Marcel Van
UN SAINT POUR NOTRE TEMPS ?
Marcel Van est un jeune religieux rédemptoriste, mort en 1959, à 31 ans, dans les geôles communistes du Nord-Vietnam. Très dévot de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus dont il se considérait comme « le petit frère », sa notoriété se répand aujourd’hui dans le monde entier, et notamment dans le mouvement charismatique ou dans des communautés nouvelles comme Marie-Jeunesse, ou encore par le biais des bénédictins de Saint-Wandrille et de l’association « Enfants du Mékong ». On laisse entendre que son rayonnement dépassera bientôt celui de sa sainte « grande sœur » ! Le cardinal Nguyen Van Thuan, président du Conseil pontifical Justice et paix sous Jean-Paul II, était un ardent promoteur de la cause de celui qui avait été son condisciple au séminaire. En France, une « association des amis de Van » s’est constituée. Mgr Guy Gaucher, le père Descouvemont, grands spécialistes de la sainte de Lisieux, s’y intéressent. Même le séminaire d’Ars n’a pas craint de placer sous son patronage les jeunes candidats au sacerdoce.
Les premières démarches avec la Congrégation pour la cause des saints ont été entreprises en 1984 par l’évêque du diocèse de Saint-Jérôme, où la sœur de Van était moniale rédemptoristine. Elles aboutirent, en 1986, à l’ouverture de son procès de béatification.
C’est à l’aide de ses écrits, traduits en français par son ancien maître des novices, que nous allons raconter sa vie et que nous examinerons le message de Van, qui « arrive comme un témoin tonique de la grande espérance. Il a mené jusqu’au bout le combat de la confiance et toute sa vie nous dit que la peur sera toujours vaincue par l’enfance. L’horreur laisse la place à l’aurore... L’Amour ne peut plus mourir ». (Père Marie-Michel, Présentation de la vie de Marcel Van)
Alors, Marcel Van, un saint pour notre temps ? Voyons cela.
UN JEUNE RELIGIEUX COMBLÉ DE GRÂCES
C’est en octobre 1944, alors qu’il est admis au postulat des Rédemptoristes d’Hanoï que la sainteté de Marcel Van commence à paraître. Il a seize ans. Ses commencements dans la vie religieuse ne sont pas faciles : certains confrères le trouvent trop jeune et il doit assurer des travaux pénibles pour ses faibles forces. Toutefois, il se sent « emporté par un immense courant d’amour ».
Il en rend compte avec simplicité à son maître des novices, le Père Boucher, rédemptoriste canadien de trente-neuf ans, au Vietnam depuis dix ans. Celui-ci est bien impressionné, autant par l’ouverture d’âme de son postulant que par son courage et sa ferveur.
En juin 1945, le frère Marcel lui confie : « Je vis Jésus qui, venant de loin, marchait vers moi. Il s’avançait, le visage impassible et plein de douceur. (...) Ce qui m’a surtout frappé, c’est la bonté de son regard... un regard qui reflétait l’amour infini de son cœur. (...) Jésus vint à côté de moi, et je me vis alors changé en petit enfant de deux ou trois ans. Pas le temps de m’étonner qu’il s’assît sur un socle de pierre, il me prit dans ses bras et me serra sur son Cœur. » Le frère Marcel voit alors une foule immense en colère, « composée de gens de toutes conditions (...) qui s’avançaient, l’air menaçant, portant chacun sur le front un signe semblable. » Devant Jésus, certains blasphèment, d’autres lui lancent des pierres en le visant au visage mais, ne l’atteignent qu’aux bras ou aux jambes. Or, Jésus regardait la foule avec un immense amour. « En les voyant persister dans leur folle attitude, il eut compassion d’eux et laissa couler une à une ses larmes sur sa poitrine. Je pleurais avec lui et je ressentis au cœur une grande douleur capable de me faire mourir. Mais en contemplant la tendresse de son regard, je me sentais réconforté. Pendant que la foule était là, Jésus me regarda et me dit : “ Mon enfant, prie beaucoup et fais de nombreux sacrifices pour tous ces hommes malheureux ! Sauve-les en union avec moi ” ! » Puis Jésus donne un baiser à Van, lui recommande de ne rien oublier et disparaît peu à peu.
Immédiatement après cette vision, Frère Marcel décide de prier pour la conversion du médecin de la communauté, franc-maçon notoire, dont il a l’intuition de la mort imminente. Le lendemain, on apprend de fait sa mort subite. Mais le novice est persuadé qu’il est sauvé, il en demande un signe : que son père se confesse et communie dans l’année. Trois jours plus tard, un compatriote lui apprend que son père s’est confessé et a communié pour Pâques.
Ces faits impressionnent vivement le maître des novices qui donne l’ordre au jeune religieux d’écrire ses mémoires. D’abord décontenancé, frère Marcel se résout à le faire, encouragé par l’exemple de sainte Thérèse qui écrivit dans Histoire d’une âme : « Si une petite fleur pouvait parler, il me semble qu’elle dirait simplement ce que le Bon Dieu a fait pour elle, sans essayer de cacher ses dons sous prétexte d’humilité ». Eh bien, frère Marcel va nous raconter en toute simplicité les dons merveilleux qu’il a reçus de Dieu et qui doivent certainement en faire un grand saint. Il nous prévient cependant : « Je veux prendre pour modèle l’histoire même de sainte Thérèse. Par conséquent, si, dans mon récit, il se trouve des passages semblables, il ne faudra ni rire, ni m’accuser de la plagier. Ce sont là en réalité les lieux de rencontre de nos deux âmes. Chaque fleur a son parfum propre : Thérèse est la fleur, et moi, le pétale. Comment pourrais-je ne pas lui ressembler ? »
UN ENFANT ÉTRANGE
En fait, les ressemblances n’apparaissent pas tout de suite car un abîme sépare l’enfance de Thérèse à Alençon puis aux Buissonnets, de celle de Van dans le delta du Fleuve rouge, entre Hanoï et Haiphong.
Il y est né le 15 mars 1928 et a été baptisé le lendemain sous le patronage de saint Joachim. Il a déjà un frère et une sœur, et une autre sœur naîtra après lui. L’atmosphère de sa famille est très heureuse à cette époque, autant qu’elle est pieuse. Sa mère dira du petit Joachim qu’il était un enfant étrange, très espiègle et très sensible. Quoique malingre, il faisait preuve d’un tempérament entêté, dominateur, inflexible. Mais il obéissait immédiatement si on lui parlait doucement.
Doué d’une intelligence précoce et supérieure, ainsi que d’une mémoire remarquable, il apprit très vite ses prières sur les genoux de sa mère.
À quatre ans, il s’assagit et prend pour confidente sa sœur Lê qui veut déjà devenir religieuse, ce qu’elle fera plus tard en entrant chez les Rédemptoristines. Van, lui, veut devenir un saint. De fait, sa piété tranchait visiblement sur celle des enfants de son âge ; si le jeu pouvait lui faire oublier l’heure du repas, il n’oubliait jamais celle de la prière.
Il a à peine cinq ans lorsque, frappé par la beauté de sa sœur habillée en enfant de Marie, il s’offre secrètement à la Sainte Vierge. « Depuis ce moment-là, j’ai senti dans mon cœur une joie débordante... avec la certitude que Marie m’a regardé, qu’elle a donné à mon âme un sourire mystérieux ».
Mais en 1932, il a une telle affection débordante et possessive pour sa petite sœur Anne-Marie Tê, qui vient de naître, que ses parents se voient contraints de le confier à une tante qui vit dans un village païen. C’est pour lui le premier contact avec un monde hostile qui l’oblige à une plus grande discipline et à des sacrifices.
