Ps 14 : Le « Jésus » d'Israël
L A dédicace de ce psaume, « À David, maître de chant », le situe dans le même contexte que les précédents : celui des persécutions et divisions du retour de l’Exil. Il est un acte d’espérance dans l’avènement du Messie qui doit naître de Sion et restaurer Israël.
- Au maître de chant, à David.
Nabal a dit dans son cœur : « Point de Dieu ! » Ils s’abaissent, s’enténèbrent en leur “ haut fait ”. Pas un ne fait le bien. - Yahweh, du haut du ciel, se penche sur les fils d’Adam pour voir s’il en est un d’intelligent, un qui cherche Élohim.
- Tous, en se détournant de Lui, se sont corrompus ; pas un ne fait le bien, non pas un seul.
- Ne savent-ils pas, tous les artisans d’iniquité, qu’en mangeant mon peuple, ils mangent le pain de Yahweh ? N’ont-ils pas lu ?
- Là, ils tremblèrent d’épouvante parce que Élohim était avec la génération sainte.
- Vous vous moquez du projet de l’humilié, parce que Yahweh est son refuge.
- Qui fera sortir de Sion le salut d’Israël ? Lorsque Yahweh changera le sort de son peuple, Jacob exultera, Israël sera dans la joie !
VERSET 1. Nabal est traduit ordinairement par un nom commun : « l’insensé ». Mais l’hébreu n’a pas d’article. Sujet du verbe, Nabal est donc le nom propre de l’homme du même nom, archétype de tous les “ impies ”, “ insensés ”, “ abrutis ” qui disent en leur cœur qu’il n’y a pas de bon Dieu ! Le Livre de Samuel raconte comment cet homme agit envers David comme si Dieu n’existait pas, injuriant celui qui était l’oint de Yahweh, et refusant de le ravitailler, lui et sa troupe, au temps où il errait en chef de bande méprisé. David, courroucé, s’apprêtait à châtier Nabal comme il le méritait, lorsque s’interposa Abigayil, prophétesse inspirée du Dieu vivant et de ses promesses, épouse de « ce vaurien..., car il porte bien son nom : il s’appelle Nabal et l’infamie s’attache à lui » (1 S 25, 25).
C’est de lui que le prophète Isaïe a écrit : « Il dit des insanités et son cœur s’adonne au mal en pratiquant l’impiété, en tenant sur Yahweh des propos aberrants, en laissant l’affamé sans nourriture ; il refuse la boisson à celui qui a soif. » (Is 32, 6) Nabal est la personnification de l’humanité pécheresse. C’est pourquoi le psalmiste passe soudain de ce cas singulier au pluriel : « Ils s’abaissent, s’enténèbrent en leur “ haut fait ” » opposé aux “ hauts faits ” de Yahweh (Ps 9, 12). Qui “ ils ” ? Le verset suivant va le dire : les fils d’Adam. C’est-à-dire tout le monde... Tous coupables devant Dieu dira saint Paul dans l’Épître aux Romains.
VERSET 2. Le verbe hébreu “ šâkal ” signifie avoir l’intelligence des choses divines. L’Inconnu de l’Exil annonce que ce don est promis au Messie : « Voici que mon Serviteur sera intelligent. Il se lèvera, grandira et sera prodigieusement exalté. » (Is 52, 14) Le contraste de l’ « intelligence » du Messie à venir avec la surdité et l’infidélité d’Israël est déjà tout entier précontenu dans le contraste entre Nabal et Abigayil qui, précisément, était « pleine d’intelligence [šèkhèl]et belle à voir » (1 S 25, 3). Apprenant l’affront fait à David par son mari, elle s’empressa d’accourir au-devant de l’oint du Seigneur outragé pour intercéder en faveur de sa maison, préfigurant de cette façon la Vierge Marie, médiatrice de toutes grâces, au milieu d’un monde entièrement corrompu.
VERSET 3. Le psalmiste regarde autour de lui, ou plutôt : il voit Yahweh se pencher du haut du ciel et constater que, comme au temps du Déluge et de la tour de Babel, comme au temps de Sodome et Gomorrhe, il ne se trouve pas un seul juste capable d’attirer la miséricorde divine. Et aujourd’hui, en nos temps d’apostasie, il en va de même...
