L'Évangile de saint Marc
XIII. Conclusion dogmatique
NOUS avons été mis en contact direct avec le kérygme, c’est-à-dire l’annonce même par les Apôtres, premiers témoins oculaires, de la Révélation faite par le Christ. Gardant cela dans notre mémoire, nous nous demandons quel est le rapport entre cet Évangile et le Credo que nous récitons, le catéchisme que nous apprenons.
- Maintenant, comparons !
Presque tout le Credo est dans saint Marc [...], et surtout les grandes affirmations centrales : la relation du Père et du Fils, puis la mission du Fils décevante pour les Apôtres, qui est d’être livré au Grand Prêtre, aux païens et à la mort, de souffrir, et d’être tué, mais de ressusciter le troisième jour. Ce mystère de la Rédemption est au centre de notre Credo. La troisième partie sur l’Esprit Saint qui anime l’Église et qui sanctifie son peuple pour lui donner la résurrection et la vie se trouve aussi dans saint Marc. Le vocabulaire n’est pas toujours le même. Dans saint Marc, ce n’est pas “ juger ”, parce que ce mot est hébraïque, mais c’est “ établir son règne ”. De même Jésus parlait du Royaume de Dieu. Mais comme dans le monde païen, ce terme restait équivoque, ils ont choisi le mot ecclesia. Le Saint-Esprit était capable de leur faire prendre une certaine indépendance par rapport au vocabulaire du Christ pour en garder la substance. Le amen, le “ En vérité en vérité je vous le dis ” est un mot très propre à Jésus lorsqu’il dit les choses avec importance.
- Deuxième partie de notre catéchisme : est-ce que l’Église a inventé toute sa discipline sacramentelle ? Est-ce qu’on trouve cela dans saint Marc ? [...]
Les sept sacrements y sont d’une manière tout à fait remarquable.
Le baptême : Dès le début, nous voyons les juifs se faire baptiser dans l’eau par Jean mais ce n’est qu’un baptême de préparation, de pénitence en vue d’un autre baptême qui doit venir et qui se fera dans l’Esprit Saint. [...]
De l’Eucharistie, nous en avons le récit.
La confession des péchés, la Pénitence apparaît avec Jean-Baptiste, elle va être conservée dans l’Église et prendre une forme canonique, rituelle, c’est notre confession. Notre-Seigneur dit que beaucoup de péchés et de blasphèmes seront remis mais pas le péché contre le Saint-Esprit. Donc il y a bien déjà l’esquisse du sacrement qui viendra. En outre, le repentir de saint Pierre est une figure du repentir des chrétiens qui, malgré leur baptême, ont été des lapsi dans la persécution. [...]
L’onction des malades : Quand les Apôtres sont envoyés en mission, ils guérissent les malades avec des onctions d’huile [...]
Le mariage : L’institution du mariage remonte à la création mais est reprise par Jésus qui en fait un sacrement. Il le reprend à son compte, c’est lui Jésus qui bénit ceux qui s’unissent et de ce fait, la soudure est insécable.
L’ordre : Il n’est pas constitué chez saint Marc. Mais à côté de cela, on peut dire que le sacerdoce principal, celui des évêques, est fondé parce que Jésus choisit ses douze Apôtres solennellement après avoir prié. Il les appelle à lui pour être ses témoins et des gens doués de pouvoirs pour chasser les démons. Saint Marc le rapporte dans sa finale. Donc il y a une institution d’une hiérarchie sacerdotale ayant des pouvoirs sacrés. Après, il y a la vie religieuse avec les vœux : à ceux qui le suivaient, il a donné des consignes de pauvreté très strictes. Il n’a pas parlé de la chasteté mais de l’enfance spirituelle. Quant à l’obéissance, Dieu le Père dans la Transfiguration a dit de son Fils : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j’ai mis toutes mes complaisances, écoutez-le. »
- Troisième partie du catéchisme : La morale de Jésus, expliquée à l’occasion de pièges des pharisiens ou de cas pratiques, est très riche. Il faut commencer par obéir au Décalogue mais cela ne suffit pas. Jésus reprend le premier commandement et ensuite, la charité envers le prochain. Le prochain pour lui est n’importe quel homme qui approche, ce n’est pas le juif. C’est une révolution, une morale toute nouvelle.
