La circumincessante charité
Le Cœur et la Croix de Jésus
V. La Sainte Eucharistie
LA dévotion à la Sainte Eucharistie prend tout naturellement sa place après la Croix. Dans le dessein d’amour de notre Dieu, la Messe est pour nous le grand moyen de nous unir au sacrifice de Jésus fait sur la Croix et renouvelé sur nos autels.
Notre Père peut vraiment être considéré comme le grand théologien de la Sainte Eucharistie. D’une part, toute sa vie, il a aimé Jésus-Hostie, à tel point qu’en rédigeant ses Mémoires et Récits, il a pu écrire en toute vérité : « À la Messe, en fait, par des traits plus ou moins visibles, a toujours tenu toute ma vie, mon matin, mon midi et mon soir. » (Mémoires et Récits, t. II p. 346)
Mais, en plus, il reçut dès son séminaire, une lumière particulière sur ce sacrement central de notre religion. Ce fut comme une vision intellectuelle lui faisant contempler ce mystère de foi d’une manière toute simple, lumineuse, merveilleuse. De retour dans sa cellule, il l’écrivit aussitôt sans aucune rature, d’un trait.
Du Verbe divin partent des rayons de pure lumière qui sont autant de paroles créatrices faisant surgir du néant les êtres. Cette relation constituante tient l’être total de la créature selon le bon plaisir du Verbe divin, en telle essence et tels accidents... « Quand le prêtre dit les paroles de la consécration, d’une voix rendue souveraine par l’ordre divin, une jonction se fait entre les divers rayons de lumière créatrice émanés du Verbe Incarné et la mutation ordonnée se fait dans les essences ou natures : le Corps du Christ succède au pain, le Sang du Christ se substitue au vin, tout en conservant et revêtant les accidents ou espèces pour paraître ce qu’Il veut être pour nous, comme notre pain par sa chair, comme notre vin par son Sang, dans une manducation et une fusion d’êtres ineffable, pleine d’amour ». (Mémoires et Récits, t. II, p. 249)
Sa métaphysique relationnelle, dégagée des étroitesses du cadre aristotélico-thomiste lui permit de donner une nouvelle explication théologique du dogme catholique, nous le faisant savourer d’une manière merveilleuse, retrouvant l’ardente dévotion des âmes simples et de tous les saints de l’Église.
C’est en 1977 qu’il l’exposa dans la série des conférences puis des études parues dans la Contre-Réforme sur les Sacrements (CRC n° 116, tome 9, avril 1977). Il faut s’y reporter. N’en citons que la conclusion :
« Après la consécration, il n’y a plus du tout de pain ni en substance, ni en accidents, ni en apparences. Néant du pain. Tout ceci, l’hostie sur la patène, est le Corps de Jésus. Tout cela dans le calice, est le Sang. Je vois le Corps, je vois le Sang ! Et si leurs apparences vous étonnent, Chrétiens, sachez précisément qu’en son âme et conscience, en sa Personne divine, Jésus-Christ veut prendre ces apparences et agir ainsi dans une intention précise : Il veut être vraiment, réellement et substantiellement votre pain à manger, votre vin à boire pour votre bien et votre joie (...) Tel est le premier don eucharistique : celui de l’Incarnation continuée, répandue et communiquée dans et par l’Église (...) Ah ! Si l’on voyait l’Hostie comme elle est : le Verbe fait chair, se faisant corporellement notre pain ! L’Hostie, c’est un cri, c’est un signe d’amour unique, merveilleux, appel à la rencontre mutuelle, à l’union poussée au sublime. »
Après l’explication de la Présence réelle, vient celle de l’Action du Christ à la messe : le sacrifice de son Sang. Citons uniquement la conclusion de tout le développement théologique :
« Pour quelle action a lieu ce don nouveau de la Présence corporelle, vivante, du Christ à son Église ? C’est l’effusion de son Sang versé dans le calice qui nous en fait paraître la valeur surnaturelle, qui la constitue en signe chrétien majeur, le plus grand des sacrements : celui de l’oblation sacrificielle, de l’immolation rédemptrice, l’action de mourir par amour. C’est la Passion qui se renouvelle à chaque messe dans l’acte du Christ versant son sang, comme déjà il l’anticipait lors de la dernière Cène. La matière du sacrifice et sacrement, c’est tout son Être rendu corporellement présent, et la forme en est l’effusion charitable de son Sang, non plus versé par le bourreau, mais versé par le Souverain Prêtre, vivant et glorieux, dans le calice non plus d’amertume mais de joie. »
Enfin, l’effet de la messe est ainsi résumé :
« La raison et l’effet de cette Action sacramentelle du Christ Souverain Prêtre en son Église et pour elle, c’est, selon ses propres paroles, le renouvellement, la commémoration, la célébration de l’Alliance nouvelle et éternelle scellée sur la Croix entre Dieu et son Église, sans cesse à restaurer et à parfaire du fait de la malice des hommes, et à souscrire et à honorer par les générations à venir jusqu’à la consommation des siècles.