À six ans, il revient dans sa famille et va au catéchisme pour se préparer à sa première communion. Lors de sa première confession, le prêtre lui affirme : « Parmi les fautes que tu viens d’accuser, il n’y en a aucune qui ait fait de la peine au Bon Dieu. Cependant, dans l’intention de lui plaire toujours, tu dois t’efforcer de garder ton âme entièrement pure ». Van raconte ainsi sa première communion : « Mon cœur est envahi par une joie extraordinaire. Je ne sais quoi dire. Je ne puis plus non plus verser une seule larme pour exprimer tout le bonheur dont mon âme déborde... En un instant, je suis devenu comme une goutte d’eau dans l’immense océan. Maintenant, il ne reste plus rien que Jésus ; et moi, je ne suis que le petit rien de Jésus ». Il demande deux choses à Dieu : la pureté afin de l’aimer de tout son cœur, une foi solide et parfaite pour tous les hommes. N’oublions pas qu’il n’a que six ans !
Mais sa prière est vite troublée lorsqu’on l’oblige à réciter les prières d’action de grâces avec les autres enfants, alors que lui jouit déjà d’une union à Dieu. Il commente : « Et Jésus présent dans nos âmes n’a plus entendu que des prières sans harmonie avec les sentiments intimes de chacun ». Et alors que personne ne lui a parlé de prière spontanée, lui sent bien que « l’âme peut vivre intime avec Dieu en utilisant toutes les manières de lui exprimer son amour... en employant n’importe quelle parole ordinaire selon les besoins et les événements ».
Après sa confirmation, pendant laquelle il a ressenti un premier attrait pour la vie religieuse, il est envoyé à l’école. Mais il n’en supporte pas le régime sévère. « Je ne puis appeler cette maison une école, mais un camp de concentration pour enfants où l’enseignant n’était qu’un bourreau cruel. Je détestais tant cette école que je n’avais qu’un seul désir : sa destruction ! »
Sa mère confie alors cet enfant, apparemment prédestiné, à leur ancien curé, qui a maintenant la charge de l’importante paroisse de Huu Bang, afin qu’il le prépare au service de Dieu. Nous sommes en mai 1935, Van a sept ans.
UN ENFANT MALTRAITÉ
Commence alors pour le futur frère Marcel une longue période de mauvais traitements qui nous est racontée très en détail dans son autobiographie. « Il y avait à la cure beaucoup de jeunes gens qui semblaient n’avoir pas de conscience et dont l’unique plaisir était de maltraiter et de battre les enfants. J’ai dû subir le même sort que les autres ». Pire même. Élève modèle, souvent cité en exemple par le curé, il devient le souffre-douleur des « catéchistes tièdes et indolents ». Il subira tous ces mauvais traitements avec une grande patience. Une première fois, le curé se rend compte de la situation et punit les coupables, mais les brimades continuent d’une autre manière. Sous n’importe quel prétexte, on le prive de nourriture et on lui fait payer cher ses communions.
Une tentation se saisit alors de lui, lui faisant croire que vouloir communier si souvent est de l’orgueil. En cessant de le faire, il perd l’admiration de son curé qui lui retire son affection. C’est la totale abjection.
Or, même après le renvoi de son tortionnaire, il ne retrouvera pas l’estime du prêtre. « Trop occupé à réparer son église, il oubliait totalement le Temple vivant que j’étais, et la responsabilité qu’il avait assumée d’y élever un autel et d’y allumer la flamme de l’Amour qui monterait vers Dieu nuit et jour ».
Les mois passent. Il n’est plus que le domestique du curé dans ce presbytère où la moralité est singulièrement relâchée. La ruine de sa famille qui ne peut plus payer sa pension le réduit à l’état d’esclave « qu’on traite encore avec un peu d’humanité, c’est-à-dire qu’on n’a pas le droit de le mettre à mort ».
Malgré tout, il reste bon et s’abandonne à la Providence. Il se dit : « Dieu a voulu me montrer ces choses afin que je connaisse mieux les prêtres, pour souffrir et prier davantage en leur faveur. Je ne serai jamais prêtre : pourtant, il n’est pas certain que parmi les prêtres en titre il s’en trouve beaucoup qui comprennent leur dignité comme je la comprends moi-même ». Sa consolation est de s’occuper de plus pauvres que lui.
Toutefois, il en viendra à faire plusieurs tentatives de fuite. Au cours de l’une d’elles, il est recueilli dans une famille de révolutionnaires. Van, plein d’admiration pour leur patriotisme, écrit : « Ce sont des gens qui aiment leur pays et leurs compatriotes ; mais quand ils les voient déshonorés et méprisés, ils en souffrent amèrement et cherchent à les libérer par tous les moyens. Pour donner à la nation cette liberté, ils prennent le parti de se cacher et souvent de risquer leur vie pour atteindre leur idéal. Je me sentis soudain pris d’affection pour les révolutionnaires, je pleurais sur ceux qui étaient morts... bien qu’ils aient poursuivi un but opposé à la religion, comme l’aimable révolutionnaire Trân-Trung-Lâp... J’ai entendu dire qu’au moment de son exécution, un prêtre est venu pour l’assister et lui l’a traité de cochon, émissaire des Français colonialistes ».
La nuit, il repense à tout cela : « Il me vient à l’idée d’être aussi un révolutionnaire : lutter pour créer un bel avenir à l’Église du Vietnam, réformer les paroisses, encourager les aspirants au sacerdoce... »
LA GRÂCE DE NOËL 1940
Passons sur l’échec de ses évasions, sur le mauvais accueil de sa famille, sur les consolations qu’il reçoit de la Sainte Vierge, pour en arriver à Noël 1940, il a donc douze ans. Après une confession générale, il va recevoir, comme sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, sa grâce de Noël, à la messe de minuit, pendant son action de grâces.
« J’étreins Jésus présent dans mon cœur. Une joie immense me saisit. Je suis hors de moi : j’ai trouvé le plus précieux trésor de ma vie... Pourquoi mes souffrances me paraissent-elles si belles ? Impossible à dire (...) En un instant, mon âme fut transformée. Je n’avais plus peur de la souffrance... Dieu me confiait une mission ; celle de changer la souffrance en bonheur. Je n’avais pas à la supprimer, mais à la changer en bonheur. Puisant la force dans l’amour, ma vie ne sera plus désormais que source de bonheur... » Là-dessus, un membre de sa famille le contrarie. « Autrefois, je n’aurais pas manqué de m’emporter, mais cette nuit-là, quelque chose avait changé. Calmement, je fermai mon livre... Pour une fois, j’avais su souffrir avec joie par amour de Jésus. »
À partir de là, sa situation s’améliore. Il passe avec bonheur plusieurs semaines chez sa tante. Sa dévotion à la Sainte Vierge se fait plus ardente et plus démonstrative. Toutefois, quelques semaines plus tard, à la suite d’une vexation sur une question de nourriture, il ne mange presque plus et s’obstine tant que, au bout de plusieurs jours, sa tante le renvoie.
De retour au presbytère de Huu Bang, il reçoit la motion intérieure de faire vœu de chasteté, ce qu’il fait sur le champ, devant l’image de Notre-Dame du Perpétuel Secours à la sacristie. Il en ressent aussitôt une grande joie intérieure.
À la haine des méchants qu’il subit encore, il oppose maintenant une parfaite douceur, si bien qu’en trois mois l’atmosphère du presbytère est complètement changée.
LE PETIT FRÈRE DE SAINTE THÉRÈSE
À Noël 1941, il entre au séminaire de Lang-Son, placé sous le patronage de sainte Thérèse. Il faut toute la patience du supérieur pour que Van surmonte sa terreur des pères dominicains français qui le tiennent.
