Ps 5 : « Ni schisme, ni hérésie »
- Au maître de chant, avec les flûtes, psaume à David.
- À mes paroles, daignez prêter l'oreille, ô Yahweh, comprendre ce que je murmure.
- Ô Yahweh, un Matin Vous exaucerez mon appel ; j'attends auprès de Vous, et je guette un Matin.
- Car Vous n'êtes pas un Dieu qui se plaise à l'impiété, Vous. Le méchant n'est pas votre hôte.
- Les flatteurs ne tiennent pas debout en présence de vos yeux. Vous haïssez tous ceux qui font le mal.
- Vous perdez ceux qui disent des mensonges. L'homme de sang et de ruse, Yahweh l'abomine.
- Tandis que moi, par votre riche miséricorde, j'entre dans votre maison ; je me prosterne dans la direction du Hékal, votre “ Saint ”, pénétré de votre crainte.
- Yahweh, conduisez-moi selon votre Justice à cause de ceux qui m'épient ; aplanissez devant moi Votre chemin.
- Parce que leur aire n'est pas établie par Sa bouche : au milieu d'eux sont des horreurs. Leur aire est un sépulcre béant. Ils rendent leur langue doucereuse.
- Châtiez-les, ô Élohim ! Qu'ils échouent du fait de leurs propres conseils, selon la multitude de leurs crimes, chassez-les ! Car c'est contre Vous qu'ils se sont révoltés.
- Alors ils seront joyeux tous ceux qui s'abritent en Vous, ils crieront de joie à jamais et Vous les protégerez. Et ils exulteront en Vous, ceux qui aiment votre Nom.
- Car Vous bénissez le juste, Vous, Yahweh, Vous l'entourez de faveur comme d'un bouclier.
Après l'intermède mystérieux du psaume 4 annonçant en termes voilés les souffrances, les outrages par lesquels la gloire du Messie sera occultée, l'ardeur du combat de Dieu décrite dans les psaumes 2 et 3 resurgit dans le psaume 5. Mais ici, les ennemis de Yahweh et de son Oint se laissent identifier d'une façon très concrète.
VERSET 1 : la construction de la dédicace est la même que dans les psaumes 3 et 4, expliqués en mars et avril derniers. Après « les instruments à cordes » (Ps 4, 1), voici les instruments à vent.
VERSET 2 : le « murmure » dont il s'agit est celui du juste, qui « prend son plaisir dans la Loi de Yahweh, et murmure sa Loi jour et nuit » (Ps 1, 2), et non pas celui des peuples révoltés contre Dieu (Ps 2, 1).
Le VERSET 3 précise que ce murmure est un appel au secours, une prière. Nous le savons par les psaumes précédents, le contexte est celui du retour de l'Exil où, n'ayant plus ni prophètes ni roi dans Jérusalem occupée par des étrangers, les juifs fidèles se sont retournés vers Yahweh, leur vrai roi, selon ce que le prophète Sophonie avait annoncé : « Yahweh a levé la sentence qui pesait sur toi [ l'Exil ]; il a détourné ton ennemi. Yahweh est roi d'Israël au milieu de toi. Tu n'as plus de malheur à craindre. » (So 3, 15) Il n'y a pas eu de restauration de la monarchie davidique au retour de l'Exil, mais c'est Yahweh qui est roi d'Israël.
« Car c'est Vous que je prie » : sous-entendu “ Vous et non pas un autre ” ! Affirmation de foi pure, exempte d'idolâtrie. Nous allons comprendre pourquoi.
À cause du VERSET 4, la Bible de Jérusalem titre : “ Prière du matin ”. C'est un peu court ! Car il s'agit ici du “ Matin eschatologique ”, où se tiendra le jugement dernier, à la fin des temps, objet de la foi et de l'espérance des fidèles yahwistes.
VERSET 5 : Yahweh ne peut supporter la présence du « méchant », venant hypocritement en son Temple pour y prendre part au culte.
