avait d’abord exalté la pauvreté des humbles, non leur révolte. Il ne disait pas : « Allez, les misérables ! Gare à vous, les nantis ! » mais « Heureux les pauvres ». Aux uns et aux autres, Seigneur pacifique, il montrait le Ciel comme le seul objet de leur crainte et de leur espérance. Dans l’Esprit de son Fondateur, l’Église s’était bien gardée jusqu’à ce jour, à la différence des hérésiarques, d’associer comme fait l’encyclique « le jugement de Dieu et la colère des pauvres aux imprévisibles conséquences » (49). Rappelant aux possédants leur devoir, elle ne voulait à aucun prix exciter, ce faisant, la révolte des indigents. Elle se gardait d’assortir son enseignement de charité de la trop claire menace d’un châtiment immédiat, comme on lit ici avec une sorte d’horreur : « Que les riches du moins sachent que les pauvres sont à leur porte et guettent les reliefs de leurs festins » (P.P. 83). Ce chantage dix fois répété (11, 44, 49, 53, 55, 57, 73, 76, 80, 83), ce « la bourse ou la vie » annonce des torrents de sang innocent. (...)

Ce ton est injuste et trompeur. L’encyclique impose progressivement la conviction que les peuples riches sont les responsables principaux, uniques même, de la « misère imméritée » (9, 67) des peuples pauvres. Elle considère, « en ce tournant décisif de l’histoire de l’humanité » (1), que « la question sociale est devenue mondiale » (3). (...)

2. L’A PRIORI FONDAMENTAL D’UNE GUERRE SOCIALE MONDIALE.

La situation où Paul VI voit le monde est celle d’une absolue contradiction d’intérêts entre deux catégories de peuples. C’est exactement du matérialisme dialectique. Sans doute dissuade-t-il les opprimés de s’engager – sauf exceptions (31) – dans les voies de la révolution violente et totalitaire (11, 30), mais il n’en prône pas moins des « transformations audacieuses, profondément novatrices », des « réformes urgentes, nécessaires, indispensables » (32, 81) pour briser cette maudite sujétion du tiers-monde aux peuples d’Occident. Déjà ils ont conquis l’indépendance politique (6), qui paraît ici plus précieuse que le pain ! Depuis Pacem in terris, l’Église ose se flatter de les y avoir encouragés et aidés. Ils aspirent maintenant au bien-être, à l’autonomie économique, à la promotion culturelle. Tout cela doit leur être donné « avant qu’il ne soit trop tard » (53), ou bien ils l’arracheront à leurs oppresseurs. C’est du marxisme,... ou de la démagogie.

L’Occident capitaliste a beaucoup péché, certes ! « Il faut reconnaître que les puissances colonisatrices ont souvent poursuivi leur intérêt, leur puissance ou leur gloire » (7). Elles ont laissé de leur domination trop d'« amertumes » (52), et « beaucoup de rancœurs à la suite de réelles injustices » (63). La brutalité d’un « certain capitalisme » a provoqué « trop de souffrances, d’injustices et de luttes fratricides aux effets encore durables » (26). La loi d’airain du libre échange a écrasé les peuples sous-développés (58) ; les fluctuations, les effondrements du cours mondial des produits agricoles et des matières premières les ont acculés à la faillite (57). (...)

Mais la liste des abus d'« un certain colonialisme » et d'« un certain capitalisme » sert ici d’argument à la condamnation de tout l’ordre actuel. Pas un instant le Pape ne signale que les administrations coloniales apportèrent de notables atténuations à ces violences, à cette « hégémonie dominatrice » (52), à cet « impérialisme international de l’argent » (26). Pas davantage il ne mentionne l’ambition de « l’exercice du pouvoir » et la soif d’une égale « jouissance des biens » (9) qui, en nous chassant, ont privé les peuples autochtones de toute institution protectrice. La décolonisation louée par le Pape a considérablement aggravé les maux mêmes qu’il dénonce ! (...)

