Centenaire de Georges de Nantes, notre Père (6)

Victor quia victima

VAINQUEUR parce que victime. » En octobre 1969, notre Père donnait ce titre à son éditorial en s’inspirant de l’exemple de saint Thomas Becket :

Notre Père lors de son séjour
à la maison Sainte-Thérèse,
au Canada, en septembre 1997.

« C’est à Dieu, écrivait l’archevêque de Cantorbéry, désavoué par le Pape et abandonné par tous, que je confie le soin de ma cause, à Dieu pour qui je suis proscrit et exilé ; qu’il apporte à tant de maux le remède qui paraîtra convenable à sa sagesse. »

Tandis que notre Père s’imprégnait de la vérité de l’apparition de Notre-Dame de La Salette et de l’importance de son message (CRC n° 324, juillet-août 1996, p. 1-30), dans la suite “ orthodromique ” des apparitions du dix-neuvième siècle, il comprit le 3 avril 1996 (son soixante-douzième anniversaire !) comment l’Immaculée Conception est le mystère central révélé en ce siècle.

La proclamation de ce dogme en 1854 fut une victoire, préparatoire à la publication de l’encyclique Quanta Cura et du Syllabus, en 1864. Victoire sur les œuvres du Diable que sont le libéralisme et le rationalisme, et sur « tant de maux » qui en découlent.

Tel était « le remède qui paraissait convenable à sa sagesse », car c’est par la dévotion à l’Immaculée Conception que Dieu veut accomplir le salut du monde, à la fin des temps.

Ayant réussi, en son exil forcé de Hauterive, la « difficile conciliation » d’une intime union à la Sainte Trinité, avec cette « polémique épouvantable » contre un Concile qu’il faut jeter au feu pour le salut des âmes, notre Père s’est consacré à l’Immaculée en 1997, et lui a « passé la main ».

En juillet 1993, il s’était vu proposer par le Sacré-Cœur de Jésus un contrat :

« Je me suis trouvé intérieurement très bouleversé, nous confia-t-il, par une sorte de marché qui m’était proposé, donc imposé par mon unique Maître et Sauveur, ma Sainte Mère y participant des deux côtés, de Lui et de moi : plutôt que le martyre maintenant, vingt-cinq ans de vie pour porter du fruit, mais à condition que celle-ci soit déjà une sorte de mort corporelle, dont la façon doit se tirer de la consécration formulée par mère Marie du Divin Cœur. »

« Voilà ! C’est tout, c’est bref, j’ai dit oui. »

Tout a commencé par l’exil décrété par Mgr Daucourt. Comme la Prière de l’Agonie composée par mère Marie du Divin Cœur l’exprimait précisément, par ces paroles que notre Père récitera, en toute vérité, dans la chapelle des hôtes du monastère d’­Hauterive, chaque jour, il s’agit d’un “ marché ” d‘amour :

« Ô mon doux Sauveur, je me jette aujourd’hui, de nouveau et sans réserve, entre vos bras. Plus les appuis extérieurs se brisent et disparaissent, plus je me trouve isolée, plus la solitude se fait autour de moi et plus je m’appuie fortement sur vous et mets toute ma confiance en vous. »

Les premiers symptômes d’ « une sorte de “ mort corporelle ” » parurent au cours des cent premiers jours. Et le “ fruit ” ?

Au Canada, avant son départ, notre Père avait dit à nos frères : « À mon âge, une seule chose compte : la défaite de Satan et la condamnation du concile Vatican II. Nous préférons mourir plutôt que de passer dans l’autre camp ou de s’endormir dans un monastère bien fermé, mais asphyxié par le Concile et par le Pape. » L’abbé de Nantes, « bien enfermé » à Hauterive ne s’y laissa pas asphyxier. Il demanda au Père Abbé un exemplaire des Actes de Vatican II, et en entreprit la lecture sans aucun autre document de ses commentaires passés. Pour en mieux pénétrer le sens, il en recopia les textes en notant ses réflexions intimes. D’une écriture un peu tremblée, symptôme des premières atteintes de sa maladie, il remplit un, deux, bientôt trois cahiers d’écolier.

UN COMBAT SINGULIER AVEC LE DIABLE

« Fastidieux à chaque reprise, ce labeur devenait en peu de temps, passionnant, et des textes ainsi copiés, analysés, fouillés, je crois pouvoir dire que je connais leur fond, leur forme, leurs intentions affichées et jusqu’aux plus secrètes arrière-pensées de leurs auteurs.

