Ps 12 : Retrouver l'unité

L E psaume 12 décrit l’orgueil des impies auxquels se heurtent les « fidèles » yahwistes au retour de l’Exil, orgueil comparable à celui des bâtisseurs de la tour de Babel (Gn 11). Tout au long des neuf versets de ce psaume, le parallèle s’impose avec le court récit du livre de la Genèse, de neuf versets lui aussi.

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Au maître de chant, à l’octave, psaume à David.

DIASPORA

  1. Sauvez-moi, Yahweh ! Car il n’est plus de saint, et les fidèles d’entre les fils d’Adam sont dispersés.
  2. Ils se parlent “à faux” les uns aux autres ; lèvres doucereuses, ils parlent avec un cœur double.
  3. Yahweh divisera toutes les lèvres doucereuses, la langue aux grands mots.
  4. Ceux qui disent : la langue est notre force, nos lèvres sont pour nous. Pour nous, qui est Seigneur ?

DIEU TIENDRA PAROLE

  1. « À cause des humiliés qu’on dépouille, à cause des indigents qui gémissent, maintenant je me lève, dit Yahweh. J’établis avec le salut quiconque soupire après lui. »
  2. Les paroles de Yahweh sont des paroles pures, argent éprouvé à fleur de terre, épuré sept fois.
  3. Vous, Yahweh, vous les garderez, Vous nous protégerez de cette génération à jamais.
  4. Alentour, des impies rôdent. Comme une élévation, la petitesse, pour les fils d’Adam.
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1. Au maître de chant, à l’octave, psaume à David.

 

Dédicacé « au maître de chant » qu’est David, ce psaume tourne encore nos cœurs vers le Messie, fils de David, attendu par les fidèles yahwistes. Le chant est accompagné « à l’octave » comme le psaume 6 (cf. Ps 6, 1, Il est ressuscité n° 24, juillet 2004, p. 31).

DIASPORA

2. Sauvez-moi, Yahweh ! Car il n’est plus de saint, et les fidèles d’entre les fils d’Adam sont dispersés.

Le mot hâsîd, que nous traduisons par « saint » peut s’appliquer à Dieu ou aux hommes. Appliqué aux hommes, il signifie que les fidèles yahwistes se font rares, comme Yahweh s’en plaignait par la bouche du prophète Jérémie : « Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc, renseignez-vous, cherchez sur ses places si vous découvrez un homme, un qui pratique le droit, qui recherche la vérité : alors je pardonnerai à cette ville. » (Jr 5, 1) Mais, « il n’est plus de saint ». C’est le refrain de tous les prophètes :

« Le saint a disparu du pays, pas un juste parmi les gens ! Tous sont aux aguets pour verser le sang. Ils traquent chacun son frère. » (Mi 7, 2)

Alors, le châtiment tomba sur la ville de Jérusalem, prise par Nabuchodonosor en 586, entraînant la « dispersion des fidèles d’entre les fils d’Adam ». Mais aussi le départ de la gloire de Yahweh, qu’Ézéchiel vit quitter le Temple, lieu de son séjour (Ez 11, 23).

Dès lors, « il n’est plus de Saint » s’applique aussi à Dieu, absent du Pays. L’ambiguïté est voulue, signifiant que la présence de Dieu est conditionnée par la fidélité de ses saints, pour l’heure “ dispersés ”.

La première dispersion des « fils d’Adam » remonte aux temps de la tour de Babel, signifiant le châtiment promis dès le début de la Bible à l’orgueil des hommes défiant Dieu : « Ils dirent : “ Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ”. » (Gn 11, 4) Yahweh les châtia et « les dispersa de là sur toute la terre » (Gn 11, 8).

3. Ils se parlent “ à faux ” les uns aux autres ; lèvres doucereuses, ils parlent avec un cœur double.

« Ils se parlent à faux » ne doit pas s’entendre au sens prosaïque d’un simple mensonge mais comme l’ “ athéisme ” pratique d’hommes qui ne tiennent aucun compte de la volonté de Dieu dans leur vie, tout en gardant le langage de la religion. Chaque fois qu’ils invoquent Yahweh hypocritement, ils enfreignent le commandement de la loi de Moïse :

« Tu ne prononceras pas le nom de Yahweh ton Dieu à faux, car Yahweh ne laisse pas impuni celui qui prononce son nom à faux. » (Ex 20, 7)

Ce péché fut celui des bâtisseurs de la tour de Babel. Ils se vantaient ainsi : « Ils se dirent les uns aux autres : “ Allons ! Faisons des briques et cuisons-les au feu ! ” » Afin de bâtir « une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux » (Gn 11, 3-4). Lèvres doucereuses de “ mondialistes ” et “ humanitaires ”, hommes orgueilleux qui veulent se hisser à la hauteur de Dieu, se faire dieu eux-mêmes, comme le comprend Yahweh : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. » (Gn 11, 6)

« Avec un cœur double », l’hébreu “ belêb wâlêb ”, littéralement « avec un cœur et un cœur », forme allitération en jouant sur le nom de la tour de Babel, “ bâbêl ”, ainsi dénommée « car c’est là que Yahweh confondit [ kî shâm bâlal ]le langage de tous les habitants de la terre » (Gn 11, 9).

