La circumincessante charité
Le Cœur et la Croix de Jésus
VI. Jésus-Christ, notre Époux et Roi
TOUS les écrits mystiques de l’Ancien Testament (le Cantique des cantiques, Osée, Ézéchiel), nous présentent Dieu comme l’Époux de son peuple, laissant prévoir les épousailles de ce Dieu fait homme avec son Église, puis avec chacune de nos âmes dans le Nouveau Testament, comme tous les auteurs mystiques l’expriment : Jésus est leur Époux. Il y a là un mystère à expliquer en reprenant la Bible.
Ézéchiel, 16.
En termes allégoriques, Dieu est montré comme un Père recueillant avec sollicitude une enfant trouvée dans le désert, abandonnée et près de mourir : figure de toute créature, du peuple d’Israël. Dieu décide de la sauver et par des gestes de bonté toute maternelle et paternelle, Il soigne cette enfant bien-aimée : c’est l’alliance de l’Ancien Testament. Or, elle grandit, devient nubile, et ce Père adoptif s’éprend pour elle d’un amour nouveau, d’un amour d’époux. Sainte Thérèse s’appropriera ce texte d’Ézéchiel. Comment Dieu notre Père peut-Il se changer pour nous en Époux ?
Le Cantique des cantiques.
Ce livre est le joyau de l’Ancien Testament ; Notre Père a eu la grâce insigne d’être initié par le Père Robert qu’il eut comme professeur à la Faculté de théologie de Paris : « C’est un éblouissement pour la vie entière ». Le Père Robert, en effet, était de l’école d’exégèse française seule capable de donner le vrai sens du texte, non pas en allant chercher dans les mythologies des peuples païens environnants, mais en « expliquant la Bible par la Bible » ; ce qui permet ensuite d’en tirer toute la leçon spirituelle.
Ce texte inspiré par le Saint-Esprit ne célèbre pas des noces terrestres. Il prophétise l’union de Dieu avec son peuple élu. Dieu a un amour passionné pour son peuple, un amour d’Époux. Ce peuple est chéri de Dieu comme une épouse.
Le premier verset du Cantique des cantiques est une entrée en matière surprenante : « Qu’Il me baise des baisers de sa bouche ». Si c’est un chant d’amour d’un mari avec sa femme, on ne voit pas ce que cela fait dans la Bible !
Mais non ! L’Être vers qui l’épouse se tourne pour oser Lui demander des baisers, c’est Dieu le Père. Mais Dieu n’a pas de bouche. La bouche du Père, c’est le Fils, le Verbe incarné, Jésus. Le Père donne Jésus pour Époux à l’âme. Et le baiser, c’est le Saint-Esprit que Jésus nous donne de la part du Père : merveilleuse explication que donne saint Bernard de cette belle prière du Cantique des cantiques. C’est donc un baiser de la Divinité, c’est l’union mystique au Dieu trois fois saint que nous demandons comme étant notre désir total, l’aspiration souveraine au bonheur d’être embrassée par Dieu, d’être dans l’union à notre Père Céleste. Mais pour que le Père Céleste nous donne ce contact avec Lui, ce toucher divin, Il s’est fait une bouche. Cette bouche, c’est l’humanité du Christ, véhicule de l’amour de Dieu le Père. Quand cette humanité du Christ nous approche, elle nous couvre de baisers qui sont les messages, les inspirations, les dons du Saint-Esprit !
Les auteurs mystiques.
Passons les siècles : saint Jean de la Croix, tout homme qu’il était, n’avait aucune difficulté à chanter son amour pour Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, mais dans l’humanité de Jésus-Christ comme une relation d’Époux à épouse.
Saint Jean de la Croix se considérait alors comme une pure créature, toute de passivité, un pur désir de l’amour de Celui qui est tout et déverse en lui toutes les richesses de sa divinité.
Dans une Élévation vers Dieu (Avis et maximes, n° 19), il reprend le livre de Ruth, figure du mariage mystique :
« Ô mon Bien-Aimé, tout pour vous, rien pour moi ; rien pour vous, tout pour moi. Tout ce qu’il y a de dur et de pénible, je le veux pour moi et nullement pour vous.