« Mes critiques de jadis me revenaient, mais tant et si gravement renforcées que, de jour en jour, m’apparaissait comme un devoir pour le salut des âmes, pour la situation indéfectible de l’Église, mais encore pour la Vérité de Dieu, et ne serait-ce que pour le seul honneur et crédit de l’intelligence humaine et chrétienne, que ces textes soient révisés, corrigés et, pour la plupart, j’ose le dire... pour l’ensemble, rétractés par les mêmes Pères qui les ont promulgués, ou leurs successeurs, tant ils sont humainement aberrants et dogmatiquement hérétiques, subversifs, à en crier. La cause de la crise de l’Église est là, sous mon scalpel, qu’il faut éradiquer. »

« L’esprit de Satan se manifestait dans chacun de ces chapitres, que j’avais dénoncés sur le moment, mais comme un jeune prêtre n’osant donner toute leur force à ses propres raisonnements. Cette fois, il n’était pas possible de ne pas livrer une bataille sanglante contre cette invasion de Satan en plein Concile et qui continue depuis trente ans. »

Aujourd’hui, nous pouvons dire : depuis cinquante ans. Le fruit de ce combat apocalyptique fut la plus salubre et la plus salutaire des œuvres théologiques du vingtième siècle. Nous n’hésitons pas à y voir la réalisation de la prophétie de don Bosco, annonçant que ce siècle ne s’achèverait pas sans que l’Immaculée ait remporté une éclatante victoire. Cette victoire est la rédaction de ce pamphlet “ mystique ”.

« Mon secours était d’interrompre cette étude pour revenir à la chapelle, et demander à notre Père Céleste comment il était possible que tous aient participé à ce vent de folie, même un Albino Luciani, le futur Jean-Paul Ier... et par quelle aberration ou “ désorientation diabolique ”, tous encore aujourd’hui et jusqu’à ces saints moines que je côtoyais, adhéraient à ce néo-christianisme, cette gnose moderniste déjà condamnée par saint Pie X et par toute la tradition millénaire ? C’est alors que, marchant le long de la rivière proche, me frôla comme un vertige l’idée, la tentation d’un suicide qui résoudrait l’insoluble problème ignacien du “ quid agendum ? ” Que dois-je faire maintenant ?

« La réponse était : prier, travailler sans relâche, puis publier cette critique littérale, sans aucun autre souci que de la Vérité, en un livre au titre flambant comme d’un pamphlet : Vatican II, l’Autodafé... et laisser l’Église à son devoir, le mien étant à ce dernier essai, achevé. »

Ainsi, l’Immaculée protégea son enfant, tout au long de cet exil. De ce terrible combat, soutenu dans « l’abjection et l’oubli acceptés sans limites pour l’amour du Christ », notre Père sortit vainqueur mais blessé, mortellement. Nous allions l’apprendre en moins de « vingt-cinq ans de vie ».

En septembre, lorsque Mgr Daucourt se crut assuré que notre Père ne reviendrait pas, il nous intima l’ordre de choisir entre trois solutions :

1° retourner dans le monde,

2° entrer dans une autre communauté,

3° rester en communauté au titre d’une association de laïcs de fait, mais sous ma « vigilance », disait l’évêque, « avec enquête canonique » et tout ce qui s’ensuivrait.

Le 12 septembre, frères et sœurs répondirent personnellement à Mgr Daucourt qu’ils voulaient continuer à vivre en communauté, dans les mêmes conditions. De plus, je l’avertissais que nous ne bougerions pas du statu quo aussi longtemps que le jugement doctrinal n’aurait pas été rendu sur le procès fait par l’abbé de Nantes au concile Vatican II.

La première tentative de Mgr Daucourt pour nous rallier ou nous disperser avait échoué. Deux mois plus tard, l’évêque reprit la plume pour en finir. Le 27 décembre 1996, il nous écrivit :

« Frères et sœurs dans le Christ [...]. Je reste préoccupé par votre situation. Celle-ci ne saurait durer [...]. Pour ce faire, je dois continuer de remplir ma tâche d’évêque non pour détruire, mais pour vous aider. » Et de nous proposer la rencontre d’un moine ayant « une longue expérience de responsabilité au service des communautés monastiques ».

 Non pour détruire ”... Le mot était révélateur d’intentions mal dis­simulées. Je le lui fis alors remarquer :

« Il s’agit de savoir si nous sommes encore catholiques en refusant la religion du concile Vatican II [...]. Cette question dépasse de toute manière la compétence du moine que vous avez chargé de nous ren­contrer. » Et je lui annonçais que j’allais, avec frère Gérard, visiter notre Père à Hauterive « pour lui demander si notre obéissance devait aller jusqu’à laisser anéantir la Contre-Réforme catholique ».