Saint Marc nous parle de la Foi, de la Charité. Et adhérer à Jésus, c’est l’Espérance du Règne.
Saint Marc ne parle pas du culte de Dieu, mais de Marie-Madeleine qui brise son vase pour en répandre tout le parfum sur la tête de Jésus. Nous pouvons faire un geste analogue en disant le chapelet, et même le chemin de croix et les vêpres le dimanche... tout ce qu’on pourra faire, on le fera pour donner notre cœur à Jésus qui a transpercé le sien pour nous.
Dans l’Évangile de saint Marc, il est parlé du blasphème, de la sanctification du Sabbat, des devoirs envers les parents, de l’autorité politique. Jésus ajoute l’existence des démons et des anges. [...]
Ma première conclusion est celle-ci : toute notre foi d’aujourd’hui, ou d’avant le Concile est dans l’Évangile. Les curés d’il y a cinquante ans enseignaient au catéchisme ce que saint Pierre, saint Marc après lui, enseignaient aux jeunes Romains et cela suffisait à les convertir. L’Évangile de saint Marc est comme le grain de sénevé dans lequel il y a l’ADN, c’est-à-dire tout l’héritage du Christ. Il est minuscule, or il a donné cet immense arbre. Ce qui a été renfermé dans la graine s’est épanoui, c’est ce qu’on appelle le développement du dogme.
Deuxième partie :
Le Père Lagrange distingue trois pensées majeures.
♦ La première concerne le royaume de Dieu. Dans le mot grec, il distingue deux acceptions : soit qu’on traduise par le règne de Dieu, soit qu’on traduise par le royaume de Dieu.
Le règne de Dieu, c’est Dieu qui intervient actuellement sur la terre dans les affaires de son peuple et des autres peuples pour les diriger à sa manière. [...]
Tandis que le royaume de Dieu a lieu à la fin des temps. Après un grand châtiment, Dieu installera une nouvelle terre et de nouveaux cieux, ce sera l’institution nouvelle d’une humanité régénérée.
Jésus va parler de l’une et de l’autre, il montre que le règne de Dieu est venu en chassant les démons et en guérissant les malades. Et ce règne de Dieu trahit son fond, son âme : il remet les péchés. Remettre les péchés équivaut à faire vivre les hommes selon Dieu, d’abord par l’âme et peu à peu par le corps. Donc dans ce règne de Dieu que Jésus gouverne, il semble que l’humanité va se trouver régénérée. La parole de Dieu, la semence reçue dans la bonne terre est ce règne de Jésus. Quand les gens repartent après l’avoir écouté, ils ont cette semence de vie nouvelle en eux qui les fait agir mieux, qui les purifie, qui les éclaire. Voilà le règne de Dieu. Mais parallèlement, Jésus crée des institutions avec les douze Apôtres, pour encadrer tout cela, c’est l’Église.
Deuxièmement, Jésus règne sur ses Apôtres, sur les saintes femmes, sur les saintes gens qui les entourent et également il prédit son royaume : « Laissez les petits enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car c’est à leurs pareils qu’appartient le royaume de Dieu futur ». Si vous êtes semblables aux petits enfants, vous entrerez, après la mort, dans le royaume de Dieu et il continue : « En vérité, je vous le dis : quiconque n’accueille pas le règne de Dieu en petit enfant n’y entrera pas. » Cela veut dire : quiconque aujourd’hui ne commence pas à vivre selon le règne de Dieu, dans l’orbe de Jésus et des Apôtres, celui-là qui ne vit pas dans l’Église actuellement, n’entrera pas dans l’Église du Ciel, dans l’Église future. Dans cette seule phrase se trouvent les deux acceptions, du règne actuel et puis du royaume céleste. Jésus a prédit et l’Église et le Ciel, mais de l’une à l’autre il y a une sorte de continuité en même temps qu’une différence. C’est tout le mystère de l’Église actuelle et de l’Église à venir.