Après l’invasion de l’Indochine par le Japon, en 1942, les séminaristes sont dispersés. Van se retrouve avec deux camarades dans une paroisse dominicaine près de la frontière chinoise. Là, il dévore des biographies de saints qui tous le laissent insatisfait, car il se sait absolument incapable de pratiquer leur ascèse. Alors, excédé, il décide de lire un dernier livre. Après avoir prié la Sainte Vierge, il se rend à la bibliothèque, prend le contenu de tout un rayon et le jette en vrac sur une table, puis, au hasard, il prend un livre. Son titre ? Histoire d’une âme.
« À peine avais-je lu quelques pages que deux torrents de larmes coulèrent sur mes joues inondant les pages. Ce qui me bouleversa, ce fut le raisonnement de petite Thérèse : “ Si Dieu ne s’abaissait que vers les fleurs les plus belles, son amour ne serait pas assez absolu, car le propre de l’Amour, c’est de s’abaisser jusqu’à l’extrême limite ”. J’ai compris alors que Dieu est amour, et que l’Amour s’accommode de toutes les formes de l’amour. Je puis donc me sanctifier au moyen de toutes mes petites actions... Un sourire, une parole ou un regard, pourvu que tout soit fait par amour. Quel bonheur ! Thérèse est la réponse à toutes mes questions sur la sainteté. Désormais, je ne crains plus de devenir un saint. J’ai enfin trouvé ma voie ! » Il a quatorze ans.
Rempli d’une joie exubérante, il prie la Sainte Vierge de lui donner les mêmes grâces qu’à sainte Thérèse, et il demande que celle-ci soit sa sœur spirituelle. Or, quelques jours plus tard, alors qu’il est seul dans la nature non loin du presbytère, il entend une voix féminine : « Van, Van, mon petit frère ! » Interloqué, il cherche d’où vient cette voix. Soudain, il comprend : cette voix est spirituelle, et poussant un cri de joie, il s’exclame : « Oh, c’est ma sœur Thérèse ! ».
Aussitôt, celle-ci lui répond : « Oui, c’est bien ta sœur Thérèse. Je suis ici pour répondre à tes paroles qui ont eu un écho jusque dans mon cœur. Petit frère ! Tu seras désormais personnellement mon petit frère, tout comme tu m’as choisie pour être spécialement ta grande sœur. À partir de ce jour, nos deux âmes ne formeront plus qu’une seule âme, dans le seul amour de Dieu. Je te communiquerai toutes mes pensées sur l’Amour, qui sont passées dans ma vie et m’ont transformée en l’Amour infini de Dieu. Sais-tu pourquoi nous nous rencontrons aujourd’hui ? C’est Dieu lui-même qui a ménagé cette rencontre. Il veut que les leçons d’amour qu’il m’a enseignées autrefois dans le secret du cœur se perpétuent en ce monde. C’est pourquoi il a daigné te choisir comme petit secrétaire pour réaliser son œuvre (...) Dieu m’a confié le soin de veiller sur toi comme l’ange gardien de ta vie. Ainsi, j’étais toujours avec toi, te suivant pas à pas, comme une mère tout près de son enfant. Grande était ma joie quand je voyais dans ton âme une parfaite ressemblance avec la mienne ! »
Sainte Thérèse lui apprend à ne rien regretter du passé, à tout recevoir de la main de Dieu. Elle lui enseigne surtout que Dieu est Père, qu’il n’est qu’Amour. Aussi devons-nous avoir pour lui une confiance bannissant peu à peu toute peur. « Depuis le jour où nos premiers parents ont péché, la crainte a envahi le cœur de l’homme et lui a enlevé la pensée d’un Dieu Père infiniment bon. Et pourtant, Dieu continuait à être un Père envers l’humanité ingrate... Alors, Dieu a envoyé son Fils qui s’est abaissé en se faisant homme. Jésus est venu dire à ses frères les hommes que l’amour du Père est une source inépuisable. (...) Le drame de la faute originelle n’est peut-être pas tant le fait d’avoir essayé de devenir dieu soi-même à la place de Dieu. (...) Mais c’est qu’à la racine de cela, il y a une méconnaissance de ce qu’est le Père et ensuite une volonté de se leurrer et de s’imaginer le Père comme un despote jaloux, pour justifier sa rébellion désespérée. C’est cette caricature de l’image de Dieu qui va être le plus difficile à extirper de l’homme. »
L’enseignement de sainte Thérèse peut se résumer en une phrase : « N’aie jamais peur de Dieu. Il ne sait qu’aimer et désirer être aimé ». Il faut donc être familier avec lui, ne pas craindre de lui parler naturellement. « On lui raconte tout : tes jeux de billes, l’ascension d’une montagne, les taquineries de tes camarades, tes colères, tes larmes ou les petits plaisirs d’un instant. Dieu t’aime tant... » Il faut évidemment tout lui offrir et être perpétuellement dans la joie.
Un mot domine cet enseignement, la confiance. Ce qui tient Dieu à distance de nos âmes, ce n’est pas le péché, c’est le manque de confiance. « Petit frère, pour consoler le Bon Dieu, suis mon conseil : sois toujours prêt à lui offrir ton cœur... Ce sera pour lui un nouveau paradis où toute la Trinité trouvera ses délices. Fais l’œuvre qui mène à l’unité en lui offrant tout avec confiance ».
Ce premier entretien avec sainte Thérèse a duré des heures et il se termine par un baiser. Van en est envahi d’une telle joie qu’il s’évanouit.
Plus tard, sainte Thérèse lui apprend à prier pour le Pape, pour l’Église. Un jour elle lui demande de prier pour la France et le Vietnam. Il en est furieux, pas question de prier pour les Français colonialistes : « Qu’on les précipite en enfer pour leur montrer qui nous sommes... J’ai trop vu leur cruauté et leur mépris envers ma race (...) Et même si je n’avais qu’un seul revolver, je lèverais l’étendard de la révolte et me battrais contre eux !... Tuer un seul Français suffirait à mon bonheur ! » Il excepte cependant les Pères et les Sœurs missionnaires. Cette violence n’indispose pas sainte Thérèse qui lui propose une autre tactique pour « tuer des milliers de Français », la tactique de la prière. Et elle lui enseigne cette prière : « Ô Jésus, viens chasser du cœur des Français l’homme pécheur ! Je t’en supplie, viens au secours du Vietnam ! » Elle est très claire : « Aucune force ne parviendra à chasser les colonialistes français du sol vietnamien, si ce n’est la prière. » Elle l’incite à travailler ainsi à l’union fraternelle de la France et du Vietnam par l’amour. C’est une des facettes de sa mission, « tu porteras le nom d’apôtre de l’Amour ».
En novembre 1942, sainte Thérèse lui apprend qu’il ne sera jamais prêtre, mais apôtre par la prière et le sacrifice, comme elle l’a été. Du coup, il veut entrer au carmel. Impossible parce qu’il est un garçon. Qu’à cela ne tienne, il demande à Dieu de le changer en fille... Après avoir ri un moment de cette idée, sainte Thérèse l’encourage à faire cette prière à Dieu le soir même. Le lendemain, déception... Il se rend compte alors que c’était ridicule et il en veut un peu à sa grande sœur de ne pas lui avoir ouvert les yeux avant. Sainte Thérèse lui répond qu’elle l’a fait exprès pour lui faire comprendre que « Dieu aime qu’on lui dise tout avec sincérité ».
