Le Père Joseph Hamon

SAVANT “ HOMME DE DIEU ” ET INDÉFECTIBLE SOUTIEN DE NOTRE PÈRE

Rome, le 21 juin 1965

Monsieur l’Abbé,

Un ami m’a communiqué des feuilles ronéotypées dans lesquelles vous défendez avec une rare énergie la doctrine catholique traditionnelle. Ceci m’intéresse au plus haut point, et bien volontiers je m’abonnerais à vos articles...

* * *

Père Joseph HamonPar cette phrase s’ouvrit une correspondance qui ne cessera plus pendant 33 ans, et ce 21 juin 1965 commençait une très pure amitié sacerdotale. Mais ce premier billet ne laissait pas deviner quel grand serviteur de l’Église et quel saint religieux en était l’auteur. (…)

Le Père Hamon est né dans une sainte famille nombreuse et pauvre, en 1904, le 18 mars : on le prénomma donc Joseph. C’était sous le ministère Combes, et il fut affronté dès ses premières années scolaires à l’un de ces instituteurs envoyés tout exprès en Bretagne par le gouvernement, pour y déraciner la foi.

Ses parents le mirent en pension chez les Eudistes au Collège Saint-Sauveur de Redon où, à sa plus grande joie, les Pères réfutaient point par point les mensonges de l’instituteur. Alors, il voulut être missionnaire pour sauver à son tour les âmes des pièges de la franc-maçonnerie.

Il poursuivra ses études en Allemagne, à Coblence puis à Munich. (…) C’est à Rome que le Père Hamon acheva ses études d’exégèse et prépara son doctorat, à l’Institut Biblique. C’était en 1935. Il y reviendra après la guerre et y restera jusqu’en 1969, comme directeur des étudiants, supérieur de la Procure, puis Procureur général et second Assistant de la Congrégation. (…) Cet érudit posséda neuf langues, depuis le breton jusqu’au russe !

Secrétaire de Mgr Gouet, archevêque de Rennes, il fut chargé de traduire en latin les textes préparatoires du Concile. Ce travail préparatoire, nous confia-t-il plus tard, était « remarquable » et reflétait une unité dans la foi, une sûreté doctrinale telle, que Jean XXIII pensait que le Concile ne serait qu’une brève mais éclatante manifestation de l’Église catholique qui attirerait à elle, de proche en proche, les schismatiques orientaux et les anglicans, et jusqu’aux athées.

Mais vint la “ Révolution d’Octobre ” à laquelle le Père Hamon assista avec stupeur. Voici encore la suite de cette même lettre de 1965 :

« (...) Le comble dans ce Concile, à mon avis, est la proclamation de la liberté religieuse. Ceci constituera, selon moi, un hara-kiri en règle ! Une telle proclamation est en contradiction formelle avec les enseignements des pontifes romains, comme l’a très bien noté Fesquet, lequel se réjouit évidemment (comme les Izvestia !) de voir l’Église romaine briser elle-même le dogme de l’immutabilité de son enseignement religieux.

« J’espère que vous reviendrez sur ce point-là en détail, et avec cette force dialectique, cette clarté jointe à la profondeur qui caractérisent vos articles. » (…)

Quelle fut sa joie de découvrir les analyses que notre Père faisait du Concile, et peu à peu toute l’étendue de notre “ école de pensée ” ! Son admiration fut d’abord pour la connaissance de l’Écriture Sainte dont notre Père faisait preuve. Lui-même, professeur ! n’hésita pas à se dire son “ disciple ”. (...)

« Dites à votre Père que dans mes insomnies je scrute les Écritures. Scrutare Scripturas ! Dites à vos amis de garder la foi, c’est un don de Dieu, il faut le garder, l’entretenir, le protéger. State in fide, carissimi ! En dehors de la foi, rien ! Le Père, c’est solide, il est enraciné dans l’Écriture, il a une connaissance parfaite de la tradition, il a le sens du catholicisme, sa philosophie est le complément de saint Thomas. La relation ! Il y en a cinq lignes dans saint Thomas et c’est pour se demander si la relation est un être et dire que c’est peut-être un être, et alors le plus petit des êtres ! »

À l'abbé de Nantes, louant sa métaphysique, il écrit :

« Vous complétez ainsi l’immense lacune de la philosophie aristotélicienne et thomiste, par la “ dimension relationnelle ” des entités singulières.

