Commentaire du discours de Benoît XVI à la Curie,
le 22 décembre 2005
À l’occasion de la présentation des vœux de Noël aux membres de la Curie romaine, (...) le Saint-Père a développé sa vision de l’application du concile Vatican II. Étudions ce discours qui réprouve les erreurs contre lesquelles seul l’abbé de Nantes en appelait aux papes Paul VI et Jean-Paul II, en vain depuis quarante ans !
Après avoir (...) rendu un hommage fervent à Jean-Paul II, Benoît XVI mentionne brièvement les deux événements créés par le défunt Pape : la Journée Mondiale de la Jeunesse célébrée à Cologne, et le Synode des évêques sur l’Eucharistie. « Pour tous ceux qui étaient présents [à Cologne], le silence intense de ce million de jeunes reste inoubliable, un silence qui nous unissait et qui élevait chacun quand le Seigneur dans le Saint-Sacrement était exposé sur l’autel. » Cela, c’est Benoît XVI qui l’a fait, par le simple rayonnement de sa présence et de son exemple.
Mais à Rome, le Pape a fait mieux encore en “ imposant ” littéralement aux évêques, au milieu du synode, une heure d’adoration, en présence du Saint-Sacrement. (...) Un Pape dont le premier souci est l’adoration de Dieu, et non pas de l’homme, on n’avait pas vu ça depuis quarante ans !
Benoît XVI en vient ensuite au dernier événement de l’année auquel il consacre un long développement : « la célébration de la conclusion du concile Vatican II, il y a quarante ans ».
RETOUR SUR LE CONCILE Vatican II
Surprise : d’emblée, le pape Benoît XVI pose la question qui fâche, sans détour. « Quel a été le résultat du Concile ? A-t-il été accueilli de la juste façon ? Dans l’accueil du Concile, qu’est-ce qui a été positif, insuffisant ou erroné ? Que reste-t-il encore à accomplir ? Personne ne peut nier que, dans de vastes parties de l’Église, la réception du Concile s’est déroulée de manière plutôt difficile, même sans vouloir appliquer à ce qui s’est passé en ces années la description que le grand Docteur de l’Église, saint Basile, fait de la situation de l’Église après le concile de Nicée ; il la compare à une bataille navale dans l’obscurité de la tempête, disant entre autres : “ Le cri rauque de ceux qui, en raison de la discorde, se dressent les uns contre les autres, les bavardages incompréhensibles, le bruit confus des clameurs ininterrompues a désormais rempli presque toute l’Église en faussant, par excès ou par défaut, la juste doctrine de la foi... ” Nous ne voulons pas appliquer cette description dramatique à la situation de l’après-Concile, mais quelque chose de ce qui s’est produit s’y reflète toutefois. »
Quel pavé de l’ours ! (...) À vrai dire, « cette description dramatique » s’applique non seulement à « l’après-Concile », mais au déroulement du Concile lui-même, dès la première session. (...)
Il faut donc observer qu’en reportant à l’après-Concile la bataille qui s’est déroulée pendant le Concile, le Saint-Père semble vouloir désamorcer, dès le début de son propos, la critique du Concile lui-même que faisait l’abbé de Nantes dans ses “ Lettres à mes amis ”. (...)
Benoît XVI a-t-il lu ces Lettres de l’abbé de Nantes, théologien de la Contre-Réforme catholique, qui figurent dans les rayons de la bibliothèque du Saint-Office, imprimées par les presses vaticanes en 1967 en vue de l’instruction de son procès devant cette Congrégation en 1968 ? On peut en douter. (...)
Il est d’autant plus remarquable de voir les pensées de ces deux hommes, le Souverain Pontife et le prêtre “ suspens ”, converger. Car nous allons voir le discours de Benoît XVI à la Curie répondre objectivement au souci de l’abbé de Nantes et légitimer ainsi sa “ soustraction d’obédience ”. (...)
RUPTURE OU CONTINUITÉ ?