Avant l’Exil, le prophète Jérémie avertissait ainsi Jérusalem : « Parcourez les rues de Jérusalem, regardez donc, renseignez-vous, cherchez sur ses places si vous découvrez un homme, un qui pratique le droit, qui recherche la vérité : alors je pardonnerai à cette ville. » (Jr 5, 1) Il ne s’en est pas trouvé au temps du prophète Jérémie, mais pas davantage au retour de l’Exil. Le psalmiste le constate amèrement : « Tous se sont corrompus ». Jérusalem serait-elle devenue comme Sodome au temps de la Genèse, lorsque Abraham intercédait en vain pour elle auprès de Yahweh ?
Entre les versets 3 et 4 de la version hébraïque, la Septante et la Vulgate comportent un ajout qui revêt une grande importance du fait de son insertion par saint Paul dans l’Épître aux Romains (3, 13-18).
« Leur gosier est un sépulcre béant,
leur langue trame la ruse.
Un venin d’aspic est sous leurs lèvres,
la malédiction et l’aigreur emplissent leur bouche.
Agiles sont leurs pieds à verser le sang ;
ruine et misère sont sur leurs chemins.
Le chemin de la paix, ils ne l’ont pas connu,
nulle crainte de Dieu devant leurs yeux. »
Dans l’Épître aux Romains, ces versets se présentent comme faisant suite aux versets 1 à 3 du psaume 14. Ils fournissent à saint Paul son grand argument, selon lequel « tout ce que dit la Loi, elle le dit pour ceux qui sont sous la Loi, afin que toute bouche soit fermée, et le monde entier reconnu coupable devant Dieu » (Rm 3, 19). Aux yeux de l’Apôtre, ces versets sont donc un résumé de « la Loi », ce mot désignant l’ensemble de l’Ancien Testament, comme nous l’avons expliqué (Ps 1, 2 ;Il est ressuscité n° 18, janvier 2004, p. 25). De fait, ces quelques versets résument toute l’histoire des origines, depuis la faute originelle commise à l’instigation du serpent venimeux, le plus rusé des animaux : après le péché originel, vient l’assassinat d’Abel par Caïn, évoqué ici, puis une corruption universelle.
L’image du « sépulcre béant » rappelle la révolte de Coré contre l’autorité de Moïse et d’Aaron, au temps de l’Exode. Déjà appliquée à l’aire d’un temple schismatique (Ps 5, 10), l’image évoque ici le « gosier » de ceux qui disent qu’il n’y a pas de Dieu.
4. Ne savent-ils pas, tous les artisans d’iniquité, qu’en mangeant mon peuple, ils mangent le pain de Yahweh ? N’ont-ils pas lu ?
Ce verset est une reprise d’un oracle du prophète Michée contre les mauvais chefs du peuple, qui ne gouvernent pas selon les desseins de Yahweh et oppriment le peuple : « Ils mangent la chair de mon peuple, ils arrachent la peau de dessus eux, et leurs os, il les brisent. Ils les découpent comme viande dans la marmite, comme chair en plein chaudron. » (Mi 3, 3)
On reconnaît les faux frères samaritains qui, au retour de l’Exil, dominaient Jérusalem en ruine, entravant de tout leur pouvoir la restauration du Temple et de la nation qu’ils mettaient au pillage. Pourtant, « n’ont-ils pas lu » comment « le sol se fendit sous leurs pieds, la terre ouvrit sa bouche et les engloutit, eux et leurs familles, ainsi que tous les hommes de Coré et tous ses biens » (Nb 16, 31-32).
5. Là, ils tremblèrent d’épouvante parce que Élohim était avec la génération sainte.
« À leurs cris, tous les Israélites qui se trouvaient autour d’eux s’enfuirent. Car ils se disaient : “ Que la terre ne nous engloutisse pas ! ” » (Nb 16, 33-34) Ainsi en va-t-il des Samaritains qui ont rompu l’alliance avec Yahweh, érigeant temple contre Temple, à la ressemblance de Coré contestant l’autorité de Moïse et d’Aaron jadis, au désert. Les Samaritains n’appartiennent pas à « la génération sainte », puisqu’ils sont une population d’Israélites mélangée avec les colons transférés de divers pays au temps de l’invasion assyrienne, ayant amené avec eux leurs dieux et leurs coutumes.