Le psalmiste poursuit son parallèle avec le récit du livre de la Genèse :

4. Yahweh divisera toutes les lèvres doucereuses, la langue aux grands mots.

Les « grands (gedolôt )mots » évoquent la “ tour ” (migdol ) que les hommes orgueilleux de jadis voulurent bâtir : « Allons ! Bâtissons-nous une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ! Faisons-nous un nom et ne soyons pas dispersés sur toute la terre ! »

Les « grands mots » évoquent aussi la vision qu’eut le prophète Daniel d’ « une bouche qui disait de grandes choses » (Dn 7, 8) figurant l’arrogance blasphématoire d’Antiochus Épiphane (167-164 av. J.-C.).

5. Ceux qui disent : la langue est notre force, nos lèvres sont pour nous. Pour nous, qui est Seigneur ?

À entendre ce blasphème des impies nous comprenons la ferveur avec laquelle le psalmiste chante le Nom de Yahweh en guise de protestation :

« Yahweh Notre-Seigneur, que votre Nom est magnifique par toute la terre. » (Ps 8, 2)

Ceux qui mettent leur confiance dans « les grands mots » refusent l’autorité même de Yahweh, comme au temps de la tour de Babel : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises ! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. » (Gn 11, 6)

Ni Dieu ni maître ! telle est leur devise.

Jérémie déplorait la même rébellion à la veille du siège de Jérusalem : « Mais voici que vous vous fiez à des paroles mensongères, à ce qui est vain. » (Jr 7, 8) Ni le châtiment de la tour de Babel ni l’Exil à Babylone n’ont suffi à ouvrir les yeux de ce peuple endurci. Voilà la plainte des psalmistes.

Mais voici leur espérance :

DIEU TIENDRA PAROLE

6. « À cause des humiliés qu’on dépouille, à cause des indigents qui gémissent, maintenant je me lève, dit Yahweh. J’établis avec le salut quiconque soupire après lui. »

Ce verset 6 contient une citation du prophète Isaïe :

« Maintenant je me lève, dit Yahweh, maintenant je me dresse, maintenant je m’élève. » (Is 33, 10)

Ce triple « maintenant » avertit de l’imminence de l’intervention de Dieu, en réponse au « maintenant » qui marque l’heure des impies :

« Maintenant, dit Yahweh, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons ! Descendons ! Et là,confondons leur langage pour qu’ils ne s’entendent plus les uns les autres. » (Gn 11, 6-7)

Le psalmiste actualise l’oracle divin en annonçant l’imminent avènement du « salut » ; littéralement, « J’établis avec le salut » pourrait se traduire : “ J’établis avec Jésus ” (be-yesha‘), quiconque, « humilié », « indigent », soupire après lui. Car le salut, ce sera Lui !

7. Les paroles de Yahweh sont des paroles pures, argent éprouvé à fleur de terre, épuré sept fois.

Le parallèle avec le récit de la tour de Babel éclaire ce verset que la plupart des exégètes avouent ne pas comprendre. « Ils se dirent l’un à l’autre : “ Allons, faisons des briques et cuisons-les ! ” La brique leur servit de pierre, et le bitume leur servit de mortier. » (Gn 11, 3)

« Les paroles de Yahweh », épurées comme de l’argent natif déjà pur quand on le trouve, sans qu’il soit nécessaire de le passer au feu du creuset, sont comme un antidote à la construction de la tour de Babel bâtie sur de « grands mots » vides, prononcés “ à faux ”, avec du mortier et des briques cuites au feu pour bâtir « une ville et une tour dont le sommet pénètre les cieux ». L’expression ba‘alîl n’aura pas d’autre emploi dans toute la Bible et les exégètes ne savent comment la traduire. Elle forme une seconde allitération avec le nom de la tour de Babel. « À fleur de terre » marque bien l’opposition entre la parole sûre de Yahweh qui fonde l’espérance des fidèles, et les « grands mots » qui exaltent l’ambition des constructeurs de la tour de Babel.

8. Vous, Yahweh, vous les garderez, vous nous protégerez de cette génération à jamais.

Yahweh gardera les « indigents », et les « humiliés », tous les juifs en butte à l’apostasie des faux frères à partir du retour de l’Exil. Inconfusible espérance.

9. Alentour, des impies rôdent. Comme une élévation, la petitesse, pour les fils d’Adam.

Quand l’apostasie domine, le salut est de se faire petit. Cette conclusion est une anticipation du Magnificat où Marie, à l’orée du Nouveau Testament, chantera le Tout-Puissant qui élève les humbles (Lc 1, 52). Mais c’était déjà la leçon de l’Exil méditée par les sages de l’Ancien Testament : « Avant la ruine, le cœur de l’homme s’élève ; l’humilité précède la gloire. » (Pr 18, 12)

Leçon éternelle naguère rappelée par le pape saint Pie X dans sa Lettre sur le Sillon, condamnant dans les mêmes termes que le psalmiste « ces grands mots avec lesquels on exalte l’orgueil humain ». Exaltant au contraire « les humbles de la terre qui se contentent de tracer modestement leur sillon, au rang que la Providence leur a assigné, en remplissant énergiquement leurs devoirs dans l’humilité, l’obéissance et la patience chrétiennes, eux que le Seigneur tirera un jour de leur condition obscure pour les placer au Ciel parmi les princes de son peuple. »

Frère Bruno de Jésus
Il est ressuscité ! tome 6, n° 42, janvier 2006, p. 33-34