CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2023

L’Évangile de Jésus-Marie (9) 
La Passion du Seigneur

(Suite de l’article paru dans Il est ressuscité n° 256, Juin 2024, p. 10)

 JOURNÉE DU 7 AVRIL 30 : 
JÉSUS EST MIS EN CROIX

APRÈS la flagellation et le couronnement d’épines, Jésus passa la nuit du jeudi au vendredi en prison, dans l’attente du supplice que Pilate, par lâcheté, avait accordé aux réclamations des juifs.

Le matin, « il sortit, portant pour lui-même la croix » (Jn 19, 17).

La tournure de la phrase signifie que non seulement Jésus portait lui-même la croix, mais qu’il la portait « pour lui », dans son intérêt, « avec bonheur », glosait notre Père. Non pas comme un condamné qui porte l’instrument de son supplice contre son gré, mais comme un vainqueur porte l’instrument de la victoire : Vexilla Regis, l’étendard du roi.

Mais quel terrible instrument de notre vie et de notre félicité que cet instrument de torture et de mort !

Dès que Jésus fut sorti, la Vierge Marie put enfin se rapprocher de lui. Immense douleur, de le découvrir ainsi ravagé, mais aussi immense consolation pour son Cœur Immaculé de pouvoir l’accompagner, le suivre jusqu’au bout.

Les empreintes laissées sur le Saint Suaire nous révèlent le douloureux spectacle qu’elle a supporté. Par-dessus les blessures de la flagellation, on observe les traces de l’abrasion d’un fardeau qui a pesé sur les omoplates : c’est le patibulum, la poutre horizontale de la Croix, qui était chargé sur les épaules du Condamné. Écrasant fardeau... Mais son amour pour le Cœur Immaculé de Marie, dans lequel Il nous voit et désire nous sauver, lui donne la force de charger cette lourde pièce de bois sur ses épaules déjà meurtries, et de marcher vers son supplice.

Au milieu de cette foule ignoble, soudain, Il croise le regard de sa Mère... Qui pourra dire les sentiments de ces deux Cœurs, l’immensité et la plénitude de leur union ?

La Vierge Marie voit la Sainte Face de son Fils, très douce et pacifique, mais amère, douloureuse. Plus encore que son corps, l’âme de Jésus souffre des péchés du monde, il ressent toujours l’agonie de mourir pour une cause qui n’est pas la sienne, mais qui est nécessaire au salut de l’humanité.

Appliqué à son labeur, à son combat pour sauver les âmes de l’enfer, Il n’arrête donc pas son regard, car Il ne veut pas être consolé, ni même que sa Mère ne soit consolée, puisqu’il faut qu’ils souffrent tous les deux.

La Vierge Marie, elle, ne quitte pas Jésus du regard. Son visage est comme étonné, épouvanté d’assister à ce mystère qu’elle veut pourtant partager le plus possible. Dans sa Sagesse, son Intelligence, elle comprend que chaque souffrance, chacune de ses plaies est un trésor qui obtiendra des flots de grâce et de miséricorde. Elle s’unit à la Volonté de Jésus qui est de souffrir, par amour.

CHEMIN DE CROIX.

Depuis la forteresse Antonia jusqu’au sommet du mont Calvaire, le chemin à parcourir était de six cents mètres environ, sur un sol raboteux, semé de pierres, très accidenté, même à l’intérieur des remparts. Jésus les a parcourus pieds nus, comme en témoigne la “ boue ” incrustée dans le Saint Suaire, à l’emplacement des pieds, mais aussi des genoux et du nez ! Ces traces attestent que Jésus, qui mettait péniblement un pied devant l’autre, s’est effondré plusieurs fois, tombant d’abord sur ses genoux qui ne sont plus qu’une plaie puis, absolument épuisé, s’étalant de tout son long sous le poids de la Croix à laquelle ses mains sont liées, sans pouvoir se protéger le Visage du choc contre le sol.

Ce doit être alors que les gardes « mirent la main sur un certain Simon de Cyrène, qui revenait des champs, et le chargèrent de la Croix pour la porter derrière Jésus » (Lc 23, 26).