« Oh ! combien sera douce à mon cœur votre présence, ô vous qui êtes le souverain Bien. Je dois m’approcher de vous dans le silence, je dois vous découvrir les pieds, afin que vous daigniez m’unir à vous par les liens du mariage spirituel. Je ne goûterai de joie que lorsque je me réjouirai dans vos bras. Je vous supplie maintenant, ô Seigneur, de ne jamais abandonner mon âme à elle-même, puisque je n’ai fait que dissiper ses biens. »
De même, à sainte Marguerite-Marie, le Sacré-Cœur de Jésus apparaît comme un Époux lui disant : « Mon Cœur divin est si passionné d’amour pour les hommes et pour toi en particulier ». Puis, Il prend son cœur pour le mettre dans le Sien et le lui rendant ensuite tout ardent du pur amour, avec ces paroles : « Voilà, ma bien-aimée, un précieux gage de mon amour. »
Dans son autobiographie, sainte Marguerite-Marie écrit : « Notre-Seigneur m’honorait de ses entretiens. Quelquefois comme un ami ou comme un époux le plus passionné d’amour ou comme un père blessé d’amour pour son enfant unique. »
« Étant revêtue de notre saint Habit, mon divin Maître me fit voir que c’était là le temps de nos fiançailles (…) Il me fit comprendre qu’à la façon des amants les plus passionnés, Il ne me ferait goûter pendant ce temps que ce qu’il y avait de plus doux dans la suavité des caresses de son amour qui en effet furent si excessives qu’elles me mettaient souvent toute hors de moi-même. »
Nous pourrions multiplier à l’infini les témoignages des saints et saintes de l’Église à travers les siècles. C’est bien la preuve que cette mystique que nous enseigne ainsi notre Père est bien dans la ligne de la révélation divine de l’Ancien Testament : ce Jésus de Paray-le-Monial n’est rien d’autre que le Dieu du prophète Osée, d’Ézéchiel, le Dieu du Cantique des cantiques, mais qui paraît sous une forme humaine et qui met un sceau à toute sa révélation.
L’amour de l’homme et de la femme.
C’est donc vraiment le symbole de l’homme et de la femme dans leur amour mutuel qui revient sans cesse sous la plume des mystiques pour nous donner quelque lueur sur l’union à laquelle nous sommes appelés, nous toutes créatures et la Vierge Marie en premier, avec Dieu. L’amour humain n’est donc pas méprisable, mais il est un signe du plus grand, du plus merveilleux, du plus fantastique amour qui nous est proposé, celui qui par l’Esprit-Saint et la Vierge Marie nous conduit à être les épouses ou les disciples du Maître qu’est Jésus-Christ, et par Lui, nous fait fils du Père pour l’éternité. L’amour est tout. Son symbole est celui des épousailles, la réalité toute divine se trouve en Jésus et Marie. C’était dans le plan de Dieu, dès la création de l’homme et de la femme, selon ces paroles de la Genèse :
« Dieu créa l’homme et la femme à son image, à l’image de Dieu Il les créa, homme et femme, Il les créa. » Pourquoi revenir aux origines ?
Parce que cette différence des sexes, cette apparition de l’homme et de la femme, distincts l’un de l’autre devant Dieu, est d’une importance considérable pour comprendre la suite.
Certes, il n’y a pas de sexe en Dieu, mais la sexualité nous donne une image des relations dans la Trinité divine.
Adam est créé le premier. Dieu le fait participer à sa paternité : force, courage, autorité. Son sexe est masculin, apparent et il est acteur, initiateur dans l’œuvre de chair, comme Dieu le Père est Acte. Il a besoin de la femme pour engendrer.
La femme est tirée d’Adam, façonnée par Dieu ; elle lui est donc postérieure, dans une situation inférieure. Elle lui est une aide fraternelle, faite sur mesure pour lui, une aide semblable mais soumise. Cette naissance d’Ève tirée de la côte d’Adam, telle que la Bible nous le raconte, est d’une importance capitale. Elle n’est pas seulement pensée par Dieu pour engendrer des enfants avec le concours de l’homme, mais elle porte, dans sa nature propre, une leçon de faiblesse, de soumission par rapport à la force, à l’autorité d’Adam. Dieu l’a placée auprès de l’homme pour rappeler à ce dernier qu’il est une créature faible, un néant qui n’a de force qu’en Dieu. L’homme trouve en la beauté de la femme, sa faiblesse, sa gentillesse, une image de l’humilité de la créature en face de Dieu. La création est mixte : la force de l’homme est une image de la grandeur et puissance de Dieu. La faiblesse et la soumission amoureuse de la femme, une image de la créature.