« Le vide philosophique des Grecs (et même de saint Thomas) étant ainsi comblé, et la qualité de la relation entre les êtres singuliers se trouvant établie, à la fois en “ verticale ” (avec Dieu Créateur et Père) et en “ horizontale ” (avec le monde réel qui nous entoure), j’ai suivi avec une immense satisfaction les déductions et conclusions que vous retirez de cette constatation fondamentale : nous sommes des créatures “ singulières ” sans doute, et limitées ; mais nos relations avec Dieu et avec l’univers nous apportent un enrichissement inestimable. »

Quand notre Père fit paraître ses Mémoires et Récits, il n’eût de cesse de les voir publiées sous forme de volumes. Puis ce fut l’enthousiasme pour l’Histoire volontaire de sainte, doulce France :

« Vous apportez là un éclairage absolument nouveau, et magnifique, sur les desseins providentiels réservés par Dieu à notre chère Patrie. Dans l’optique où vous vous placez, il y a une foule de détails qui prennent leur vraie signification que, pour ma part, je n’avais jamais pénétrée, tout en estimant qu’il y avait quelque chose qui se cachait derrière les faits eux-mêmes. » (…)

Son espérance ? Un bon Pape ! « Jean-Paul Ier, disait-il, nous fut montré mais non donné », il espérait un autre Jean-Paul Ier, non seulement ostensus mais datus, un autre saint Pie X, un autre Grégoire VII... (…)

En 1987, il comprit parfaitement la réponse du Seigneur à “ l’Appel au jugement de Dieu ” lancé par notre Père. En cette ordalie qui opposait le théologien de la Contre-Réforme catholique et le cardinal Lustiger, champion de la religion conciliaire, Dieu devait trancher. Il ne le fit pas par mort d’homme mais d’une autre manière, tout aussi significative, comme avait très bien compris le père Hamon :

« En ce mois de décembre 1987 le Seigneur a répondu à notre prière, à notre attente : le signe sollicité est bien venu, et juste avant la date prévue, la fête de l'Immaculée Conception. Dans la forme, il ne correspond pas exactement à nos prévisions ; mais pour le contenu, la sagesse divine a voulu qu'il dépasse considérablement ce que nous avions pensé ; car il s'agit d'un livre, signé d’Aaron Lustiger [Le choix de Dieu], d’un livre qui se retourne contre lui-même, et le fulmine, tel le galet de David terrassant Goliath ; un livre dans lequel le « converti », devenu cardinal-archevêque de Paris, jette totalement le masque, et apparaît tel qu'il est en lui-même réellement : un judaïsant, au sens précis qu'employait saint Paul pour désigner les « faux frères », qui entravèrent constamment son apostolat, l'empêchant de gagner au Christ les païens sans les soumettre au joug de la loi mosaïque. (…)

« Cher Monsieur l'abbé de Nantes, le signe attendu, et providentiellement venu, manifeste avec évidence que la Contre-Réforme Catholique doit plus que jamais poursuivre sa croisade pour la défense de la vérité révélée. (…) » (Lettre du 27 décembre 1987, CRC n° 242, mars 1988, p. 9-10)

En 1992, alors que l’abbé de Nantes était attaqué de toutes parts, l’abbé Hamon l’encourage avec la sagesse, la piété et la vigueur d’un saint :

« Toujours j'ai prié fidèlement le Seigneur de vous assister de sa grâce de lumière et de force, dans la Croisade que vous menez pour le triomphe de l'unique vraie Religion révélée, qui est le Catholicisme, dans toute la pureté de sa Tradition, telle qu'elle a été enseignée “ toujours, partout, et par tous : Semper, ab omnibus et ubique ”.

« Ce combat, vous le menez vigoureusement, avec une orthodoxie sans faille. (…) Vos textes, et votre position doctrinale, sont bien connus de la Hiérarchie ecclésiastique, aussi bien à Rome que dans l’épiscopat.

« Or, jusqu'à présent, pas une seule plume, ni pontificale, ni épiscopale, ne s'est manifestée pour censurer votre enseignement théologique. Nulle autorité officielle n'a osé croiser le fer avec vous, au plan doctrinal. (…) C'est donc que vous restiez seul maître sur le terrain de la vraie Foi. À son plus haut niveau, l'Église romaine actuelle n'avait rien à vous objecter. » (Lettre du 1er janvier 1992, CRC n° 280, fév.-mars 1992, p. 21-22)

Dans une de ses premières lettres, il avouait à notre Père que les questions politiques ne l'intéressait pas. Mais peu à peu, il comprit si bien l'enjeu de ce combat qui ne cessera d'encourager notre Père à le poursuivre, avec une espérance aussi vive que pénétrante.

« J'ai dans l'idée que vos “Opera omnia ”, équivalant à une véritable “ patrologie ”, constitueront la “ Summa theologica ” de l'ère nouvelle dans l'Église. » (lettre du 27 mars 1994, CRC n°302, p. 21)

Espérance d’un “ homme de Dieu ” comme notre Père se plaisait à l’appeler, et qu’il garda inconfusible jusqu’à la maladie qui devait l’emporter. Alors qu’il était devenu aveugle, ses dernières années se passèrent dans la prière aux intentions de notre Père et de la CRC : « Et toujours je serai ainsi avec vous, par la pensée du cœur, par l’intérêt porté à votre intense apostolat, et par la commune confiance totale en Dieu, qui nous aime infiniment. Avec l’assurance de mes plus religieux sentiments dans la charité des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie. »

Ses dernières paroles furent pour nous, il voulait s’assurer que nous tenions ferme avant de prononcer son Nunc Dimittis. C’était le 70e anniversaire de son sacerdoce.