Pendant ce temps, ses relations avec les Dominicains se sont détériorées. Plusieurs fois, il se plaignit que les jeunes n’avaient pas assez à manger, le supérieur avait beau lui expliquer que l’occupation japonaise rendait difficile les approvisionnements, Van insistait. Et comme il refusait aussi de se faire coiffer à la française comme les autres, le supérieur finit par le traiter de petit orgueilleux, et il le chassa.
Il prie la Sainte Vierge de l’éclairer, car où doit-il aller ? Dans un songe, il voit saint Alphonse de Liguori lui sourire. Et peu de temps après, un concours de circonstances le conduit chez les Rédemptoristes à Hanoï.
Auparavant, sainte Thérèse lui avait fait savoir que leurs entretiens familiers allaient cesser et qu’il aurait à souffrir. Elle l’encouragea : « Reste en paix... Le monde voudra t’écraser, mais tu deviendras une fleur splendide entre les mains de Jésus... Ne cède jamais au découragement... Ne recule pas devant la difficulté... N’aie pas peur de la souffrance. Un jour, tu parviendras à la gloire... Van, mon tout petit frère, je te donne un baiser, et je te souhaite un heureux voyage ! »
LE CONFIDENT DE JÉSUS ET DE MARIE
Comme nous l’avons déjà dit, ses débuts chez les rédemptoristes ne furent pas faciles. Il avait seize ans, mais en paraissait douze, si bien que les tâches qu’on lui assignait au noviciat des frères convers étaient bien pénibles pour ses faibles forces. Cependant il tint bon, refusant même tout favoritisme. Il remit à leur place deux jeunes confrères qui voulaient l’aider, craignant derrière cet acte de charité fraternelle un désir inavoué d’amitié particulière.
Or, un beau matin, une vision de Jésus le ravit, celle que nous avons racontée au début de ce récit.
Elle fut suivie de bien d’autres locutions intérieures, tant de Notre-Seigneur que de la Sainte Vierge.
La plupart d’entre elles portent sur la voie d’enfance. « Sache que j’ai une prédilection spéciale pour les enfants ; je suis si heureux d’être leur ami, lui dit Jésus. S’ils veulent me chercher, c’est très facile : ils n’ont qu’à examiner leur propre manière d’agir et ils me trouveront immédiatement en eux. (...) Quand ils jouent au ballon, quand ils font des concours de natation ou se livrent à leurs jeux enfantins, je suis présent au milieu d’eux... »
D’autres communications concernent les souffrances que Jésus endure de la part des prêtres qui ne sont pas les témoins de son amour. Leur infidélité l’oblige à aller « se réfugier dans les petites âmes. Elles deviennent mes épouses et me servent... Je leur confère ensuite la dignité de mère des âmes que je vais sauver. »
Le 3 septembre 1946, la Sainte Vierge lui adresse ce message : « Mon petit Van, voici une chose que je te recommande et que tu devras mettre en pratique... je fais la même recommandation à ton père spirituel : demain, premier samedi du mois, jour qui m’est consacré, je ne te demande rien d’extraordinaire, mais seulement d’offrir tes œuvres à l’intention de mes petits apôtres – ceux-là qui doivent plus tard établir mon règne sur terre – afin que, remplis de ferveur et de courage, ils puissent tenir tête au monde et à l’enfer. Mon règne arrivera après celui de l’Amour de Jésus ; et ce règne sera plus ou moins stable ici-bas, selon qu’il y aura plus ou moins de prières. Si l’on prie peu, il durera peu ; mais plus on priera, plus aussi mon règne sera solide et de longue durée. Vu que mon règne viendra après le Règne de l’Amour de Jésus, il ne sera que le signe qui révèlera clairement aux hommes le Règne de l’Amour de Jésus, et amènera le monde à reconnaître que je suis vraiment Mère. »
Il reçoit aussi des communications sur la France et sur l’avenir du monde. Jésus lui explique que le grand péril est le communisme, puis la franc-maçonnerie, mais que, si on prie, l’amour sauvera le monde.
Enfin, en 1950, Jésus lui annonce qu’il le laissera seul, mais que ses souffrances seront le signe qu’il est agréable à son cœur. Il est alors envoyé à Saïgon, où il mène, au témoignage de son supérieur, une vie « de bon frère, plutôt discret, appliqué au travail et assidu à la prière ». Il prononce ses vœux perpétuels en 1952. À un jeune correspondant, il écrit : « Tout se résume dans “ l’amour ” et “ la confiance ”. Mets cela en pratique, et tu vivras toujours dans la paix. »
Lorsqu’en juillet 1954, les accords de Genève sonnent l’abandon de l’Indochine par la France et que le Nord-Vietnam passe sous contrôle communiste, frère Marcel se porte volontaire pour rejoindre la paroisse des rédemptoristes à Hanoï où ne restent plus que trois prêtres vietnamiens. « J’y vais, dit-il, pour qu’il y ait quelqu’un qui aime le Bon Dieu au milieu des communistes ».
Le 7 mai 1955, alors qu’il fait des commissions en ville, il entend débiter des mensonges sur le gouvernement de Saïgon ; sans réfléchir un instant qu’il s’agit de provocateurs, il rectifie la vérité, mais il est aussitôt arrêté.
Torturé pendant deux mois, il fait preuve d’un grand courage. En particulier, il refuse d’accuser ses frères en religion et de passer à l’Église officielle. Puis, il est envoyé en camp de rééducation où il retrouve de nombreux catholiques à qui il fait beaucoup de bien. Son supérieur, le Père Joseph Vu-Ngoc Bich, un rédemptoriste vietnamien, a reçu plusieurs messages de lui, très édifiants ; comme ce père a survécu dans l’église Notre-Dame du Perpétuel Secours d’Hanoï jusqu’à la libéralisation du régime en 1995, il a pu les verser au procès pour l’éventuelle béatification.
En août 1957, le frère Marcel tente de s’évader pour aller chercher des hosties. Repris, il est mis aux fers pendant trois mois, puis au cachot. Il n’en est tiré qu’en juin 1959, il n’a plus alors littéralement que la peau sur les os. Il s’éteint paisiblement, après trois semaines d’agonie, le 10 juillet 1959 ; à ses côtés, le Père Vinh, vicaire général du diocèse d’Hanoï, prisonnier comme lui, lui donna une dernière absolution.
Cette mort édifiante est-elle le sceau de la sainteté sur la vie de ce jeune religieux, dont l’enseignement s’accorde si bien avec notre mentalité moderne et la spiritualité postconciliaire ? Ou bien, Marcel Van est-il à sainte Thérèse ce que Medjugorje est à Fatima ?
UNE VOIE D’ENFANCE POUR CULTE DE L’HOMME
Marcel Van est-il un saint ? La question vaut d’être posée parce que sa mystique, qui lui aurait été enseignée par sainte Thérèse, la Sainte Vierge et même Notre-Seigneur, se répand aujourd’hui chez les charismatiques et dans les communautés nouvelles, aussi bien que dans des milieux plus traditionalistes. La popularité de Van n’est donc pas le fait d’un hasard, elle correspond à un courant de spiritualité qui s’inscrit sans difficulté dans l’Église postconciliaire.
Pour nous, l’enjeu est semblable à celui des apparitions de Medjugorje, qui confirmaient certes l’enseignement de Vatican II et de Jean-Paul II, mais dont l’examen critique aboutit à nier leur caractère surnaturel et met en évidence les contradictions avec le message de Fatima. La voie d’amour de Van va nous paraître un indéniable soutien au culte de l’Homme, mais inconciliable avec la véritable petite voie de sainte Thérèse et la doctrine catholique. Lisez plutôt.
