Ps 4 : La joie du sacrifice
- Au maître de chant, avec des instruments à cordes, psaume à David.
- À mon cri, prêtez l'oreille, Dieu de ma victoire ! Dans la détresse vous m'avez mis au large. Faites-moi miséricorde, et écoutez ma prière !
- « Enfants des hommes, jusques à quand ma gloire sera-t-elle outragée, aimerez-vous un néant, chercherez-vous le mensonge ?
- « Et sachez que Yahweh a mis à part un saint pour Lui : Yahweh prête l'oreille à mon cri vers Lui.
- « Frémissez et ne péchez pas, parlez avec votre cœur sur votre couche et taisez-vous !
- « Immolez des sacrifices de justice, et espérez en Yahweh. »
- Nombreux ceux qui disent : « Qui nous montrera le bonheur ? Faites lever sur nous la lumière de votre Face, Yahweh ! »
- Vous avez mis plus de joie dans mon cœur qu'au moment où leur blé et leur moût abondent :
- Dans la paix mutuelle, je me couche et m'endors, parce que Vous, Yahweh, m'avez fait habiter en sécurité, à part.
Nous chantons ce psaume aux complies des dimanches et fêtes : Cum invocarem... Le verset 1 fait office de dédicace, comme dans le psaume troisième. Le premier et le dernier mot sont construits avec la même préposition lamed (cf. Il est ressuscité no 20, mars 2004, p. 21). Il faut donc traduire de deux manières non pas antithétiques : « pour le maître de chant », et « de David », comme le fait la Bible d'Osty, mais parallèles, et comprendre que le psalmiste dédie son poème « à David » en tant que « maître de chant ». David était en effet poète, musicien, inventeur d'instruments de musique. Dans le deuxième livre de Samuel, il est qualifié de « chantre des hymnes d'Israël » (2 S 23, 1).
2. À mon cri, prêtez l'oreille, Dieu de ma victoire ! Dans la détresse vous m'avez mis au large. Faites-moi miséricorde, et écoutez ma prière !
Dans une lettre adressée aux juifs exilés à Babylone, le prophète Jérémie leur promettait qu'après soixante-dix ans de captivité, Yahweh les visiterait et les ramènerait à Jérusalem. « Vous crierez vers moi, et vous viendrez, vous me prierez et je vous écouterai. » (Jr 29, 12) De la part d'un peuple qui s'était détourné de Dieu, c'était dire que l'Exil les convertirait. Ce qui advint, et Yahweh « mit au large » son peuple comme promis, en le tirant de sa « détresse ». Ce mot caractérise la condition d'oppression de l'Exil. Yahweh avait dit par la bouche du prophète Osée, avant Jérémie : « Oui, je vais regagner ma demeure, jusqu'à ce qu'ils s'avouent coupables et cherchent ma face ; dans leur détresse, ils me rechercheront. » (Os 5, 15)
Ici, le psalmiste invoque Yahweh comme « Dieu de ma victoire », littéralement : « Dieu de ma justice ». Mais notre mot français “ justice ” n'est pas assez explicite pour traduire le mot hébreu “ sêdêq ”. Celui-ci implique un rétablissement non seulement de la justice intérieure de chaque individu, mais encore de ce que nous appelons l'ordre “ orthodromique ” voulu par Yahweh de toute éternité, et victorieux des forces adverses révoltées contre Lui et contre son Oint, décrites par le psaume deuxième.
Eh bien ! malgré cette « victoire », le psalmiste fait encore monter sa prière vers son Dieu. Il a été « mis au large », donc retiré de la « détresse » de l'Exil et pourtant, il implore : « Faites-moi miséricorde et écoutez ma prière. » De quoi se plaint-il donc ?
3. « Enfants des hommes, jusques à quand ma gloire sera-t-elle outragée, aimerez-vous un néant, chercherez-vous le mensonge ?
Nous avons expliqué le mois dernier comment, dans le psaume 3, le Messie nommait Yahweh « ma gloire et Celui qui exalte mon Chef » (Ps 3, 4). Ici, il se plaint des outrages faits par des hommes de rien à cette « gloire » divine dont il est revêtu. Par là, il s'identifie au Serviteur souffrant « glorifié aux yeux de Yahweh » selon le deuxième chant (Is 49, 5), mais outragé par les hommes selon le troisième chant : « J'ai tendu le dos à ceux qui m'arrachaient la barbe ; je n'ai pas soustrait ma face aux outrages et aux crachats. » (Is 50, 6)
Comme les rois et les peuples ligués contre Yahweh et contre son Oint (Ps 2, 1-2), les « enfants des hommes » aiment le « néant » des idoles, au lieu d'aimer « Yahweh ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton pouvoir » (Dt 6, 5), selon le commandement que le Deutéronome, contemporain de Jérémie, met dans la bouche de Moïse. Ils cherchent « le mensonge » des faux dieux, au lieu de chercher Yahweh.
4. « Et sachez que Yahweh a mis à part un saint pour Lui : Yahweh prête l'oreille à mon cri vers Lui.
Parmi les « enfants des hommes », il s'en trouve un qui se sait aimé de Yahweh jusque sous les outrages et les crachats des hommes, parce qu'il est « saint ( hasîd )pour Lui », avant même de naître : « Yahweh m'a appelé dès le sein maternel, dès les entrailles de ma mère, il a prononcé mon nom. » (Is 49, 1)
Aussi est-il sûr d'être exaucé, selon la promesse du troisième chant du Serviteur :
« Le Seigneur Yahweh va me venir en aide, c'est pourquoi je ne me suis pas laissé abattre, c'est pourquoi j'ai rendu mon visage dur comme la pierre, et je sais que je ne serai pas confondu. » (Is 50, 7)
5. « Frémissez et ne péchez pas, parlez avec votre cœur sur votre couche et taisez-vous !