Au même moment, notre Père recevait de Mgr Daucourt en cadeau de Noël les Œuvres complètes de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, et il se surprit à murmurer : « Timeo Danaos et dona ferentes. Je crains les Grecs, même porteurs de présents. » La lettre qui accompagnait le cadeau aggrava son tourment. L’évêque lui donnait des nouvelles des frères et des sœurs : « Dans la discrétion et la patience, je veux exercer ma responsa­bilité à leur égard pour qu’ils aient un statut canonique, un supérieur légitime [ !] et un aumônier, mais c’est actuellement très difficile. »

Il devenait de plus en plus patent que l’évêque s’employait à obtenir notre dissolution pour que disparaisse la CRC. Seul notre Père pouvait nous défendre, à la fois sur le fond – il n’y avait que lui pour mener un tel combat doctrinal – et en droit : c’est l’état inachevé de son procès, ouvert à Rome en 1968 et jamais conclu, qui couvrait de son bouclier canonique la légitimité de la poursuite de notre œuvre de CRC. Si bien que nous n’avions pas à obtem­pérer aux volontés de Mgr Daucourt, dont notre Père supputa qu’à Rome, il serait qualifié de “ maladroit ”.

C’est ainsi que, l’après-midi du 2 janvier, frère Gérard et moi sommes partis pour la Suisse, prier notre Père de revenir.

RUPTURE D’ARMISTICE ET RETOUR AU COMBAT : 
LA CROISADE POUR LA FOI CATHOLIQUE CONTINUE !

À notre arrivée à Hauterive, le 3 janvier au matin, il nous conduisit dans la petite chapelle où il disait la Messe seul chaque matin. Nous le vîmes s’allonger sur le sol, les bras entourant le pied colonne du Tabernacle, à l’imitation de ­Marie-Madeleine au pied de la Croix, puis se relevant, il pointa du doigt la porte du tabernacle sur laquelle était sculpté un Christ aux outrages dont il baisa le genou. Il nous raconta ensuite comment il avait été constamment “ aidé ”, durant ces cent jours, par une grâce quotidienne, souriant à tous, “ braves gens ” de service ou de passage. Grande, indicible était notre joie de retrouver notre Père terrestre, image de notre “ très chéri Père Céleste ”, avec notre amour d’enfants, d’enfants de Marie.

En montant dans notre auto pour revenir à la maison, il crut entendre notre très chéri Père Céleste lui dire : « J’aimerais assez que tu sois maintenant excommunié. » En effet, s’il avait été excommunié, cela aurait fait rebondir son procès pour la défense de la foi. Malheureusement, il n’en fut rien.

Cependant, tandis qu’il regagnait la France, notre Père fut envahi « d’une formidable joie, parfaitement lucide : pour la première fois depuis 1944, je me savais libre dans ma foi catholique et dans mon natio­nalisme français, monarchique. Au milieu d’un monde et d’une Église tombés en esclavage du Malin, j’avais acquis le droit de secouer toutes mes servitudes, de ne rien dissimuler et de faire face, comme saint Georges, mon patron, comme saint Michel, comme David, à toutes les hideuses et puantes bêtes de l’Apocalypse. »

En reprenant la tête de ses communautés, notre Père savait ce qui l’attendait : « une sorte de mort corporelle ».

« Je reviens, nous dit-il, pour un chemin de Croix que nous aurons à parcourir ensemble. »

Toute l’année 1997, et encore les deux années suivantes, vont se dérouler sous le signe de cette épreuve acceptée et offerte pour le salut de l’Église. « Foris pugnæ, intus timores, batailles au-dehors, craintes au-dedans. » (2 Co 7, 5) L‘heure était venue d’aimer, de souffrir, et de vaincre l’Adversaire par le sacrifice.

Cependant, au milieu de tant d’angoisses et de peines, notre Père allait moudre le plus pur froment de sa doctrine mystique, celle précisément dont on lui fait grief, avec une plénitude inégalée qui le fera proclamer un jour docteur de l’Église. Car cette doctrine porte pour le combat présent, et pour le règne à venir des Saints Cœurs de Jésus et Marie, un fruit de « tendresse et dévotion », et forme un mouvement de « circumincessante charité » d’une incomparable fécondité apostolique.

C’est un amour dérivé des Cieux, et qui y retourne, avec son fruit, la moisson, la vendange, si c’était possible, de toute la famille humaine, du moins de tous ceux que Dieu notre Père a élus et qui seront sauvés.

« C’est ce qui a été ma grande joie dans ma solitude, et si j’avais dû y rester toute ma vie, c’est cela qui m’aurait soutenu. Je suis l’anti-Freud du vingtième siècle parce que je retourne à la vraie mystique chrétienne. Attachons-nous à cette vie ­mystique qui réchauffera le monde quand Jésus voudra bien permettre à la Sainte Vierge de faire quelques miracles qui nous convertiront et sauveront le monde [...].