Le pape Benoît XVI poursuit : « Une question se pose : pourquoi l’accueil du Concile, dans de grandes parties de l’Église, s’est-il jusqu’à présent déroulé de manière aussi difficile ? » Prenons garde à la réponse donnée par le Saint-Père à la question ainsi posée. Il y va du bien-fondé de l’opposition de l’abbé de Nantes, maintenue contre vents et marées « jusqu’à présent » :
« Tout dépend en réalité de la juste interprétation du Concile ou, comme nous dirions aujourd’hui, de sa juste herméneutique, de la juste clef de lecture et d’application. Les problèmes de la réception sont nés du fait que deux herméneutiques contraires se sont trouvées confrontées et sont entrées en conflit. L’une a engendré la confusion, l’autre, silencieusement mais de manière toujours plus visible, a porté et porte des fruits. D’un côté, il existe une interprétation que je voudrais appeler “ herméneutique de la discontinuité et de la rupture ” ; celle-ci a souvent pu compter sur la sympathie desmass-media,et également d’une partie de la théologie moderne. »
À la vérité, la sympathie des médias pour cette « herméneutique de la rupture » était l’instrument des Pères qui, au Concile, soutenaient ladite « théologie moderne », tel Joseph Frings, cardinal archevêque de Cologne, assisté de son théologien, « moderne » s’il en fut,... Joseph Ratzinger.
Par exemple, Étienne Borne, rédacteur en chef de La Croix, croyant déjà assuré le vote sur la Liberté religieuse, écrivait en novembre 1964 :
« Il y a eu depuis leSyllabus [ dont l’année 1964 marquait le centenaire]un progrès de la pensée catholique ; mais qui n’a pu s’opérer par des compléments qui auraient été apportés à un document partiel, partial, inachevé, ou par un développement des virtualités qu’il aurait pu contenir. Ce passage de l’implicite à l’explicite, qui est quelquefois la logique vivante du développement, ne peut honnêtement s’appliquer aux thèses très déterminées et aux thèmes sans clair-obscur duSyllabus. La marche en avant ici ne peut s’accomplir que par rupture et franche négation des négations non moins franches du Syllabus. »
L’abbé de Nantes citait ce texte dans sa Lettre à mes amis n° 210, du 5 août 1965, avec ce commentaire :
« Si Leurs Excellences De Smedt, Garrone, Martin avaient obtenu la proclamation par le Concile de la Liberté religieuse, il y a un an, en arguant du développement du dogme, aujourd’hui les novateurs proclameraient “ honnêtement ” avec Borne qu’il y a changement et que l’Église, reniant son passé, se condamne elle-même. Et ainsi en tant de domaines ! On donne déjà Vatican II comme l’Anti-Grégoire XVI de Mirari vos, l’Anti-Pie IX du Syllabus, l’Anti-Léon XIII de Libertas præstantissimum, l’Anti-Pie X de Pascendi, l’Anti-Pie XI de Divini Redemptoris et de Casti Connubii, l’Anti-Pie XII de Mystici Corporis, de Mediator Dei et d’Humani Generis, l’Anti-Jean XXIII même de Veterum sapientia.
« Si la thèse du développement est une astuce destinée à faire passer les nouveautés au Concile, nouveautés qu’on se réserve de déclarer ensuite contraires à tout l’enseignement traditionnel, qu’on le dise honnêtement avec Étienne Borne : le Concile change la religion et l’ancienne devient hérétique. Qu’on ose nous proposer clairement ce choix. »
« L’herméneutique de la discontinuité et de la rupture » n’avait donc pas seulement « la sympathie desmass-media, et d’une partie de la théologie moderne », Très Saint Père ! Elle rencontrait aussi l’opposition déclarée du théologien de la Contre-Réforme catholique au vingtième siècle. Bien plus, cet aveu du cardinal Albino Luciani, futur pape Jean-Paul Ier, justifiait la réticence persistante de l’abbé de Nantes :
« La thèse qui me fut le plus difficile à accepter fut celle de la liberté religieuse. Pendant des années j’avais enseigné la thèse que j’avais apprise au cours de droit public donné par le cardinal Ottaviani, selon laquelle seule la vérité avait des droits. J’ai étudié à fond le problème et, à la fin, je me suis convaincu que nous nous étions trompés. »