Pas plus que la colonisation, la Mission ne paraît ici une institution civilisatrice adaptée pour la solution des difficultés mondiales actuelles. S’il salue en passant les efforts des missionnaires, « pionniers du progrès matériel comme de l’essor culturel », Paul VI leur reproche d’avoir mêlé à leur œuvre « trop de manières de penser et de vivre de leur pays d’origine » (12). Quelle pitié ! Et s’ils ont « souvent protégé les indigènes de la cupidité des étrangers », de toutes façons de telles « initiatives locales et individuelles ne suffisent plus. » Voilà bien le coup de grâce porté à l’œuvre sociale des missions. Mais colonisation et missions sont de toute évidence pour Paul VI, comme pour les socialistes de toutes obédiences, des systèmes radicalement insuffisants, eux-mêmes entachés de capitalisme, de racisme et de nationalisme, donc dépassés. Le Pape écarte cet ordre ancien d’un léger revers de main qui fait table rase, en vue de « l’action d’ensemble que la situation présente du monde exige » (13). Il a son programme. D’ici-là, le Tiers-monde est abandonné chaque jour davantage aux excès d’un capitalisme sans frein, à la régression de l’anarchie démocratique, au malheur d’un autre colonialisme missionnaire, affameur et dégradant, celui du communisme mondial.

Car l’Occident n’est pas le seul ni même le principal responsable de la misère mondiale ! L’Encyclique ne connaît pas d’autre cause au sous-développement des peuples que les abus du capitalisme. Cependant, pillés par nous ? exploités ? les peuples indigènes ont été plus encore secourus et aidés. Leur misère vient de malheurs où nous n’avons rien à voir, et dont nos colons ont souffert avec eux, plus qu’eux. L’aridité du sol, la sévérité du climat, l’insalubrité de l’air. Et le formidable retard, compté en millénaires, de ces populations primitives ou dégénérées !

Pourquoi taire les vices des autochtones, pires que ceux des colonisateurs : la paresse, la polygamie, l’anthropophagie, les cent visages de la barbarie ! Il eût été important de souligner l’influence désastreuse des fausses religions, les systèmes arriérés des lois et des mœurs, les luttes tribales, le servage, la traite. Pourquoi taire les extrêmes difficultés de la nature et les méfaits de la sauvagerie indigène ? Pour mieux requérir contre la race blanche ?

Il est étonnant et douloureux que le Pape de Rome ignore entièrement le bienfait définitif de la Rome Impériale et Catholique antérieur au capitalisme mercantile et qui lui survivra, ce bienfait qu’apportèrent aux barbares nos soldats, nos colons et nos missionnaires, heureusement associés : l’Ordre des Lois et la Vérité de la Foi. Devant ces deux principes de civilisation, les injustices et les méfaits d’un certain colonialisme ne comptent pour rien. C’est pourquoi devrait l’emporter, comme l’idée corporative et monarchique dans la question sociale, l’idée coloniale et missionnaire dans une doctrine pontificale du développement des peuples. Mais non ! Paul VI a choisi de mettre en accusation le capitalisme, afin d’imposer au monde le plan grandiose d’une nouvelle organisation internationale qui ne sera ni traditionnelle ni hiérarchique, ni occidentale ni catholique, mais démocratique et socialiste...

3. DEUX SILENCES QUI SONT UNE TRAHISON.

L’Empire communiste est totalement absent de cette analyse de la situation mondiale. Alors que les mécanismes de l’économie occidentale sont démontés pour en faire apparaître les défauts et les vices, la constante faillite du collectivisme, aggravant la faim et la misère des peuples, n’est jamais signalée. Alors que les sujétions de l’ordre politique colonial sont formulées en termes d’oppressions insupportables, les tares essentielles du système socialiste et sa destruction de toutes les libertés humaines ne sont signalées qu’en passant (31, 39).