« Il est pour moi, pour nous, dès maintenant certain et d’une vérité qui ne passera pas, que tous ceux qui brûlent d’amour pour l’Immaculée, de dévouement eucharistique et marial, et de service de toutes les causes qu’Elle patronne, sont déjà par grâce inouïe de la très Sainte Trinité, prédestinés, élus et promis par sa Médiation à la Vie éternelle du Ciel.

« Tandis que ceux qui ne veulent pas, ne désirent, n’acceptent ni ne reconnaissent rien de cet empire de Marie sur toutes créatures, par là même signent et anticipent leur propre réprobation ainsi que leur désespoir éternel. Un rayon de lumière réfléchie d’un de ses yeux me donna l’illusion de son regard vivant. »

Illusion ? En tout cas, c’est la vérité ! Cette ­télécopie reçue et lue au camp de la Phalange le 20 août 1997, nous rappelle que le regard si triste de Notre-Dame offensée par ceux qui la renient, et se vouent ainsi à l’Enfer ! nous regarde, chacun de nous, à tout instant pour implorer la “ réparation ” qui nous sauvera, nous et eux !

Qu’est-ce que « brûler d’amour pour l’Imma­culée » ? C’est « craquer une allumette », celle de la dévotion à la Vierge Marie « sous son nom d’Imma­culée Conception », à l’école de saint Maximilien- Marie Kolbe, son chevalier servant, et à l’imitation de sa “ Milice ”. « Craquez une allumette et il se fera une splendeur dans ce palais que vous ne voyez pas. »

En effet, depuis la définition du dogme de l’Immaculée Conception en 1854, et les apparitions de Lourdes quatre ans plus tard, où elle a dit : « Je suis l’Immaculée Conception », il y a dans ce “ nom ” un trésor encore inexploité, une révélation formidable à répandre dans le monde entier.

On n’est plus dans le domaine de la simple dévotion, mais dans celui de la vérité dogmatique, objet d’une définition infaillible et d’une confirmation céleste. C’est « le tout de la religion, une interpellation actuelle à entrer dans un mouvement dont la bienheureuse Vierge Marie est la Mère et la Reine ».

Cela dicte notre résolution :

« S’user jusqu’à la corde, aimés des bons, haïs des ennemis de Jésus-Christ et de sa Sainte Mère, prêts à toutes les croix, pour l’amour de l’Immaculée.

« À Elle l’amour de tous, l’admiration adorante, la confiance, les longues prières. À Elle de commander aux âmes qui lui sont dévouées, consacrées. À Elle d’être seule en vue, à la tête de nos Pha­langes. À Elle de faire la conquête miraculeuse des âmes et de les conserver. À Elle, qui fit danser le soleil le 13 octobre 1917 pour que tous croient, de faire le miracle auquel nous nous exerçons en vain : écraser l’enfer et ses armées de démons, attirer les cœurs sincères, les convertir et les attacher irrévo­cablement à son Divin Fils, Notre-Seigneur ­Jésus-Christ. »

C’est dire que Notre-Dame de Fatima est plus que jamais notre refuge. :

« Pour nous, cela doit être le commencement d’une nouvelle époque, d’une nouvelle manière de penser, de vivre, d’agir. » Qu’est-ce ?

« C’est de mettre la Sainte Vierge en première place, comme étant la véritable Sou­veraine de la communauté. »

Cette première place, le concile Vatican II la lui a refusée dans l’Église. « C’est Elle qui va écraser la tête du Serpent et son talon en sera blessé. » Son “ talon ”, c’est nous ! Nous en verrons de dures.

« Il ne s’agit pas de passer à la Réforme, il ne s’agit pas de passer à la démocratie chrétienne, il ne s’agit pas de passer à la gnose de Jean-Paul II, il ne s’agit pas de quitter ce que nous savons être la Vérité, mais il s’agit de quitter notre moi en­goncé dans certaines habitudes, certaines étroitesses, certaines désobéissances ; ce moi, l’ayant consacré à la Sainte Vierge, tout d’un coup, le rendre possesseur pleinement de la grâce, de la lumière par laquelle il peut faire mieux. Devenir un saint ! »

Et il l’a fait...