LES APPARENCES DU BIEN
Commençons par admettre que la vie de Van peut paraître édifiante, pour trois raisons. Tout d’abord, elle semble témoigner d’une grande simplicité d’âme. C’est d’ailleurs ce qui a séduit son maître des novices : « La vie exemplaire du frère Van, écrira-t-il, sa limpidité d’âme, sa parfaite obéissance à son père spirituel et sa générosité en face du sacrifice, nous donnent un préjugé favorable touchant sa véracité et partant l’authenticité de ses communications. »
De plus, son ardeur dans l’adversité est impressionnante. Ses souffrances d’enfant maltraité, sa persévérance à vouloir se consacrer au Christ, et surtout sa fin héroïque dans un camp de concentration communiste, plaident évidemment en faveur d’une réelle sainteté.
Enfin, la révélation de l’amour de Dieu, infini, miséricordieux, paraît un écho moderne des révélations du Sacré-Cœur, ou même des écrits johanniques. Dieu veut sauver tous les hommes, il veut nous faire entrer dans son amour. Et lorsque Van parle d’abandon, de confiance, d’enfance spirituelle, on peut facilement se sentir ému, réconforté, apaisé.
Alors, vraie ou fausse mystique ? Le partage est facile à faire selon les règles de discernement connues. Pour les âmes qui reçoivent des grâces mystiques insignes, comme Van le prétend, il faut examiner l’exactitude dogmatique de ces révélations avant toute autre considération. Une seule erreur, et le jugement tombe implacable : fausse mystique !
LES ERREURS DOGMATIQUES
Or, nous allons en trouver plusieurs, sans même prétendre en dresser la liste exhaustive. Commençons par un indice flagrant : une contradiction avec les demandes de Notre-Dame de Fatima.
La Sainte Vierge évoqua, en septembre 1945, le premier samedi du mois, jour qui lui est consacré, précisa-t-elle, mais c’est aussitôt pour dire qu’elle ne demande rien de spécial : « Mon petit Van, voici une chose que je te recommande et que tu devras mettre en pratique... je fais la même recommandation à ton père spirituel : demain, premier samedi du mois, jour qui m’est consacré, je ne te demande rien d’extraordinaire, mais seulement d’offrir tes œuvres à l’intention de mes petits apôtres – ceux là qui doivent plus tard établir mon règne sur terre – afin que remplis de ferveur et de courage, ils puissent tenir tête au monde et à l’enfer. » Aucune mention du Cœur Immaculé, ni de la dévotion des cinq premiers samedis du mois. La Sainte Vierge aurait-elle changé d’avis ? Ou bien cette révélation ne détourne-t-elle pas Van et les siens de cette petite dévotion que Notre-Dame de Fatima nous a présentée comme une condition sine qua non de la paix du monde et du triomphe de l’Église ?
Les révélations de Van au sujet de la Sainte Vierge n’ont pas fini de nous surprendre. L’enseignement des saints et les apparitions mariales reconnues annoncent le triomphe du Cœur Immaculé comme un préalable nécessaire à l’établissement universel du Règne du Christ ; saint Louis-Marie Grignion de Montfort, par exemple, affirmait : « C’est par la Très Sainte Vierge Marie que Jésus-Christ est venu au monde, et c’est aussi par elle qu’il doit régner sur le monde ». Chez Van, la perspective se renverse :
« Mon règne [c’est la Sainte Vierge qui est censée parler] arrivera après celui de l’Amour de Jésus ; et ce règne sera plus ou moins stable ici-bas, selon qu’il y aura plus ou moins de prières. Si l’on prie peu, il durera peu ; mais plus on priera, plus aussi mon règne sera solide et de longue durée. Vu que mon règne viendra après le Règne de l’Amour de Jésus, il ne sera que le signe qui révélera clairement aux hommes le Règne de l’Amour de Jésus, et amènera le monde à reconnaître que je suis vraiment Mère. »
C’est une autre perspective que celle du triomphe du Cœur Immaculé de Marie annoncé à Fatima, c’est-à-dire de la victoire décisive et définitive de la Sainte Vierge sur Satan ! Mais c’est celle du Concile Vatican II reléguant la Sainte Vierge et « son rôle subordonné » au dernier chapitre de Lumen gentium !
D’ailleurs, dans les révélations reçues par Van, il n’est pas fait mention d’un combat entre la Vierge Marie et Satan. Au contraire ! Celle-ci se lamente sur le démon, qu’elle aime parce qu’elle est sa mère ! « Mon enfant, jamais, absolument jamais je ne parle au démon avec dureté. Si je le faisais, mon petit Van, je ne mériterais pas d’être ta Mère. C’est parce que les gens veulent donner plus de force à mes paroles qu’ils me font parler ainsi. (...) Moi-même, je n’ai pas non plus de haine pour le démon mais uniquement pour son péché. Le démon ne me reconnaît pas pour sa Mère, mais je suis quand même sa vraie Mère. » (p 279 « Écrits spirituels »)
Non, la Sainte Vierge n’est pas la mère du démon, pas plus que celle des anges, tout simplement parce qu’elle ne leur donne pas la vie. Alors qu’elle est notre vraie Mère à nous, pauvres pécheurs, parce qu’elle nous a enfantés à la vie éternelle au pied de la Croix, son Cœur Immaculé ne faisant qu’un avec le Cœur sacré de Jésus dans cette terrible Passion, et parce qu’elle est la mère de Jésus dont il nous faut « manger la chair » pour avoir la vie éternelle (Jn 6).
Des anges, elle est la reine. Et sa présence est insupportable aux démons, anges déchus. À Lourdes, par exemple, lorsque les démons s’agiteront durant une des apparitions, la Sainte Vierge n’aura qu’à froncer légèrement le sourcil, nous dit sainte Bernadette, pour qu’aussitôt les démons s’enfuient apeurés.
Il n’y a vraiment que le diable pour faire dire à la Sainte Vierge qu’elle l’aime !
Cependant, il nous faut aller plus loin et remarquer que cette affirmation scandaleuse, blasphématoire, est parfaitement conforme à l’essentiel du Message de Van, à savoir la révélation de l’amour infini de Dieu. Alors que l’infini dans la théologie catholique qualifie la perfection divine, Van l’entend dans son sens commun actuel : l’universalité, l’absence de limite. Donc Dieu aime tout.
« Cependant, tu dois comprendre que l’Amour est infini et c’est pour cette raison que Dieu Trinité traite le démon avec bonté, comme je le fais moi-même [c’est toujours la Sainte Vierge qui parle !]. Si l’on s’en tenait à ce que tu penses, on ne pourrait pas dire que l’Amour est infini. Pourquoi le Bon Dieu n’anéantit-il pas le démon immédiatement ? C’est encore par amour pour lui ; l’amour l’attend toujours, désirant qu’il se repente et redevienne ce qu’il était auparavant. C’est pour cela qu’il ne le punit pas en l’anéantissant, car l’Amour est infini. De fait, même le démon pourrait profiter des mérites de Jésus, mais à cause de son grand orgueil il ne consent pas à les accepter.
S’il les acceptait, comment le Bon Dieu pourrait-il l’accueillir ? Mon enfant, parce que l’Amour est infini, infini et infini, il attend encore que le démon se repente et revienne à lui, l’infiniment infini. Impossible de m’exprimer de façon à te faire comprendre davantage.
Si je ne traite jamais durement le démon alors que je suis vraiment sa mère toute bonne, à plus forte raison ne le ferai-je pas pour les hommes puisque je suis encore davantage cette mère pleine de bonté. »
Or, l’enseignement de Notre-Seigneur, transmis sans faille par l’Église, nous apprend qu’il ne peut y avoir de repentir pour les démons, et donc pas de rémission. Jésus n’a pas offert son sacrifice pour les démons, mais pour le salut des hommes !