L’abbé de Nantes commentait : « D’un coup, la franchise du Pape restaurait le droit de tous d’être entendus, même après Vatican II, sans excommunication frauduleuse, et les vraies proportions du drame présent. Voici : certains ont fini par se laisser convaincre ou se convaincre eux-mêmes que l’Église s’était trompée jusqu’à ce jour. D’autres sont demeurés convaincus ou ont enfin compris que se sont trompés et nous ont trompés les novateurs de ce Concile plutôt que l’Église de toujours. Avouer l’erreur possible, la tromperie dans un sens ou dans l’autre, c’est rendre la paix à l’Église en renvoyant ces questions difficiles au domaine des libres opinions, dans l’attente d’un Vatican III dogmatique ou de définitions infaillibles du Pape. » (CRC n° 134, octobre 1978, p. 4)
Eh bien ! loin de promulguer une définition infaillible de la liberté religieuse, Benoît XVI constate à son tour « l’erreur », mais, à l’inverse de Jean-Paul Ier, il l’impute aux « novateurs de ce Concile » plutôt qu’à « l’Église de toujours ». C’est eux, affirme Benoît XVI, qui ont imposé une « herméneutique de la rupture », opposée à « l’herméneutique de la réforme, du renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église que le Seigneur nous a donné ; c’est un sujet qui grandit dans le temps et qui se développe, tout en restant toujours le même, l’unique sujet du Peuple de Dieu en marche. »
Quarante ans après ce concile, le pape Benoît XVI constate que l’on ne s’entend pas sur le sens des mots ! Autant dire que les Actes de Vatican II sont à réviser de fond en comble, sous peine d’aboutir, prévient le Pape, à « une rupture entre Église préconciliaire et Église postconciliaire », autrement dit : à un schisme dont ce discours exprime, entre les lignes, une véritable hantise. Ce fut aussi la hantise de l’abbé de Nantes ; il créa la “ Ligue de Contre-Réforme catholique ”, en 1970, au plus fort de la crise « de l’après-Concile », pour une seule raison : dissuader les traditionalistes de répondre à la “ rupture ” de l’hérésie conciliaire par ce qu’il appelait la “ mauvaise cassure ” d’un schisme intégriste.
Le Pape formule une analyse de cette mentalité de « rupture » chez les réformateurs, qui pourrait être recopiée des Lettres à mes amis de l’époque conciliaire, où notre Père prévoyait fort bien, sur le moment même, ce que déplore aujourd’hui le pape Benoît XVI, à savoir que prévaudrait la pensée qui avait gouverné la rédaction même de ces textes, selon laquelle « les textes du Concile comme tels ne seraient pas encore la véritable expression de l’esprit du Concile. Ils seraient le résultat de compromis dans lesquels, pour atteindre l’unanimité, on a dû encore emporter avec soi et reconfirmer beaucoup de vieilles choses désormais inutiles. »
Le Pape condamne aujourd’hui cette pensée, comme le faisait l’abbé de Nantes dès 1963, parce qu’elle est mère de toutes les anarchies :
« Il reste, dans ce cas, continue le Pape, une grande marge pour se demander comment on définit alors cet esprit et, en conséquence, on laisse place à n’importe quelle fantaisie. Mais de cette façon on interprète mal, à la racine, la nature d’un Concile en tant que tel. Il est ainsi considéré comme une sorte deConstituante, qui élimine une vieille constitution et en crée une nouvelle. »
Précisément ! C’est bien ainsi que le concile Vatican II se présentait aux yeux des observateurs avertis, depuis l’abbé de Nantes qui s’en scandalisait, jusqu’au Père Congar qui s’en réjouissait. « L’Église à son tour entre dans sa révolution de 89 », constatait le premier. (...) Quant au Père Congar, inspirateur de toute cette réforme et théologien le plus écouté du pape Paul VI, il n’hésitait pas à annoncer comme une “ bonne nouvelle ” que « l’Église a fait pacifiquement sa révolution d’octobre... »
Quarante ans après, le pape Benoît XVI conteste, pour une raison de “ droit constitutionnel ”... divin, que ce fût là le rôle d’un Concile. Car « la constitution a besoin d’un promoteur, continue-t-il, puis d’une confirmation de la part du promoteur, c’est-à-dire du peuple auquel la constitution doit servir ». Mais alors, ce n’est plus l’œuvre de Dieu. C’est l’œuvre des hommes !