C’est pour nous faire comprendre leur Trinité que le Père, le Fils et le Saint-Esprit ont fait les hommes en partie acte et autorité, en partie beauté, amour et tendresse. L’être féminin nous est le portrait du Saint-Esprit qui est la douceur, l’amour, la fécondité virginale en Dieu. L’être masculin est le portrait du Fils de Dieu, le Verbe qui est la Sagesse. Dieu a fait Adam et Ève en sorte que cette Trinité du Paradis terrestre soit l’effigie, la figure de cette Trinité à laquelle nous voulons avoir accès. Quand Ève vient à la vie, elle a un mouvement d’amour pour celui dont elle provient. C’est impossible autrement ! Et lui s’éprend d’amour de cet autre lui-même : c’est le plus sublime mariage, car il est l’œuvre de Dieu. Le mariage est une institution première, il est parfait en lui-même, car tout ce que Dieu fait est bon intrinsèquement, avant que le diable y mette sa patte.
Les unions mystiques des saints avec Dieu ont toujours été symbolisées par le mariage qui est au centre de la Révélation divine.
L’Abbé de Nantes se veut l’anti-Freud.
Certes, le sexe sort souillé de l’horrible aventure du péché originel. La femme devient un piège pour l’homme. Adam a perdu toute estime de son épouse dont il fera son esclave. Les sexes sont globalement méfiants l’un de l’autre. Le péché produit des désordres en chaîne, les sens ont été dépravés : hommes esclaves de leurs passions, prostitution des femmes. Par l’intrusion de Satan, la vie du couple va être dissociée. Freud s’empare de cette désorientation diabolique. Ses théories sataniques abîment le genre humain, le ravalent au rang des bêtes, souillant toute la création du bon Dieu. Freud voit déjà dans la nature de l’homme toutes sortes de turpitudes qui n’y sont pas. Il nous jette dans ce fumier, cette révolte contre Dieu, épouvantable, dans cette absurdité du monde, cette culpabilité héréditaire et il nous laisse là ! Personne ne répond ! Au contraire, on dit que c’est une analyse vraie, scientifique de la condition humaine. C’est affreux et faux !
Sortons de cet abîme où Freud se complaît. Parlons de la sexualité selon la vérité de Dieu. Notre Père a le courage de raconter les choses au réel, allant au-delà de l’histoire de la pomme mangée par Adam et Ève. Cette histoire, c'est très bien pour les enfants, mais dire ce qu’a été le péché originel dans toute son horreur change le regard sur le monde et sur les choses du monde qui torturent l’humanité. Oui, l’histoire sainte commence par un double crime sexuel : horrible ! Et ce péché est irrémissible, souillant l’homme et la femme.
Mais la Bible ne s’arrête pas là ! Revenons à la source : à notre Père Céleste, fondateur et protecteur du couple humain. Après le péché, il n’a pas anéanti son œuvre ni abandonné son grand dessein d’amour et de salut. Ce sont les merveilleux mystères de notre sainte religion (dont Freud fait fi) que l’Église célèbre dans cette phrase lapidaire : « Ô mon Dieu, vous avez créé la nature humaine d’une manière admirable et vous l’avez restaurée d’une manière plus admirable encore. »
Puisque le diable a eu l’audace de tenter la partie faible de l’humanité, Dieu lui révèle dès le début (Gen 3, 15), qu’Il a créé une Femme pour lui écraser la tête.
Au spectacle du double crime d’Adam et Ève, cette Femme recule d’horreur. En Adam, c’est le Verbe de Dieu qui est blessé ; en Ève, c’est Elle-même dans sa féminité qui l’apparente à cette femme perdue. Or, Elle voit son Fils s’offrir à racheter pareil opprobre. La Justice de Dieu pardonnera à son Fils qui se fait Adam coupable pour obtenir absolution. Elle s’offre aussi en victime.
Durant l’Ancien Testament, tous les sacrifices n’auront que des victimes de substitution, en figures et promesses de la Victime parfaite. Enfin, le sacrifice unique de Jésus et de Marie opère la Rédemption du genre humain : la parenté entre Dieu et l’humain lignage est renouée. Maintenant, au centre de notre histoire, nous trouvons Jésus et Marie ; Lui, le Primogenitus, le Premier né de tous les hommes, au-dessus d’Adam. Et la Vierge Marie, liée à Lui comme la nouvelle Ève, la Primogenita, la Première engendrée de toutes les femmes.