Bien plus, ce socialisme étatique et révolutionnaire est partout suggéré, plutôt que mentionné, comme la solution radicale et la grande tentation des peuples opprimés de se libérer de l’emprise capitaliste et de sortir une bonne fois de l’ornière du sous-développement ! Mais Paul VI ignore le fait communiste, cet immense impérialisme, esclavagiste, pillard, trafiquant d’armes et propagandiste de haine. Il ne voit pas son action révolutionnaire et terroriste dans l’agitation des peuples indigènes soulevés contre les puissances colonisatrices. Il ne veut voir que le conflit mineur des peuples de couleur contre leurs anciens maîtres dont il applaudit la défaite et le retrait. Il cache au Tiers-monde, impuissant, incapable, assisté, perdu dans ses colères et ses caprices d’enfant, le joug terrible de la barbarie communiste où il tombera inéluctablement. Le Pape les excite – contre nous seuls – à revendiquer « pain, paix, liberté, justice, fraternité », mais il n’a aucun pouvoir de les protéger du grand impérialisme sino-russe qui ne leur donnera que l’esclavage, la famine et la guerre ! (...)

Le miracle chrétien, catholique, est lui aussi oublié. Cette sociologie classe les religions, quelles qu’elles soient, parmi les « institutions culturelles, les manifestations supérieures de civilisation : artistiques, intellectuelles et religieuses » (40). Bien plus, ces trésors spirituels paraissent l’apanage des peuples pauvres tandis que les riches, c’est-à-dire à peu de choses près les peuples chrétiens, y sont présentés comme surtout soucieux de prospérité matérielle. Aussi le Pape écrit-il : « Les peuples pauvres ne seront jamais trop en garde contre cette tentation qui leur vient des peuples riches » (Tentation matérialiste, 41). Nouveau grief renforcé contre nous ! Mais c’est un refrain de l’encyclique : d’un côté « le progrès » qui vient de l’Occident et auquel on ne peut renoncer, mais de l’autre « les institutions et croyances ancestrales » qu’il faut garder (10).

Paul VI loue indistinctement « les valeurs spirituelles qui se rencontrent souvent, comme un précieux patrimoine, dans les civilisations » (68), « civilisation reçue des ancêtres, que possède chaque pays » (40). Il en a admiré quelques échantillons lors des rapides voyages qui l’emportèrent loin de Rome (4). Mais le Pape ne songe pas une fois à marquer sa préférence pour le patrimoine catholique, à exalter la valeur de la civilisation chrétienne, à rapporter enfin au seul Jésus-Christ et à son Église l’extraordinaire avance philosophique, politique, scientifique, et par suite économique de l’Occident sur tous les peuples de l’univers ! Pas un mot du Chef de l’Église ne blâme ni ne signale même tant de formes aberrantes de religions et de mœurs, premières responsables du malheur terrestre (et éternel) des hommes !

À lire l’encyclique, on penserait que toutes les religions se valent et que toutes les civilisations sont également vénérables, aux seuls titres de leur antiquité et de leur génie propre. Un même conflit les oppose toutes de la même manière au progrès technico-social, comme les cadres anciens et les vieilles outres au vin nouveau d’un nouvel humanisme. C’est du Lamennais ! Le « monde nouveau à construire » n’exclut aucune religion (47). Tous les « hommes de bonne volonté » sont appelés à le créer de toutes pièces, chacun selon sa foi ou son athéisme, sans qu’on puisse déceler dans le langage de l’Encyclique la moindre différence de valeur et d’efficacité entre les uns et les autres du fait de leurs croyances (81-86) !

Ni conforme au génie latin, ni explicitement catholique, cette analyse de la situation sociale mondiale, empruntée par Paul VI à l’école progressiste française, est : matérialiste, par son absence totale de mesure des réalités politiques ; dialectique, par sa préoccupation exclusive d’opposer les aspirations des peuples indigènes aux forces d’oppression capitalistes ; athée, par sa réduction moderniste du fait religieux à de simples superstructures héritées du passé ; antichrétienne, par la trop évidente dépréciation du miracle chrétien et de la puissance civilisatrice incomparable de l’Église dans le monde. (...)