« Frémir » de la crainte due à Yahweh et ne point pécher, c'est le commencement de la sagesse, qui est de cesser d'offenser Dieu, en réponse au « frémissement » des nations rebelles (Ps 2, 1).
« Parlez avec le cœur », selon la recommandation du Deutéronome : « Que ces paroles que je te dicte aujourd'hui restent dans ton cœur ! Tu les répéteras à tes fils, tu les leur diras aussi bien assis dans la maison que marchant sur la route, couché aussi bien que debout. » (Dt 6, 6-7)
Depuis le retour d'Exil, les « enfants des hommes » ont reçu la grâce de prendre leur plaisir dans la Loi de Yahweh, de la murmurer jour et nuit (Ps 1, 2), non plus en la récitant comme des moulins à prières, mais avec leur cœur, selon la promesse de Jérémie :
« Mais voici l'alliance que je conclurai avec la maison d'Israël après ces jours-là, oracle de Yahweh. Je mettrai ma Loi sur leur cœur. Alors je serai leur Dieu, et eux seront mon peuple. » (Jr 31, 33)
« Sur votre couche », symbole de la position humiliée de Jérusalem au retour d'Exil, gémissant telle la Bien-Aimée du Cantique des cantiques :
« Sur ma couche, la nuit, j'ai cherché celui que mon cœur aime. Je l'ai cherché, mais ne l'ai point trouvé ! » (Ct 3, 1)
« Et taisez-vous », comme le Messie dans le premier chant du Serviteur : « Il ne crie pas, il n'élève pas le ton, il ne fait pas entendre sa voix dans la rue. » (Is 42, 2) Et « tel l'agneau qui se laisse mener à l'abattoir, il n'ouvre pas la bouche. » (Is 53, 7)
6. « Immolez des sacrifices de justice, et espérez en Yahweh.»
Les milliers d'agneaux et de taureaux immolés au Temple, pendant des siècles, ont annoncé le sacrifice du Serviteur, silencieux, qui justifiera des multitudes par le Saint-Sacrifice de la Messe.
« Et espérez en Yahweh. » L'objet de l'espérance est ici la « justice », que procurera le sacrifice de l'Agneau innocent, et que la liturgie mosaïque était impuissante à procurer.
7. Nombreux ceux qui disent : « Qui nous montrera le bonheur ? Faites lever sur nous la lumière de votre Face, Yahweh ! »
Dans le psaume 3, le psalmiste était en butte à la contradiction d'une multitude sceptique, ironique : « Nombreux ceux qui disent à mon âme, au sujet d'Élohim : point de salut en Lui. » (Ps 3, 3) Les « nombreux » du psaume 4 répondent à cette apostasie par une supplication à Yahweh.
Le prophète Isaïe avait promis « une grande lumière » apportée par le Messie « au peuple qui marchait dans les ténèbres » (Is 9, 1). Des siècles ont passé dans l'attente de ce Roi-Messie et, loin de désespérer, l'auteur inspiré demande que cette lumière soit celle de la Face même de Dieu. Chose inconcevable jusqu'à lui, car personne ne peut voir la Face de Dieu sans mourir (Ex 33, 20).
8. Vous avez mis plus de joie dans mon cœur qu'au moment où leur blé et leur moût abondent :
De fait, cette lumière de la Face de Dieu apportera plus de joie que n'en promettait la même prophétie d'Isaïe : « Tu as multiplié la nation, tu as fait croître sa joie ; ils se réjouissent devant toi comme on se réjouit à la moisson, comme on exulte au partage du butin. » (Is 9, 2) Quelle est donc la source d'une joie plus grande que celle de la moisson ?
9. Dans la paix mutuelle, je me couche et m'endors, parce que Vous, Yahweh, m'avez fait habiter en sécurité, à part.
« Dans la paix mutuelle », avec Yahweh, « je me couche et m'endors », figure de la mort du Serviteur, qui sera suivie d'une mystérieuse résurrection (cf. Ps 3, 6). Au moment où le psalmiste écrit, c'est la situation du peuple hébreu, mis « à part » par Yahweh (Nb 23, 9), « en sécurité » (Dt 33, 28), depuis le retour d'Exil, dans un territoire pauvre, dévasté, limité au district de Jérusalem, « isolé dans les broussailles, au milieu des vergers » (Mi 7, 14). Mais ici, un homme, est-ce le psalmiste lui-même ? est-ce le Messie à venir dont il est la figure ? l'envoyé de Dieu, le Serviteur de Yahweh ? un homme trouve la joie dans sa condition humiliée.
C'est un extraordinaire progrès dans la Révélation, par rapport aux trois psaumes précédents, et dans l'interprétation même des poèmes du Serviteur.
Ce psaume n'est compréhensible que si nous l'entendons de Jésus qui s'immolera lui-même en sacrifice de justice « pour la multitude », sans ouvrir la bouche, sans une plainte – sauf à l'exhaler vers Dieu son Père avec son cœur – et s'endormant ainsi « dans la paix » avec Dieu, mais aussi avec les enfants des hommes : « Je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix » (Jn 14, 27), puisqu'il a pris sur lui le châtiment qui nous rend cette paix.
Cependant, il sait qu'il ressuscitera le troisième jour pour habiter « à part », hors d'atteinte, dans la gloire de la Face de son Père, dont il fera un jour briller la lumière sur nous aussi.
Frère Bruno de Jésus
Il est ressuscité ! tome 4, n° 21, avril 2004, p. 13-14