« MOI, je dis avec tous les saints, y compris le curé d’Ars et Charles de Foucauld qui avaient une parfaite dévotion pour la Saine Eucharistie : à partir de la consécration, Jésus est ici aussi totalement, vraiment, substantiellement, pleinement qu’Il était à Nazareth, sur la Croix, à ce dernier repas qu’Il prit sur le Mont des Oliviers au moment où Il est remonté au Ciel. Il est là ! Jésus, Vous êtes là ! Si j’ouvre le Tabernacle, je Le vois ! (…) Il nous regarde et nous dit : “ Venez manger, venez boire. Venez m’embrasser, venez vous unir à moi, Je suis votre vie, Je suis votre joie ! Quoi de plus beau ! ” »
(Logia, 1980)
« La conclusion de cette Alliance s’est faite une première fois dans un banquet sacré, un repas sacrificiel, et elle se reproduit en chaque messe de la même manière par la Communion sacramentelle des membres saints de l’assemblée chrétienne avec Dieu, dans la nourriture et la boisson mystiques qui leur sont offertes, ce Pain et ce Vin, Mystère de foi, Corps et Sang du Sauveur immolé pour la multitude. Cette communion unit aussi les chrétiens entre eux et construit ainsi l’Église dans la charité. »
En 1994, notre Père consacra la retraite de communauté à l’explication de toutes les parties de la Messe, qui culmine dans la communion, moyen pour nous d’entrer dans la circumincessante charité.
Dans un raccourci saisissant, notre Père nous disait : « La Croix est pour la Messe, et la Messe est pour la communion. Dieu a envoyé son Fils Jésus, le Verbe fait chair pour nous sauver sur la Croix. Cette grâce de Rédemption, Jésus nous la distribue par le don de son Corps et de son Sang, don anticipé à la dernière Cène et qu’Il renouvelle à chaque Messe. »
« La Messe doit nous être très chère, parce que, à la Messe, Jésus revient sur l’autel dans sa présence réelle. Et, avant de penser à se donner à nous dans la communion, dans ce merveilleux acte d’amour, Il revit la scène de sa Passion dans son Cœur glorieux dans le Ciel. Au moment où le prêtre sépare les espèces du pain et du vin, séparant le Corps et le Sang sacramentellement, au moment de la Consécration, Jésus redit en esprit sa prière au Père pour le salut des hommes. Et à cause du mérite infini de cette mort douloureuse et violente qu’Il a soufferte sur la Croix, aujourd’hui, demain, à chaque Messe, Jésus donne ses grâces acquises pour cela à ceux qui ont bien voulu venir participer à ce sacrifice. »
En poursuivant sa méditation, notre Père en vint à nous prêcher la dévotion au « Cœur à Cœur eucharistique de Jésus et de Marie où est le trésor de la circumincessante charité. »
« Avoir une dévotion au Cœur eucharistique de Jésus, c’est découvrir qu’il y a en Lui et jusqu’à la fin du monde, ce souci de nous sauver en revenant sur tous les autels réitérer son sacrifice pour nous en distribuer le fruit : c’est cela la Messe. Cette notion nouvelle du Cœur eucharistique nous parle de l’institution de l’Eucharistie, au soir de la Cène, comme d’une œuvre aussi importante, parallèle et complémentaire de la première qui est la mort sur la Croix. Cette deuxième œuvre vise à l’efficacité de la Croix pour nos âmes. Or, le Cœur de Marie est inséparable de celui de son divin Fils et en partage les mêmes soucis, sentiments, intentions. Cette invention inouïe de la Messe à côté et en plus de l’invention inouïe du sacrifice du Calvaire dévoile dans le très unique Cœur de Jésus et de Marie un amour pour nous d’une dimension nouvelle et particulière. C’est celui d’un père et d’une mère qui sont pleins de sollicitude pour leurs enfants, se préoccupant de leur croissance, éducation, progrès, et pout cela sont avides d’organiser la suite et de s’y dévouer encore chaque jour et en tout lieu.
« La religion ce n’est pas de savoir que Jésus a souffert il y a deux mille ans. [Pour Luther, c’est cela : Jésus est mort sur la Croix, il n’y a plus rien après. Jésus a fait son boulot et il est remonté aux Cieux. On ne s’en occupe plus !] Luther est vaincu : la religion, c’est de savoir que chaque matin Jésus nous attend pour nous transmettre cette vie sans laquelle nous mourons, cette grâce sans laquelle nous retombons dans le péché. C’est le souci du Cœur eucharistique de Jésus et de Marie.