« UNE SORTE DE MORT CORPORELLE »

Le 3 mars 1998, notre Père est hospitalisé d’urgence pour une infection urinaire qui, en quelques jours, le réduit à un épuisement total. Première “ alarme ” qui sera suivie de beaucoup d’autres ! Notre Père est anéanti sur son lit d’hôpital : c’était la première fois que je le voyais dans un tel état de faiblesse ! Examens et traitements pénibles se succèdent. Mais notre Père accepte tout et me dit : « Il faut que je me sanctifie. C’est la Croix... »

Pendant cette hospitalisation, notre Père ne peut plus que prier et il médite beaucoup sur notre vocation propre. Il me dicte même un sermon à faire à la communauté : plutôt que Judith coupant la tête d’Holopherne ou Esther triomphant d’Aman d’une manière éclatante, « en notre  triste et obscur présent ”, c’est la douce et confiante Ruth dans son agonie qui au­jourd’hui doit être notre modèle. À nous de l’imiter, dans l’esprit de notre consécration à l’Immaculée, par un culte de tendresse envers Elle et la récitation du chapelet, pour obtenir de grandes joies et de grands secours spirituels : plus qu’avant, nous savons qu’un tel flot de bénédictions ne peut passer que par la Croix, ce privilège de la Phalange ”. » (dimanche 8 mars 1998)

Le 27 mars, notre Père célèbre le cinquantième anniversaire de son sacerdoce. Pour ce “ Jubilé ”, il ne veut au­cune fête, car il n’y a pas de quoi pavoiser ! En effet, la guerre fratricide qui ravage l’Église de France depuis la “ Libération ”, de 1944, donc depuis son ordination en 1948, s’étend maintenant à l’Église universelle. Il n’a qu’un désir : connaître la renaissance de l’Église... “ la victoire de l’orthodoxie ”. En attendant, une seule pensée : porter beaucoup de fruit, en assumant toutes les “ nécessités du service ”. N’a-t-il pas écrit au dos de son image d’ordination : « Sa mort nous parle de résurrections » ?

Devise qu’il inversa en 1973, pour ses vingt-cinq ans de sacerdoce : « Sa Résurrection nous engage à mourir. » C’est vers cette mort qu’il s’avance ­maintenant, dans l’attente de la Résurrection...

Le 29 juin 1998, nouvelle hospitalisation pour subir, cette fois, une intervention. Grâce à Dieu, tout se passe au mieux du point de vue médical, mais une croix plus douloureuse que celle de la maladie attend notre patient : l’aumônier de l’hôpital refuse de lui apporter la communion ! Pauvre Père, sans cesse rejeté par cette Église qu’il aime tant et pour laquelle il s’est dévoué toute sa vie ! dont il est le “ témoin ”, dans tous les sens du terme...

LE BOUCLIER DU DROIT.

Peu de temps auparavant, au mois d’avril 1998, neuf mois après le recours à la Congrégation pour la doctrine de la foi, l’évêché de Troyes lui a signifié la “ décision ” de cette Congrégation, en date du 24 mars 1998 : elle n’accueille pas son appel, pour éviter de dire qu’elle le rejette, mais elle confirme la suspense. Elle expose vaguement les motifs qui lui ont été signalés, mais qu’elle n’a même pas jugés, et qui ne sont plus les motifs invoqués par Mgr ­Daucourt ! Ce qui invalide cette décision !

Dans la Ligue du numéro de mai, notre Père explique : « La lettre de Rome rejetant mon appel à la Congrégation pour la doctrine de la foi, et celle de Mgr Daucourt, chargé de me faire connaître cette décision, semblent terminer notre procès romain avant même qu’il ait été ouvert. Il y a pourtant encore un recours possible, et ces lettres, somme toute très en retrait par rapport aux décrets précédents, nous encouragent à poursuivre ce combat loyal pour la Justice et pour la Vérité. Canoniquement, il me faut dans les trente jours, en ce mois de Marie, sans faute, rédiger, expédier au suprême tribunal romain dit de la Signature apostolique ”, une double plainte à l’encontre de Mgr Daucourt, pour ses sanctions lancées à l’aveugle, et du Saint-Office, pour son refus non motivé d’examiner mes deux recours à l’encontre des tenants des erreurs modernes. Pourquoi refuser d’examiner ? »

Notre Père comprend que, au mépris de ses obligations, la Congrégation élude pour ne pas avoir à répondre à la question précise que lui posaient à la fois le décret de juillet 1997 et notre recours : la vraie religion est-elle celle de l’homme qui se fait Dieu ou celle du Dieu qui s’est fait homme ?

Sans se décourager, notre Père lance un nou­veau recours en mai 1998, cette fois devant la Signature apos­tolique, tribunal suprême du Pape. Le but de cette démarche est d’établir tous les “ détournements de pouvoir ” dont notre Père a été victime, empêchant l’exercice de son droit : celui d’être jugé sur la doctrine. Il faut obtenir que la Signature ordonne à la Congrégation pour la doctrine de la foi de rendre un jugement doctrinal.