« Ô Jésus, écrivait notre Père, Vous avez accepté dans votre incommensurable bonté que d’autres vous aident sur ce chemin douloureux et paraissent vous apporter un réel soulagement. Simon de Cyrène en est l’exemple. Oh ! qu’ils sont heureux ces hommes que vos bourreaux à travers les siècles ont requis de porter votre croix à votre place, à votre suite. En vous aidant et imitant, Simon de Cyrène et les autres sont entrés en participation de votre charité et de votre salut. Nous aussi, lorsque nous advient quelque épreuve et tombe sur nous quelque croix, nous devons penser que la grâce à cette heure entre dans notre vie, dans notre maison, dans notre famille, comme elle est entrée de ce jour-là dans la maison du Cyrénéen. »

La grâce a bien porté du fruit dans la maison de Simon puisque saint Marc (15, 21) nous parle de ses deux fils, Alexandre et Rufus, qui étaient connus comme chrétiens par ceux pour qui l’Évangéliste écrivait.

Saint Luc continue : « Une grande masse du peuple le suivait, ainsi que des femmes qui se frappaient la poitrine et se lamentaient sur lui. Mais, se retournant vers elles, Jésus dit : Filles de Jérusalem, ne pleurez pas sur moi ! Pleurez plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants ! Car voici venir des jours où l’on dira : Heureuses les femmes stériles, les entrailles qui n’ont pas enfanté, et les seins qui n’ont pas nourri ! [...] Car si l’on traite ainsi le bois vert, qu’adviendra-t-il du sec ? ” »

La figure du bois vert et du bois sec s’éclairera par la parabole de la vigne, que Jésus dira après sa Résurrection (voir infra p.  26). Mais déjà l’on comprend que ces événements doivent amener tous les hommes à la conversion : si l’Innocent est ainsi traité, quel châtiment méritent les pécheurs !

Sur le mont Calvaire

« Lorsqu’ils furent arrivés au lieu-dit Golgotha, ce qui signifie Crâne ”, ils crucifièrent Jésus ainsi que les malfaiteurs, l’un à sa droite et l’autre à sa gauche. » (Lc 23, 33) « C’était la troisième heure, quand ils le crucifièrent. » (Mc 15, 25) C’est-à-dire 9 heures, ce vendredi 7 avril de l’an 30.

Jésus parvient au lieu de son Sacrifice, accompagné de sa Sainte Mère. Ils vont accomplir leur holocauste jusqu’au bout, l’un dans le Sang de sa Chair, l’autre dans le sang de son Cœur Immaculé, pour notre salut. Ces quelques heures sont le centre et le sommet de l’histoire humaine. Nous les méditons en récitant le cinquième mystère douloureux de notre Rosaire, attentifs à l’avertissement de sainte Jacinthe de Fatima : « Les hommes se perdent parce qu’ils ne pensent pas assez à la mort de Notre-Seigneur et qu’ils ne font pas pénitence ». Et à l’imitation de sainte Bernadette, qui disait à l’une de ses compagnes de noviciat, comme un secret : « Transporte-toi au pied de la Croix, et restes-y ! Notre-Seigneur te parlera, tu l’écouteras. »

La contemplation du Saint Suaire à l’école de notre Père nous fait assister en toute vérité à ces instants de notre Rédemption.

Jésus est d’abord dépouillé de ses vêtements : honte, déréliction de la mise à nu, et douleur atroce de l’arrachement des tissus qui adhèrent aux innombrables plaies de son Corps. Complètement nu, dépouillé de tout, Notre-Seigneur est étendu à terre, les épaules couchées sur le patibulum. Les plaies de son dos, des cuisses, des mollets, s’incrustent de poussière et de menus graviers.

Commence l’horrible supplice. La Vierge Marie est là, debout, d’une dignité surhumaine, comme elle se tenait auprès de Dieu lorsqu’il lança sa sentence contre le Serpent des origines, s’offrant en union à son Fils pour l’expiation du péché des hommes.

En quelques coups de marteau, les bourreaux enfoncent les clous dans les poignets qu’ils fixent au bois. Jésus n’a pas crié. Mais son Visage s’est contracté et son pouce, d’un mouvement violent, impérieux, s’est fermé dans la paume, comme nous le voyons sur le Saint Suaire. Le docteur Barbet explique que le clou a atteint le nerf médian du bras de Jésus. Il a alors éprouvé une douleur indicible, fulgurante, qui s’est éparpillée dans ses doigts, a jailli, comme un trait de feu, jusqu’à son épaule et éclaté dans son cerveau. C’est la douleur la plus insupportable qu’un homme puisse éprouver, celle que donne la blessure des gros troncs nerveux. Presque toujours, elle entraîne la syncope et c’est heureux, mais Jésus, qui conduit lui-même sa Passion, n’a pas voulu perdre connaissance. Et la plaie du nerf reste en contact avec le clou, réveillant l’horrible douleur à chaque mouvement des bras.