De fait, déplorait naguère le cardinal Ratzinger, tout le Concile se déroula sous la pression de « spécialistes » derrière lesquels « on sentait déjà poindre l’idée d’une souveraineté du peuple de Dieu, selon laquelle c’est le peuple lui-même qui détermine ce qu’il veut comprendre par Église, laquelle semblait désormais très clairement définie comme le Peuple de Dieu. L’idée s’annonçait d’une “ Église de la base ”, d’une“ Église du peuple ” qui devenait, surtout dans le contexte de la théologie de la libération, le but de la réforme. » (Ma Vie, p. 117)
C’est exactement ce qui apparut à notre Père sur le moment même : « Les Pères du Concile ne paraissent plus alors à l’écoute de Dieu et de ses Volontés de perfection et de vérité, mais plutôt les députés du peuple chargés de ses “ Cahiers généraux ” et n’ayant d’autre délégation que du peuple, pour faire accepter ses doléances par le pouvoir central. Aspirations des masses et exigences du monde moderne, voilà les autorités souveraines du Concile. (...) » (Lettre à mes amis n° 120, du 11 oct. 1962)
Or, un tel projet “ constituant ” allait directement contre la constitution divine de l’Église :
« Les Pères n’avaient pas un tel mandat et personne ne le leur avait jamais donné, affirme le Pape ;personne, du reste, ne pouvait le donner, car la constitution essentielle de l’Église vient du Seigneur et nous a été donnée afin que nous puissions parvenir à la vie éternelle et, en partant de cette perspective, nous sommes en mesure d’illuminer également la vie dans le temps et le temps lui-même. »
Par ces simples paroles, le Pape met fin à la diplopie qui afflige l’Église depuis que le Concile, à la suite du Père Congar, lui a assigné deux fins : « la vie éternelle » et la “ construction du monde ”. Benoît XVI revient à l’Évangile : « Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. » (Mt 6, 33)
Le Pape continue en « affermissant ses frères », selon la recommandation de Notre-Seigneur lors de la dernière Cène, après l’avertissement que nous lisons en saint Luc : « Simon, Simon, voici que Satan vous a réclamés pour vous cribler comme froment ; mais moi j’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères. » (Lc 22, 31-32)
« Les évêques, par le sacrement qu’ils ont reçu, sont les dépositaires du don du Seigneur. Ce sont “ les administrateurs des mystères de Dieu ”(1 Co 4, 1) ; en tant que tels ils doivent se présenter comme“ fidèles et sages ”(cf. Lc 12, 41-48). Cela signifie qu’ils doivent administrer le don du Seigneur de manière juste, afin qu’il ne demeure pas dans un lieu caché, mais porte des fruits et que le Seigneur, à la fin, puisse dire à l’administrateur :“ En peu de choses tu as été fidèle, sur beaucoup je t’établirai. ”(cf. Mt 25, 14-30 ; Lc 19, 11-27) Dans ces paraboles évangéliques s’exprime la dynamique de la fidélité, qui est importante dans le service rendu au Seigneur, et dans celles-ci apparaît également de manière évidente comment, dans un Concile, la dynamique et la fidélité doivent devenir une seule chose. »
Après cette bonne leçon donnée rétrospectivement aux évêques de naguère, mais avec l’autorité du Souverain Pontife d’aujourd’hui, le Pape énonce « trois cercles de questions qui, à l’heure du concile Vatican II, attendaient une réponse. Tout d’abord, il fallait définir de façon nouvelle la relation entre foi et sciences modernes ; cela concernait, d’ailleurs, non seulement les sciences naturelles mais également les sciences historiques car, dans une certaine école, la méthode historico-critique réclamait le dernier mot sur l’interprétation de la Bible et, prétendant à l’exclusivité totale de la compréhension des Écritures saintes, s’opposait sur des points importants à l’interprétation que la foi de l’Église avait élaborée. »
Les émissions d’Arte, diffusées à l’occasion de Noël sous le titre de “ La Bible dévoilée ”, sont un exemple impressionnant de cette prétention, victorieuse, malgré les condamnations de saint Pie X, jusque dans l’Église. Mais l’abbé de Nantes avait annoncé cette invasion du modernisme comme une conséquence prévisible de la constitution conciliaire Dei Verbum ouvrant la porte à toutes les contestations, même, et surtout, les moins fondées scientifiquement :
« Le Concile aboutit à ériger en source absolue de la Parole de Dieu le “ sensus fidelium ”, le sens infaillible que le Peuple de Dieu a de cette Parole et le “ charisme ” prophétique qui le fait parler, dire la Parole de Dieu et la faire » (CRC n° 51, p. 11). (...)