Notre profonde horreur du péché originel n’a d’égale que notre admiration et reconnaissance pour l’immense charité du Fils et de sa Mère, renversant le crime qui empêchait la circumincessante charité du Père céleste de nous atteindre. Il n’y aurait pas de pardon pour nous s’il n’y avait eu rançon, c’est-à-dire un Rédempteur et une Corédemptrice. Cette découverte doit changer notre vie. Brisant avec cette appartenance, nous voulons devenir fils et filles de Dieu en Jésus-Christ. La jeune fille, la femme aura pour référence non plus Ève, mais cette merveilleuse Mère, la Vierge Immaculée qu’elle estimera et aimera ; sinon, le démon la renversera. Et l’homme devra retrouver son Père du Ciel sur la Face du Christ donnant sa vie sur la Croix pour nous, Le prenant pour Maître afin d’échapper à l’orgueil, à la violence et à l’apostasie.
Le sacrifice unique de Jésus et Marie est donc la réhabilitation de l’homme, de la femme et de l’amour conjugal. C’est une rénovation complète du genre humain qui s’est accomplie dans le Christ et à laquelle nous accédons par l’Église et les sacrements.
En effet, le moyen de rompre avec nos premiers parents pour entrer dans l’adoption de nos nouveaux parents, le Père, le Fils et le Saint-Esprit et la Vierge Marie qui en est le sanctuaire, c’est le baptême et l’Eucharistie, les deux fruits du Calvaire.
Le mariage redevient l’image des réalités spirituelles de l’union que Dieu veut contracter avec toute âme. Ce n’est qu’en vue de ce mariage mystique, de cette alliance, que Dieu a appelé à l’être Adam et Ève. Quand le Fils de Dieu s’éprend d’une créature, Il l’attire dans sa nature divine par le baptême ; elle ne fait plus qu’un avec Lui. La créature épousée ne peut que se jeter avec reconnaissance dans les bras du Christ, sur son Cœur, Le louant de l’avoir choisie pour épouse.
L’adoption filiale de la pauvre âme souillée de tant de fautes et d’une si lourde hérédité se fait par la tendresse et la pureté de la Très Sainte Vierge, d’abord. Une nouvelle vie commence quand un pèlerin s’arrête devant la Vierge, car en Elle est le recours ultime : Elle lui tend son Fils, pour passer de la condition de fils d’Adam à celle de fils de Dieu, de filles d’Ève à enfants de Marie. Nos relations ont changé de nature et de mouvement.
Il suffit de voir la Vierge Marie au pied de la Croix, souffrant cette horrible expiation avec Jésus. La voir si pure invite à recevoir l’eau baptismale comme jaillissant du Côté de Jésus sur la Croix. De son Côté transpercé, jaillit de l’eau et du sang, saint Jean en témoigne.
L’eau est le symbole du baptême. Par le baptême, nous devenons autres, passant de la mort à la vie. C’est un terrible changement dont l’eau qui nous lave est le signe. Cette âme ainsi purifiée ose davantage se rapprocher de Jésus, assez pour être comme saint Jean, tout près de son Cœur, dans le repas des noces qu’Il nous donne après sa Résurrection. Le flot de sang qui coule du Christ Crucifié est le symbole de l’Eucharistie. Son Corps ressuscité nous est donné dans ce repas eucharistique qui est l’action de grâce pour la victoire remportée sur le démon et pour la réconciliation opérée avec Dieu. (Freud aussi est vaincu !)
Disons tout de suite l’éthique mystique qui découle d’un tel sacrifice, non déduite de quelque connaissance abstraite de notre nature humaine, mais découlant de cette expérience mystique des nouveaux liens avec les Personnes divines et la divine Vierge Immaculée. Chacune de ces personnes a sa personnalité et donc son enseignement, son modèle idéal à nous inculquer. Elles vont nous façonner à leur image :
Si je suis femme, la Vierge Marie m’inculquera le mystère de la perfection féminine aux yeux de Dieu, aux yeux du Christ, son Époux.
Si je suis homme, le Christ me fera son disciple, son compagnon, s’il le faut, son soldat, son martyr.
Notre cœur apprécie ce contact avec ces Personnes divines qui nous aident à acquérir facilement leurs vertus :
Le Père, par sa douce autorité, d’ailleurs communiquée au Fils, nous inspire et transfuse l’obéissance, si neuve pour un fils d’Adam habituellement orgueilleux et révolté.
