CHARLES DE FOUCAULD
III. La conversion
LA FAMILLE RETROUVÉE
Après la tension nerveuse de son année d'exploration, il se livre, de retour à Alger en mai 1884, à de folles distractions qu'il se reprochera plus tard. Ce n'est pas un converti qui revient du Maroc !
Le mois suivant, il rentre en France. Sa tante Moitessier le reçoit comme un enfant prodigue, avec sévérité mais avec bonté. Ses cousines, elles, ne sont que bonté. Après ces quatre années d'absence, il redécouvre sa famille. […]
Au début de 1885, il repart pour Alger afin de rédiger sa “ Reconnaissance au Maroc ”.
C'est à cette époque qu'il rencontre la fille du commandant Titre, géographe dans la mouvance de Mac Carthy. Convertie depuis peu, cette jeune fille lui plaît et il pense l'épouser pour mettre fin aux désordres de ses propres mœurs. Marie de Bondy, sagement, le détourne de ce mariage, et Charles lui en gardera une grande reconnaissance. […]
Le 14 septembre 1885, il visite les oasis du Sud-Algérien pour achever son ouvrage en se livrant à diverses comparaisons.
S'adjoignant à une colonne militaire, il retrouve le baron de Motylinski. Comme ils avaient fait ensemble la campagne de 1881 contre Bou Amama et qu'ils partagent aussi les mêmes idées sur l'avenir colonial de la France, ils se lient d'amitié. De Foucauld abrège cependant son voyage pour une raison inconnue et gagne la France précipitamment.
LA RUE DE MIROMESNIL
Le 19 février 1886, il s'installe à Paris au 50, rue de Miromesnil, à quelques pas de sa tante Moitessier. Souvent, il va prendre ses repas chez elle : c'est sa famille, où il retrouve cousins et proches, mais il s'éclipse dès que l'on parle politique, ce qui arrive souvent car les Moitessier tiennent un salon politique extrêmement brillant et fréquenté, surtout par le milieu orléaniste. Cette politique-là laisse Charles insensible, elle ne l'intéresse pas. […]
Depuis son retour du Maroc, il n'est plus le même homme. Il vit dans la solitude et la chasteté, étudie beaucoup, travaille à la rédaction de son livre. L'univers agnostique dans lequel il vivait depuis dix ans, bascule au contact de ces saintes femmes qu'il voit vivre tout auprès de lui et qu'il aime immensément. Elles sont d'une parfaite discrétion, lui témoignant seulement une grande affection. Il les observe très attentivement et ne trouve en elles aucun reproche à faire à la religion qu'elles pratiquent. C'est le témoignage silencieux de leur dévotion et de leurs vertus qui va l'entraîner vers le retour à la foi. […]
MARIE DE BONDY
Parmi les saintes femmes de son entourage c'est Marie de Bondy et elle seule qui va d'abord engendrer Charles de Foucauld à la vie spirituelle : « Marie a été pour Charles, explique notre Père, un reflet des choses divines. Elle était pour lui l'image de la sainteté. Son amour a enfanté dans son âme à lui l'amour de Dieu. »
C'est avec une émouvante reconnaissance qu'il évoque cette grâce en 1897 dans sa “ Retraite à Nazareth ” : « Moi, ma vie passée, miséricorde de Dieu ».
« Ce trouble de l'âme, cette angoisse, cette recherche de la vérité, cette prière : “ Mon Dieu, si vous existez, faites-le-moi connaître ! ” Tout cela, c'était votre œuvre, mon Dieu ! votre œuvre à vous seul ! Une belle âme vous secondait, mais par son silence, sa douceur, sa bonté, sa perfection. »
Aucun de ces mots n'est superflu. Voilà l'apostolat dont le Père de Foucauld rêvera toute sa vie ! après l'avoir d'abord éprouvé lui-même comme l'instrument de son salut. Marie est vraiment médiatrice auprès de son cousin par « Le mystère de la Visitation » qui sera bientôt au centre de la spiritualité de Charles de Foucauld.
« Vous m'aviez attiré à la vertu par la beauté d'une âme, en qui la vertu m'avait paru si belle, qu'elle avait irrévocablement ravi mon cœur.
« Vous m'attirâtes à la vérité par la beauté de cette âme même. Vous me fîtes alors quatre grâces. La première fut de m'inspirer cette pensée : puisque cette âme est si intelligente, la religion qu'elle professe fermement ne saurait être une folie comme je le pense.
« La seconde fut de m'inspirer cette autre pensée : puisque cette religion n'est pas une folie, peut-être la vérité, qui n'est sur la terre dans aucune autre, ni dans aucun système philosophique est-elle là.
« La troisième fut de me dire : Étudions donc cette religion ; prenons un professeur de religion catholique, un prêtre instruit, et voyons ce qu'il en est et s'il faut croire ce qu'elle dit. La quatrième fut la grâce incomparable de m'adresser pour avoir ces leçons de religion à Monsieur Huvelin. »
C'est donc elle, sa “ mère spirituelle ”, qui va le conduire vers l'abbé Huvelin qui était son directeur depuis dix ans.
L'admiration que Charles portait à sa cousine, il la reporte entièrement sur ce prêtre, le considérant comme un saint qu'il n'aura qu'à suivre, comme un enfant suit son père. Il en rend grâces à Dieu avec effusion :
« Vous m'avez porté par ses mains depuis ce temps et ce n'a été que grâce sur grâce. Je demandais des leçons de religion : il me fit mettre à genoux, me fit me confesser et m'envoya communier séance tenante. […]
« Que vous avez été bon ! Que je suis heureux ! Qu'ai-je fait pour cela ? Et depuis, mon Dieu ! ce n'a été qu'un enchaînement de grâces toujours croissantes, une marée montant, montant toujours. […]
« Ce tendre et croissant amour pour vous, mon Seigneur Jésus, ce goût de la prière, cette foi en votre parole, ce sentiment profond du devoir de l'aumône, ce désir de vous imiter, cette parole de Monsieur Huvelin, dans un sermon, que “ vous aviez tellement pris la dernière place que jamais personne n'avait pu vous la ravir ”, si inviolablement gravée dans mon âme, cette soif de vous faire le plus grand sacrifice qu'il me fût possible de vous faire, en quittant pour toujours une famille qui faisait tout mon bonheur, et en allant bien loin d'elle vivre et mourir. »
Qu'avait-il de meilleur, de plus précieux que ses liens, tout spirituels, avec Marie de Bondy ? Dès la minute de son retour à Dieu, c'est cela qu'il eut la pensée d'offrir, non pas à moitié, non pour un temps, mais pour toujours ! […]
Marie, qui a été médiatrice auprès de Charles pour le conduire au Cœur de Jésus sans retour, ne le retiendra pas. Son affection est absolument pure, car elle est toute “ en Dieu ”. Comme fit la Vierge Marie avec Notre-Seigneur, elle le laissera suivre sa vocation jusqu'au désert, et ce sera sa montée du Calvaire...
Entrons dans cette grande flamme d'amour pour que le Père de Foucauld nous entraîne et nous enflamme à notre tour, et sachons que Dieu nous appelle à de saintes amours qui nous transportent au Ciel.
Extrait de la CRC n° 329 de janvier 1997, p. 20-23