Cet ultime recours ayant le même effet suspensif que les autres appels, notre Père garde donc tous ses droits. Sous ce “ bouclier canonique ”, il est à l’abri, à l’intérieur de l’Église, bien que relégué à la dernière place, et le Droit le protège !

« Si nous gagnons, nous dirons que c’est Dieu qui a tout fait. Deo gratias ! Sinon, il faudra dire : le Bon Dieu le permet ; mais nous n’aurons pas fait cette démarche pour sauver nos maisons ni pour être réhabilités, mais pour l’honneur de Dieu seul. » (26 mai 1998)

Notre Père puisait sa paix et sa confiance dans notre consécration à l’Immaculée. Il écrivait dans la CRC d’avril : « Objets des menaces les plus ­insensées, nous poursuivons jusqu’au bout notre tâche de Contre-Réforme catholique ; et nous recommandons à la foule de nos amis de vivre ces temps difficiles dans le calme, la patience et la fidélité à la Sainte Église romaine, quoi qu’il advienne. »

PÈLERINAGE À TURIN.

Dans ce même numéro, notre Père écrit : « Je porterai déjà la substance de ce Recours et l’intention dans mon cœur, avec vous, à Turin, prosterné devant la Face de mon Dieu, comme aux genoux de Marie-Auxiliatrice, Vierge combattante qui écrasera la tête du Serpent et vaincra toutes les hérésies, à jamais ! »

En effet, notre Père a décidé de conduire toute sa Phalange, le 9 mai suivant, à l’ostension du Saint Suaire, en esprit de réparation pour tant d’outrages envers cette sainte relique, controversée, blasphémée et finalement incendiée ! dans la nuit du 11 au 12 avril 1997 :

« Après le pèlerinage à Fatima, disait-il, il nous reste quelque chose à faire : la deuxième partie, c’est la contemplation du Christ en Croix. Or, qu’est-ce que Turin ? Ce n’est ni plus ni moins que le portrait de Notre-Seigneur Jésus-Christ, marqué sur le Saint Suaire, et son Sang Précieux qui a inondé ce Saint Suaire et dont on voit encore les traces. Notre pèlerinage est tout près, nous serons mille, si le Bon Dieu veut bien, si quelques gens encore se décident. Il faut aller voir Jésus et Le contempler pour faire réparation, en criant comme les enfants de Pontmain, “ Parce Domine ”, le chant de Carême que la Sainte Vierge chantait avec eux. Ayez pitié, Seigneur, de votre peuple, ne soyez pas en colère perpétuellement. 

« Car Dieu est en colère.

« Nous irons à Turin pour contempler le Visage du Christ comme la Sainte Vierge le contemplait avec des larmes dans les yeux, et nous nous dirons : quand nous l’aurons contemplé, nous aurons fait réparation, peut-être cela aidera-t-il à apaiser la colère de Dieu. »

Nous étions mille pèlerins à nous agenouiller devant « l’étendard de notre salut ».

Inoubliable pèlerinage ! « Plus nous croirons, s’exclamera notre Père à l’ambon de la basilique Notre-Dame-Auxiliatrice, plus nous aimerons, plus nous voudrons voir, et enfin voir face à Face ce Christ qui nous appa­raîtra et se donnera à nous à la fin de notre vie à tous... »

« Nous avons pu ainsi rendre nos hom­mages à Marie Auxiliatrice, Secours des chrétiens dans un temps d’Apocalypse, et invoquer don Bosco que notre Père nous donnait comme saint tutélaire, avec Louis-Marie Grignion de Mont­­­fort, Jean-Marie Vianney, Maximilien-Marie Kolbe.

Nous apprenions peu après que, pour la troisième fois, les 18 et 19 mai, à Moure, au Portugal, le Christ était apparu en Ecce Homo sur la Sainte Hostie, lors de l’exposition du Saint-­Sacrement, devant deux cents à deux cent cinquante personnes qui récitaient leur chapelet. Notre Père y vit une grâce pour le monde, comme « les trois coups d’une masse de bois qui précèdent le lever de rideau de la tragédie classique [...].

« À la lumière de Fatima, se comprend l’impressionnant silence, à Moure, de ces trois prodiges eucharis­tiques ”, toujours à la même date, dans les mêmes circonstances et en réponse à la liturgie traditionnelle du lausperene. À n’en pas douter, Jésus reviendra à Moure, non pas qu’il l’ait dit : il est resté silencieux ! Mais parce qu’il est venu et revenu pour que le monde soit prévenu de son retour. Comme lors de l’apparition de la Vierge Immaculée à Fatima, après les venues de l’Ange, les enfants ne furent pas surpris, nul ne sera surpris quand Jésus reviendra et, cette fois, parlera. Le monde entier fera silence et l’on saura d’un pôle du monde à l’autre ce que Dieu annoncera pour le salut de tous. »

Et tandis que la Vierge Marie était l’objet de nos incessantes prières, le 24 mai, en la fête de Notre-Dame Auxiliatrice, notre Père signait son recours au tribunal de la Signature apostolique.