Reprenons le fil du discours de Benoît XVI qui en vient au « point focal » de l’opposition doctrinale de l’abbé de Nantes au concile Vatican II.
LIBERTÉ RELIGIEUSE
« En second lieu, il fallait définir de façon nouvelle le rapport entre Église et État moderne, qui accordait une place aux citoyens de diverses religions et idéologies, se comportant envers ces religions de façon impartiale et assumant simplement la responsabilité d’une coexistence ordonnée et tolérante entre les citoyens et de leur liberté d’exercer leur religion. »
Jusqu’en 1965, année de la clôture du Concile, on considérait que les chefs d’État catholiques soumis à l’Église (...) agissaient en parfait accord avec l’Église catholique lorsqu’ils empêchaient, pour l’honneur de Dieu et le salut des âmes, toute manifestation publique des « erreurs de la Russie », en interdisant le parti communiste, par exemple.
« Heureuse concertation » de l’Église et de l’État, louée par saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon, l’Église soutenant la législation civile par la sagesse et la force de sa morale, l’État favorisant l’essor de l’Église et la protégeant contre toute manifestation publique de l’erreur religieuse ou idéologique.
Or, non seulement le Concile a refusé de condamner le communisme, mais encore, par la déclaration Dignitatis humanæ, il a proclamé la liberté religieuse comme un droit de la personne humaine à n’être ni contrainte, chose traditionnelle, ni empêchée, mortelle nouveauté : « La liberté religieuse demande, en outre, que les groupes religieux ne soient pas empêchés de manifester librement l’efficacité singulière de leur doctrine pour organiser la société et vivifier toute l’activité humaine. » (n° 4)
Cette libre concurrence en matière religieuse est une négation blasphématoire de l’autorité de Dieu qui se révèle dans notre sainte religion à l’exclusion de toute autre.
Un exemple de l'application de cette doctrine conciliaire : la Colombie, pays catholique à 98 %, a vu sa constitution catholique abolie à la demande expresse du Vatican, Paul VI régnant. Depuis, ce malheureux pays est tombé dans une sanglante anarchie politique et religieuse ; il est la proie des sectes protestantes venues des États-Unis, qui se répandent en Amérique latine, y bâtissent des temples, investissent des universités et des chaînes de télévision, exploitent la détresse produite par les catastrophes naturelles.
Depuis quarante ans, l’abbé de Nantes professe que la liberté religieuse, entendue comme immunité sociale et juridique garantie à tout homme accomplissant n’importe quel acte qualifié de religieux, est contraire à la foi catholique et déjà condamnée par le Magistère.
Un jour, il a écrit au Père Yves Congar, dominicain : « (...) Tu le reconnais : “ On ne peut nier que l’affirmation de la liberté religieuse par le concile Vatican II (Dignitatis Humanæ, n°2) ne dise matériellementautre chose que leSyllabusde 1864, et mêmeà peu près le contrairedes propositions 15, 17 à 79 de ce document. ” Pour être tout à fait honnête, ou courageux, tu aurais dû ajouter : et même formellement le contradictoire de l’encyclique Quanta Cura dont l’enseignement paraît à maint théologien engager l’infaillibilité pontificale !
« Or, de ces deux affirmations de l’Église, l’une magistrale et solennelle, continuelle, universelle, l’autre, simple Déclaration confuse et discutée d’un Concilepastoral, découlent deux sortes de religions, celle du culte de Dieu et celle du culte des dieux des hommes, ou plus simplement du culte de l’Homme, et deux morales, celle de la Loi divine et celle de la Liberté de l’homme. C’est donc là le point capital à résoudre d’abord, dont tout le reste dépendra forcément. » (...) (CRC n° 113, janvier 1977, p. 1-4)
LA VÉRITÉ DE LA LIBERTÉ,
C’EST LA LIBERTÉ DE LA VÉRITÉ
Aujourd’hui Pierre parle. Non pas du haut de sa cathèdre, non pas pour définir la liberté religieuse comme un droit de l’homme naturel, absolu, universel et imprescriptible de suivre sa propre démarche religieuse et de pratiquer sa religion seul ou en groupe, en public et en privé, ou de manifester son absence de religion. Non ! Parce que c’est impossible.