Pour l’autre bras, les mêmes gestes se répètent, et redoublent les mêmes douleurs, Jésus est maintenant fixé sur le patibulum.

C’est alors que, pensant au châtiment que méritent ceux qui le mettent à mort, Jésus dit : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! » (Lc 23, 34).

“ Allons, debout ! ” Le bourreau et son aide empoignent les bouts de la poutre et redressent le Condamné, assis d’abord, et puis debout et, le reculant, l’adossent au poteau  d’avance planté sur les lieux d’exécution, le stipes crucis. D’un grand effort, à bout de bras, ils accrochent le patibulum en haut du stipes. Les pieds sont cloués l’un sur l’autre.

“ HOMME DE DOULEURS 
ET CONNU DE LA SOUFFRANCE ”.

Hissé sur son gibet, Jésus s’est affaissé, les omoplates raclant douloureusement sur le bois, la nuque heurtant le patibulum. Dans ce mouvement, les pointes acérées de sa couronne d’épines ont déchiré un peu plus le cuir chevelu. Ce “ chapeau ” l’empêche de reposer sa pauvre Tête sur le bois ; elle penche donc en avant, et chaque fois qu’Il la redresse, il en stimule les plaies.

Après tant de tortures, pour ce Corps épuisé, l’immobilité semble presque un repos. Ses traits sont tirés, sa figure hâve est sillonnée de sang qui se coagule partout. Sa bouche est entrouverte et sa lèvre inférieure déjà commence à pendre ! Un peu de salive coule dans sa barbe, mêlée au sang qui coule de son nez. Sa gorge est sèche et embrasée ; Il ne peut même plus déglutir le peu de salive qui Lui reste !

Soudain, après combien de temps ? Jésus est saisi de crampes . De proche en pro­che, une tétanie généralisée a contracté tous les muscles de son Corps, constatable sur le Saint Suaire par l’œil exercé du médecin. Les muscles respiratoires eux-mêmes se contractent, provoquant l’asphyxie. Jésus respire un peu, mais ne peut plus expirer. Il a soif d’air. Sa figure pâle a peu à peu rougi ; elle passe au violet pourpre et puis au bleu. Son front se couvre de sueur, ses yeux exorbités chavirent. Quelle atroce douleur doit marteler son crâne, il va mourir !

« Or, l’un des deux malfaiteurs qui étaient en croix l’insultait, disant :N’es-tu pas le Christ ? Sauve-toi toi-même, et nous aussi. ” Mais l’autre, prenant la parole pour le faire taire, dit : Tu n’as donc pas même la crainte de Dieu, toi qui endures le même supplice ? Et pour nous, c’est justice, car nos actions ont mérité le châtiment que nous recevons ; mais lui n’a rien fait de mal. ” Et il disait : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras avec ton Royaume ! ” »

Alors la Vierge Marie, les quelques fidèles qui l’entourent, et l’escouade de soldats romains ont vu Jésus, lentement, se redresser. D’un effort surhumain, il a pris appui sur le clou de ses pieds et son corps, par à-coups, remonte, soulageant la traction des bras, mais au prix de douleurs effroyables, car les nerfs médians frottent sur le clou. Du coup la tétanie régresse, les muscles se détendent, tout au moins ceux de la poitrine, les poumons se dégorgent de l’air vicié qui les remplissait et bientôt la pauvre figure tuméfiée, toute sanglante et déformée, a retrouvé sa pâleur ordinaire. Surtout, Il a retrouvé son souffle ! Pour quoi faire ? Pour parler. Pour répondre à ce bon Larron quelques mots d’une voix mourante :

« En vérité je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis. » (Lc 23, 39-43)

Cinq fois, Jésus renouvellera cet effort, pour révéler les sentiments les plus profonds et les plus vifs de son divin Cœur. Tous ces redressements interrompent son asphyxie, qui recommence après cet effort héroïque. Notre-Seigneur a lutté ainsi pendant six heures. Il ne mourra que parce qu’Il le veut, à l’heure fixée par son Père, ayant ce pouvoir de « donner sa vie et de la reprendre » (Jn 10, 18).