« Turin, Fatima et Moure... et Rome chrétienne, autant de combats pour la défense de la Vérité en tous ses états, autant de grands signes apocalyptiques pour entretenir notre courage et celui de nos frères, sœurs et amis portant leurs croix », écrit-il dans la Ligue de la CRC de juin.

UNE COURSE DE VITESSE CONTRE LE DIABLE.

Cependant, cette « apostasie débordante, effrayante, dont nous sommes les témoins blessés, apeurés », devient pour notre Père un vrai tourment intérieur : « Angoisse de l’apostasie totale d’une Église qui ne dit rien, qui laisse la foi des prêtres et des fidèles s’amollir et mourir, et de surcroît qui déconcerte et empoisonne les cœurs purs et les âmes innocentes du peuple fidèle, tout cela ajoute son poids à nos croix quotidiennes [...]. Comme tout nous paraît de plus en plus  effrayant  dans le monde, et c’est incontestable ! il est providentiel que nous ayons été at­tirés vers ce refuge et cette consolation de la dévotion à l’Immaculée. »

Ainsi, il garde au cœur l’espérance surnaturelle et la certitude du triomphe de l’Immaculée.

Le 31 mai 1998, en la fête de la Pentecôte, tandis qu’il récite son chapelet, il reçoit de nouvelles lumières sur le Saint-Esprit et l’Imma­culée Conception :

« Le lien entre l’Esprit-Saint et Notre-Dame ? C’est un mystère très caché encore qui se dévoilera à son heure, éclairant tout de la préexistence de l’âme de la Sainte Vierge dans l’éternité. » Et pour manifester cette prééminence de la Sainte Vierge, il décide que, dans la récitation ­privée de notre Credo, nous nommerons dorénavant ­l’Immaculée avant l’Église :

« C’est bien beau de faire de la théologie, d’être dogmatique et de dire :  Je crois au Saint-­Esprit, à la Sainte Église catholique, à l’Immaculée Conception ”, mais j’en ai assez d’entendre les prêtres, les curés, les évêques, les théologiens, et je ne veux pas monter plus haut, mettre la Vierge Marie sous leurs pieds, parce qu’eux, ils sont l’Église, ils ont le droit de régenter la Vierge Marie, quand Elle nous fait des révélations sur la terre, nous apprend des choses pour notre salut ! Ils mettent cela sous cloche pendant soixante ans, sous prétexte que ce sont eux qui règlent les révélations privées ! Alors, la Vierge Marie devient quoi ? Parallèlement, on lui dénie tous ses privilèges, y compris sa virginité. Jusqu’où va-t-on aller ?

« Eh bien ! maintenant, j’ai dit : on la mettra avant l’Église catho­lique. Pourquoi ? Parce qu’Elle est plus. Elle est sa  Mère ”, disait Paul VI, ce n’est pas suffisant ! Elle est immaculée, Elle est l’Immaculée Conception. Quand vous comprendrez ce que cela veut dire, vous comprendrez qu’Elle passe avant toute l’Église, tout le reste : les curés, les évêques, les cardinaux et le Pape. Et quand Elle parle, pour dire qu’Elle veut sauver l’humanité, qu’Elle est envoyée par son Fils pour inaugurer son propre Royaume à Elle, qu’Elle dit :  Je veux ceci, je veux cela ”, le Pape et les évêques n’ont qu’à dire :  C’est vrai ou ce n’est pas vrai ”. Si c’est une illusion du diable, condamnez-la ! Si c’est la Sainte Vierge, inclinez-vous !

« Donc, je crois au Saint-Esprit, à l’Immaculée Conception de la Vierge Marie, c’est-à-dire à la Vierge Marie, tout de suite après le Saint-Esprit. »

En raison même de cette prééminence, notre Père s’exclame, le 18 août :

« On ne peut pas s’imaginer la rapidité avec laquelle s’effectuera le retour à la religion antique, pour peu que la Sainte Vierge fasse un petit geste. »

En août, Rome publie le motu proprio Ad tuendam fidem. Notre Père y répond par une magnifique profession de foi. Et, le 2 septembre, il confie aux frères et aux sœurs :

« C’est une vraie course de vitesse entre le diable et la Sainte Vierge. On va vers des événements épouvantables, le chaos ! Il faut vraiment prier la Sainte Vierge. »

Le 4 septembre :

« C’est vraiment le dernier combat. C’est sûr que le Bon Dieu interviendra, mais peut-être attend-il que, avant, nous soyons condamnés, traînés dans la boue... »