Aujourd’hui, Pierre parle pour rappeler que l’homme a été créé pour connaître, adorer, aimer et servir Dieu, son Père, pour suivre Jésus-Christ son seul Sauveur, et ainsi entrer, par la grâce de l’Esprit-Saint, dans l’Église catholique, unique société de salut.
Je ne dis pas que le pape Benoît XVI jette l’anathème sur la déclaration Dignitatis humanæ, loin de là ! Mais pour ouvrir à tous les hommes l’accès à ce salut, il se contente d’écacher la pointe de la mortelle nouveauté en ramenant la “ liberté religieuse ” à la pure et simple “ tolérance ” traditionnelle :
« Cela était lié en troisième lieu, enchaîne-t-il, de façon plus générale au problème de la tolérance religieuse, qui exigeait une nouvelle définition du rapport entre foi chrétienne et religions du monde. En particulier face aux récents crimes du régime national socialiste, et dans le cadre plus général d’un regard rétrospectif sur une longue histoire difficile, il fallait évaluer et définir de façon nouvelle le rapport entre l’Église et la foi d’Israël. »
Rappelons l’affirmation que l’abbé de Nantes oppose contradictoirement au concile Vatican II : la liberté de tout homme de suivre sa conscience, même erronée, du fait que celle-ci est le juge immédiat de toute décision personnelle, tout intérieure et inviolable qu’elle soit, ne saurait créer aucun droit objectif et social.
Or, que dit Benoît XVI ?
Il reconnaît que « si la liberté de religion est considérée comme une expression de l’incapacité de l’homme de trouver la vérité [en cantonnant chacun dans “ sa ” religion ]et, par conséquent, devient une exaltation du relativisme [ce qui est inévitable si on reconnaît un droit social à la liberté religieuse],dans ce cas, de nécessité sociale et historique[puisque nos sociétés sont devenues multiculturelles],cette liberté est élevée de façon impropre au niveau métaphysique [de droit de l’Homme. C’est exactement ce qu’écrivait l’abbé de Nantes au moment même où se discutait au Concile la déclaration sur la Liberté religieuse, en septembre 1965 : « Les droits subjectifs de la conscience ne peuvent être égalés aux droits objectifs de Dieu, du Christ et de la seule Église de vérité. Changer en droit théorique de simples tolérances revient à établir les droits de l’Homme à l’encontre des droits de Dieu. » (Lettre à mes amis n° 213, p. 8) ] et est ainsi privée de son véritable sens, avec pour conséquence de ne pouvoir être acceptée par celui qui croit que l’homme est capable de connaître la vérité de Dieu [c’est-à-dire par le catholique ; c’est le premier chapitre du catéchisme de Benoît XVI : « L’homme est capable de Dieu. » ]et, sur la base de la dignité intérieure de la vérité [rien à voir avec la dignité de la personne humaine et de son “ acte ” selon Jean-Paul II ! ],est lié à cette connaissance [c’est-à-dire : est tenu de s’y conformer]. » (...)
Benoît XVI nous ramène à la « simple tolérance » envers celui qui se trompe, recommandée de tout temps par l’Église, si le bien commun de la société est ainsi davantage sauvegardé et la liberté des consciences mieux marquée et garantie :
« Il est, en revanche, totalement différent de considérer la liberté de religion comme une nécessité découlant de la coexistence humaine, et même comme une conséquence intrinsèque de la vérité qui ne peut être imposée de l’extérieur, mais qui doit être adoptée par l’homme uniquement à travers le mécanisme de la conviction. »
Le Pape appelle « mécanisme de la conviction » ce qui meut la réponse de l’homme à la révélation et à l’appel de Dieu : cette réponse doit être librement consentie par « conviction » personnelle. Personne ne doit être contraint à embrasser la foi malgré lui.
L’acte de foi doit être libre pour procurer le salut.