« Alors, toute la dévotion eucharistique, le culte du Saint-Sacrement, au lieu de paraître une “ excroissance ” folle, sans fondement scripturaire de la piété de l’Église trouve son point de départ et fondement dans le mouvement du Cœur de Jésus et de Marie allant au sacrifice de la Croix et très logiquement, sagement, nécessairement à celui de nos autels. Ici acquéreurs de notre salut, là ils se préoccupent d’en être les distributeurs.
« La Vierge Marie est un Cœur eucharistique parce que non seulement elle a vécu depuis l’Annonciation Cœur à Cœur avec Jésus, mais encore elle aura pour mission le Jeudi saint de rester après l’Ascension comme ministre secondaire de l’Eucharistie. Elle va se préoccuper de donner aux Apôtres, par sa prière, les grâces de la fidélité à leur fonction qui est la Messe. Cette dévotion au Cœur eucharistique de Marie nous aide à recevoir Jésus, à nous nourrir de son Corps et de son Sang : Elle est donc l’Auxiliatrice du prêtre et des fidèles. La Messe est donc une Eucharistie mariale car nous nous unissons à notre Mère pour mieux célébrer ce moment divin de la communion, avec de meilleurs fruits. »
Il y a dans toute l’œuvre de l’abbé de Nantes une somme impressionnante de sermons, d’études écrites, de conférences entières sur l’Eucharistie, capables de redonner la foi à notre génération et de faire refleurir la dévotion des anciens âges pour Jésus-Hostie, la Messe, la visite au Saint-Sacrement, les saluts du Saint-Sacrement, etc.
Et d’abord, nous croyons à la sainte Eucharistie parce que Jésus, la Vérité même l’a dit en toutes lettres :
Discours sur le Pain de vie.
Avant même d’instituer la sainte Eucharistie, la veille de sa Passion, Jésus fait un discours magistral sur le Pain de vie, le plus important de l’Évangile de saint Jean (chap. 6). Jésus ne parle pas pour ses auditeurs qui vont L’abandonner, mais Il parle pour les siècles. Ce chapitre annonce la Présence réelle de Jésus : ces paroles sont toujours là pour soutenir notre foi, à l’encontre des négations des protestants. Écoutons notre Père nous les commenter :
Dans une première partie, Jésus explique aux juifs que c’est sa parole qui est leur pain ; c’est de croire en Lui et dans le Père qui va les nourrir. Je suis votre nourriture, ma parole est vie éternelle. « Oui, c’est la volonté de mon Père que quiconque voit le Fils et croit en Lui ait la vie éternelle et je le ressuscite au dernier jour. » (Jn 6, 40) C’est tout le projet, le dessein de Dieu, toute l’orthodromie de cette circumincessante charité.
Puis aux versets 50-51, on franchit un abîme, c’est la deuxième partie du discours : sa Parole est un Pain, et pour le prouver, Jésus va donner son Corps. « Le Pain que je donnerai, c'est ma chair pour la vie du monde », aucune ambiguïté possible. Jésus dit “ donnerai ”, cela signifie “ Je livrerai ”. La perspective est sacrificielle : ce Pain que je donnerai, c’est ma chair qui sera sacrifiée sur l’autel et distribuée en sacrifice de communion. Tout le mystère de la Messe est déjà là !
Verset 52 : « Les juifs alors de discuter entre eux et de dire : “ Comment cet homme peut-il nous donner sa chair à manger ? ” » Il faut dire aux protestants : si vraiment Jésus avait été mal compris, à ce moment-là, Il aurait dit : « Soyez intelligents ! Manger ma chair ! Vous vous trompez ! Je vous parle de choses spirituelles ! »
Pas du tout ! Jésus fait ce serment solennel (verset 53) : « En vérité, en vérité, je vous le dis : si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous ». Jésus va encore plus loin, car c’est la première fois qu’Il dit de boire son Sang (v.54) : « Qui mange ma chair et boit mon Sang a la vie éternelle et Je le ressusciterai au dernier jour. » Il a ajouté le sang à la chair et maintenant, Il ajoute la résurrection comme étant acquise par la chair et le sang, mangée et bu. Verset 55 : « Car ma chair est vraiment une nourriture et mon sang est vraiment un breuvage. Qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui. » La communion nous introduit dans l’être de Jésus. On est dans le Cœur de Jésus, très réellement, par le moyen de cette Hostie et de ce Calice.
Verset 57 : « De même qu’envoyé par le Père, qui est vivant, moi, je vis par le Père, de même celui qui me mange vivra lui aussi par moi » : voici la cascade des relations nourrissantes. C’est là la circumincessante charité, c’est le passage de la charité par ces tuyaux d’apport d’une personne à l’autre, cette vie qui circule comme dans les veines et les artères d’un organisme vivant. Et la communion est le ciment de l’union que nous avons entre nous. Jésus nous dit : Vous serez unis entre vous comme moi je le suis avec mon Père.
Jésus qui vient du Ciel donne sa chair et son sang en nourriture et en breuvage et établit avec notre âme une union semblable à l’union conjugale.