D’accord avec les marxistes sur l’analyse de la crise mondiale, le pape entend proposer aux peuples la synthèse d’un nouveau christianisme, capable de combler toutes les aspirations des hommes, au-delà et mieux que le communisme.

II. « UNE VISION GLOBALE DE L’HOMME ET DE L’HUMANITÉ »

« L’Église, experte en humanité, doit scruter les signes des temps et les interpréter à la lumière de l’Évangile. Communiant aux meilleures aspirations des hommes et souffrant de les voir insatisfaites, elle désire les aider à atteindre leur plein épanouissement et c’est pourquoi elle leur propose ce qu’elle possède en propre : une vision globale de l’homme et de l’humanité » (13). Jamais jusqu’ici l’Église n’avait émis une telle prétention. Dans un « cléricalisme » modéré et légitime, elle enseignait les dogmes de la Vie éternelle et, pour les affaires temporelles, les lois de sa divine morale. Mais elle ne prétendait pas connaître d’avance le cours de l’Histoire ni assurer aux hommes leur épanouissement terrestre. Maintenant, elle pense concurrencer le Communisme dans ses prétentions les plus excessives, touchant l’avenir de l’humanité et la résolution de ses luttes historiques dans « la société sans classes ».

1. « POUR UN DÉVELOPPEMENT INTÉGRAL DE L’HOMME ».

« Être affranchis de la misère, trouver plus sûrement leur subsistance, la santé, un emploi stable, participer davantage aux responsabilités, hors de toute oppression,à l’abri des situations qui offusquent leur dignité d’hommes,être plus instruits ; en un mot, faire, connaître, et avoir plus, pour être plus, telle est l’aspiration des hommes d’aujourd’hui » (6), et « ce désir est légitime ». (...)

Nouvelle « vision globale de l’homme », qui concilie, on le voit, l’utile et l’agréable, le devoir avec la volupté. Il ne s’agit plus de conversion, de renoncement, de combat spirituel, mais de « croissance personnelle et communautaire », d’abord dans « l’avoir » et puis dans « l’être ». Plus de sacrifices ni de croix, mais une « harmonie de nature enrichie par l’effort personnel et responsable » (16). Les « contradictions » de l’homme déchiré selon saint Paul Vont disparaître dans l’homme nouveau selon Paul VI. (...)

Plus loin, le Pape fixe à nouveau les étapes de ce développement matériel, social et culturel donné pour programme à tous les hommes (34-42). On y trouve fortement souligné l’élément politique d’émancipation démocratique. Le progrès social doit engrener sur l’enrichissement. Le développement économique et technique « n’a en définitive de raison qu’au service de la personne. Il est là pour réduire les inégalités, combattre les discriminations, libérer l’homme de ses servitudes, le rendre capable d’être lui-même l’agent responsable de son mieux-être matériel, de son progrès moral, de son épanouissement spirituel ». Car « l’homme n’est vraiment homme que dans la mesure où, maître de ses actions et juge de leur valeur, il est lui-même auteur de son progrès, en conformité avec la nature que lui a donnée son Créateur et dont il assume librement les possibilités et les exigences » (34). Tel est bien « le Culte de l’homme » proclamé par Paul VI au Concile ! Tout doit concourir à son bien-être, à sa pleine indépendance, enfin à son ouverture spirituelle. (...)

Telle est cette fameuse « vision globale de l’homme » que nous avons « en propre », quoiqu’elle n’ait rien de spécifiquement chrétien –, et que Paul VI révèle aujourd’hui comme la solution définitive de tous les conflits et de tous les échecs de nos vies humaines : enrichissez-vous, émancipez-vous, prémunissez-vous contre une encombrante natalité, cultivez les sciences, les arts, la sagesse. Enfin ouvrez-vous aux valeurs spirituelles et à Dieu en sorte de vous surpasser. Telle est votre « vocation » d’homme, et votre droit, au service desquels se rangent la société, et l’Église, et Dieu même !