Maison de retraite “La Corbinais” 22 130 Plancoët
Le 20 juin 1986

Cher Monsieur l’Abbé de Nantes,

(…) Ce qui me jette dans la stupéfaction, c’est que vous puissiez parler sur des sujets aussi profonds, aussi abstraits, sans avoir besoin de recourir à un texte rédigé. C’est donc que vous possédez à fond cette Métaphysique, au point de pouvoir la communiquer avec tant de limpidité à vos auditeurs.

J’ajoute ceci : vous avez éclairci un problème que je traînais depuis des décennies, sans pouvoir trouver l’ombre d’une solution. Quand je faisais mes études de Philosophie, au Séminaire, il y a 65 ans et plus, j’avais été frappé de voir comment les Docteurs scolastiques se mouvaient tellement à l’aise dans le monde des “ universaux ”, et laissaient tomber dédaigneusement le “ singulier ”, l’être individuel. Ils discutaient à l’infini sur l’essence et l’existence, la substance et l’accident, la matière et la forme, l’acte et la puissance, le genre et l’espèce, le fini et l’infini, et autres concepts qui nous éblouissaient, nous transportant dans un monde merveilleux, tellement nouveau pour nos jeunes esprits. Mais dès que je considérais le monde réel qui nous entoure, je constatais qu’il ne comportait que des êtres concrets et singuliers, dont ladite Philosophie faisait peu de cas, se contentant de dire : “ de individuo non est scientia ” ; elle laissait ledit “ individu ” gisant dans sa “ materia prima quantitate signata ”, sans aucun intérêt pour l’intelligence, faite pour l’universel.

Mais alors, que deviennent les personnes humaines, qui sont, elles aussi, des réalités “ singulières ”, chacune étant “ unum in se et distinctum a quolibet alio ” ? Ne devraient-elles pas être, et au premier chef, objet de la Philosophie, et de sa branche la plus fondamentale, la Métaphysique ?

Vous devinez dès lors la surprise intellectuelle, et la joie spirituelle que j’ai éprouvée en étudiant votre exposé sur la “ Métaphysique totale ”, celle qui englobe non seulement l’abstrait et les idées, mais aussi le concret et le singulier, les objets et les personnes, telles qu’elles sont dans la réalité de la vie.

Et vous complétez ainsi l’immense lacune de la philosophie aristotélicienne et thomiste, par la “ dimension relationnelle ” des entités singulières.

Le vide philosophique des Grecs (et même de saint Thomas) étant ainsi comblé, et la qualité de la relation entre les êtres singuliers se trouvant établie, à la fois en “ verticale ” (avec Dieu Créateur et Père) et en “ horizontale ” (avec le monde réel qui nous entoure), j’ai suivi avec une immense satisfaction les déductions et conclusions que vous retirez de cette constatation fondamentale : nous sommes des créatures “ singulières ” sans doute, et limitées ; mais nos relations avec Dieu et avec l’univers nous apportent un enrichissement inestimable.

Soyez remercié de tout cœur, cher Monsieur l’Abbé, et soyez complimenté avec ferveur pour avoir donné à ces “ abstractions ” aristotéliciennes et thomistes, si froides et impersonnelles, une vie et une chaleur et un attrait, qui en font l’objet d’une Philosophie digne de ce nom, et d’une Métaphysique compréhensible, car il s’agit de la Métaphysique totale.

Que Dieu et Notre-Dame vous soutiennent, par la grâce et l’espérance, dans la poursuite de votre apostolat multiforme, au service de Notre-Seigneur et de notre Sainte Religion catholique.

Dans l’attente de la grande joie de vous revoir, je vous renouvelle, et à tous vos Fils et Filles, l’assurance de mes sentiments les plus cordialement et religieusement dévoués.

Père Joseph Hamon

Extraits de la CRC n° 352, janvier 1999, et des CRC 241, 280, 302

  • Notre ami le Père Joseph Hamon, CRC tome 31, n° 352, janvier 1999, p. 33-35
  • Le témoignage d'un religieux, CRC tome 26, n° 302, mai 1994, p. 21-22
  • La CRC, carte forcée (Courrier), CRC tome 24, n° 280, fév.-mars 1992, p. 21-22
  • Après la réponse du Seigneur, la sagesse de la foi (La pensée d'un homme de Dieu), CRC tome 20, n° 241, mars 1988, p. 9-11
  • Vingt-cinq ans de bon combat, CRC tome 13, n° 167, juillet 1981, p. 13