Le Pape raye donc d’un trait de plume la nouveauté introduite par la déclaration Dignitatis humanæ, selon laquelle personne ne doit être empêché d’agir selon sa conscience. Il le fait en affirmant que cette nouveauté est due non pas à cette Déclaration elle-même, mais à une mauvaise “ herméneutique ”. Les historiens et exégètes du concile Vatican II en discuteront. Mais ce qui compte, c’est ce que décide le Pape, et le salut est d’ores et déjà possible à condition de suivre Benoît XVI sur la voie de l’Évangile où il ramène l’Église :
« Le concile Vatican II, reconnaissant et faisant sien à travers le décret sur la Liberté religieuse, un principe essentiel de l’État moderne, a repris à nouveau le patrimoine plus profond de l’Église. Celle-ci peut être consciente de se trouver ainsi en pleine syntonie avec l’enseignement de Jésus lui-même... »
Suit une référence à la maxime de Notre-Seigneur : « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mt 22, 21) Ce qui est la condamnation et de la liberté politique révolutionnaire, et de la liberté religieuse conciliaire.
« ... comme également avec l’Église des martyrs, avec les martyrs de tous les temps. L’Église antique, de façon naturelle, a prié pour les empereurs et pour les responsables politiques, en considérant cela comme son devoir (cf. 1 Tm 2, 2) mais, tandis qu’elle priait pour les empereurs, elle a en revanche refusé de les adorer et, à travers cela, a rejeté clairement la religion d’État [de l’État qui se fait Dieu]. »
Nous retrouvons ici la doctrine de nos 150 Points : « Le disciple de Jésus est, en politique comme en religion, soumis aux autorités, selon la maxime : “ Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. ” La politique théocratique, raciste et impérialiste, est à jamais abolie ; le messianisme l’est aussi ; la religion et la morale ne sauraient être invoquées contre un ordre politique légitime, car César doit être obéi, même injuste, violent, persécuteur. Le royaume de Dieu, instauré par Jésus-Christ, conquiert saintement toute l’humanité par la grâce divine et par la libre réponse des personnes, non par le renversement des princes et par la puissance des États. “ Cherchez d’abord le royaume de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroît. ” » (Point 51)
« Les martyrs de l’Église primitive sont morts pour leur foi dans le Dieu qui s’était révélé en Jésus-Christ, et précisément ainsi, sont morts également pour leur liberté de conscience et pour leur liberté de professer leur foi [catholique],une profession qui ne peut être imposée par aucun État, mais qui ne peut en revanche être adoptée que par la grâce de Dieu, dans la liberté de conscience. »
Il n’en reste pas moins, dit encore notre Point 51, que « la sagesse des princes et la prudence des politiques sont des bienfaits divins pour les peuples qui aspirent à vivre en sécurité et en paix au milieu des périls de ce monde mauvais et difficile. Seuls les saints ont une foi mystique et une force morale assez grandes pour envisager sans trembler les malheurs qu’attire sur elle une société mal gouvernée. Mais eux-mêmes ne s’en désintéressent pas, par charité pour le prochain que ces maux accablent et risquent de perdre. » (ibid., § 3)
Voilà pourquoi l’abbé de Nantes “ fait de la politique ”, depuis soixante ans.
LE SOUCI DE L’UNITÉ
« Une Église missionnaire, qui sait qu’elle doit annoncer son message à tous les peuples, doit s’engager en vue de la liberté de la foi [catholique],Elle veut transmettre le don de la vérité qui existe pour tous, et assure dans le même temps aux peuples et à leurs gouvernements qu’elle ne veut pas détruire leur identité et leurs cultures, mais leur apporter au contraire une réponse qu’au fond, ils attendent, une réponse avec laquelle la multiplicité des cultures ne se perd pas, mais avec laquelle croît au contraire l’unité entre les hommes, et ainsi, également, la paix entre les peuples. »
Jésus-Christ est Roi, Fils de Dieu, fils de David, roi d’Israël et roi des Gentils. Il a régné sur la Chrétienté ; il veut régner sur l’univers. L’Église, en vertu du mandat divin qu’elle a reçu de Lui, a le droit souverain de prêcher la vérité partout et de proscrire l’erreur chez ses fidèles. L’erreur et le mal n’ont aucun droit ni religieux, ni civil, ni social, ni dans les personnes, ni dans les législations.