La Mère de Dieu, par sa beauté, sa virginité, nous attire comme insensiblement, mais irrésistiblement à elle et nous rend facile et comme nécessaire la parfaite pureté de corps, de cœur, de pensée, de relation dont les filles d’Ève avaient perdu le trésor.
Le Paradis retrouvé.
Devenu créature nouvelle, je veux donc être un saint, “ comme mon Père Céleste ” dit Jésus dans l’Évangile. Certes, mais dois-je l’être en quittant tout et toute créature, en allant dans un désert pour rompre toute affection afin de trouver Dieu seul ? Impossible, répond notre Père ! D’abord parce que Dieu Lui-même n’est jamais seul. Il est Trinité. L’univers sorti de ses mains ne reflète absolument pas un Dieu immobile, mais révèle la circumincession des Personnes par lesquelles le Père engendre son Fils et à eux deux spirent l’Esprit-Saint dans un échange et un mouvement continuel. Il y a continuité entre la sphère de la nature et celle de la surnature : impossible de couper, trancher les racines pour rejeter l’ordre naturel afin d’être dans le pur surnaturel. Mes relations en partie humaines, en partie divines sont comme un escabeau qui me permet de monter vers le Ciel : dois-je le renverser ? Aucune créature sainte ne m’est indifférente, mauvaise ou étrangère. Je ne puis mépriser les épousailles et la maternité si c’est la Vierge Marie qui les représente sous un mode parfait. Par la Vierge Marie, j’ai un passage vers Dieu, un accès au Saint-Esprit qui habite en Elle. Les créatures les plus saintes, les plus pures, les plus fortes telles sainte Jeanne d’Arc, sainte Bernadette, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus me parlent de la Vierge Marie et me conduisent aussi à Dieu.
Comment contempler Dieu dans sa transcendance en dehors de tout, même de l’humanité de Jésus-Christ ? Ce n’est pas possible, car Jésus-Christ notre Maître est “ le Chemin, la Vérité, la Vie ”. Le voir, c’est voir son Père. Par Lui, j’ai un accès direct à Dieu son Père. Il s’est attaché tant de disciples et de saintes femmes qui ne vivent que de Lui et pour Lui qu’en me liant d’amitié, de confiance, d’estime avec ces créatures saintes, je peux entrer plus avant dans la connaissance et l’amour du mystère de Jésus et de Marie.
Notre Père en donne comme preuve la vénération qu’il eut depuis son plus jeune âge pour le curé de son village, à Chônas ; pour les Pères maristes de Toulon, puis pour un prêtre incomparable au séminaire d’Issy-lès-Moulineaux : c’était Jésus qu’il voyait et aimait dans ces prêtres. Il ne faut pas chercher Dieu ailleurs que dans cet ordre établi par Dieu merveilleusement à notre portée.
Au centre de cette révélation divine, il y a le mariage, capital dans notre recherche de l’union cœur à cœur avec Dieu comme un fils avec son père, puis comme une épouse avec son époux. Un jour, nous avons besoin de nous découvrir aimés come une épouse est aimée par son époux. Précisément, Dieu le sait bien et Il a fait de son Fils un homme pour s’approcher de nous afin de nous parler un langage d’amour total, exclusif qui dans toutes les langues du monde s’appelle l’amour nuptial, l’amour de l’Époux par l’épouse. Jésus s’est fait homme pour nous aimer et être aimé de nous complètement. C’est le mystère de la vie mystique de faire de notre religion un amour, comme le disait l’abbé Huvelin de Charles de Foucauld.
Dans sa toute première lettre spirituelle, datée de 1956, notre Père donnait comme programme à ses dirigés cette sentence du Carmel : « Au soir de la vie, une seule chose demeure, l’amour. Il faut tout faire par amour. » Mais quels moyens nous propose-t-il pour aimer Jésus comme notre Époux, notre Maître et notre Roi, notre Tout sur la terre comme dans le Ciel, dont notre âme soit l’épouse, la disciple, la sujette éperdue d’admiration, d’adoration totale et exclusive ? Ce n’est pas forcément facile.