6. Vous vous moquez du projet de l’humilié, parce que Yahweh est son refuge.
C’est la définition de l’humilié (‘anî), il trouve son refuge en Dieu, selon la prophétie de Sophonie, datée de 612 : « Je ne laisserai subsister en ton sein qu’un peuple humble et modeste, et c’est dans le nom de Yahweh que cherchera refuge le reste d’Israël. » (So 3, 12)
7. Qui fera sortir de Sion le salut d’Israël ? Lorsque Yahweh changera le sort de son peuple, Jacob exultera, Israël sera dans la joie !
“ Sion ” est le nom de Jérusalem, capitale du royaume de Juda, “ Israël ” désigne ici le royaume du Nord, dont la capitale est Samarie. Le psalmiste commence par s’adresser à ce dernier. Le « salut d’Israël », qui se traduit aussi bien le « Jésus d’Israël » (yeshû‘at yisra’el ), doit venir de Sion, c’est-à-dire de Jérusalem, selon qu’il est écrit : « De Sion vient la Loi et de Jérusalem la parole de Yahweh. » (Is 2, 3) Jésus le redira à la Samaritaine : « Vous, vous adorez ce que vous ne connaissez pas ; nous, nous adorons ce que nous connaissons,car le salut vient des Juifs » (Jn 4, 22), habitants de Juda.
Mais le salut de tous est certain, selon cette promesse du prophète Jérémie : « Car voici venir des jours, oracle de Yahweh, où je ramènerai les captifs de mon peuple Israël et Juda, dit Yahweh, je les ferai revenir au pays que j’ai donné à leurs pères et ils en prendront possession. » (Jr 30, 3) Jérémie s’adressait alors à l’Israël du Nord, déporté depuis cent ans, quand Josias entreprenait la reconquête de la Samarie et de la Galilée. L’espoir naquit alors d’un retour des exilés de 721 dans le royaume de David restauré dans son ensemble. Cette annonce du retour fut ensuite étendue au royaume de Juda lorsqu’il fut à son tour conquis et déporté :
« Ainsi parle Yahweh Sabaoth, le Dieu d’Israël. On dira encore cette parole au pays de Juda et dans ses villes quand je ramènerai leurs captifs : “ Que Yahweh te bénisse, toi, demeure de justice, toi sainte montagne ! ” » (Jr 31, 23)
Ainsi, les oracles de Jérémie, prononcés au temps de Josias, entre 622 et 609, retrouvent toute leur actualité dramatique dans les siècles qui suivent le retour d’Exil. De Sion restaurée, le salut s’étendra à Jacob, c’est-à-dire au reste de la Palestine, encore aux mains des Samaritains, personnifiés par Nabal.
« Qui fera sortir de Sion le Jésus d’Israël ? » La Vierge qui doit enfanter (Is 7, 14) est la personnification de Sion. C’est de la Vierge Marie que doit « sortir le Jésus d’Israël »... Les psaumes sont un protévangile. Le dernier mot évoque, par le verbe yagèl, le nom d’Abigayil, cette autre femme qui vint au-devant de David comme la Samaritaine viendra au-devant de Jésus : « Jacob exultera », yagèl ya‘akob. Ainsi le chapitre 4 de l’Évangile de saint Jean répond-il à l’attente de ce psaume : la rivalité entre Jérusalem et Samarie transparaît d’abord dans les paroles de la Samaritaine, puis l’aspiration au Messie qui restaurera l’unité du peuple élu :
« La femme lui dit : “ Je sais que le Messie doit venir, celui qu’on appelle Christ. Quand il viendra, il nous dévoilera tout. ” Jésus lui dit : “ Je suis, moi, celui qui te parle. ” » (Jn 4, 25-26)
Frère Bruno de Jésus
Il est ressuscité ! tome 7, n° 55, mars 2007, p. 29-30