L’AMOUR INFINI DE DIEU
En fait, cette miséricorde étonnante pour les anges déchus doit conduire le lecteur de Van à une autre considération qui concerne directement les pécheurs. Lisez plutôt ce dialogue entre Van et Jésus :
« Van : Jésus, d’après ce que tu dis, je pense qu’il n’est pas certain qu’une âme puisse tomber en enfer. Je continue à penser qu’il est certainement très difficile pour le démon d’arracher une âme de tes mains, que c’est même là une chose presque impossible.
Jésus : Petit frère, tu as raison de penser ainsi, mais malheureusement les hommes ne pensent pas de même. »
L’un des aspects de la mission de Van sera donc de persuader les hommes que l’Amour de Dieu est infini, si grand que les péchés des hommes ne l’atteignent pas. Vous vous souvenez de cette vision que Van présente comme une des plus importantes qu’il ait reçues, une foule haineuse entoure Jésus, blasphème et lui jette des pierres en visant la tête, or elles ne l’atteignent qu’aux jambes :
« Au milieu des injures, Jésus gardait un visage plein de bonté et regardait cette foule avec amour, oui, avec amour, un immense amour ! En les voyant persister dans leur folle attitude, il eut compassion d’eux et laissa couler une à une ses larmes sur sa poitrine. (...) Jésus me regarda et me dit : “ Mon enfant, prie beaucoup et fais de nombreux sacrifices pour tous ces hommes malheureux ! Sauve-les, en union avec moi !... ” » Mais attention, il ne s’agit pas ici de sacrifice rédempteur, mais du témoignage de l’Amour inconditionnel. Jésus ne pleure pas sur l’injure faite à Dieu, ou sur le sort tragique des pécheurs voués à l’enfer éternel. Il pleure sur le malheur actuel des hommes qui ne connaissent pas l’Amour.
Ce soi-disant Jésus n’est pas le Sacré-Cœur qui apparaissait à sainte Marguerite-Marie, lui montrant et la sainteté de justice de Dieu réclamant réparation pour le moindre péché, et la sainteté de miséricorde pardonnant, certes, mais en offrant le sacrifice rédempteur !
Pour être convaincu que ce message de Van ne vient pas du Ciel, qu’on se souvienne aussi des paroles de Notre-Dame, empreintes de bonté et d’une immense tristesse, après qu’elle a montré l’enfer aux trois petits enfants de Fatima : « Vous avez vu l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. » Ou encore, le 19 août 1917, lorsqu’elle se fait plus pressante : « Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âmes vont en enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles. »
En revanche, le message de Van rejoint la gnose wojtylienne ; c’est le même esprit qui parle. « – Van : Jésus, je t’aime bien gros. Et maintenant, je te pose une question. Comment se fait-il qu’on entende certains dire qu’ils ont grand peur de toi ?
– Jésus : Oh ! Van, c’est bien étrange, n’est-ce pas ? Moi-même, je trouve cela surprenant et je ne comprends pas pourquoi bon nombre d’âmes ont ainsi peur de moi. Elles ont tellement peur qu’elles n’osent même pas ouvrir la bouche pour m’adresser une parole d’amitié. Pourtant, je me comporte envers ces âmes tout comme envers toi. [vous remarquerez l’égalité de traitement entre toutes les âmes, indépendamment de leur état, de leur religion, de leur foi !] Cependant, Van, il ne faut pas que cela t’étonne outre mesure : ce qui explique l’attitude de ces âmes, c’est qu’elles n’ont pas assez d’amour pour moi, qu’elles ne veulent pas écouter mes paroles ni recevoir mes baisers. (...). On a peur parce qu’on veut bien avoir peur, car je ne fais rien qui soit de nature à effrayer qui que ce soit, et si jamais mon amour voulait semer la terreur parmi les hommes, il ne mériterait plus le nom “ d’Amour ”. [Et voilà les colères de Dieu et ses châtiments de l’Ancien Testament, comme ceux annoncés par l’Évangile, effacés d’un trait de plume, théologiquement inacceptables, au bénéfice de qui ? certainement pas des pécheurs qui n’ont plus à se convertir !]
« Quand j’exerce ma justice, ce n’est pas pour punir les âmes qui m’aiment mais uniquement celles qui ne m’aiment pas. Lorsque ces dernières disent qu’elles ont peur de Dieu, c’est qu’elles considèrent Dieu comme étant le péché. » (p. 170)
Cela fait immanquablement penser à la conception du péché originel exposée par le cardinal Wojtyla lors d’une retraite au Vatican sous Paul VI, selon laquelle le péché d’Adam et d’Ève n’est pas d’avoir désobéi à Dieu, mais d’avoir cru que Dieu puisse interdire quelque chose. C’est donc parce que les hommes ont une conception erronée de Dieu qu’ils ne l’aiment pas. Qu’on rétablisse la vérité sur Dieu, c’est-à-dire qu’on explique que Dieu est un amour infini, sans condition, et les hommes aimeront ce Dieu, ce Dieu qui nous veut heureux, beaux, épanouis, simples, en un mot : qui respecte la dignité de l’homme.
ENFANCE SPIRITUELLE ET CULTE DE L’HOMME
Ce que le Jésus de Van appelle l’enfance spirituelle, n’est autre que l’attitude de l’homme face à cet amour infiniment respectueux de sa dignité : « Sais-tu pourquoi je propose souvent l’exemple des enfants pour conduire les hommes à la plénitude ? C’est que les enfants, en agissant comme ils le font, sont déjà parfaits ; il ne reste plus qu’à leur apprendre à aimer et alors ils sont vraiment parfaits. Tout homme, quel qu’il soit, doit en arriver là sous peine de ne pas être admis au ciel. »
Est-ce bien catholique de reconnaître une perfection aux enfants sans que le baptême y soit pour quelque chose ?
La comparaison des propos de Van avec la petite voie de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus nous permet de distinguer la vraie sainteté, celle de sainte Thérèse, de sa singerie...
« Voici le génie de sainte Thérèse, explique l’abbé de Nantes : s’adressant à l’une puis à l’autre de ses novices, elle comprit qu’à la racine de toutes les résistances elle se heurtait à leur quant-à-soi, à la “ personne humaine libre et autonome ” qu’il fallait respecter dans sa dignité, dans ses convictions, dans son jugement propre ou qui, ultime piège, se complaisait dans son humilité, ou prétendait être la victime de sa communauté, de sa famille, ou de Dieu, assurément trop dur avec elle ! En un mot, l’obstacle à toute sainteté, c’est ce fameux moi, moi, moi, qui interdit à Jésus d’entrer dans notre âme et de la vaincre par son amour. »
Pour sainte Thérèse, il y a donc une œuvre de sanctification à opérer, un combat à mener. Et l’enfance spirituelle consiste à s’abandonner à la volonté de Jésus qui le mène. Elle rappelait donc à ses novices que tout ce qui nous arrive, agréable ou non à la nature, conforme ou non à nos goûts, à notre dignité, à nos désirs, à nos plaisirs, à notre propre volonté, est voulu par Dieu pour purifier notre âme pécheresse, la rendre plus digne de son amour. Chez sainte Thérèse, la simplicité de l’enfance est la vertu qui ouvre l’âme à l’action purificatrice de son époux. Pour Van, la simplicité est la perfection, comme elle l’était dans le quiétisme de Mme Guyon, fausse mystique du 17e siècle condamnée par l’Église, qui prônait le pur amour et déjà l’enfance spirituelle.