Nous appartenons à l’Église, nous sommes capables d’assumer notre vocation, si pénible qu’elle soit, parce que c’est en appartenant à l’Église, en étant dans le règne de Jésus mort et ressuscité, que nous nous préparons une place dans le royaume éternel sans laquelle notre vie serait vaine. ♦ La deuxième révélation propre à Pierre et à Marc est Jésus, Fils de Dieu, Fils de l’homme. Jésus ne se dit pas Fils de Dieu, il laisse les autres le dire. Mais saint Marc le dit dès le premier chapitre : « Commencement de l’Évangile de Jésus-Christ, Fils de Dieu ». [...] Le mot dont Jésus se désigne, c’est le Fils de l’homme. Lagrange traduit par “ l’homme que je suis ”. Chaque fois que Jésus se dit le Fils de l’homme, il insiste sur sa fragilité. Il veut que les Apôtres, que ceux qui le suivent comprennent bien qu’il est homme comme eux, pas plus qu’eux ! Il a une nature humaine semblable à la leur, il a faim, est angoissé, se met en colère, a des émotions, etc. Il insiste sur sa tâche humaine, sur son humilité, les persécutions, les souffrances qu’il aura à assumer en tant qu’il est homme, soumis aux caprices des hommes, et aux autorités humaines. Il ne fera pas de miracles pour échapper à sa condition. C’est tout à fait conforme à la prophétie concernant le Messie, dont il était dit qu’il serait le Serviteur de Yahweh, avec ce que tout cela impliquait d’obéissance, de soumission d’un homme à la loi de Dieu si dure qu’elle soit. Seulement, ce mot était très mystérieux parce que Fils de l’homme voulait dire : je suis un humain comme vous. Daniel a parlé de cet humain en disant qu’on le verrait venir sur les nuées du Ciel. Mais en même temps, cet homme cachait en lui une gloire parce que « l’humilité précède la gloire » et cette gloire un jour éclaterait. La Transfiguration va dans ce sens en montrant que ce Fils de l’homme, tout d’un coup a des qualités divines. Pour qualifier Jésus, il faudrait dire : c’est un homme-Dieu.
Dans saint Marc, récapitulant la prédication de saint Pierre, nous trouvons des scènes majestueuses qui sont proprement divines. D’autres scènes sont humaines et édifiantes, Jésus passe des nuits en prière. Jésus est bon, il accepte avec une résignation merveilleuse ses souffrances. Alors à ce moment-là, ce n’est pas un Dieu, c’est un homme mais un homme au-dessus de tous les autres hommes. [...]
Dans certaines scènes, Jésus est un homme comme les autres qui ne sait pas bien faire des miracles, qui n’y arrive pas ! qui a des paroles de colère qui paraissent démesurées, qui a même des gestes ou des paroles de fou ! : « Cette génération adultère et rebelle », « arrière Satan », sur la croix, il dit : « Mon Père, mon Père, pourquoi m’avez-vous abandonné ? » Alors il est tellement homme qu’on jurerait qu’il n’est pas Dieu, et à d’autres moments il est tellement Dieu qu’on jurerait qu’il n’est pas homme. Il est Dieu et homme, c’est un homme-Dieu. [...]
C’est absolument admirable de se trouver chez Marc au contact avec Jésus lui-même, et les Apôtres se disaient : « Quel est cet homme pour que le vent et la mer lui obéissent, quel est cet homme pour qu’il guérisse les malades, pour qu’il fasse voir les aveugles, qu’il ressuscite les morts... ? » Ils le regardaient et ils ne comprenaient pas. Et lui, il leur expliquait peu à peu qu’il était le Fils du Père venu sur terre pour sauver tous les hommes, c’est ce que nous verrons dans la prochaine instruction.
Abbé Georges de Nantes
S 90 : L'Évangile selon saint Marc, retraite automne 1986