2. « POUR UN DÉVELOPPEMENT SOLIDAIRE DE L’HUMANITÉ ».

Des « aspirations » similaires soulèvent « les peuples parvenus depuis peu à l’indépendance nationale. Ils éprouvent la nécessité d’ajouter à cette liberté politique une croissance autonome et digne, sociale non moins qu’économique, enfin d’assurer à leurs citoyens leur plein épanouissement humain et de prendre la place qui leur revient dans le concert des nations » (6). L’Église encourage cette promotion des peuples car sa « vision globale de l’humanité » lui révèle le progrès continu qui, de civilisation en civilisation, porte la famille humaine vers son « développement plénier » : « Comme les vagues à marée montante pénètrent chacune un peu plus avant sur la grève, ainsi l’humanité avance sur le chemin de l’histoire » (17). Nota bene : à marée descendante, elle recule !

Mais bien plus, voici qu’à l’appel du Pape, soulevée d’un cœur nouveau et unanime par « le mythe du développement », toute la famille humaine va prendre le chemin de la conciliation et non plus de la contestation et de la guerre, réalisant ainsi « dès ici-bas le royaume des cieux ». (...)

Et voici le secret de la VISION de Paul VI : dans l’œuvre du développement matériel à laquelle tous les peuples vont prendre part, l’homme, qui était un loup pour l’homme, lui sera désormais un frère : « L’homme doit rencontrer l’homme, les nations doivent se rencontrer comme des frères et sœurs, comme les enfants de Dieu. Dans cette compréhension et cette amitié mutuelles, dans cette communion sacrée (?), nous devons également commencer à œuvrer ensemble pour édifier l’avenir commun de l’humanité » et, par une meilleure répartition des richesses, « réaliser ainsi une véritable communion entre toutes les nations ». Telle est la solution miracle aux déchirements de l’humanité depuis l’âge de Caïn et d’Abel. Au nom de la « fraternité humaine et surnaturelle », que les peuples riches obéissent dès maintenant à leurs devoirs de solidarité, de justice, de charité universelle, et ce sera « la promotion d’un monde plus humain pour tous, où tous auront à donner et à recevoir, sans que le progrès des uns soit un obstacle au développement des autres » (44). (...)

Le Pape ne trouve aucun sujet d’inquiétude dans les mouvements d’indépendance des peuples indigènes, ni dans leurs immenses appétits, ni dans leurs prétentions excessives. Cette montée des peuples jeunes converge, pour peu que les peuples d’Occident y aident, vers l’avènement d’une société évangélique mondiale, de LIBERTÉ, d’ÉGALITÉ et de FRATERNITÉ : « Il s’agit de construire un monde où tout homme, sans exception de race, de religion, de nationalité, puisse vivre une vie pleinement humaine, affranchie des servitudes qui lui viennent des hommes et d’une nature insuffisamment maîtrisée ; un monde où la liberté ne soit pas un vain mot et où le pauvre Lazare puisse s’asseoir à la même table que le riche. Cela demande à ce dernier beaucoup de générosité, de nombreux sacrifices et un effort sans relâche » (47). (...)

Telle est la nouvelle Terre Promise vers laquelle Paul VI guide l’humanité. Cette sainte démocratie internationale doit exercer sur les peuples la même fascination, jouer dans leur conscience collective le même rôle, qu’exerçait autrefois dans la pensée chrétienne le Paradis promis, et de nos jours, dans l’idéologie marxiste, le mythe prolétarien de la « Société sans classes ». Conquis par ces sublimes perspectives, tous, « Nous en sommes sûr, voudront amplifier leur effort commun et concerté en vue d’aider le monde à triompher de l’égoïsme, de l’orgueil et des rivalités,à surmonter les ambitions et les injustices,à ouvrir à tous les voies d’une vie plus humaine où chacun soit aimé et aidé comme son prochain son frère » (82). (...)