Citons encore sainte Thérèse : « Ce que Jésus désire, c’est que nous le recevions dans nos cœurs ; sans doute, ils sont déjà vides des créatures [elle s’adresse à des carmélites !] mais hélas, je sens que le mien n’est pas tout à fait vide de moi et c’est pour cela que Jésus me dit de descendre... » Notre Père commente : « tout le secret de la Petite Voie d’enfance tient en ceci : n’être rien à ses propres yeux. Je sais que je ne peux rien faire de bon par moi-même ; je ne revendique rien ; je n’ai nulle ambition si ce n’est d’aimer Jésus seul et d’accueillir son amour, pour Lui faire plaisir. Je lui rends les clefs de mon âme et mets ma main dans la sienne. Tout d’un coup, me voilà emportée. Il n’y a plus qu’à aller où l’amour me pousse, pour faire des progrès dans la vertu et entamer une course de géant. »
L’amour chez sainte Thérèse est une vertu active, même l’oraison est d’abord une application de l’âme. La grâce est première, certes, miséricordieuse, mais elle implique une réponse. Tandis que chez Van, l’amour, la confiance tient lieu de vertu.
« Van, tu dis n’avoir aucune vertu ? C’est vrai, petit frère, mais qu’as-tu besoin d’avoir des vertus quand ton cœur renferme déjà toutes les vertus ? Ces vertus, cependant, ne sont pas à toi ; elles sont à moi seul. Ainsi donc, tout ce que tu as à faire c’est d’être prêt à contenir l’Amour et ensuite l’Amour sera tout pour toi. Allons, Van, sois joyeux : je n’aime pas rester avec les enfants tristes. Les enfants qui sont portés à pleurer, je puis encore les consoler et les faire sourire mais avec les enfants portés à la tristesse, je ne puis rien faire et c’est bien dur pour moi de demeurer avec eux ! » (p. 252)
Nous pourrions aussi montrer que la véritable voie d’enfance conduit à l’admiration sans bornes de l’Église, des saints, de la Chrétienté, autrement dit de toute l’œuvre divine dans notre histoire, sans exception. Elle conduit à participer aux combats actuels du Christ. Sainte Thérèse ne se contentait pas d’admirer sainte Jeanne d’Arc, elle vibrait aux combats de l’Église de son temps contre les anticléricaux et les franc-maçons. Dans l’affrontement du parti de Dieu contre le parti du Diable, on ne doute pas de l’objet des prières et des sacrifices de la petite Thérèse.
Il en va tout autrement pour Van. La libération de son peuple, l’exaltation de la liberté le passionnent davantage que l’œuvre des missions et de la colonisation catholique qu’il ne comprend pas.
Une autre différence saute aux yeux lorsqu’on compare les écrits de ce prétendu petit frère de sainte Thérèse à ceux de l’authentique sainte de Lisieux. Dans ses manuscrits, celle-ci est remarquablement discrète sur les désordres du clergé et ceux de sa communauté. Son âme sainte ne se fait aucune illusion, mais elle n’éprouve pas le besoin de s’en faire l’accusatrice ni de les raconter.
Quel contraste avec les écrits de Van toujours prompt à souligner les imperfections de son entourage et les mauvais traitements qu’il a subis.
Non, décidément, ce jeune religieux n’est pas animé par l’Esprit de Dieu. Mais alors, comment expliquer sa séduction sur les âmes et l’ouverture de son procès de béatification à Rome ?
Une lecture trop superficielle des écrits de Van et les documentaires télévisés savamment arrangés pour éviter les controverses ne suffisent pas à expliquer ce phénomène que trois raisons plus profondes font mieux comprendre.
SENSUALISME
L’abbé de Nantes conclut son étude « Vraie et fausse mystique » par des conférences remarquables sur les trois écueils de la vie spirituelle longtemps aride pour les chrétiens ordinaires, car elle suppose une purification de l’âme et une application de la volonté à celle de Dieu. C’est le moment propice pour le démon ! Trois types de tentations, qui sont d’ailleurs celles de Jésus au désert, assaillent alors l’âme pour la détourner du bon chemin. Le sensualisme, tout d’abord, c’est-à-dire la recherche de la satisfaction de ses sens. Puis, le messianisme : au lieu d’avoir « le Ciel comme unique but de nos travaux », l’âme recherche le bonheur ici-bas, et s’enthousiasme pour l’instauration d’un royaume de Dieu terrestre. Quant à la troisième tentation, la plus terrible, c’est le gnosticisme, l’invention d’une nouvelle religion toute à la gloire de l’homme, qui vient justifier le sensualisme et le messianisme. Comme les écrits de Van satisfont ces trois désorientations, tout chrétien tenté, en butte à l’aridité de la vraie vie spirituelle, s’y complaira.
Même si Van semble avoir été d’une pureté remarquable tout au long de sa vie, ses prétendues révélations encouragent néanmoins le sensualisme, très répandu dans notre société actuelle, par le peu d’importance qu’elles accordent au péché :
« D’ordinaire, écrit Van, il m’est très pénible de me confesser, car au moment de la confession tous mes péchés s’envolent quelque part ; j’ai beau les chercher, je ne les trouve pas. De plus, je n’ai d’ordinaire qu’un seul péché grave, celui de me fâcher un peu contre toi, Jésus, pour t’être absenté depuis si longtemps et ne faire plus aucun cas de ton pauvre petit ami. C’est là rien moins que d’être ingrat... (...) C’est parce que tu ne m’emmènes pas au ciel que je tombe dans le péché... »
« Dans les âmes enflammées d’amour pour moi, dit le Jésus de Van, je ne vois aucune imperfection car dès qu’elles ont commis une faute, elle est immédiatement consumée dans le feu de mon amour de sorte que ces âmes sont toujours pures devant mes yeux... » Le immédiatement est de trop... ou alors, il faudrait préciser qu’il faut tout de même le repentir, la confession.
Il faut mentionner aussi les passages où Van critique l’ascétisme traditionnel. Par exemple, lorsqu’il ne voulait pas rester chez les Dominicains « parce que dans votre ordre, il n’y a que des saints qui ne mangent pas, qui gardent une barbe épaisse et se rasent la tête comme vous. Je reconnais que je ne puis me sanctifier de cette manière-là. J’ai besoin de manger à ma faim, de me baigner, de me raser, d’être propre et de garder la juste valeur dans les soins à garder au corps. » Comparez avec sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui, tout en déclarant que la voie d’enfance spirituelle ne met pas au premier plan les pénitences corporelles, pratiquait avec ardeur toutes celles du Carmel !
MESSIANISME ET GNOSTICISME
Mais c’est surtout l’écueil du messianisme et du gnosticisme que favorisent les écrits de Van, puisqu’il paraît comme le prophète d’un monde nouveau où la paix régnera par l’Amour. Cela le conduit à un total désintérêt pour l’œuvre de l’Église. À preuve, sa condamnation du colonialisme, qui ne distingue pas le principe même de la colonisation et l’œuvre indiscutablement bénéfique des missionnaires et des colons catholiques en Indochine, de l’action néfaste des francs-maçons. Tous les français sont arrogants parce qu’ils ne mettent pas la « nation vietnamienne » sur un pied d’égalité avec la France. Par contre, les crimes des révolutionnaires sont justifiés et n’éveillent chez lui aucune horreur.