« À partir de la sixième heure, – environ midi  – l’obscurité se fit sur toute la terre, jusqu’à la neuvième heure. Et vers la neuvième heure, Jésus clama en un grand cri : Eli, Eli, lema sabachtani ”, c’est-à-dire : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? ” » (Mt 27, 45-46)

Au terme de sa course, ressentant lui-même l’indignation, l’horreur de notre péché dont Il est revêtu aux yeux de son Père, brisé et anéanti sous un châtiment proportionné à l’océan du péché humain, Jésus adresse à son Père cet appel désolé qui réconcilie le Ciel et la terre par la miséricorde du Père.

“ ÉLEVÉ DE TERRE, J’ATTIRERAI TOUT À MOI. ”

Les récits des synoptiques que nous venons de suivre nous montrent tous les abaissements que Jésus a voulu subir pour notre amour. Saint Jean en revanche, s’applique à montrer que, sur la Croix, son Maître est victorieux, qu’il est au sommet de sa gloire parce qu’il mérite par son obéissance de donner la vie aux âmes que son Père lui confie. Jean n’a pu puiser une telle intelligence du mystère, un tel enthousiasme, que dans le Cœur Immaculé de la Vierge Marie qui va lui être donnée pour Mère.

Dans son récit, six tableaux se succèdent pour nous montrer cette ascension de Jésus.

Premier tableau : Jésus sur la Croix est comme sur son trône. « Il vint au lieu dit du Crâne, ce qui se dit en hébreu Golgotha. » (Jn 19, 17)

Ce nom consonne avec celui de Gabbatha, lieu de l’intronisation de Jésus couronné d’épines, proclamé roi par Pilate la veille.

« Pilate rédigea aussi un écriteau et le fit placer sur la croix. Il y était écrit : Jésus, le Nazôréen, le roi des juifs ”. » Donc, Pilate persiste et signe. Hier, il prononçait cette sentence : « Voici votre roi. » (Jn 19, 14) Aujourd’hui, il affiche : « Jésus, le Nazôréen, le roi des juifs. »

« Cet écriteau, beaucoup de juifs le lurent, car le lieu où Jésus fut mis en croix était proche de la ville, et c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Les grands prêtres des juifs dirent à Pilate :N’écris pas : Le Roi des juifs, mais : Cet homme a dit : Je suis le Roi des juifs. ” Pilate répondit :Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. ” »

Cette fois, Pilate tient tête. Le gouverneur romain persiste à proclamer publiquement Jésus Roi des juifs ! L’inscription qui devrait ridiculiser les prétentions de Jésus, proclame sa royauté dans les trois langues les plus répandues, donc à la face de tout l’univers. Mais Jésus et Marie doivent le payer cher ! C’est le prix de notre rachat.

Deuxième tableau : La tunique sans couture.

« Lorsque les soldats eurent crucifié Jésus, ils prirent ses vêtements et firent quatre parts, une part pour chaque soldat, et la tunique. » (Jn 19, 23-24)

Saint Jean pense à la tunique du grand prêtre dans la liturgie mosaïque :

« Or la tunique était sans couture, tissée d’une pièce à partir du haut ; ils se dirent donc entre eux : “ Ne la déchirons pas, mais tirons au sort qui l’aura. ” »

La tunique sans couture est symbole d’unité ; mais ce symbole serait sans force si le Christ, prêtre et victime de son propre sacrifice, n’avait consciemment décidé et mérité de donner naissance à la réalité qu’elle signifie : l’Église, une elle-même.

Comment cela ?

Troisième tableau : La naissance de l’Église.

« Or près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Clopas, et Marie de Magdala. Jésus donc voyant sa mère et, se tenant près d’elle, le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : Femme, voici ton fils. ” Puis il dit au disciple : Voici ta Mère. ” Dès cette heure-là, le disciple l’accueillit chez lui. » (Jn 19, 25-27)

« Dès cette heure-là » signifie qu’il l’accueille dans son cœur, dans une inhabitation semblable à celle du Père dans le Fils et du Fils dans le Père : le “ fils ” est maintenant “ tout tourné ” vers sa “ Mère ”, comme elle est “ toute tournée ” vers lui.