L’offre de l’Évangile
Il faut reprendre l’Évangile et s’appliquer à connaître l’Époux que notre Père du Ciel nous donne. On n’aime que ce qu’on connaît. Nous allons donc porter notre attention sur Jésus pour voir ce qu’Il a de vrai, de bien, d’aimable, de telle manière qu’en Le fixant, en Le contemplant, mon cœur incline l’intelligence à souligner ses perfections. C’est un travail, mais qui va dans le sens de la vérité, du bien, et finalement, le cœur s’enflamme. Je vais relire chacune des pages de l’Évangile comme une sorte de révélation brûlante de l’amour de Jésus pour moi. Pourquoi ne pas m’attarder sur la parabole du Bon Pasteur qui va chercher sa brebis perdue ? Lisons aussi le poème que Marie Noël en a fait ! Nous serons aidés et nous pleurerons d’émotion. Il faut que l’Évangile nous devienne un livre d’amour. Le Bon Pasteur connaît ses brebis nominatim, l’une après l’autre, chacune par son nom. C’est moi qui suis visé, Il me connaît par mon nom !
De même, la parabole du bon Samaritain – Quoi de plus touchant ? C’est Lui, Jésus, le bon Samaritain !
L’enfant prodigue – Le père de famille, c’est notre Père du Ciel qui fait des noces pour Jésus son Fils. L’enfant prodigue, c’est nous. Sous cette allégorie, c’est Jésus qui attend notre âme pécheresse pour la ramener dans le lit conjugal.
Si l’Évangile ne suffisait pas à nous embraser d’amour pour le Christ, il y a l’offre de saint Paul. Saint Paul est un torrent ! Il faut lire l’Épître aux Philippiens ! Saint Paul se fait aimer d’eux et leur prêche le Christ. Les Philippiens ont été gagnés à lui, ils auraient donné leur vie pour saint Paul. Entre eux et saint Paul, il y a eu un lien mystique incroyable ! Toute cette communauté de Philippe ne respirait que pour lui, et Paul leur manifestait un dévouement d’époux pour son épouse. Saint Paul crie son amour du Christ et son désir de mourir pour aller auprès de Lui. Puis il se rappelle qu’il ne veut pas quitter ses chers enfants. Alors, il va rester avec eux. Notre Père nous exhorte à lire ces discours enflammés de saint Paul pour comprendre ce qu’est la vie mystique, comment on passe de l’amour de l’homme qui représente le Christ au Christ lui-même. À partir du moment où on a compris ce qu’était le Christ, le Verbe fait chair pour notre salut, on comprend qu’Il nous prend et qu’on ne peut pas dire non.
Que dire de l’offre de saint Jean ? L’amour du Christ pour saint Jean est un amour total, définitif, exclusif, nuptial. Le disciple que Jésus aimait a reposé sur son Cœur à la dernière Cène, et il verra quelques heures plus tard ce même Cœur transpercé, d’où jaillira un torrent d’eau et de sang. Saint Jean était l’apôtre vierge, un cœur plein d’intelligence profonde. En voyant couler ce Sang et cette eau qui arrosaient la terre, il a compris que c’était le don de sa vie que l’Époux fait à son épouse pour la sauver d’elle-même, la purifier, la sanctifier, l’enivrer de son amour. D’où ses grandes déclarations dans son épître, que Dieu est Amour. Faisons-en notre méditation.
Mais ce n’est encore rien par rapport à l’offre du Tabernacle – « Le Maître est là et Il t’appelle », ou comme chantait un vieux cantique : Vivons à deux, Jésus, vivons à deux. C’est formidablement vrai puisque “ le Verbe s’est fait chair et Il a habité parmi nous ”. Au tabernacle, Jésus est là pour nous et Il est là comme notre pain, comme notre vin, c’est-à-dire qu’Il est là pour se donner à nous en nourriture et en breuvage dans le baiser eucharistique. Là aussi, c’est la symbolique du mariage qui s’impose. Bossuet a des paroles d’un réalisme extraordinaire à ce sujet : les époux ne désirent qu’une chose, c’est se mordre, se manger, se dévorer l’un l’autre, pour être davantage unis. Ayant expliqué cette passion, Bossuet l’applique au Christ pour nous faire comprendre ce que le Christ a voulu dans sa folie, sa passion d’amour pour chacun d’entre nous : Il veut que nous le mordions, que nous mâchions sa chair. Jésus le dit dans l’Évangile : il faut mâcher sa chair, Il veut être possédé par nous, être assimilé par nous, ne faire plus qu’un charnellement avec nous. Tout en disant : « La chair ne sert de rien, c’est l’esprit qui vivifie » (Jn 6, 63), mais c’est ce contact charnel qui produit l’union spirituelle. Je vois l’Hostie, je la prends dans la bouche ; elle me pénètre, ce Corps et ce Sang entrent en moi, je le mange et je l’assimile, ou plutôt c’est lui qui m’assimile. Mais je sais que cet acte charnel est porteur d’une réalité spirituelle, éternelle. Je goûte « la nourriture des anges », comme dit la liturgie. Je me nourris du Fils de Dieu. J’aime que ce soit par la couleur et l’odeur d’un vin qui m’enivre, par l’apparence d’un pain savoureux qui me fortifie. La communion eucharistique est en toute vérité la circumincession de la charité divine en laquelle entre directement l’être humain. Communion de la créature à la chair du Fils de Dieu, mais par sa chair, à son Cœur. Et dans le Cœur Sacré de Jésus, c’est l’union au Père Céleste d’où nous vient tout bien, toute miséricorde, toute grâce.