VERSET 6 : Notre-Seigneur Jésus-Christ mettra en parabole ces « flatteurs », pharisiens qui se tiennent « debout » au premier rang de l'assemblée, faux dévots qui se présentent pour louer Dieu : « Ce peuple m'honore des lèvres, mais leur cœur est loin de moi. Vain est le culte qu'ils me rendent : les doctrines qu'ils enseignent ne sont que préceptes humains. » (Mt 15, 8-9 ; Is 29, 13)
Ici, l'image est très parlante : les flatteurs ne tiennent pas debout (cf. Ps 1, 5). C'est ce l'on verra au Matin eschatologique : ils perdront pied. Pour l'instant, Dieu a l'air de ne pas voir, mais il suffira qu'Il tourne vers eux les yeux pour les faire vaciller, s'effondrer, disparaître.
VERSET 7 : du mensonge à l'homicide, il n'y a jamais loin, comme le dira Notre-Seigneur dans l'Évangile.
VERSET 8 : la « miséricorde » est l'attribut par excellence du Dieu de Moïse, « Yahweh, Dieu de tendresse et de pitié, lent à la colère, riche en miséricorde et en fidélité. » (Ex 34, 6) À cette confiance en la tendre miséricorde de Dieu s'allie un sentiment de crainte filiale.
Le « Hékal » est la deuxième salle du temple, appelée aussi le “ Saint”, après le “ Vestibule” et avant le “ Saint des Saints” où repose l' “ arche d'alliance”, où réside la présence de Yahweh.
VERSET 9 : le fidèle, qui se sait objet de la tendresse de Yahweh, lui demande de le garder lui-même dans cette Voie, malgré ses persécuteurs, « qui l'épient », cherchant à le faire tomber par « ruse » (verset 7), menteurs et artisans d'iniquité. Cette situation, vécue par les fidèles yahwistes au IVe siècle av. J.-C., annonce déjà tout l'Évangile. Il est aisé d'imaginer avec quelle ferveur Jésus, aux prises avec des hypocrites cherchant à le surprendre et complotant sa mort, récitait ce psaume écrit pour lui ! Il aurait pu poser à ses adversaires la même question qu'à propos du psaume 110 : « “ Quelle est votre opinion au sujet du Messie ? De qui est-il le fils ? ” Ils lui disent : “ De David. ” » (Mt 22, 42) Ici, la question se pose ainsi : « De qui le prophète Isaïe parle-t-il, lorsqu'il dit : “ Dans le désert, frayez le chemin de Yahweh; dans la steppe, aplanissez une route pour notre Dieu. ” » (Is 40, 3) La réponse est donnée par le psaume : le Messie demande à Dieu son Père (Ps 2, 7) que soit aplani devant lui le chemin de Yahweh-Dieu, « Votre chemin ». C'est donc que le Messie est Dieu.
10. Parce que leur aire n'est pas établie par Sa bouche : au milieu d'eux sont des horreurs. Leur aire est un sépulcre béant. Ils rendent leur langue doucereuse.
Le mot « aire » désigne l'endroit où Arauna le Jébuséen battait le blé, lorsque « Gad se rendit auprès de David et lui dit : “ Monte et élève un autel à Yahweh sur l'aire d'Arauna le Jébuséen. ” » (2 S 24, 18) Et sur cette « aire », le Sacrifice offert par David prépara la construction du Temple que Salomon entreprendra plus tard.
Le mot « aire » désigne ici un temple que les impies, en guerre contre Yahweh et son Oint (Ps 2, 2), ont bâti en rival de celui de Salomon. Or, c'est précisément ce qu'ont fait les Samaritains sur le mont Garizim en 328 avant Jésus-Christ. Ce “ temple ” schismatique est appelé « aire » par le psalmiste, qui se refuse à l'appeler “ temple ”, exactement comme nous refusons d'appeler “ église ” un lieu de culte protestant.