Le mot “ Femme ” employé par Jésus pour s’adresser à sa Mère est le mot par lequel Adam désignait Ève lorsque, saisi d’admiration, il s’écriait : « Celle-ci sera appelée Femme ! » (Gn 2, 23) La Vierge Marie est donc la Nouvelle Ève.

Si Jésus avait dit : “ Mère ”, il aurait réduit la Vierge Marie à cette fonction providentielle qu’elle a eue en ce monde, de l’enfanter et de l’élever. Mais, sur sa Croix, Jésus sauve le monde, il est comme le Père de tous les hommes, il leur mérite et va leur donner la vie éternelle et la grâce. Et elle ? Que fait-elle ? Elle est sa Coopératrice, elle est Corédemptrice, elle est Comédiatrice. Elle est son Épouse spirituelle qui connaît avec lui une union d’esprit “ totale ” car le même Esprit-Saint est en elle et en lui. Parce qu’elle exerce avec lui cette fonction d’illumination mystique et de salut, fonction indivisible de paternité - maternité, il lui appartient d’adopter tous ceux que Jésus est en train d’illuminer et de sauver.

« Fils, voici votre Mère. » Cette parole produit dans le cœur de saint Jean un accueil. La Vierge Marie s’installe sur un trône, au centre de son cœur : « Elle est ma Mère. »

C’est d’elle qu’il était écrit : « Sion, chacun lui dit : Mère ! car en elle chacun est né. » (Ps 87, 5)

Quatrième tableau : La soif du Cœur de Jésus.

« Après quoi, sachant que désormais tout était achevé pour que l’Écriture fût parfaitement accomplie, Jésus dit : J’ai soif. ” » (Jn 19, 28)

L’accomplissement de l’Écriture souligné ici par saint Jean ne vise pas la “ soif ” exprimée par Jésus, mais tout ce qui l’a précédée, depuis les bords du Jourdain : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29), jusqu’à ce mont Calvaire : « Voici votre Mère ! » (Jn 19, 27)

Il était dans le dessein éternel de Dieu, consigné dans l’Écriture, que l’humanité fût prise en charge par la Vierge Marie, tandis que le peuple juif s’enfoncerait dans sa rébellion. En la donnant pour Mère à saint Jean, « pour que l’Écriture fût parfaitement accomplie » (Jn 19, 36), Notre-Seigneur révèle les abîmes de sagesse, de science, d’intelligence du mystère de Dieu cachés dans ce Cœur Immaculé. Jésus peut partir, il ne laisse pas ses disciples orphelins. Elle enseignera toutes choses à l’Église au moment où celle-ci prendra son essor.

« Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vi­naigre et on l’approcha de sa bouche. » (Jn 19, 29)

C’est encore pour accomplir l’Écriture : « Dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre. » (Ps 69, 22) Mais la “ soif ” de Jésus, comme sa “ faim ”, est de « faire la volonté du Père et d’accomplir son œuvre » (Jn 4, 34). Il a soif de mourir afin de donner l’Esprit.

« Quand il eut pris le vinaigre, Jésus dit : C’est achevé. ” » C’est fini ! Tout est consommé.

« Et, inclinant la tête, il remit l’esprit. » (Jn 19, 30)

Il rendit l’esprit et, au même moment, il donna l’Esprit-Saint, comme le symbolise le flot d’eau vive jailli de son côté transpercé par le coup de lance du centurion. Jésus a achevé son œuvre. L’Esprit-Saint lui succède pour être l’eau vive et la lumière du monde, comme il l’avait promis : « De son sein couleront des fleuves d’eau vive. » (Jn 7, 38)

Cinquième tableau : le Sang et l’Eau du Cœur de Jésus.

« Comme c’était la Préparation, les juifs, pour éviter que les corps restassent sur la croix durant le sabbat, car ce sabbat était un grand jour, demandèrent à Pilate qu’on leur brisât les jambes et qu’on les enlevât. » (Jn 19, 31)

Le but est de les achever par l’asphyxie qui en résultera, parce qu’ils ne pourront plus prendre appui sur leurs jambes pour se redresser et respirer.

