24 MAI 2020 - ASCENSION

Le Ciel, unique but de tous nos travaux

« Au soir de la vie une seule chose demeure, l’amour. Il faut tout faire par amour ». Méditez cette sentence du Carmel, elle sera dans les troubles de votre vie une lumière apaisante. Les hommes n’ont jamais donné tant d’importance aux choses de la terre que maintenant ; nous risquons nous-mêmes de nous y laisser prendre et de retrouver dans les actions mêmes de notre vocation ces attachements, ces cupidités, ces ambitions avec lesquels nous croyions avoir rompu. Œuvres de charité ou d’apostolat, études et travaux, que nous finissons par considérer comme si importants ! que nous n’aimerions pas voir soudain interrompus par la mort !

Apprenez donc que l’acte de mourir est meilleur que tout autre et la vie éternelle plus « utile » et plus « efficace » que toute œuvre terrestre. C’est à sa clarté que tout prend sa véritable signification, sa seule valeur. Rien de bon qui ne doive accroître notre désir de la rencontre avec le Maître, rien d’inutile ou de mauvais qui n’augmente en nous la crainte de mourir, le déplaisir de penser même à cette vie éternelle pour laquelle seule nous vivons la minute présente. Que seront ces mille tracas qui m’agitent lorsque Jésus reviendra frapper à ma porte ? Laissant tout cela, j’irai au-devant de lui. Tout n’est que passe-temps et qu’ennui si l’on songe à cette vie éternelle qui est proche, où nous accomplirons cette œuvre pour laquelle nous sommes créés, la louange de notre Dieu.

« Faites tout avec un grain de scepticisme », me disait quelqu’un que j’aime. Oui, ne croyons pas démesurément à l’importance de nos occupations aux yeux de Dieu. Il n’a pas besoin de nous et ce n’est pas notre génie ni notre application de microbe qui sont nécessaires à l’édification de son univers. Il nous a donné de vivre et d’agir sur terre pour lui manifester notre amour, c’est lui qui compte et non le succès de nos entreprises. Nous croyons faire notre devoir d’état en nous absorbant à longueur de journée dans notre tâche, et nous nous étonnons par après d’être si loin d’un Dieu qui nous abandonne ! Ce n’est pas là notre devoir. Il est plutôt là où nous attire notre « volupté » selon le mot audacieux de Saint Augustin : aimer ce Seigneur qui partout se fait présent et nous parle de vie éternelle, vivre dans cet amour et de lui, au point de ne voir toute chose petite ou grande, utile ou futile, agréable ou pénible qu’en la lumière de cet amour immortel, comme un service accompli pour la gloire de Dieu. De telle manière nous n’amasserons ni gloire ni richesse ni vanité ni science, nous ne progresserons guère (cette maudite idée de Progrès qui ôte la paix aux âmes ! il faudrait toujours aller à de plus grandes affaires...) mais rien ne se présentera à nous sans que nous ne puissions y manifester notre amour. Oui, ce sera le seul capital en augmentation continuelle, cette seule richesse à offrir au Christ quand il reviendra : « Les meilleurs fruits, les nouveaux comme les anciens, je les ai gardés pour toi, mon Bien-Aimé » (Cant. 7, 14).

« Dieu est bon quand il brise la carrière de quelqu’un ». Toutes les fausses grandeurs et les fausses richesses de la terre lui sont ôtées et s’il reçoit la grâce de perdre l’espoir de les reconquérir, alors il y a place en lui pour les biens véritables de la contemplation. À tous, je souhaite une brisure semblable. Ni vos proches, ni la France, ni l’Église n’y perdront, soyez-en assurés. Pour servir selon Dieu ses créatures, il faut découvrir à la lumière de son amour ce qu’elles comportent d’éternel. Que le divin Maître nous donne cet amour qui seul sait découvrir et sauver ce que les créatures ont de beauté et de bonté impérissables ! Que l’Esprit-Saint forme en nos âmes cette ressemblance de la nature divine, l’amour que le Fils a pour le Père, pour que dès ici-bas nous commencions cette louange de la Gloire divine qui sera dans le ciel, dans la vraie vie, notre œuvre unique et notre béatitude !

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la lettre à mes amis n° 1, Octobre 1956