Mais qu’il s’agisse du Ciel, du Paradis d’Allah promis aux musulmans, de la Société sans classes annoncée au communistes ou de ce « Monde meilleur » qui miroite de tous ses feux dans les visions de Paul VI, la difficulté est toujours la même : avant d’avoir vu, il faut croire et puiser dans cette foi une espérance assez ferme pour tout sacrifier d’abord de ses intérêts immédiats, afin d’entrer en possession des biens promis.

Aux riches, aux peuples capitalistes (et oppresseurs), qu’il sait pourtant réalistes, Paul VI demande de modifier toutes leurs manières d’agir et jusqu’aux principes fondamentaux de leur prospérité, comme s’ils étaient assurés, dès maintenant, d’une conversion universelle sans laquelle leur générosité tournerait en lamentable fiasco. Pour consentir à désarmer, il faut être sûr que l’adversaire ne profitera pas d’une si bonne occasion et que lui aussi jettera ses armes sans arrière-pensée. Pour concourir au développement des autres peuples, il faut être sûr que tous feront désormais passer la générosité et l’entraide avant leurs intérêts privés et leurs ambitions. (...)

« CERTAINS ESTIMERONT UTOPIQUES DE TELLES ESPÉRANCES » (79), annonce Paul VI. De fait, ce programme ambitieux qu’il propose à l’humanité ressemble trop au « Messianisme prometteur et bâtisseur d’illusions » qu’il dénonçait un peu plus haut dans les idéologies totalitaires contemporaines (11), pour qu’économistes et hommes d’État ne le mettent en doute. Le Pape leur répond, avec une sorte d’ironie supérieure : « Il se pourrait que leur réalisme fût en défaut et qu’ils n’aient pas perçu le dynamisme d’un monde qui veut vivre plus fraternellement et qui, malgré ses ignorances, ses erreurs, ses péchés même, ses rechutes en barbarie et ses longues divagations hors de la voie du salut, se rapproche lentement, même sans s’en rendre compte, de son Créateur » (79). (...) Paul VI ausculte le cœur du monde et y entend battre un plus grand, un divin amour, capable de sacrifice et de générosité sans limites.

S’il ne se trompe ni ne nous trompe, voici venus les temps messianiques, plus beaux que ceux du Christ et de l’Église, semblables à ce qu’espère cette Internationale qui promet de changer le genre humain. S’il se trompe et s’il nous trompe avec lui, les destructions de l’ordre ancien qu’il aura résolues et que nous aurons consenties, ne seront jamais compensées par les constructions éphémères et inconsistantes dont il aura tracé le projet. (...)

Si la vision est trompeuse, selon la parole de saint Pie X, cet homme « convoie le socialisme, l’œil fixé sur une chimère » (Lettre sur le Sillon du 25 août 1910, n° 38). Cette chimère d’un paradis sur terre obtenu par la Révolution, dont Pie XI disait, il y a juste trente ans, qu’elle « a pour moteur une contrefaçon de la Rédemption des humbles ». (...) (Divini Redemptoris 8, 19 mars 1937)

La vision de Paul VI attise les flammes de cet incendie qui dévore notre planète. C’est Lamennais le visionnaire sur le trône de saint Pierre. (...)

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la Lettre à mes Amis n° 245, avril 1967

  • L'encyclique « Populorum progressio » du pape Paul VI, Lettres à mes amis, tome 4, n° 245, avril 1967
  • Analyse critique d'un texte pontifical : l'encyclique « Populorum progressio », CRC tome 1, n° 3, décembre 1967, p. 3-6
En audio :
  • A 6 : « Populorum progressio », Marseille, décembre 1966, 1 h (audio)

Références complémentaires :

Application pratique des principes de l’encyclique (voyage en Ouganda)
  • La lettre de l'abbé de Nantes - Paul VI, apôtre de la paix, CRC tome 2, n° 23, août 1969, p. 3-6
L’encyclique reprise par Jean-Paul II :
... et par Benoît XVI :
  • Caritas in veritate, Populorum progressio bis, Il est ressuscité ! tome 9, n° 84, août 2009, p. 3-16.