« Les soldats vinrent donc et brisèrent les jambes du premier, puis de l’autre qui avait été crucifié avec lui. Venus à Jésus, quand ils virent qu’il était déjà mort, ils ne lui brisèrent pas les jambes, mais l’un des soldats, de sa lance, lui perça le côté et il sortit aussitôt du sang et de l’eau. » (Jn 19, 32-34)

Ébloui de ce qu’il a saisi de son regard d’aigle, Jean témoigne de ce qu’il a vu et il y met une solennité extraordinaire. Car c’est encore l’accomplissement des prophéties : « Yahweh garde tous ses os, pas un ne sera brisé. » (Ps 34, 21)

Bien plus, la Loi de Moïse prévoyait qu’on mangerait l’agneau pascal sans lui briser aucun os (Ex 12, 46) parce que cet animal représentait le véritable Agneau de Dieu (Jn 1, 29). Une fois de plus, les juifs, qui avaient demandé à Pilate qu’on brisât les jambes des condamnés, sont frustrés...

« Celui qui a vu rend témoignage. » Et il en appelle au témoignage du Maître ressuscité, au moment où il écrit : « Celui-là sait qu’il dit vrai. » (Jn 19, 35) Deux mille ans après, nous savons, nous aussi, qu’il dit vrai. Nous le vérifions de manière indubitable sur le Saint Suaire : la silhouette montre des jambes in­tactes. Sur la poitrine, on distingue l’empreinte de la plaie ouverte par le fer de lance, de forme ovale, un peu oblique. Une massive coulée de sang a dessiné une tache découpée par des échancrures arrondies et par des espaces clairs qui ne sont pas des “ manques ” dans l’empreinte, mais des marques laissées par “ l’eau ” du péricarde.

Sixième tableau : le sommeil de Jésus.

« Après ces événements, Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, mais en secret par peur des juifs, demanda à Pilate de pouvoir enlever le corps de Jésus. Pilate le permit. Ils vinrent donc et enlevèrent son corps. » (Jn 19, 38)

Une douce lumière commence à sourdre du récit de saint Jean, comme un prélude à la Résurrection.

« Nicodème – celui qui précédemment était venu, de nuit, trouver Jésus – vint aussi, apportant un mélange de myrrhe et d’aloès, d’environ cent livres. » (Jn 19, 39)

Par cette prodigalité, Nicodème, cette fois, fait acte public d’allégeance à Jésus couronné, puis proclamé Roi par Pilate devant les juifs et à la face du monde.

Une semaine auparavant, Marie-Madeleine, « prenant une livre d’un parfum de nard pur, de grand prix », avait anticipé la sépulture de Jésus, « et la maison s’emplit de la senteur du parfum » (Jn 12, 3). Nicodème en apporte cent fois plus, comme aux funérailles des rois, tel le roi Asa que l’on enterra dans le tombeau qu’il s’était fait creuser dans la cité de David : « On l’étendit sur un lit tout rempli d’aro­mates, d’essences et d’onguents préparés. » (2 Ch 16, 14) C’est ce que saint Jean appelle « le mode de sépulture en usage chez les juifs » :

« Ils prirent donc le corps de Jésus et le lièrent de linges, avec les aromates, selon le mode de sépulture en usage chez les juifs. Or il y avait un jardin au lieu où il avait été crucifié, et, dans ce jardin, un tombeau neuf, dans lequel personne n’avait encore été mis. À cause de la Préparation des juifs, comme le tombeau était proche, c’est là qu’ils déposèrent Jésus. » (Jn 19, 40-42)

Jésus repose. Pour nous, pour bénéficier des fruits de son sacrifice, il nous faut sonder...

... le MYSTÈRE DU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE

« Femme, voici ton fils, fils, voici ta Mère. » Il en va de Marie comme il était dit de Jérusalem, épouse de Yahweh, qui donnerait naissance à tout un peuple en un seul jour : « Qui a jamais entendu rien de tel ? Qui a vu rien de pareil ? Enfante-t-on une nation en un jour ? Enfante-t-on une nation tout à la fois ? Qu’à peine en gésine, Sion ait enfanté ses fils ? » (Is 66, 8)

Tandis que le peuple juif s’enfonce dans sa rébellion et va être maudit, la parole par laquelle Jésus donne Jean pour fils à Marie, accomplit la prophétie : « Lève les yeux alentour et regarde : tous se rassemblent et viennent à toi. Tes fils arrivent de loin et tes filles sont portées sur les bras. » (Is 60, 4) Marie accueille ses enfants. Sa vocation est d’être la mère de tous les peuples : « Sion, chacun lui dit : Mère ! Car en elle chacun est né. » (Ps 87, 5)

L’Église, libérée du joug des juifs et sortie de la synagogue, est fondée dans le Cœur de Marie transpercé d’un glaive de douleur.