Dès la première lecture du motu proprio, en effet, notre Père avait compris que le Pape ne visait que les seuls adversaires du Concile, sous couvert de “ dé­fendre la foi ” : « Ils ont publié ce motu proprio pour ne pas reprendre chacune de nos accusations. On entre en plein arbitraire. Ce motu proprio a pour but de faire passer le Concile en bloc. » ­ (vendredi 4 septembre 1998)

Donc, Jean-Paul II fait semblant de rappeler les vérités de la foi, mais c’est pour mieux légitimer ses nouveautés, telle est la clef de l’énigme :

« Quelle énigme ? Le mystère de la double face de notre pape Jean-Paul II, capable, d’une part de défendre la foi et la morale contre les extrémistes progressistes, et d’autre part, de maintenir intégralement tout son programme du Jubilé de l’an 2000 et des réunions interreligieuses du genre d’Assise 1986. »

L’HEURE DU SACRIFICE.

Pendant son voyage au Canada, en 1998, notre Père ressentit, par moments, une profonde déréliction intérieure. Frère Pierre témoigne : « Les séjours de 1998 et 1999 furent autrement plus tristes. La maladie avait fait des progrès, mais surtout l’âme de notre Père était accablée d’angoisse. On le voyait écartelé entre son devoir de continuer le combat pour défendre la foi, et son souci d’être dans l’obéissance, de ne pas rompre.

« Sa solitude était terrible : nous ne pouvions lui être d’aucune aide, puisque nous étions ses disciples et nous ne savions que lui répéter ce qu’il nous avait enseigné. Quant aux autorités de l’Église..., elles refusaient obstinément de juger. La Sainte Vierge aussi se taisait, et ce devait être certainement le plus angoissant. C’était l’heure du sacrifice. »

Le 19 septembre 1998, notre Père nous dit : « Main­tenant, ce n’est plus pareil. La vie est pénible, je sens bien que cela durera jusqu’à ma mort. La vie est pénible ? Tant mieux ! Il y a des difficultés, elles sont faites pour être acceptées [...]. La croix m’est nécessaire. La Croix est une bonne chose que la Sainte Vierge nous donne comme une maman à son enfant. Car dans la croix, il y a beaucoup de richesses à puiser, de vertus, de patience et aussi de mérites pour le salut des âmes, pour le Ciel. »

Les épreuves ne l’ébranlent pas pour autant ! « J’ai tout appris de mes parents, de mes maîtres et, m’apercevant que c’est le bon chemin, je persiste, et avec la grâce de Dieu, je mourrai dans ces convictions, dans ce même dévouement, dans cette même communion. »

Lors du sermon de clôture du congrès des amis canadiens, il confie :

« Ma vie est une suite de drames qui ont toujours été, me semble-t-il, suscités par le diable, mais où j’ai reçu, grâce à Dieu, l’aide de la Sainte Vierge. »

À son retour en France, notre Père ressent une immense fatigue et se voit « accablé de misères ». Sa voix devient plus faible : il faut tendre l’oreille pour l’entendre. Et il n’a plus la même éloquence, ayant parfois du mal à trouver ses mots. Nous ne savions pas que c’était les premiers symptômes de la maladie de Parkinson.

Tout de même, en octobre, il nous prêche encore sur la Circumincessante charité divine une retraite d’une plénitude parfaite. Toujours à bout de force, et cependant tenant ferme le fil de la pensée divine. Notre Père parle à partir du Cœur de Dieu.

Et du Cœur Immaculé de Marie qui en est inséparable : « Ce qui me frappe, c’est l’omniprésence de l’Immaculée dans l’Office divin. Tout le temps, il faut que la Sainte Vierge soit là. On ne peut pas dire trois mots sans que, d’une manière ou d’une autre, à côté de Dieu, se profile, se manifeste la présence de la Sainte Vierge. Ce serait un très mauvais esprit de le critiquer, mais c’est bon d’avoir cet esprit critique pour comprendre pourquoi Elle est là partout. Elle est toujours appelée dans l’intime proximité de son Dieu. Michel-Ange l’a montrée sous le bras de Dieu Créateur (...). Elle est bien sous son bras ; Elle regarde Dieu créer le monde (...).

« Dieu le Père, Créateur et Juge de demain a comme besoin de la Vierge, sans cesse.

« D’où cela vient-il ? Elle est la joie inépuisable de Dieu. Si Dieu trouve sa joie dans le monde, c’est en Elle, d’abord, plus que tout autre. Elle est le ravissant objet de son Amour, de son Amour d’une infinie liberté paternelle. » (sermon du 16 août 1996)

frère Bruno de Jésus-Marie.