Peu de temps avant le départ des Français, Van écrit à son maître des novices un long texte où il condense sa conception en matière politique. C’est une évasion totale dans le surnaturel, un refus du combat, jugez plutôt :
« Je ne veux pas devenir un héros l’épée à la main, un guerrier armé d’un fusil. Je ne veux être qu’un héros animé d’un esprit pénétrant qui lutte pour la réforme de la vie, un guerrier puissant qui sait utiliser l’arme de la prière, qui sait sacrifier son corps pour la patrie en renonçant à sa volonté propre, en menant une vie cachée dans l’amour de Dieu. Par conséquent, les sentiments que j’éprouve aujourd’hui sont les sentiments d’un héros et d’un guerrier catholique, sauveur de la patrie. (...) Aujourd’hui, le Vietnam est hanté par la crainte d’une invasion des communistes chinois. Les catholiques surtout, rien qu’à entendre le mot communiste... tremblent de peur, comme s’ils avaient le glaive sur le cou ou le canon d’un fusil braqué sur la tempe ou la poitrine. (...) Si les gens décident de combattre le communisme et de le détruire par les armes, est-ce qu’ils ont une chance de réussir ? Non. »
La seule arme qu’il prône, c’est la prière. « Nous qui avons compris et démasqué ces gens au drapeau rouge, nous avons l’obligation, comme chrétiens, de combattre leur doctrine opposée à la foi catholique en utilisant contre cet ennemi numéro un la force qui nous vient de Dieu. » Il parle tout de même d’efforts de conversion à faire, mais finalement il termine par une prophétie que les faits ont contredite : « Les communistes chinois ne peuvent envahir le Vietnam. J’en suis toujours personnellement certain, à cause de ma ferme confiance en Dieu. » Le communisme a bien envahi le Vietnam et l’Église catholique y a été affreusement persécutée.
Cette fausse mystique méprise l’ordre catholique traditionnel, sa sagesse politique et les leçons de l’histoire. Comment peut-on accepter que Van se prétende le petit frère de celle qui avait une telle dévotion pour sainte Jeanne d’Arc, qui partageait les convictions monarchistes de sa famille, qui aurait voulu être missionnaire, mais aussi zouave pontifical pour aller se battre, être martyre !
Enfin, ces révélations développent une gnose, celle de la civilisation de l’Amour. Comme toute gnose, elle a une apparence catholique : on en retrouve tout le vocabulaire, certaines pratiques de vertus, et même des prières catholiques, mais dans une tout autre perspective. Puisque Dieu est si bon, infiniment bon, il ne peut vouloir que le salut des hommes. Il les admire et se plaint d’une chose : ces hommes ont peur de lui, ils ne sont pas assez familiers avec lui. La nécessaire conversion, l’adhésion à l’Église catholique, seule arche de salut, le mystère de la rédemption avec son aspect dramatique, la crainte de l’enfer, la nécessité de la dévotion à la Sainte Vierge, le Cœur Immaculé de Marie etc... etc... tout cela est absent ou minimisé, nous l’avons déjà vu.
L’amour et la confiance tiennent lieu de vertu. C’est finalement plus proche du protestantisme que de la foi catholique. Luther disait : « pèche fortement, mais aie la foi plus fortement encore et tu seras sauvé », Van dit : « ayons une confiance sans borne en Dieu et nous serons sauvés ».
On pourrait nous objecter certains écrits de sainte Thérèse, par exemple : « Dites bien, ma Mère, que, si j’avais commis tous les crimes possibles, j’aurais toujours la même confiance, je sens que toute cette multitude d’offenses serait comme une goutte d’eau jetée dans un brasier ardent. » Ou encore : « Je comprends si bien qu’il n’y a que l’amour qui puisse nous rendre agréables au Bon Dieu, que cet amour est le seul bien que j’ambitionne. Jésus se plaît à me montrer l’unique chemin qui conduit à cette fournaise Divine, ce chemin c’est l’abandon du petit enfant qui s’endort sans crainte dans les bras de son Père. »
Cependant, comme nous l’avons déjà dit, chez sainte Thérèse, cet abandon n’exclut ni l’effort constant pour acquérir la vertu, ni la lutte contre les tentations, ni la pratique nécessaire des sacrements.
Surtout, il implique la participation de l’âme au combat de l’Église contre les puissances du Mal déchaînées. La carmélite qui prie et se sacrifie dans son couvent pour attirer la grâce, le fait comme membre d’un corps aux limites connues, prise dans un combat que d’autres soutiennent avec peut-être autant d’amour qu’elle, mais de différentes manières. Dans ce combat contre Satan pour le salut des âmes, l’Église a besoin de sa hiérarchie avec ses pouvoirs spirituels et divins, mais aussi du soldat, du juge, du théologien, de l’école catholique, de l’hôpital catholique, de la mission etc... Toutes ces institutions, animées par l’amour de Jésus et de Marie, sont nécessaires contre un monde dominé par Satan.
Or, tout cela est absent chez Van, car... l’amour de Dieu est infini ; qui l’a compris, n’a plus de souci à se faire...
Comparons avec ce que notre Père dit dans sa Mystique pour notre temps, du “ tragique amour ” de Jésus.
« Jésus combat contre le Péché, pour arracher toutes les âmes à l’enfer. Et c’est ce combat qui le mène à se faire homme, se laisser ranger parmi les esclaves, les criminels, les condamnés de droit commun, et crucifier. À notre contemplation esthétique de la condescendance divine manquerait l’élément le plus profond si nous imaginions que cet abaissement fut tout de liberté et d’amour gratuit du paradoxe. Il faut y ajouter le combat contre le mal, la haine de l’enfer, l’expiation du péché, la victoire à obtenir contre la corruption et la mort. Aucun dilettantisme, aucun humanisme dans l’Incarnation. Mais un rendez-vous avec Satan, pour le vaincre et lui arracher ses victimes. »
L’amour authentique de Dieu oblige à défendre la foi dans toute sa pureté, comme à se battre en politique pour arracher à Satan son emprise sur la société, et pour donner à l’humanité les institutions qui lui assurent la paix et la prospérité dans le respect de la loi divine. Prenez tous les saints, un saint Jean de la Croix, un saint François de Sales, un saint Pie X, une sainte Thérèse d’Avila et une sainte Thérèse de Lisieux, aucun, aussi mystique soit-il, ne s’est désintéressé de toutes ces questions pour se réfugier dans le pur amour.
Soloviev, ce penseur russe de la fin du 19e siècle, à qui nous devons un pénétrant et saisissant portrait de l’Antéchrist, pacifiste et apôtre de l’Amour, mettait en garde ses lecteurs : « La certitude du triomphe définitif pour la minorité des vrais croyants ne doit pas nous mener à l’attente passive. Ce triomphe ne peut pas être un miracle pur et simple, un acte absolu de la toute puissance de Jésus-Christ, car s’il en était ainsi, toute l’histoire du christianisme serait superflue. Il est évident que Jésus-Christ, pour triompher justement et raisonnablement de l’Antéchrist, a besoin de notre collaboration ».
Toutefois, ce que suppose un tel combat, outre l’amour de Dieu, c’est, comme le fait encore remarquer l’abbé de Nantes, « la foi exacte, précise, tragique » en l’existence de l’enfer : il ne faut pas conclure « que Dieu mettant toute sa Sagesse et sa puissance au service de son Amour, donc à notre service, il n’y a plus de Loi ni de Justice qui subsistent à l’encontre, et donc plus d’enfer... ». C’est justement ce que fait Marcel Van, comme le feront les Pères conciliaires à Vatican II.
Nous avons donc démontré que le message de Van est une fausse mystique, mais bien assortie aux erreurs modernes répandues dans toute l’Église à la faveur de Vatican II.
Quant à juger de Van lui-même c’est inutile, et cela ne revient qu’à Dieu. Qu’il soit mythomane ou victime consentante de phénomènes démoniaques, peu importe. Son enseignement est faux, à le suivre ou à l’admirer on quitte le chemin de la perfection bien balisé par les saints et l’enseignement constant de l’Église, on tombe dans la désorientation diabolique dénoncée par l’authentique message de Fatima !
La Renaissance Catholique nos 172 et 173, novembre-décembre 2009