Jésus se désapproprie de sa Mère. Il va la quitter, il va s’arracher à elle, la faire mourir en même temps que lui. Elle doit pourtant rester sur la terre parce qu’elle est la « Femme » dans la plénitude, la perfection d’une vocation éternelle et universelle à laquelle Ève a manqué. C’est par Elle que passe tout le trésor de la divine Révélation et la vie éternelle et les mérites des saints de toute l’histoire de l’Église.

Si nous pouvons entrer dans le Cœur Immaculé de Marie et contempler, considérer tous ses sentiments d’amour maternel et nuptial pour Jésus sur la croix, notre cœur se mettra lui-même à l’unisson, comme celui de saint Jean.

Son ardente volonté de pâtir avec Jésus pour le salut du monde est vraiment le sentiment le plus profond de la Vierge Marie quand elle se tient debout au pied de la Croix et contemple le visage de son Fils ; son regard chaviré n’exprime pas le désespoir, ni la colère, ni la haine de ses ennemis, mais l’amour de ces gens qui le clouaient à la croix et l’insultaient au moment où il travaillait à leur rachat et à celui de toute l’humanité. C’est alors que la Vierge Marie est vraiment médiatrice de ce salut. Elle épouse chacune des souffrances effroyables de Jésus comme le prix du salut de l’humanité annoncé par Isaïe : « S’il offre sa vie en expiation, il verra une postérité, il prolongera ses jours, et ce qui plaît à Yahweh s’accomplira par lui. » (Is 53, 10)

La déréliction de Jésus est totale. La Vierge Marie fait avec lui un seul être, une seule victime, objet de la même déréliction que son Fils, inséparable de lui. Tellement qu’elle ne songe pas à le consoler, mais à souffrir avec lui. Transportée d’admiration, le Cœur consumé d’amour pour Jésus qui faisait cela, Elle offrait son Corps transpercé et le Sang versé comme le prêtre offre le Corps et le Sang du Christ au Saint-Sacrifice de la Messe.

Jésus offre ses propres souffrances indissociablement avec celles de sa Mère. C’est le triomphe de l’amour. Elle a voulu ce sacrifice, pour que le monde entier connaisse Jésus et l’aime comme elle l’aimait.

Jésus a voulu que la Vierge Marie soit là auprès de lui, au pied de sa croix. Pourquoi ? Parce qu’il l’aimait tant qu’il voulait que le monde entier l’aime. Jésus contemple du haut de sa croix Marie, sa Mère, saint Jean, Marie-Madeleine et les autres : c’est son Église, et c’est l’Église “ totale ”, c’est toute l’Église. Il va les laisser là au pied de la Croix, tandis que son “ souffle ” va être donné au monde, que son âme va se jeter dans le sein du Père.

Puis, après le coup de lance du Centurion, son corps est déposé dans les bras de la Vierge Marie. Il est mort, c’est certain.

Sa Mère se rapproche de ce visage, joue contre joue, comme quand il était enfant et qu’il mettait sa petite joue contre celle de sa maman. Maintenant, c’est elle qui serre sa joue contre celle de son Jésus. Elle lui rend ses devoirs, mais elle sait que ce corps si bon, si doux, ne fait que dormir : il ressuscitera, comme il l’a dit.

Par ses caresses et sa piété, elle provoque Jésus, pour ainsi dire, à avancer l’heure de sa Résurrection promise pour « le troisième jour ». Le beau jour de Pâques, son âme reprendra son corps. Il revivra.

Elle attend. Elle a gardé la foi, elle, et elle seule. C’est pourquoi elle sera la première à recevoir sa visite quand il remontera des enfers.

Par obéissance à la volonté du Père, ils ont souffert Passion et Croix, afin de pouvoir nous nourrir, nous enivrer, nous purifier de ce Précieux Sang, pour nous engager à notre tour sur ce dur chemin de Croix qui mène de la terre au Ciel, à la porte du Paradis retrouvé où nous formerons la couronne des enfants de Jésus et Marie pour leur consolation à jamais !