Jésus est là au tabernacle, à longueur de journée. Au salut du Saint-Sacrement, c’est encore comme une communion, comme l’époux multiplie les baisers à son épouse. C’est ce qu’on appelle la communion spirituelle.
Sainte Marguerite-Marie
Au XVIIe siècle, le Sacré-Cœur est venu renouveler l’offre de son amour aux pécheurs, aux âmes attiédies, en apparaissant à sainte Marguerite-Marie. Elle raconte elle-même : « Il me fit reposer longtemps sur sa divine poitrine où Il me découvrit les merveilles de son amour et les secrets inexplicables de son Sacré-Cœur (...) Il me dit : “ Mon divin Cœur est si passionné d’amour pour les hommes et pour toi en particulier que ne pouvant plus contenir en lui-même les flammes de son ardente charité, il faut qu’Il les répande par ton moyen et qu’Il se manifeste à eux pour les enrichir de ses précieux trésors que je te découvre et qui contiennent des grâces sanctifiantes et salutaires nécessaires pour les retirer de l’abîme de perdition. ” » Il enflamme son désir de Le consoler par cette parole : « Vois ce Cœur qui a tant aimé les hommes et qui n’a eu pour réponse que mépris et ingratitude (...) ce qui m’est beaucoup plus sensible que tout ce que j’ai souffert en ma Passion ; d’autant que s’ils me rendaient quelque retour d’amour, j’estimerai peu tout ce que j’ai fait pour eux, et je voudrais, s’il se pouvait, en faire encore davantage. Mais ils n’ont que des froideurs et du rebut pour tous mes empressements à leur faire du bien. Mais, du moins, donne-moi ce plaisir de suppléer à leurs ingratitudes autant que tu pourras en être capable. » (Autobiographie, p. 81 et 85)
Disciple du Père de Foucauld, et fondateur de l’ordre des Petits Frères et Petites Sœurs du Sacré-Cœur, notre Père a vécu dans une ardente dévotion au Sacré-Cœur et n’a cessé de la prêcher en l’expliquant, car c’est un mystère, une grâce entièrement méconnue de nos jours.
Commençons par un peu d’anatomie. Dans l’être humain, le cœur est l’organe qui manifeste le mieux l’élan de la vie, ce jaillissement perpétuel et inexpliqué d’un mouvement qui nous est absolument nécessaire pour vivre. Un cœur d’homme qui bat fortement et calmement, c’est un mystère. À chaque battement, on est émerveillé de la vie. Il y a plus : ce cœur qui bat si régulièrement est sensible aux moindres émotions ; ses battements sont donc un grand signe, une manifestation de ses sentiments. Le cœur est bien le symbole de l’amour.
Appliquons cela au Cœur de Jésus, dévotion centrale de la Sainte Église.
Dieu est Amour et tout au long de l’Ancien Testament, Il crie aux hommes qu’Il les aime, sans être compris. Il envoie donc son Fils prendre un Cœur semblable au nôtre afin que nous puissions nous réfugier en Lui, et de nos oreilles, de notre joue de chair, sentir la chaleur et le mouvement de ce Cœur. Expérience ineffable qu’a faite saint Jean au soir de la Cène ! Dans la Sainte Eucharistie, Jésus nous donne son Cœur en nous disant comme à sainte Marguerite-Marie : « Voyez ce Cœur qui a tant aimé les hommes ». Si nous avions un stéthoscope spirituel, nous explique notre Père, en recevant l’Hostie, nous entendrions battre le Cœur de Jésus, preuve de son amour infatigable. Son Cœur bat sans cesse pour nous. Mais ce n’est pas simplement un amour général : le Cœur de Jésus est sensible, c’est un être tout palpitant de vie qui répond avec tendresse et sollicitude à chacune de nos demandes, de nos attitudes ; quand Il craint pour notre salut, son Cœur se met à battre d’une manière précipitée C’est un refuge incessant pour les pécheurs et pour les belles âmes. C’est la révélation de ce qu’il y a de plus beau sur terre et dans le Ciel : un amour qui nous déborde, nous enveloppe de toutes parts, qui nous suit, nous précède, nous accompagne. C’est la source de tout amour, car comment ne pas répondre par un amour semblable ?