Cependant le Saint-Père revendique cette liberté de l’Église avec une modération qui traduit son souci de l’unité à sauvegarder, à l’encontre de l’ « herméneutique de la rupture ». Ce fut toujours le souci majeur des vrais serviteurs de l’Église, depuis « saint Basile l’Archange » (CRC n° 89, p. 9) jusqu’à l’abbé de Nantes avertissant les traditionalistes en 1970 : « Sauver notre unité contre les modernistes serait une consigne de division. C’est de sauver l’unité catholique qu’il doit être question entre nous. » (CRC n° 31, avril 1970)
En terminant, le Pape affirme de nouveau que « l’Église est, aussi bien avant qu’après le Concile, la même Église une, sainte, catholique et apostolique en chemin à travers les temps ». Citant la constitution conciliaire Lumen gentium, il ajoute : « Elle poursuit “ son pèlerinage à travers les persécutions du monde et les consolations de Dieu ”. »
Néanmoins, nous sommes encore loin des anathèmes par lesquels Vatican III abjurera les erreurs de Vatican II ! Au contraire, le Pape termine son discours en nous invitant à « tourner notre regard avec gratitude vers le concile Vatican II », au motif que « si nous le lisons et accueillons guidés par une juste herméneutique, il peut être et devenir une force de plus en plus grande pour le renouveau toujours nécessaire de l’Église ».
Soit ! Saint Paul ne rendait-il pas grâces pour les hérésies elles-mêmes ? « Oportet hæreses esse », écrivait-il aux Corinthiens, « il faut bien qu’il y ait des hérésies pour permettre aux hommes éprouvés de se manifester parmi vous » (1 Co 11, 19).
Dans la mesure où Vatican II appelle une “ réforme ”, un « renouveau dans la continuité de l’unique sujet-Église que le Seigneur nous a donné », pour reprendre les termes du Saint-Père, nous lui serons redevables d’un Vatican III restaurateur qui fera l’Église plus resplendissante qu’avant ! C’est pourquoi, aujourd’hui, « notre gratitude » va plutôt à Dieu qui nous a donné un vrai Pontife selon son Cœur, ouvrant la voie à la vraie liberté qui est la liberté de la vérité, divine dans sa source et sa mesure.
Dans son humilité, Benoît XVI ne semble pas attacher la même importance à son propre avènement. Il achève cette rétrospective de l’année 2005 en demandant modestement la permission de « rappeler ce jour du 19 avril de cette année où le collège cardinalice, à ma grande crainte, m’a élu successeur du pape Jean-Paul II, successeur de saint Pierre sur la chaire de l’évêque de Rome ». Pour nous, enfants de l’Église, c’est au contraire le motif principal de notre action de grâces pour l’année qui vient de s’achever.
Nous vivons dans un monde où la liberté, surtout la liberté religieuse, proclamée comme un droit fondamental de l’homme et du citoyen sape toute autorité, et donc détruit tout ordre social et toute paix. En donnant licenceà toutes les erreurs, toutes les impiétés, toutes les immoralités, elle estintolérante jusqu’au fanatisme contre la vérité et le bien sous leur forme la plus pure, la plus absolue.
Mais nous espérons, après les excès d’arbitraire que le libéralisme actuel a répandus dans l’Église depuis Vatican II, nous voir reconnue la juste liberté de “ fils de Dieu ” par adoption. « Notre obéissance catholique au Pape et aux évêques est un fruit de notre liberté spirituelle, elle n’est pas un esclavage », avertissait l’abbé de Nantes dans son étude de La liberté chrétienne, pour préparer Vatican III (CRC n° 57, juin 1972, p. 4-11).
Déjà, par la grâce de Dieu, nous avons un Pontife qui proclame, avec l’autorité souveraine qu’il tient de Jésus-Christ, Dieu fait homme, la valeur unique du mariage et de la famille catholiques, de l’école catholique, de la doctrine sociale et politique puisée par l’Église dans l’Évangile du Christ. La liste des bienfaits qu’il répand en “ homme libre ” depuis son élection explique la guerre qui lui est faite au nom de “ la Liberté ” par les puissances infernales qui tiennent les peuples asservis.
Prions pour le Saint-Père.
frère Bruno de Jésus.
Extrait de Il est ressuscité ! n° 43, février 2006, p. 1-9