3. La condamnation autoritaire
des “prophètes de malheur”
« Il arrive souvent, déclare Jean XXIII, que dans l'exercice quotidien de Notre ministère apostolique Nos oreilles soient offensées en apprenant ce que disent certains qui, bien qu'enflammés de zèle religieux [concession obligée, cependant sarcastique] manquent de justesse, de jugement et de pondération dans leur façon de voir les choses. Dans la situation actuelle de la société, ils ne voient que ruines [réminiscence probable du troisième Secret : “ le Saint-Père, avant d'y arriver, traversa une grande ville à moitié en ruine ” !] et calamités ; ils ont coutume de dire que notre époque a profondément empiré par rapport aux siècles passés ; ils se conduisent comme si l'histoire, qui est maîtresse de vie, n'avait rien à leur apprendre. »
Calomnie pure et simple : les prophètes de malheur puisent toute leur expérience et leur sagesse dans les leçons du passé, tandis que les prophètes de bonheur bâtissent leurs utopies, que le passé n'avait pas inventées, dans un avenir qu'ils agencent au plaisir de leur folie. Aujourd'hui, les prophètes de bonheur des années soixante, et il y avait foule, sont tombés dans l'oubli. Quarante ans après, c'est la guerre, la famine, la “ peste ” du sida et les persécutions contre l'Église annoncées par les “ prophètes de malheur ”.
« Il Nous semble nécessaire de dire Notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur, qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. » Une multitude de saints canonisés, thaumaturges, ont agi ainsi, imitant saint Paul, et provoquant par cette annonce même d'immenses mouvements de conversion pour le salut des âmes. Ils avaient d'ailleurs pour patron en cet office Notre-Seigneur Jésus-Christ, lui-même dans la ligne de saint Jean-Baptiste, son Précurseur, un prophète de malheur... de malheurs dont certains sont survenus dans les temps impartis, tandis que d'autres attendent encore leur heure. Ce qui donne leur chance à tous les prophètes de malheur... jusqu'à la fin. Entre les malédictions de Jésus, une seule sentence suffit à exclure Jean XXIII de la cohorte des bienheureux :
« Malheur à vous quand tout le monde dira du bien de vous ! C'est ainsi que leurs pères traitaient les faux prophètes. » (Lc 6, 26)
Depuis Jérémie jusqu'à Notre-Dame de Fatima, les seules prophéties de bonheur qui tiennent sont celles qui annoncent une récompense après de saintes épreuves (Jr 30-31), une libération après un dur exil (Is 40-55), un déluge de grâces obtenues par le Cœur Immaculé de Marie en faveur d'un peuple docile à ses demandes.
Le mépris, l'ironie, le sarcasme du texte pontifical n'ont qu'une explication :
En 1960, Jean XXIII devait publier le troisième Secret de Fatima. Il a manœuvré odieusement pour esquiver son devoir, sous prétexte de prudence, selon le témoignage de Mgr Loris Capovilla, son ancien conseiller intime : « Après avoir parlé avec tous [les prélats consultés sur le troisième Secret], Jean XXIII me dit : “ écrivez.” Et j'écrivis sous sa dictée : Le Saint-Père a reçu ce document des mains de Mgr Philippe. Il a décidé de le lire vendredi, en présence de son confesseur. Ayant constaté l'existence de locutions peu claires, il a appelé Mgr Tavares, qui traduisit. Il l'a fait lire à ses collaborateurs les plus proches. Finalement, il a décidé de refermer l'enveloppe en disant : “ Je ne porte pas de jugement. Silence face à ce qui peut être une manifestation du divin ou peut ne pas l'être”. »
Et, de fait, durant tout son pontificat, Jean XXIII ne parlera jamais publiquement du Secret. Un communiqué du Vatican, en date du 8 février 1960, fit seulement connaître au monde ce jugement : « Bien que l'Église reconnaisse les apparitions de Fatima, elle ne désire pas prendre la responsabilité de garantir la véracité des paroles que les trois pastoureaux disent que la Vierge Marie leur avait adressées. » (CRC n° 341, décembre 1997, p. 7)
La clause de prudence que nous avons soulignée dans la note dictée à Capovilla, fait un contraste étonnant, détonnant, avec l'illuminisme charismatique dont fit preuve Jean XXIII en ouvrant le Concile par « l'humble témoignage de Notre expérience personnelle », donnée comme une inspiration divine survenue lors d'une nouvelle Pentecôte, le 25 janvier 1959, à Saint-Paul-hors-les-murs, lorsqu'il annonça son intention de convoquer un Concile œcuménique :
« Les âmes de ceux qui étaient présents [dont beaucoup n'étaient pas catholiques, puisqu'il s'agissait d'une assemblée œcuménique, pour la clôture de la “ semaine de l'unité”] furent aussitôt frappées comme par un éclair de lumière céleste, les yeux et le visage de tous [sic!] reflétaient la douce émotion qu'ils ressentaient. » Et, comme le jour de la Pentecôte (Ac 2, 4), « tout de suite on se mit au travail dans le monde entier et tout le monde commença à attendre avec ferveur la célébration du Concile. »
Extraits de Jean-Paul Ier « Le Secret, c'est terrible ! »,
Résurrection n° 7, juillet 2001, p. 13-18