Le « sépulcre béant » évoque la révolte de Coré, au temps de l'Exode. Contre l'autorité sacerdotale de Moïse et d'Aaron, Coré prétendait que « c'est toute la communauté, ce sont tous ses membres qui sont consacrés, et Yahweh est au milieu d'eux » (Nb 16, 3). Yahweh sévit : « Le sol se fendit sous leurs pieds, la terre ouvrit sa bouche et les engloutit, eux et leurs familles, ainsi que tous les hommes de Coré et tous ses biens. Ils descendirent vivants au shéol, eux et tout ce qui leur appartenait. La terre les recouvrit et ils disparurent du milieu de l'assemblée. » (Nb 16, 31-33) Ce châtiment impressionnant devrait servir de leçon aux Samaritains schismatiques. Voilà ce qui les attend !
« Ils rendent leur langue doucereuse » comme « la femme étrangère », séductrice, dont la Samaritaine de l'Évangile est la figure emblématique, et contre laquelle la Sagesse met son fils en garde (Pr 6, 24 ; 7, 26-27), mais que Jésus, lui, retournera et convertira.
11. Châtiez-les, ô Élohim ! Qu'ils échouent du fait de leurs propres conseils, selon la multitude de leurs crimes, chassez-les ! Car c'est contre Vous qu'ils se sont révoltés.
C'est le cri du cœur ! Depuis le retour de l'Exil, en 538, les fidèles yahwistes n'ont pu vraiment reprendre possession de leur héritage. Après les avoir empêchés de reconstruire le Temple et les murs de Jérusalem, voilà que les Samaritains construisent temple contre temple !
12. Alors ils seront joyeux tous ceux qui s'abritent en Vous, ils crieront de joie à jamais et Vous les protégerez. Et ils exulteront en Vous, ceux qui aiment votre Nom.
Ce psaume s'achève dans la joyeuse espérance et la certitude de la victoire finale du Messie, comme le psaume 4, avec un progrès : la joie, après l'épreuve, est promise à tous ceux qui mettent leur confiance en Yahweh leur Dieu, en cherchant « abri » auprès de Lui, comme Ruth s'attira, par le ministère de Booz, la bénédiction du Dieu d'Israël, sous les ailes de qui elle était venue « s'abriter » (Rt 2, 12).
L'exultation des amants du Nom de Yahweh s'étendra bientôt à toutes les nations de la terre, selon la prophétie du Cantique des cantiques : « L'arôme de tes parfums est exquis ; ton Nom est une huile qui s'épanche, c'est pourquoi les jeunes filles t'aiment. » (Ct 1, 3)
13. Car Vous bénissez le juste, Vous, Yahweh, Vous l'entourez de faveur comme d'un bouclier.
Une leçon se dégage de ce dernier verset, que nous retrouverons dans de nombreux psaumes : Yahweh protège le “ Juste ” au milieu même du combat, en raison des bénédictions (Gn 12, 2-3) promises à Abraham :
« Ne crains pas, Abraham ! Je suis ton bouclier. » (Gn 15, 1) Et « Abraham crut en Yahweh, qui le lui compta comme justice » (Gn 15, 6)
Nous connaissons maintenant l'identité des ennemis du juif fidèle : ce sont les Samaritains. Le grand combat qui les oppose est la raison des cris de détresse et des appels à la vengeance qui remplissent le psautier.
Une haine mortelle oppose alors les deux communautés, dont nous retrouvons l'écho dans l'Évangile. Jésus bafoué par les pharisiens : « N'avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et qu'un démon te possède ? » (Jn 8, 48) ne relève pas l'injure. Il ne prend pas le parti des pharisiens, les “ purs des purs ”, ou qui se croient tels, et lorsqu'il passe en Samarie, il y est mieux reçu qu'à Jérusalem, son propre pays. Bien plus, Jésus ne craint pas de se mettre lui-même en scène dans une allégorie transparente sous la figure du Bon Samaritain (Lc 10, 29-37).
Il n'en reste pas moins que le combat des yahwistes fidèles contre les Samaritains restera pour les siècles des siècles la “ figure ” du combat de Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même et de l'Immaculée, contre Satan et ses suppôts. C'est pourquoi l'Église trouve chaque jour dans les Psaumes la prière qui la soutient dans son combat contre l'hérésie et le schisme.
Frère Bruno de Jésus
Il est ressuscité ! tome 4, n° 22, mai 2004, p. 23-24