Mais le Cœur de Jésus est aussi un Cœur surmonté de la Croix, un Cœur transpercé, blessé du coup de la lance. Cela nous ramène au Calvaire quand Jésus a eu le Cœur transpercé par la lance du centurion. Mais cette plaie au Cœur de Jésus porte une leçon : c’est la blessure de l’amour. Pénétrons les sentiments du Cœur de Jésus rencontrant la méchanceté, les mépris, les ingratitudes des pécheurs ; au lieu de les rejeter et de les maudire, Il ne manifeste que bonté et miséricorde jusqu’au coup ultime.
Il se laisse transpercer en pardonnant, manifestant l’excellence, le caractère infini de son amour.
Enfin, jaillit un torrent de sang, c’est la dernière révélation : Jésus n’est pas un Cœur sec. C’est un Cœur plein de sang ; ce sang a jailli de son Cœur en torrents. Nous en avons encore maintenant la tache bien visible sur le Saint Suaire. C’est nous dire que Jésus s’est acquis une richesse inépuisable, un trésor de grâce, de bonté de son Père. Et que désire-t-Il sinon que nous y puisions ? Voilà ce côté tellement important de la dévotion au Sacré-Cœur. Pour Le contenter, que devons-nous faire ? Lui demander des grâces, nous confier à Lui, consacrer nos familles, notre maison, notre nation et ne cesser de l’importuner pour qu’Il nous distribue ses grâces, ses bénédictions qu’Il s’est acquises par sa Passion.
C’est au cours de la retraite de communauté de 1985 que notre Père expliqua en détail tout le message du Sacré-Cœur révélé à sainte Marguerite-Marie.
Il y a aussi précisément pour notre époque l’offre de la Sainte Face du Christ photographiée sur le Saint Suaire et livrée à notre contemplation amoureuse et notre compassion, encouragée par les admirables révélations à trois grandes mystiques : Sœur Marie de St-Pierre, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et mère Marie-Pierina. Elles ont été les confidentes du Christ qui voulait être baisé sur sa Sainte Face, qui voulait que son crucifix soit baisé par ces saintes femmes.
« QUELQUES réflexions afin de croire et d’aimer cette sainte relique : la photographie du Christ : j’ai démontré que le saint Suaire est authentique (...) Nous venons ici pour tomber à genoux devant le saint Suaire, tomber à genoux d’amour devant Notre-Seigneur qui nous montre aujourd’hui pour nous sauver dans l’apostasie générale ses Plaies et la douleur de son Cœur, la Plaie de son Cœur et la douleur de son Visage, infinie. Et quand nous L’avons vu, nous voulons Le voir encore. Et plus nous croirons, plus nous voudrons voir, et enfin voir face à Face ce Christ qui nous apparaîtra et se donnera à nous à la fin de notre vie à tous. »
Notre Père, Turin, 1998.
Ainsi, le mariage divin nous est offert par le Christ. Chacun de nous n’a qu’à avancer dans cette voie d’union d’amour de Dieu, l’unique but de notre vie, mais pas tout seul... conduit par la Vierge Marie, en enfant de Marie.
Nous ne pouvons pas tout dire en même temps et réservons pour la troisième partie de cette retraite l’étude théologique que notre Père a développée tout au long de sa vie, sur les richesses infinies de la Bienheureuse Vierge Marie, et en particulier sur sa médiation universelle.
Mais il faut déjà ici mentionner le rôle capital que la Vierge Marie remplit dans l’âme qui cherche à s’unir au Père par Jésus. Comme dit un cantique de saint Louis-Marie Grignion de Montfort : « Pour aller à Jésus, allons chrétiens, allons par Marie. » C’est Elle qui est notre initiatrice dans cette voie de la vie mystique. C’est tout un trésor encore à découvrir...